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vendredi 10 juillet 2020

Le Diable probablement (R. Bresson, 1977)




Le Diable probablement s’ouvre par un flash-forward (ou, si l’on préfère, l’essentiel du film n’est qu’un grand flash-back), mais, passée cette originalité dans sa construction, la conduite du film et sa mise en scène conservent le style austère et sobre si typique de Bresson.
Le jeu d’acteur, d’ailleurs, qui se veut justement dénué d'un « jeu » particulier, restant neutre et sans particularité, en devient immédiatement reconnaissable (ce qui est bien un paradoxe). La façon de parler monocorde et détachée, la manière de marcher les bras ballants sont tout à fait typiques. Cette façon de parler ou de marcher se retrouve d’ailleurs chez des réalisateurs qui font souvent appel à des comédiens non professionnels (on pense par exemple à Emmanuel Schotté dans L’humanité de Bruno Dumont) et qui, du coup, évoquent Bresson.

Pour le reste le film est sombre et trace le chemin vers la mort de Charles, une mort choisie, pour ne pas avoir à faire face au monde et un chemin que Bresson scrute, comme à son habitude, en se focalisant sur les détails, les moments clefs intimes, les petits basculements,
Bresson y joue aussi de signes et d’une ironie noire : finalement c’est chez le psychanalyste que Charles, venu le consulter, trouve la clef de son destin : il s'agira de se faire assister pour se suicider, comme dans la Rome antique où les esclaves aidaient leurs maîtres à se suicider.


mercredi 30 avril 2014

Au hasard Balthazar (R. Bresson, 1966)




Très beau film de Robert Bresson, qui lui donne l’austérité et l’âpreté à laquelle confinent ses exigences. C’est que son style s’appuie sur une sobriété permanente dans la mise en scène, avec un minimum d’effets et des acteurs qu’il veut avec le moins de jeu possible.
Bresson parvient à dépouiller le film de l’acteur et de son jeu. Il choisit souvent des interprètes non professionnels (ou débutants) et exige d’eux une théâtralité anti-naturelle et une neutralité d’être et de tons, d’où des voix blanches et monocordes (au prix de nombreuses répétitions) pour dire les quelques lignes de texte. En ce sens Bresson trouve dans l’âne un acteur idéal. L’émotion ne naîtra pas du jeu de l’acteur, elle ne pourra naître que du dispositif cinématographique.
De même Bresson donne une importance fondamentale au son, avec une musique tout à fait absente. Seule la belle sonate de Schubert est utilisée avec parcimonie et discrétion. Et ce sont bien plus les bruits qui emplissent la bande son (ils prennent plus de place que les dialogues), avec, particulièrement, les braiements de Balthazar. Le découpage fragmente le récit, laissant le spectateur joindre les bouts, remplir intellectuellement les manques, construire les significations.
Et, de ce minimalisme austère, une émotion naît à l’image, autour de Balthazar, révélateur du monde qui l’entoure. C’est là la clef du cinéma de Bresson : le spectateur doit dépasser l’austérité d’apparence pour atteindre à la signification puissante du film, très dense, très riche, et qui s’enrichit, même, à chaque vision.
Bresson fait un portrait très dur de l’humanité : le monde qu’il nous donne à voir est empli de vices. Gérard, le voyou qui détruit tout autour de lui, sans que Bresson ne donne jamais aucune raison à ce comportement, est une représentation du Mal, présent dans la société et qui la mine. Il détruira toute l’innocence aimante de Marie et martyrisera Balthazar jusqu’à le perdre. A partir de cette figure, Bresson balaie ainsi les vices humains, depuis Arnold, l’ivrogne, en passant par l’avare, et jusqu’au père de Marie, figé dans sa fierté ; le tout sous le regard énigmatique de Balthazar qui scrute notre humanité et l’interroge.
Balthazar, témoin, lien entre le profane et le sacré (il est baptisé par les enfants), tantôt ami ou camarade, tantôt maltraité : « C’est un saint » dit la mère de Marie.


Les seuls moments où des regards sont rendus à Balthazar sont au zoo : par des jeux de champ contre-champ, les animaux regardent Balthazar qui les regarde. La mort de Balthazar (on peut d’ailleurs voir le film comme un film d’initiation, de l’enfance de l’âne à sa mort) est très belle, : atteint par une balle perdue, il est entouré par un troupeau de moutons, dans le doux son des tintements de leurs cloches, avec cette sérénité stoïque qui ne l’aura guère quittée.



Béla Tarr trouve une source manifeste d’inspiration dans Au hasard Balthazar, que ce soit dans le regard de l’éléphant, que l’on retrouvera dans l’œil de la baleine des Harmonies Werckmeister ou, évidemment, dans Le Cheval de Turin, où le cheval harnaché subit à la fois ses maîtres et les éléments.

lundi 3 mars 2014

Pickpocket (R. Bresson, 1959)




Film magistral, Pickpocket est sans doute le film de Bresson où son style si marqué  sert le mieux son propos.  En effet, ici plus que dans tout autre de ses films, ce style fait de sobriété, d’austérité et d’une simplification parfois extrême du dispositif cinématographique, loin de recroqueviller le récit, permet de l’élargir et de le rendre universel.
Le film est ainsi basé sur des répétitions de séquences, des vides, des silences, des ellipses narratives, des manques. Bresson minimise les effets, réduit la musique (mais la bande son est toutefois très importante), et, ce qui est peut-être le plus flagrant, cherche à se passer du jeu des acteurs. Le texte est dit d’une voix monocorde et blanche, les personnages restent les bras ballants (sauf lors des moments virtuoses de vols !), sont à peu près inexpressifs et jouent très peu les émotions (à peine voit-on quelques larmes sur le visage de Michel à l’enterrement de sa mère). Et ce procédé, bien loin de restreindre le film, rend transposable à l’infini la situation qu’il propose.


L’histoire de ce jeune homme qui se cherche, commence par se perdre pour parvenir à se trouver (et à trouver l’âme sœur) est déclinable à loisir. Ici il se perd dans le vol à la tire, se pourrait être une autre arnaque, une passion compromettante, un crime peut-être bien. Le récit s’inspire librement de Crime et Châtiment dont on retrouve quelques grands axes, en particulier le parcours de Michel – qui ira de la faute à la rédemption en passant par la punition – et sa relation avec le policier, qui est compréhensif et cherche à le préserver.
La virtuosité acquise progressivement va de paire avec l’audace grandissante de Michel. Michel qui s’enferme peu à peu dans la solitude du voleur, et tourne progressivement le dos à ceux qui l’aiment et veulent l’aider. Dans des séquences éblouissantes (et qui contrastent avec la sécheresse habituelle de la mise en scène), Bresson filme les combines des voleurs, leur dextérité qui les voit extirper les portefeuilles des poches ou délier les boucles des montres, le ballet des objets volés qui passent de main en main.


L’orgueil de Michel, qui se sent au-dessus des autres et, ce faisant au-dessus des lois, sera puni. Sa rédemption viendra par Jeanne dont il s’aperçoit qu’elle est capable de faire battre son cœur : il est alors révélé à lui-même.