dimanche 30 juin 2013

La Guerre des étoiles (Star Wars de G. Lucas, 1977)




Entre les uns qui voient un film vieillot et désuet et les autres qui lui vouent un culte, il semble bien difficile d’apprécier La Guerre des étoiles (1) en toute simplicité. Pourtant ce premier épisode est l’un des plus réussi et, pour mieux l’apprécier, sans doute faut-il faire l’effort de le (re)voir en n’oubliant pas qu’il n’a pas été programmé pour être l’immense succès planétaire qu’il est devenu. Aujourd’hui ce film est vu comme celui qui inaugure la saga alors qu’il forme pourtant un tout cohérent. George Lucas avait certes négocié à l’avance avec la Fox deux suites, mais il n’imaginait pas le raz de marée qui allait suivre et qui allait porter le film et son univers tout en haut des légendes du cinéma.
Actant l’échec public de son premier film (la science-fiction de THX 1138) et la réussite de son second (le film pour ado avec American Graffiti), Lucas retourne vers la science-fiction mais cible à nouveau le public ado, tout en distillant des valeurs morales nettes. À le replacer dans son contexte, on remarque que Star Wars a de nombreux gènes communs avec les films de science-fiction des années 70 : depuis l’apparence des vaisseaux et autres engins de l’espace, jusqu’aux premiers rôles un peu naïfs (Luke Skywalker est assez proche du héros de L’âge de cristal par exemple).

Mais trois grands changements – venus de l’ambition de George Lucas et de son désir de réaliser un film spectaculaire – ont porté le film et ont contribué à créer un choc visuel à l’époque.
D’une part les effets spéciaux sont très aboutis et marquent un net progrès par rapport aux films précédents de science-fiction. Les effets lasers, les moteurs poussant les vaisseaux, les décors très travaillés, les masques de caoutchoucs amusants et variés (dans le bar à Aldorande par exemple) créent un univers très convaincant.
La deuxième grande innovation concerne le rythme. Non pas le rythme du film lui-même (qui est assez lent dans sa première partie dans le désert d'ailleurs), mais du rythme des déplacements dans l'espace. La notion de vitesse est indissociable de la réussite visuelle du film : rompant avec les évolutions lentes (et silencieuses) des vaisseaux dans l’espace, les voilà qui bondissent, hurlent et virevoltent, à coups de course-poursuites, d’accélération ou de rase-mottes. C’est sur cet aspect que le film est réjouissant. Il n’y a qu’à voir l’écart entre le Dark Star qui se déplace silencieusement et lentement dans le film du même nom et les chasseurs de l’empire qui traversent l’écran en hurlant pour comprendre l’apport de Star Wars. Le titre même du film montre bien que, au-delà de l’aventure de Luke et de ses compagnons, c’est cette idée de va et vient à toute vitesse dans l’espace et de tirs au laser en tous sens qui prévaut dans l’imagination de Lucas. Cette idée d’une « guerre des étoiles » semble bien étrange : il n’y a pas l’ombre d’une guerre entre étoiles.
Dernier revirement : le film ne s’attarde pas sur les débauches de technologies. Lucas, en rupture avec les films précédents (de 2001 à Silent running), n’insiste pas sur les éléments ultra technologiques (tirer sur des ennemis, décoller, utiliser un spider en lévitation, etc.) et les considère comme faisant partie du quotidien. L’effet en est démultiplié et le plongement dans un autre univers beaucoup plus efficace. On n’est pas dans un futur plus ou moins lointain (2), on est réellement dans un ailleurs.

À côté de ces trois grandes révolutions, Lucas a de très bonnes idées : celle du sabre-laser est géniale, aussi bien visuellement que pour lier l’aspect chevaleresque des Jedi avec un univers de science-fiction. De même cette Force étrange, qui transcende toute la technologie. Dark Vador, enfin, est un méchant parfait (mais qui le deviendra encore plus au fil des épisodes).

Pour le reste Lucas pioche à droite et à gauche dans l’univers déjà riche du genre. La gestion des maquettes sont un héritage de 2001 ; l’idée des droïdes (R2D2 notamment) vient tout droit de Silent running ; l’hyperpropulsion avec le passage à la vitesse lumière, et l’explosion de planète ont déjà été vues dans Dark Star ; Luke rappelle beaucoup le héros de L’Âge de cristal, etc. Et Lucas est allé chercher chez Kurosawa un certain esprit chevaleresque et que le duo de droïdes rappelle les deux paysans presque burlesques de La Forteresse cachée.

Des décors travaillés mais dans la lignée
des films de science-fiction des années 70. 

En ce qui concerne les personnages, toute la cohésion des aventures repose sur Han Solo (Harrison Ford, parfait), dans un rôle classique (le mercenaire bad guy ironique), qui vient dynamiser le trop sérieux Obi Wan et le candide Luke. La façon dont Han Solo roule pour lui-même en toute décontraction ou dont il asticote la princesse dès le premier regard est très réussie.


Cela dit Lucas ne saisit pas vraiment l’importance de ses personnages : Dark Vador ne deviendra un parangon du Mal que dans l’épisode suivant, L’Empire contre-attaque, dans lequel l’idée de Jedi, qui n’est encore qu’ici qu’un décorum sur lequel Lucas insiste peu, prendra une importance capitale. On comprend alors que c’est surtout L’Empire contre-attaque qui élève la saga au rang de mythe cinématographique en construisant un univers qui déchaînera tant de passions chez ses fans.

Mais la réunion de tous ces éléments est réussie et si le film, en toute rigueur, n’est pas exempt d’erreurs scientifiques, il construit néanmoins un univers tout à fait cohérent (3) et très divertissant.


Mais on ne peut s’empêcher de noter que, parmi les principaux films de science-fiction des années 70, il est un de ceux qui ne portent pas de regard sur la société : il ne s’agit pas d’un film d’anticipation, il n’y a pas de scénario post-apocalyptique ni de métaphore d’un quelconque totalitarisme (si l’Empire rappelle les totalitarismes du XXème siècle, on est loin d’une dénonciation type Rollerball). Dans ce sens Star Wars est assez peu riche et tire son seul intérêt de l’élan de ses aventures. Ce n’est qu’ensuite, à partir de l’épisode suivant, que la richesse propre à la saga (notamment la Force et le singularisme des Jedi) lui confère une réelle originalité (mais sans pour autant proposer une réflexion au spectateur).
Si le film est une pierre angulaire des progrès concernant les effets spéciaux, pour lesquels il représente une caisse de résonance incroyable, il s'agit d'un divertissement essentiellement ludique, qui plus est filmé de façon bien conventionnelle (on est bien loin de la richesse visuelle et innovante de THX 1138). C’est en ce sens que La Guerre des étoiles, paradoxalement, marque l’appauvrissement de la science-fiction au cinéma. Le genre, en effet, s’orientera rapidement vers ce type de space opera, oubliant que la science-fiction, par nature, est prompte à porter un regard sur le monde.



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(1) : N'hésitant pas à bousculer l'histoire, George Lucas n'a pas hésité à renommer le film désormais appelé Star Wars, épisode IV : Un nouvel espoir. Quelques éléments numériques ont été rajoutés ici et là et c'est cette nouvelle version qui est désormais la seule commercialisée.

(2) : Même si, on le sait, du point de vue strictement diégétique, la saga se passe dans un passé lointain...

(3) : Ce sera de moins en moins le cas au fur et à mesure des films, chaque épisode tendant à se prendre les pieds dans le tapis de son propre univers. Sur cette destruction de la cohérence même de l’univers Star Wars, les épisodes les plus récents (la prélogie) sont affligeants.

vendredi 28 juin 2013

Un si doux visage (Angel Face de O. Preminger, 1952)




Très beau film noir d'Otto Preminger. Le film prend de nombreux motifs du genre et les assemble en un tout parfait, équilibré, prenant, parfaitement interprété et, bien évidemment, tragique.
Preminger distille à la fois une part de mystère et une part de menace qui tiennent de bout en bout, jusqu’à la scène finale. Robert Mitchum, monolithique, distant et insondable est parfait, de même que Jean Simmons, qui allie la fragilité douce et amoureuse à la manipulation qui sied à son personnage.
Ce n’est donc pas par son originalité que brille le film (cet enfermement de personnages dans un amour obsessionnel qui les perdra est un ressort classique du film noir) mais par cette mécanique fluide et inexorable filmée avec perfection, qui fait d’Un si doux visage un très grand moment de cinéma.


mercredi 26 juin 2013

Conversation secrète (The Conversation de F. F. Coppola, 1974)




Très bon film de Francis Ford Coppola, qui réussit à imposer ses volontés aux studios pour réaliser ce film intime et personnel. La réalisation de Conversation secrète était en effet une condition à la réalisation du deuxième volet du Parrain.
Très loin de la magnificence du Parrain, ce film sur un homme spécialisé dans l’écoute et qui, un jour, se met réellement à écouter, est une vraie réussite. Le ton un peu gris, austère, rehaussé de notes de jazz, autour d’une technicité aujourd’hui dépassée (toutes ces méthodes d’enregistrements, de bandes magnétiques, de micros, etc.). Mais celle-ci reste fascinante et, avec une intrigue qui devient de plus en plus opaque et incertaine à mesure que Harry Caul la subit, elle compose un film intime, décalé, émaillé de touches de mélancolie désabusée.
Gene Hackman est excellent dans son interprétation d’Harry Caul : c'est un homme intériorisé, renfermé sur lui-même, qui passe son temps dans son atelier comparable à une grande cage d’acier froide et déshumanisée, qui épie mais ne manifeste rien. Coincé dans une claustrophobie aliénante et solitaire, il est dans un monde à côté du réel, réel qu’il surveille, guette, écoute, dans une quête obsessionnelle pour isoler un élément, un son, une phrase. Il semble être un avatar du privé en pardessus des films noirs des années 50, il apparaît maintenant technicisé, déployant ses stratagèmes à coups de micros cachés, épiant de loin, distant et froid.


À force de chercher à éradiquer les interférences qui brouillent les voix des conversations volées, Harry écoutera une fois le sens de ce qui se dit, et, bien entendu, il ne comprend pas réellement ce qu’il entend (ceux qu’ils pensaient être des victimes sont en réalité des assassins). Écouter encore et encore ne résoudra rien et, progressivement, plongé dans une situation qui lui échappe, pris dans une machination dont il se retrouve l'objet, Harry verra son propre univers se retourner contre lui quand il comprend qu’il est épié dans son propre appartement sans parvenir à débusquer les micros installés.

La mise en scène parfaite joue à cache-cache, met des flous en plein cadre, isole dans la foule, tourne autour des personnages, les cache dans des recoins et les coince dans le cadre. La séquence d’introduction est, à ce titre, magistrale, avec l’enregistrement complexe d’une discussion dans la foule.
Cette vie passée à traquer autrui fait penser à un Fenêtre sur cour audio et non plus visuel et Conversation secrète emprunte bien sûr à Blow-Up ce motif de l’interprétation multiple, non plus d’images mais de sons (sujet que reprendra Brian De Palma dans Blow Out). Le jeu de complot qui se dévoile évoque évidemment, avec une étonnante prescience, le scandale du Watergate.


Ce film montre l’étendue de la palette de Coppola, l’un des plus protéiformes des réalisateurs du Nouvel Hollywood, et assurément l’un des plus géniaux.
On retrouvera une déclinaison du personnage (en reprenant Gene Hackman) dans Ennemi d’État de Tony Scott.

lundi 24 juin 2013

Tant qu'il y aura des hommes (From Here to Eternity de F. Zinnemann, 1954)




Bon film de Fred Zinnemann qui dresse un portrait terrible de l’armée américaine, à la veille de son entrée en guerre. Jamais, alors que la guerre fait rage en Europe et que les tensions internationales sont maximales, la question de la guerre n’entre en ligne de compte. La vie des soldats est rythmée par les injustices et les excès, elle est gangrenée par de mauvais officiers et elle s’articule autour d’illusions (Prewitt amoureux d’une prostituée, prostituée qui veut devenir « une femme bien ») autant que de sujets accessoires (des combats de boxe).
Et la dernière séquence – l’attaque violente des Japonais – prend les soldats totalement par surprise. Non pas qu’ils ne s’attendaient pas à être attaqués ce jour-là, mais ils n’étaient pas préparés à faire la guerre.



L’interprétation est exceptionnelle (entre la justesse de Burt Lancaster, la sensibilité de Montgomery Clift, la fragilité de Donna Reed, etc.) et certaines images (un peu sirupeuses, avec Burt Lancaster et Deborah Kerr enlacés dans les vagues) sont entrées dans les mémoires.



samedi 22 juin 2013

Les Chasses du comte Zaroff (The Most Dangerous Game de E. B. Schoedsack, 1933)




Même s’il est assez peu connu (bien moins que King-Kong, du même réalisateur, sorti la même année et auquel sa réalisation est associée), Les Chasses du comte Zaroff (dont le titre était initialement au singulier) constitue une référence incontournable sur le thème de l’aventure qui confine à l’épouvante. Le thème est en effet terrible et fascinant : la chasse à l’homme par l’homme (et non par quelques monstres) a aussitôt des relents mythologiques et touche au tréfonds de chacun.
Le film est tourné en parallèle de King-Kong, grand projet de la RKO à l’époque, et il ne dispose que de petits crédits, le destinant à n’être qu’une œuvre de second rang. Mais le bon sens industriel des studios incite à profiter des techniciens et des décors (et même d’acteurs communs), tout cela sous la houlette de Selznick et Schoedsack qui sont à la baguette des deux projets.
Le film, qui démarre comme un film d’aventures, flirte ensuite avec l’épouvante. C’est qu’il  relaie des images propres à marquer les esprits (et le réalisateur le sait parfaitement) à coups de décor gothique et inquiétant, avec de vastes escaliers décorés de fresques terribles et avec ce qu’il faut de crânes et d’allusions qui font redouter le pire. Et ce sont des images enfouies de l’enfance qui surgissent, celles des contes, alors que la jungle, luxuriante, malsaine, faite de marais, de lianes, de brume et de pestilence, évoque la littérature d’aventures, de Jules Verne au Monde perdu en passant par les îles des pirates. L’immersion des personnages (et du spectateur avec eux) est très réussie et cette force de frappe visuelle fonctionne parfaitement.
Le rôle du comte Zaroff, essentiel, est très bien tenu : on sait qu’un tel film doit avoir un méchant très méchant. Et avec son port aristocratique, ses manières civilisées, Zaroff est terriblement inquiétant. Il laisse le soin à son domestique d’être un colosse terrifiant alors qu'il exprime en réalité le mal ultime, le plus terrifiant. Mais le personnage est complexe et reflète la société humaine : il se pose comme étant au sommet de la civilisation (sa demeure massive est placée au milieu d’une jungle sauvage) et il représente en même temps les pulsions qui animent l’homme : pulsions de mort, pulsions sexuelles frustrées (ses comparaisons entre chasse et jouissance sexuelle sont explicites).



Et Schoedsack maîtrise parfaitement l’assemblage des décors avec les personnages, on sent l’influence de l’expressionisme dans les noirs et blancs violents et il nous laisse prendre la terrible place du gibier, en voyant le film au travers des yeux de Rainsford. Rainsford : le chasseur qui devient chassé, son arrogance du début et la mise en garde du médecin (« on qualifie de sauvage la bête qui tue pour se nourrir et de civilisé l’homme qui tue pour son plaisir ») contribuant à distiller un premier doute avant que le film n’illustre, on ne peut mieux, combien l’homme est un loup pour l’homme.



jeudi 20 juin 2013

La Grande parade (The Big Parade de K. Vidor, 1925)




Ce très grand film de King Vidor porte un regard acéré sur la guerre, décrite à la fois comme une tragédie, mais aussi comme le réceptacle des émotions et des aventures humaines.
Vidor prend le temps de construire ses personnages : la première partie de la séquence de guerre, qui s’apparente à la vie de garnison, est clairement comique (le personnage de Slim tient du burlesque) même si l’amour naissant entre James et Mélisande épaissit les personnages, leur faisant perdre la superficialité qu’ils avaient tout d’abord.
La force du film, ensuite, quand les troupes partent au front, est de changer de ton radicalement. Les adieux entre Mélisande et Jim, déchirants et disproportionnés, annoncent la fin : Mélisande s’agrippe à la jambe que perdra Jim. Jim, ensuite, lui lance la chaussure droite, comme une annonce de ce qu’ils se retrouveront et qu’alors, elle pourra rendre la chaussure, la seule, désormais, dont il aura besoin.


La puissance des scènes de combat provient de la confrontation entre leur violence et les personnages comiques. Si Chaplin envoie Charlot dans les tranchées, il ne meurt pas pour autant. Ici Slim meurt sous les coups des balles ennemies, sans que James ne puisse le sauver à temps. Le tragique est renforcé par un effet purement cinématographique : Slim l’ouvrier burlesque n’a pas sa place dans les tranchées, sous les bombes ennemies. Il y meurt pourtant.


L’évolution du personnage de James est incroyable : de riche fils oisif et peu concerné, il se lie d’amitié au régiment avec des hommes du peuple (qu’il n’aurait par ailleurs jamais côtoyés) et développe un amour sincère et puissant pour la jeune paysanne, bien loin de la superficialité de son premier engagement.
La fin, qui voit les amoureux se retrouver, annonce, par son lyrisme, les chefs-d’œuvre de Frank Borzage. Et, précisément, on retrouvera dans L’Isolé, lorsque Tim, paralytique, reprend pied pour courir jusqu’à sa bien-aimée, une évocation de James qui clopine maladroitement en haut de la colline.

lundi 17 juin 2013

Cabiria (G. Pastrone, 1914)




Important film en ce qu’il est le point culminant des péplums italiens de la période. Venant après de nombreux autres péplums à succès (Carthage en flammes de Emilio Salgari ou Quo Vadis de Enrico Guazzoni par exemple), son budget est énorme, sa durée également (plus de 3 heures lors de sa sortie) et ses décors colossaux. Et Pastrone parvient à gérer toute cette énormité et à réaliser un film très réussi, avec des batailles spectaculaires et des effets spéciaux efficaces (quand bien même ils sont très datés !). Il parvient notamment à intégrer dans ses plans les décors gigantesques et des extérieurs qui ne le sont pas moins, tout en restant constamment proche de ses personnages (avec des inserts ou des plans rapprochés).


Faisant intervenir Gabrielle d’Annunzio (mais de façon semble-t-il assez superficielle), le film mêle l’épique et le romanesque, en tenant une histoire d’amour entre Cabiria et Maciste, sur fond de guerres, dans une vaste fresque de plus de vingt ans.
Avant Griffith, on tient là un film monumental au succès énorme et qui sera un premier indice pour les producteurs (Naissance d'une nation en sera le second, décisif), qu’un film qui coûte beaucoup d’argent peut, en un mécanisme de proportionnalité qui les enchantera, en rapporter beaucoup plus encore.

vendredi 14 juin 2013

Le Fils du désert (3 Godfathers de J. Ford, 1948)




Original western de Ford, qui démarre sur des bases ultra-classiques (le braquage d’une banque et la prise en chasse des hors-la-loi par une milice organisée autour d’un shérif) mais qui prend ensuite un tour original puisque l’itinéraire des trois lascars devient progressivement un chemin de rédemption.
C’est ainsi que l’on ne s’intéresse plus guère à la faute initiale (la banque braquée et le butin récolté), mais que chaque épreuve rencontrée (en particulier à partir de la rencontre des bandits avec la femme sur le point d’accoucher) est vécue par chacun d’eux comme une épreuve qui mènera vers un sacrifice ou une rédemption. Ce chemin difficile est ponctué de moments tragiques (la mort de Kid qui refuse de boire pour ne pas priver le bébé) et de grâce (l’apparition, annoncée par la Bible, de l'ânesse).


Sans atteindre la perfection de bien d’autres films du réalisateur, il s’agit certainement de son western le plus original.

Deux indices précoces, toutefois, indiquent que ce western n’est pas si classique : le générique qui montre déjà, par avance, les différentes étapes que traverseront les bandits et, ensuite, le casting, puisque c’est une surprise de voir John Wayne parmi les braqueurs. S’il interprétera plusieurs fois des personnages complexes ou très sombres (dans La Prisonnière du désert par exemple), il est surprenant de le voir à la tête d’une petite bande de braqueurs. Mais bien vite on comprend mieux : il est celui qui sera sauvé, dans le sens chrétien du terme.


mercredi 12 juin 2013

Écrit sur du vent (Written on the Wind de D. Sirk, 1956)




Grand mélodrame de Douglas Sirk, à la fois parfaitement conventionnel (dans les personnages, l’histoire, les sentiments exacerbés) et tout à fait baroque, de par son esthétique excentrique et haute en couleurs.
Les acteurs sont parfaits, avec la belle (Lauren Bacall) qui se tourne vers l’héritier raté et alcoolique (John Stark) et se détourne du bel homme intègre (Rock Hudson). C’est là le ressort du drame qui est l’occasion d’une description au vitriol d’une famille américaine très riche (même si le père est sauvé des divers vices familiaux) et que la fin, aux allures de fausse happy-end, condamne davantage encore. Dans de belles séquences Sirk évoque un paradis perdu de l'enfance, qui jouera comme ressort dramatique.


Les couleurs baroques, assorties de jeux de mise en scène détonants (exceptionnelle séquence que celle de la mort du père), font de ce film un bonbon acidulé et grinçant.


Et le derrick devient, entre les mains désespérées de Dorothy Malone, un beau symbole phallique.


lundi 10 juin 2013

L'Enfance nue (M. Pialat, 1968)




Très beau film de Maurice Pialat, d’une très grande puissance visuelle, avec déjà ce réalisme si particulier des films de Pialat. Avec ses acteurs non professionnels, cette application à s’ancrer dans le réel le plus dur, le spectateur atteint cette oscillation entre la fiction et le documentaire.
On trouve déjà, dans ce premier long métrage, la force du style de Pialat, fait de grandes séquences, qui sont autant de blocs, âpres, durs et directs, filmés sans filets, sans concession. Cette assemblage très typique de Pialat dépasse ce qui a trait à un déroulement narratif ou à une construction rigoureuse de chaque plan : Pialat capte les choses et voilà tout. Il capte l’atmosphère du Nord, avec le gris et la sécheresse nue qui en ressort, les moments qui rythment la vie des familles, l’errement de l’enfant qui passe d’une famille d’accueil à une autre.
Cette façon de filmer, rare et radicale, continuera film après film de constituer autant de coups de poings délivrés par Pialat.


samedi 8 juin 2013

Ran (A. Kurosawa, 1985)




Splendide film de Akira Kurosawa, qui délivre une fresque historique épique et terriblement tragique. Alors qu’il vient de réaliser le magistral Dersou Ouzala, film intimiste et à la dimension de l’individu, il délivre coup sur coup deux fresques immenses  Kagemusha et Ran  , où des armées en mouvements s’entre-déchirent, où des bordées de flèches sont tirées contre des châteaux assiégés, des oriflammes sont brandies et des machinations ourdies. Et Kurosawa passe d’un style à l’autre avec une même maîtrise.
Cette adaptation du Roi Lear brille à la fois par son style épique, théâtral et la puissance de certaines scènes flamboyantes et stylisées.
Autour du vieillard Ichimonji qui pense préserver son royaume – jusqu’alors géré avec une main de fer – en passant la main à ses fils, on assiste, tout au contraire, à un déferlement de jalousie, de haine et de violence entre ces fils qui s’entre-déchirent. Si Ichimonji devient progressivement fou, ce n’est pas seulement de voir son royaume détruit dans une guerre fratricide, c’est aussi parce que son royaume, construit et tenu par la violence, ne peut qu’engendrer de la violence. Cette terrible prise de conscience lui fait perdre la raison.
Le style flamboyant de Kurosawa donne ici sa pleine mesure, avec des scènes de guerre qui sont autant de tableaux, sublimement construits et colorés, tantôt mouvants et ondulants dans la plaine, tantôt sanglants et déchirés par la violence.


On retrouve néanmoins le regard qui était celui de Kurosawa dans Dersou Ouzala, à la fois dans la maîtrise sereine de la mise en scène (qui contraste avec la violence qui se déchaîne) et dans l’incapacité des personnages à prendre un quelconque recul, à dépasser leur condition. Là où Dersou Ouzala entraînait le capitaine dans les méandres poétiques de l’approche animiste, les personnages sont ici diamétralement opposés, en étant ancrés dans un pragmatisme violent et destructeur qui apparaît dès lors tout à fait vain.


vendredi 7 juin 2013

Josey Wales hors-la-loi (The Outlaw Josey Wales de C. Eastwood, 1976)




Très bon film de Clint Eastwood, qui tord le cou à l’idée selon laquelle il est devenu un grand réalisateur sur le tard (Josey Wales date de 1972) et qui parvient à dynamiser un genre alors en plein expectative.
Eastwood aborde le thème fordien par excellence, celui de la constitution d’une communauté. Au sortir de la guerre de Sécession, l’unité de la Nation était à construire et la férocité violente des combats ne s’efface pas si facilement. Eastwood part d’un personnage sudiste, dont les siens ont été massacrés par des Nordistes. Et il aborde avec efficacité et intelligence la question de l’intégration dans l’Union des soldats vaincus, et, avec eux, de ce melting-pot d’origine variée qui peine à s’agglomérer en un tout. En ajoutant à cela la question des Indiens, Eastwood fait le tour de la question de la coexistence dans une même nation de communautés diverses.
Formellement Eastwood commence à installer son propre style, loin de son premier mentor italien et plus proche des classiques américains, sans manichéisme, avec une attention à toute sorte de personnages et de situations. On voit déjà combien Eastwood commence à discuter avec Ford, dialogue qu’il poursuivra tout au long de sa carrière.


lundi 3 juin 2013

A bout de souffle (J.- L. Godard, 1960)




Très célèbre premier film de Jean-Luc Godard, qui vient donner un coup de jeune au cinéma en réinventant constamment le rythme, le montage et la liberté de narration.
Tournant le dos au studio et aux producteurs, Godard sort dans la rue avec sa caméra, tourne sans décor ni lumière, et choisit de diriger très peu ses acteurs – Jean-Paul Belmondo et Jean Sieberg –, qui deviennent aussitôt des icônes de ce souffle de liberté.



La principale innovation est dans le montage qui permet un rythme et une narration débridée : Godard, tout en inventivité, utilise à l’ancienne des fermetures à l’iris, met des adresses face caméra, laisse ses personnages errer dans le cadre et multiplie les faux-raccords, les ruptures ou les enchaînements étranges (en début de film le montage fait correspondre, par ses coupures successives, l'image l'univers sonore, par exemple lorsque Belmondo chantonne « Pa-tri-cia » en changeant de plan à chaque syllabe).


Au-delà de son style, le film est aussi d’une très grande modernité en ce qu’il met en scène des personnages qui avancent sans trop savoir vers quoi, qui vont et viennent, qui tournent en rond et restent indéterminés. Michel, par ses facéties, son radicalisme (il refusera le compromis et ira jusqu’à la mort) et par la décontraction que lui prête Belmondo, marque le film de son empreinte.
On remarquera, cependant, que si le film donne un coup de fouet au cinéma, il propose une intrigue on ne peut plus lâche, vaguement construite à partir d’un scénario de film noir. Et le film a beau multiplier les citations et les références, il y a, de ce point de vue, un appauvrissement. Il ne reste du film noir que ce destin qui entraîne Michel vers la mort. Mort dont il se fiche un peu, pour tout  dire (il est fatigué et veut dormir), mort qui vaut mieux, dit-il, que le compromis.

On notera alors que, si le film, avec quelques autres, lance la Nouvelle Vague française, cette Nouvelle Vague, si elle est une nouvelle manière de faire des films, n’apporte pas grand-chose du point de vue des idées et des thèmes. C’est une différence majeure avec le Nouvel Hollywood qui, inspiré par la Nouvelle Vague, rompra lui aussi avec les studios et fera entrer le cinéma américain dans la modernité mais qui en profitera, surtout, pour parler de l’Amérique, celle que les grand studios ne montraient pas.
Rien de tout cela en France où, hormis ce qui a trait à l’industrie du cinéma elle-même et à l’exception de quelques films remarquables (Hiroshima mon amour ou Les 400 coups), la Nouvelle Vague ne se fera guère le miroir de la France puisqu’elle se contentera de mettre en scène, en boucle, les discussions germanopratines de jeunes bourgeois qui ne s’assument pas.