samedi 29 septembre 2018

La Loi du milieu (Get Carter de M. Hodges, 1971)




Polar noir au fort accent social, l’un des grands atouts de La Loi du milieu est le portrait qui est fait de l’Angleterre : Mike Hodges – qui était jusqu’alors documentariste – filme une Angleterre charbonneuse, humide et froide dont l’humeur déteint sur le film où tout est glauque, sombre, en déliquescence.
C’est ainsi que ce film qui n’aurait pu être qu'un simple polar de vengeance oscille vers le film populaire noir, aux forts accents de documentaire (des habitants de Newcastle jouent leur propre rôle) et avec une coloration très anglaise. Cette ambiance évoque celle des films contemporains de Ken Loach (Kes ou même Family Life).
L’autre atout du film est sans conteste Mickael Caine, impeccable dans un rôle étonnamment antipathique puisque le personnage agit non seulement par vengeance mais avec, en plus, une indifférence aux gens, une manipulation, une complaisance sordide (la mise en scène du meurtrier de son frère).
Le final sur la plage noire achève remarquablement ce regard sombre sur l’Angleterre.


jeudi 27 septembre 2018

La Famille Tenenbaum (The Royal Tenenbaums de W. Anderson, 2001)




Comédie décapante de Wes Anderson, qui impose son style si particulier, articulé autour d’un univers dépressif mais pourtant haut en couleur et d'une mise en scène décalée et jouissive. Sa caméra tantôt filme des plans frontaux et terriblement symétriques, tantôt s’agite et tourne brusquement à droite ou à gauche, tantôt elle s’arrête à la surface du plan, tantôt fonce dans la profondeur de champ.

Mais, sous ses dehors légers et sa mise en scène amusante, le film aborde des sujets graves (jusqu’aux images gore d'un suicide en filmant le sang s'écoulant des poignets de Richie dans le lavabo). Les enfants Tenenbaum ont beau être géniaux, ils deviennent des adultes asociaux et dépressifs : on retrouve le thème qui traverse bien des films de Anderson, à savoir cette quête existentielle, quête parfois achevée et vaine, avec des adultes, incapables d’agir ou puérils. Ici, tous autant qu’ils sont, parents et enfants, déchirés, perdus, maniaques, sont incapables d’aimer et d’être aimés.
Le cœur du film est la survenue du père qui veut se réconcilier avec sa famille. Et, des trois enfants, si Richie l’accueille volontiers, si Margot se veut indifférente, c’est Chas qui le rejette violemment. La réconciliation du père avec sa famille passera donc par une réconciliation entre Royal et Chas. Anderson choisit alors de les opposer une grande partie du film : on ne les voit pas ensemble à l’image. Ils se croisent bien une ou deux fois (ils sont par exemple filmés génialement de manière latérale dans la pièce de jeu), mais leur réconciliation passera par l’image : ils seront réconciliés lorsqu’ils pourront partager le cadre sereinement. C’est ainsi que, en fin de film, après que Royal sauvera les enfants, on les trouvera côte à côte. On comprend alors que Chas soit seul à assister à la mort de Royal et que, ensuite, il se retrouve seul dans le cadre. C’est ainsi que Anderson, derrière une apparence de truculence et de jeux tout feu tout flamme avec ses personnages, construit avec une rigueur parfaite chaque plan et fait progresser impeccablement sa narration.


Fort de ses succès précédents, Anderson se permet un casting prestigieux (tout en restant fidèle à plusieurs acteurs), au milieu duquel trône un Gene Hackman truculent. Il compose un Royal Tenenbaum au ton détaché, ironique, faussement affecté qui sert de ressort permanent au film. Il intègre complètement cet esprit décalé très wes-andersonien tenu par Bill Murray dans d'autres films (on le retrouve ici, toujours aussi dépressif et mutique, mais dans un petit rôle).

Et le film parvient à cet équilibre difficile entre rire et dépression, humour et tragédie, burlesque et profonde tristesse.


mardi 25 septembre 2018

Inferno (D. Argento, 1980)




Si Inferno est une fausse suite de Suspiria (on déambule à nouveau dans des maisons labyrinthiques et étranges qui cachent des sorcières démoniaques), on retrouve la même volonté de la part de Dario Argento de plonger le spectateur dans ce qui tient davantage d’un rêve morbide et angoissant plutôt que dans une histoire bien tenue et rationnelle.
Argento se soucie peu de la logique de son histoire, il se soucie tout aussi peu d’expliquer les choses : ce qui importe, pour lui, c’est bien plus de construire, à chaque plan, une ambiance folle, angoissante, baroque, délirante, étrange. Tout n’est pas expliqué (et tout n’a pas à l’être : comme ce cuisinier d’un snack-bar, averti par les appels à l’aide de l'antiquaire qui est en train de se faire dévorer par les rats et qui, au lieu de le sauver, vient l’achever à grands coups de couteau) et c’est un plaisir visuel avant tout que nous propose Argento.
De nombreuses scènes n’ont que très peu d’intérêt narratif mais sont splendides (la longue séquence aquatique dans la cave par exemple) et construisent peu à peu cet envoûtement qui prend le spectateur.



Le film souffre peut-être d’une bande originale moins happante que celle de Suspiria. En revanche, Argento semble prendre plus de plaisir encore à se libérer presque totalement des contraintes narratives et situe son film à mi-chemin entre un rituel de sorcières et un rêve étrange et inquiétant. Notons que Mario Bava, un des grands inspirateurs de Argento, a participé au tournage.



lundi 24 septembre 2018

Voyage sans retour (One Way Passage de T. Garnett, 1932)




Très beau film dont l’humour et le romantisme s’équilibrent parfaitement, tout en gardant un fond de douce mélancolie (Dan n’est qu’en sursis sur le bateau ; Joan va bientôt mourir). La manière dont chacun des deux amants tait la vérité à l’autre est très belle et la fin, magnifique, avec la compréhension réciproque sans un mot, a le bon goût de se faire sans ce sentimentalisme sucré qui envahit aujourd’hui les écrans.
Cette façon dont chacun des deux a le sentiment de trouver l’autre, cette complicité entre les deux personnages le temps d’une unique traversée annonce bien sûr Elle et lui et la fin, peut-être ouverte, est un doux enchantement.



Il ne fait guère de doute que de tels films – à la fois d’une humeur drôle mais avec de la mélancolie, de l’humour mais avec de la légèreté, de la douceur, et beaucoup de retenue dans les sentiments – ne sont plus réalisés depuis bien longtemps, maintenant que tout romantisme est alourdi d’une insupportable couche de sucre et que tout humour est envahi de vulgarité et de lourdeur. On peut ainsi voir, dans ce Voyage sans retour, un bel exemple, oublié, de ce que fut un jour la comédie romantique américaine.

samedi 22 septembre 2018

La Maison du diable (The Haunting de R. Wise, 1963)




Classique du film d’horreur qui développe le thème de la maison hantée, La Maison du diable ménage ses effets et reste bien loin des sanguinolentes démonstrations gore que le cinéma peut connaître aujourd’hui. Ici tout n’est qu’évocation, incertitude, suspicion. Les effets sont réduits à leur minimum et, surtout, Robert Wise laisse la fin, pourtant tragique, ouverte.
Si le film ne surprend pas à proprement parler, c’est cette incertitude sur ce qui se passe, incertitude qui est maintenue jusqu’au bout, qui fait tout l’intérêt du film. Et cette même incertitude qui est si souvent oubliée aujourd’hui où un envoûtement, un monstre, une sorcière, un vampire ou un psychopathe, avec tout son cortège sanglant, est asséné dans le cadre.




vendredi 21 septembre 2018

Phantom Thread (P. T. Anderson, 2017)





Très intéressant et très beau film de Paul Thomas Anderson qui, par un rythme lent, une lumière éblouissante, une application précieuse de tous les instants, nous fait pénétrer dans les coulisses d’une maison de couture, depuis le recueillement de la création aux dernières touches avant un défilé. Reynolds Woodcock (Daniel Day-Lewis, parfait comme toujours) y justifie son extrême méticulosité et ses rituels cadenassés par sa position de couturier démiurge. On peut voir d’ailleurs dans ce personnage, par bien des aspects, une métaphore du cinéaste (par exemple lorsque Woodcock observe par un œilleton le défilé).

Et si Woodcock entame une relation avec Alma, la jeune serveuse, ce n’est certes pas pour laisser l’amour entrer dans sa vie et permettre à un rythme conjugal de le détourner une seule seconde de la haute-couture, qui fait l’alpha et l’oméga de sa vie. Mais Phantom Tread dépasse rapidement ce principe de départ : si on comprend bien que Alma est la énième petite relation qui n’a jamais été emmenée bien loin, on comprend aussi très vite que la même Alma s’accroche et que sa relation à Woodcock se densifie. Se heurtant de plein fouet au rigorisme ambiant (Rebecca n’est pas loin avec Cyril, la sœur qui fait marcher la maison de couture d’une main de fer), Alma, bien loin de s’éloigner et de capituler, va au contraire attirer Woodcock hors de lui-même : celui-ci fait progressivement l’expérience de la relation amoureuse, celle-là même qu’il voulait éviter. C’est ainsi qu’il accepte d'être empoisonné et de se trouver en position de faiblesse et de dépendance. On a rarement vu une métaphore à la fois si appuyée et si concrète de la toxicité que peut avoir, parfois, une expérience amoureuse.


mercredi 19 septembre 2018

Rushmore (W. Anderson, 1998)




Plaisant film de Wes Anderson qui met en place son univers si caractéristique. Ce qui n’aurait pu être qu’un film de campus décolle vers un style bien marqué, fait de personnages étranges et décalés (avec notamment cette étrange symétrie qu’on retrouve souvent chez W. Anderson : d’un côté des adolescents déjà trop adultes et de l’autre des adultes trop adolescents), une esthétique innovante (cette façon de présenter les personnages ou les activités de Max) et des jeux de caméra amusants (par exemple en décalant la caméra vers un détail avant de revenir au sujet principal du plan).



Anderson parvient à trouver un ton comique léger et fin – bien loin de la vulgarité et de la lourdeur qui ont si souvent envahi la comédie –, très original, foisonnant (les mille et une activités de Max, ses mille et un rebonds pour conquérir Rosemary) et traversé, néanmoins, par une touche de mélancolie. Il faut dire qu’il s’appuie sur un Bill Murray impeccable qui trouve un équilibre improbable entre le burlesque et la mélancolie triste et insondable. Ce type de personnage sera bien vite une des marques de fabrique de Wes Anderson qui fait souffler un vent frais et très plaisant sur la comédie américaine, genre par ailleurs largement moribond (1).




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(1) : Le genre est moribond non pas au regard de la quantité de films produits ou de l’argent amassé mais au regard de la qualité des films réalisés. Wes Anderson apparaît alors à la fois comme une exception qui confirme la règle et comme une bénédiction.

lundi 17 septembre 2018

Coup de coeur (One from the Heart de F. F. Coppola, 1982)




Si Coppola s’amuse comme un fou avec des raffinements de techniques et de jeux d’images, le spectateur n’est guère emporté par cette histoire à l’argument très simpliste (Hank et Franny, un peu usés par leur vie de couple, se séparent puis se retrouvent), à mi-chemin entre la comédie musicale et le soap-opéra, le tout filmé dans une artificialité de studio.
Pour réaliser Coup de cœur, Coppola s’est lancé dans des innovations technologiques coûteuses et radicales, construisant un studio gigantesque où les différents éléments techniques (images, sons) sont centralisés dans une régie ultra-moderne. Si cette armada technologique semble un peu vaine, certaines images, il faut bien le reconnaître, par leurs jeux de construction, leurs superpositions, leurs lumières contrastées, leur étrangeté aussi, sont très réussies.



On sait que Coppola est capable d’œuvres intimistes (l’excellent Conversation secrète) loin des opéras spectaculaires façon Apocalypse Now, mais son Coup de cœur, malgré l’évidente virtuosité du réalisateur, semble bien pâlichon. Sans doute, paradoxalement, sa passion pour l’innovation technique a éteint, en partie, son énergie créatrice.
Conversation secrète, d’ailleurs, qui mettait en scène un homme bientôt prisonnier des techniques qu’il utilise, prend alors une dimension autobiographique et prophétique.
C’est ainsi que, après son incroyable décennie 70, Coppola ouvre les années 80 avec un retentissant échec commercial qui plombera violemment ses finances et lui fera perdre l’immense crédit qu’il avait auprès des producteurs.

vendredi 14 septembre 2018

La Divorcée (The Divorcee de R. Z. Leonard, 1930)




Admirable film de Robert Z. Leonard, qui aborde sans retenue un sujet largement tabou, à savoir une femme qui se venge de son mari volage, en le trompant à son tour. Une fois divorcée, Jerry (délicieuse Norma Shearer) adopte la vie d’une femme libérée en profitant largement de son charme.
Le film pourfend évidemment le mariage et balaye les beaux principes américains de vertus. La vie volage de cette femme dont les hommes s’éprennent scandalise et, aujourd’hui, en ces temps de féminisme ardent, on se rend compte à quel point le film tape fort et juste. Et le film dépasse le discours simpliste puisque si Jerry fait bien ce qu’elle veut, il n’est pas certain que cela la rende heureuse pour autant. Le happy-end final sauvera quelque peu la moralité de l’histoire, sans rentrer toutefois – loin s’en faut – dans les canons de la censure.



Il faut noter que, ici comme dans d’autres films similaires de la même période (Baby Face par exemple), les rôles masculins sont très en retrait et apparaissent bien fades derrière la star féminine.

mercredi 12 septembre 2018

Godzilla (G. Edwards, 2014)




Belle réussite de Gareth Edwards pour ce film mettant en scène l’inusable Godzilla, et qui a la bonne idée de revenir à la source du mythe en se référant très directement au film de I. Honda de 1954. Edwards fait ainsi évoluer son monstre principalement la nuit (retrouvant cette dramaturgie sombre du film initial) et il renoue avec un monstre réveillé par des tests nucléaires. Il adopte aussi une curieuse tendance née de la succession des films mettant en scène Godzilla : tout en restant toujours un monstre éminemment dangereux, Godzilla est devenu de plus en plus apprécié et appréciable au fil des films. Ici il vient détruire les MUTO et il joue donc un rôle de super-régulateur dans la Nature.


Edwards multiplie les références au film de Honda (jusqu’au nom du scientifique japonais qui étudie les monstres) mais aussi aux films de S. Spielberg (Les Dents de la mer) ou de S. Kubrick (par la musique notamment).
De façon adroite et rare pour un blockbuster, Edwards évite le déferlement d’images du monstre. On a vu et revu cent fois des blockbusters où  des monstres numériques se battent longuement en un flux continu d’images qui rapidement ne signifient plus rien. Ici, au contraire, Edwards a le bon goût de préserver le spectateur, en ne montrant que progressivement Godzilla, par des images attrapées au vol, comme des flashs entraperçus.



Certaines séquences sont visuellement splendides, notamment lorsque les parachutistes sautent au-dessus du centre-ville : Edwards étire la séquence (qui, narrativement, n’apporte rien), pour le plaisir d’accompagner les soldats en suivant leur chute au travers des nuages jusqu’aux monstres qui se battent dans la nuit. La musique de Ligeti donne une puissance incroyable à cette séquence gratuite qui détonne avec bonheur dans un blockbuster.

lundi 10 septembre 2018

Liliane (Baby Face de A. E. Green, 1933)




Très bon film de Alfred E. Green, assez typique de cette singulière période hollywoodienne du pré-code – juste après l’avènement du parlant et avant que le code de censure ne soit appliqué – où les réalisateurs et les scénaristes abordent mille et un sujets frontalement et sans retenue, ce qu’ils ne pourront plus faire quelques années plus tard.
Ici une femme sans scrupule (très bonne Barbara Stanwyck) use de ses charmes pour grimper un à un les échelons sociaux et parvenir à ses fins. C’est ainsi que, de l’employé de chemin de fer jusqu’au big boss quinquagénaire en passant par le directeur de section trentenaire, Lily séduit, profite et avance. Bien entendu elle fait fi de toute morale, et son cynisme n’a d’égal que son absence totale de remords, quand elle abandonne un amant pour un autre, placé plus haut dans la hiérarchie. Bien entendu, l’image du self-man chère à l’Amérique en prend pour son grade.
Indifférente aux ravages qu’elle peut provoquer, ce n’est qu’en toute fin de film que Lily est rattrapée par la naissance de sentiments. Ce happy-end montre que c’est le film lui-même qui est rattrapé, in extremis et tant que faire se peut, par la censure qui s’installe. Mais à mettre en scène cette femme de petite vertu sans morale, on comprend aujourd’hui combien ce film a pu choquer les ligues de vertus conservatrices et précipiter l’application du code Hays.


Le film, en plus d’un rythme efficace, profite de touches d’humour pleines d’ironie comme la référence à Nietzsche ou les plans verticaux qui suivent, le long de la façade de la compagnie, la progression fulgurante de Lily étage après étage.

mercredi 5 septembre 2018

Mademoiselle (Ah-ga-ssi de Park C., 2015)





Très beau film de Park Chan-wook, qui, d’ordinaire, ne fait pas dans la dentelle avec son cinéma puissant mais insistant (d’où une filmographie inégale, de laquelle émerge bien sûr Old Boy) et qui ne nous avait pas habitués à évoluer dans un univers si maniéré (la belle demeure d’un richissime collectionneur). Bien sûr, derrière l’ambiance feutrée et retenue, se cachent une grande violence sociale, sexuelle et, finalement, bien des tourments (avec une séquence de torture très Park Chan-wookienne pour le coup).
L’originalité de Mademoiselle consiste en sa narration très réussie : si le film est découpé en trois parties, elles ne sont pas du tout chronologiques et la deuxième propose, pour une large part, le contre-champ de la première. Sans que les images nous aient menti, nous sont livrées après coup des explications de ce qui s’est réellement joué en début de film (la première partie évoquant d’ailleurs La Servante de Kim Ki-young) : la jeune servante pensait participer à une stratégie consistant à voler un héritage, en réalité elle n’est qu’un pion dans une machination qui lui échappe. Le changement de point de vue amène donc la compréhension, mais toutes les ficelles ne sont pas encore saisies par le spectateur.
La troisième partie, de façon surprenante mais très bien amenée, consacre la victoire de la rencontre, de l’imprévu et finalement de l’amour, face à la machination.


Park Chan-wook s’amuse avec de nombreuses images mentales, des relectures de séquences (la fausse scène d’amour) et un poulpe épouvantablement visqueux, dans le terrible atelier de reliure, qui évoque Old Boy et reprend aussi, de façon monstrueuse, l’estampe érotique d’Hokusaï (Le Rêve de la femme du pêcheur), vue précédemment.

lundi 3 septembre 2018

Le Soleil se lève aussi (The Sun also rises de H. King, 1957)




Cette adaptation d’Hemingway, si elle se veut appliquée et si elle cherche à se fixer sur les ressentis des personnages, ne parvient pas à sortir ses personnages de quelques stéréotypes.
Centré autour d’Ava Gardner, qui, comme souvent, fait chavirer le cœur des hommes (elle exerce la même attraction magnétique que dans Pandora ou que dans La Comtesse aux pieds nus), les personnages déclinent différents types de réactions. Parmi eux Jakes Barnes (Tyrone Power), héros discret, impuissant et désabusé, et Robert Cohn (Mel Ferrer), amoureux platonique, ne sont guère convaincants. Et c’est finalement Errol Flynn, dans le rôle décalé de Michael Campbell, fiancé sans illusion, désargenté, fêtard et saoul, qui tient le mieux son personnage. On regrette que l’acteur joue un rôle qui ressemble furieusement à ce qu’il était devenu alors, puisque l’alcool et les fêtes ont eu raison de sa superbe et que sa déchéance devait ne jamais cesser.



Les scènes de furia dans Pampelune sont très réussies : la multiplicité des ambiances et des personnages et cette folie que l'on sent dans la ville auraient pu sortir le film des rails bien guindés d’une superproduction hollywoodienne.

samedi 1 septembre 2018

Godzilla (I. Honda, 1954)




Important film de science-fiction japonais, Godzilla frappe d’abord par sa noirceur : au-delà des séquences d’apparitions du monstre et de destructions, Ishirō Honda décrit un Japon sombre et dramatique, mais où la société s’interroge (avec des séquences de débat ou encore Serizawa qui incarne une science consciente de sa puissance).
La mise en scène du monstre venant ravager le Japon est très spectaculaire (malgré des effets spéciaux évidemment très datés qui, aujourd’hui, suspendent largement l’effet de croyance) : la façon dont sont filmées les attaques  nocturnes du monstre confère aux scènes une étonnante puissance visuelle.



Les effets spéciaux sont très différents de ceux effectués par Hollywood à cette époque : là où les Américains privilégient le stop-motion (avec notamment Ray Harryhausen à la conception), Honda s’en remet à un acteur affublé d’un costume en caoutchouc (de plus de 90 kg !). La technique varie ensuite suivant les plans : la surimpression est utilisée pour les plans d’ensemble alors que le monstre piétine allègrement moult maquettes pour les plans rapprochés.
Les scènes finales sous-marines, emplies d’une dramaturgie sombre et poétique, sont très belles.

Le film fait la part belle à une Nature indépassable et qui reprend ses droits lorsqu’elle est bafouée (ici, c’est une réaction aux essais nucléaires) : Godzilla est, dans ce sens, une image de la Terre-Gaïa qui se venge du mal fait par les hommes. L’arme destinée à détruire Godzilla – et que Serizawa refuse longtemps d’utiliser vu sa force destructrice – fait écho à l’arme nucléaire alors que le suicide final de Serizawa (afin qu’avec lui disparaisse la connaissance permettant de faire une telle arme) évoque le kamikaze qui se sacrifie pour son pays.



L’influence du film est énorme : non seulement il a donné lieu à de très nombreuses suites, mais il a irradié le cinéma mondial, puisque Godzilla est à peu près la seule figure cinématographique exportée par le Japon. Et le monstre inspire toujours puisque R. Emmerich en 1998 (dans un remake très faiblard) ou G. Edwards en 2014 (dans un remake en revanche très réussi) ont fait leur Godzilla, de même que Guillermo del Toro en 2013, qui joue avec des monstres directement issus de l’univers de Honda dans Pacific Rim.