jeudi 28 février 2019

37°2 le matin (J.- J. Beineix, 1986)




37°2 le matin, construit comme un road-trip barré, un peu bohème et accroché comme il peut à la vie, est sans doute l’un des films français les plus marquants des années 80. Il faut dire que le film fait résonner le style appuyé de Jean-Jacques Beineix, avec son esthétique criarde – mais chaude –, ses effets voyants, mais aussi une grande humanité et une folie qui débordent constamment de l’écran.
Le film doit aussi beaucoup à ses interprètes, avec bien sûr le fameux duo Jean-Hugues Anglade et Béatrice Dalle, aux rôles devenus cultes. On peut pourtant trouver que l’un en fait peut-être trop dans la décontraction quand l’autre en rajoute dans l’exubérance naïve. Mais la pulsation charnelle de l’une s’accorde parfaitement avec la désinvolture douce de l’autre et la symbiose entre les deux personnages fonctionne parfaitement. L'amour passionnel entre Zorg et Betty, oscillant entre la simplicité et l’excentricité, entre le tragique et le comique, emporté par la petite ritournelle musicale, fonce vers la folie et pulse à l’écran avec force.



mercredi 27 février 2019

Sauve qui peut (la vie) (J.- L. Godard, 1980)




Film assez froid et peu convaincant de Jean-Luc Godard, qui revient au cinéma (après quelques années où il s'en est éloigné) en filmant en Suisse, à cheval entre la ville et la campagne. Il mélange plusieurs histoires et construit un petit entremêlât, sans véritable centre et sans prendre de direction particulière.
Ce que Godard parvenait à saisir dans Le Mépris – il saisissait l’insaisissable, qui échappait même à Paul – il le fixe à grand-peine sur la pellicule avec de gros sabots maladroits. On sent qu’il veut nous dire plein de choses – mais des choses très basiques, car c’est un des grands paradoxes de Godard d’avoir un regard novateur et de travailler le medium cinéma sans avoir grand-chose à dire –, on sent qu’il veut capter des moments, des étincelles fugaces de vie, utiliser le cinéma pour échapper au cours de la vie et à son articulation mécanique. C’est ainsi qu’il joue de ralentis qui décomposent le mouvement (admettons), mais il n’a rien trouvé de mieux que la vulgarité frontale, articulée autour de l’idée de la campagnarde qui vient se prostituer en ville, en utilisant le visage figé  et dévitalisé d’Isabelle Huppert.
Mais, plus encore que ces moments qu’il cherche à capter, on sent que Godard veut « qu’on voit qu’il veut » capter les choses. D’où, sans doute, la sécheresse mécanique de son film et cette impression de platitude didactique.


lundi 25 février 2019

Le Merdier (Go Tell the Spartans de T. Post, 1978)




Ted Post réalise avec Le Merdier (1) l’un des premiers films sur la guerre du Vietnam, réalisé seulement trois ans après la fin de la guerre. On sait que lorsqu'un événement marque l’Amérique, le cinéma s’en empare – directement ou non – quelques années après, le temps d’encaisser le coup (on observe ce phénomène avec l’assassinat de JFK, celui de Sharon Tate ou encore après le choc du 11 septembre).
Ici la tragédie du Vietnam est attaquée frontalement et, de façon tout à fait symptomatique, l’action se situe au tout début de l’intervention américaine, bien avant que la guerre ne tourne au désastre pour l’Amérique. Le récit de cette séquence mineure de la guerre résume à elle seule ce que sera le Vietnam : un adversaire sous-estimé, une population locale hostile, des femmes et des enfants qui se battent et, finalement, une retraite pour sauver ce qui peut l’être (ici le campement est évacué, en laissant derrière lui les combattants Vietnamiens alliés, abandonnés au Viêt-Cong).



Le jeune caporal Courcey, fraîchement débarqué, fait l’expérience de la Frontière : il affronte la sauvagerie du combat, emporté par sa naïveté et il ne comprend pas les tenants et aboutissants de ce qui se joue (en l'occurrence que les villageois ne sont pas étrangers aux combats mais que, au contraire, les femmes tirent à la mitraillette et les enfants transportent des cartouchières). Et, de cette confrontation à la Frontière, loin d’une quelconque régénération – comme le veut le Mythe de la Frontière de Roosevelt ou Turner  Courcey sort traumatisé, sans plus aucune illusion, avec des idéaux balayés.



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(1) : Si le titre français vaut ce qu’il vaut et exprime la situation sur le terrain, le titre original, Go Tell the Spartans, en faisant allusion à la bataille des Thermopyles, est beaucoup plus noble. La citation, inscrite sur le fronton du cimetière laissé par les Français qui ont évacué le village, montre aussi combien les Américains, en dédaignant la tragique défaite française, n’ont pas voulu (ou pas su) voir ce qui les attendait au Vietnam.

vendredi 22 février 2019

La Baie sanglante (Reazione a catena de M. Bava, 1971)




Pièce matricielle du giallo, qui inspirera ensuite Dario Argento puis le slasher movie avec ses futurs maîtres (Carpenter, Craven, etc.), La Baie sanglante est un des premiers coups d’éclat de Mario Bava.
Autour d’une propriété magnifique sur laquelle tout le monde lorgne, Bava organise son petit monde en mélangeant allègrement le gore, le fantastique, l’érotisme ou l’horreur.
Comme souvent chez Bava, les personnages sont hauts en couleur – de la paralytique au pêcheur – et Bava s’amuse à mettre en scène soigneusement chaque meurtre qui ponctue ce qui n’est somme toute qu’un jeu de massacre, mais teinté d’un baroquisme déjà très présent (même si Bava ira beaucoup plus loin par la suite). Et la fin, surprenante, est très réussie.
On tient donc, avec La Baie sanglante, une des premières pierres d’un genre qui fera florès.


mercredi 20 février 2019

Le Club des trois (The Unholy Three de T. Browning, 1925)




Incroyable film de Tod Browning, qui, comme souvent chez le réalisateur, tourne autour de plusieurs monstres (avec une ouverture presque conventionnelle pour lui avec des avaleurs de sabre, des naines, des siamoises, etc.) et déroule un scénario complètement délirant. Mais il s’agit de ce délire superbe des années 20 – qui serait complètement improbable aujourd’hui, maintenant que tout s'est aseptisé – où une idée est saisie et amenée jusqu’à son terme, sans retenue, sans peur de choquer ou de froisser.
Un trio composé d’un hercule, d’un nain et d’un ventriloque monte une arnaque consistant à vendre des perroquets en faisant croire qu’ils parlent (grâce au ventriloque). Le but de la combine est d'utiliser les plaintes des clients (puisque, bien sûr, une fois rendu chez l’acheteur, le perroquet ne parle plus) afin de s’introduire chez eux pour les voler. Le plateau ne serait pas complet sans indiquer que le ventriloque se déguise en grand-mère (Lon Chaney avec son goût du travestissement est génial) qui pousse un landau dont le bébé n’est autre que le nain grimé. Un scénario abracadabrantesque, donc, qui ose mettre au premier plan un ventriloque dans un film muet ! On imagine, aujourd’hui, la tête d’un producteur devant un tel scénario. Cela nous vaut quelques images géniales et drôles avec des phylactères environnants des perroquets pour illustrer la supercherie.



Bien sûr les choses ne se passent pas comme prévu, l’amour s’en mêle et il faudra jusqu’à un chimpanzé (!) pour terrasser l’hercule.

Et même si Le Club des trois n’a pas la ligne pure, monstrueuse et violemment tragique de L’Inconnu, ni la puissance dérangeante de Freaks, il reste fascinant, de par son incongruité et son délire improbable.

lundi 18 février 2019

Destination...Lune ! (Destination Moon de I. Pichel, 1950)




Comme de nombreux films de science-fiction de la période, Destination… Lune ! a beaucoup vieilli. Les effets spéciaux sont ce qu’ils sont (réalisés à coups de maquettes, de décors peints, de surimpression ou de stop-motion) mais illustrent un voyage vers la Lune qui se veut crédible : il n’y a nul engin spatial du futur, nul pistolet laser, mais simplement une bonne imagination à partir de ce que la science pouvait connaître (avec l’idée d’un moteur atomique toutefois). Bien sûr, maintenant que le programme Apollo est passé par là, cette représentation d’un voyage lunaire semble bien exotique, mais le film donnait aux spectateurs d’alors une prise de conscience que la chose était réalisable.
Ce qui est étonnant, néanmoins, c’est que si le scénario s’applique avec attention à rendre réaliste le voyage vers la Lune, il se permet des embardées d'un amateurisme surprenant qui décrédibilisent l'ensemble (notamment l’embarquement au dernier moment d’un passager qui n’y connait rien).


On s’amuse, en revanche, de l’importante source d’inspiration que le film a pu être pour Hergé : ses deux fameux albums – Objectif Lune et On a marché sur la Lune – reprennent quantité d’idées du film (l’architecture intérieure de la fusée, les semelles qui permettent de marcher et une multitude de détails) et même des séquences entières (par exemple lorsque les explorateurs s’aventurent hors de la fusée pendant le trajet).

vendredi 15 février 2019

Inside Llewyn Davis (E. et J. Coen, 2013)




Film au ton particulièrement désespérant des frères Coen, qui mettent en scène un personnage qui ne parvient pas à percer dans le monde de la musique, qui tourne sur lui-même, fait du sur place et, au bout du compte, n’arrive à peu près à rien.
L’habile boucle narrative (la fin ramène le personnage au tout début) exprime très bien cette errance, cette solitude et cette incapacité à avancer ou à tirer profit des errements et des impasses rencontrées. Llewyn Davis semble croire qu’une rencontre, un concert, un événement particulier pourra influer sur son destin. Comme si quelque chose allait se passer (et le spectateur y croit aussi, habitué qu’il est à ce qu’il se passe quelque chose qui change le cours normal des événements dans un film), mais assez vite le film distille cette sensation d’errements sans fin et sans attache, de désespoir profond (l’ombre d’un partenaire suicidé, une humeur voilée presque blafarde à l’image). Et l’on comprend que rien ne se fera jamais.



L’évocation discrète mais puissante de Bob Dylan, en fin de film, renforce cet aspect désespérant : il y en a un autre, juste à côté, qui parvient à percer avec la même musique folk et qui submergera tout. Mais le film des frères Coen est un film sur l’errance et l’incapacité à avancer : le pauvre Llewyn Davis n’arrive à rien.

mercredi 13 février 2019

Bullitt (P. Yates, 1968)




Film iconique de Peter Yates porté par une séquence marquante (la fameuse poursuite en voiture), un acteur légendaire (Steve McQueen) et le thème célèbre de Lalo Schifrin.
Le charisme étonnant de Steve McQueen (charisme qui est à relier avec un mutisme et une sobriété absolue dans son jeu d’acteur) est pour beaucoup dans le succès du film qui est entièrement tourné vers sa star (McQueen est présent dans le cadre dans pratiquement toutes les séquences, à l’exception de l’introduction).
Le film modernise l’image du flic des années 50, issu du polar et du film noir et le fait entrer dans les années 70. Par son look, son caractère taiseux, son comportement en marge, il se construit une personnalité très forte sans fracas. Il annonce, à son tour, Dirty Harry, dont le laconisme et le caractère sans cesse en porte-à-faux avec sa hiérarchie doivent beaucoup à Bullitt.
Le film instaure aussi cette idée d’un climax formidable avec la poursuite en voiture (la Mustang de Bullitt poursuivant une Dodge Charger), d’une durée complètement disproportionnée par rapport à son intérêt narratif (plus de dix minutes). L’image des voitures bondissant dans les rues en pentes de San Francisco est entrée dans la légende du cinéma.



On retrouve bien sûr de nombreuses allusions à Bullitt dans le cinéma américain (mais aussi français, avec une poursuite similaire dans Le Marginal de J. Deray) : de Gran Torino à Drive, Frank Bullitt, son mutisme, son look et son bolide sont entrés dans la culture populaire américaine.

lundi 11 février 2019

Sans mobile apparent (P. Labro, 1971)




Très intéressant film de Philippe Labro, articulé autour d’une intrigue policière qui s’inspire à la fois du cinéma américain (il est adapté d’une nouvelle de l’écrivain américain Ed McBain), avec Jean-Louis Trintignant interprétant un flic renfermé et jouant du revolver (version française et amadouée de l’inspecteur Harry), mais aussi du cinéma italien (on peut voir le film comme une transposition de l’univers du giallo à Nice, quand bien même les meurtres n’ont pas lieu à l’arme blanche).


Si le film, ensuite, déroule son intrigue de façon assez classique, il brille par plusieurs idées qui font mouche : Jean-Pierre Marielle, qui a si souvent une truculence presque rabelaisienne, est ici en gentleman anglais ; l’inspecteur qui se lave les mains sans cesse et fait bien des mystères ; Stéphane Audran qui surgit tout à coup ou encore la belle séquence de course d’un bout à l’autre du port de Nice.

samedi 9 février 2019

The Rocky Horror Picture Show (J. Sharman, 1975)




Film culte parmi les films cultes, The Rocky Horror Picture Show est pourtant, du point de vue cinématographique, bien décevant. L’intrigue est faiblarde et la narration reste très mollassonne. On comprend parfaitement – au-delà de son message subversif – que le film ait été un flop et qu’il ait été rapidement relégué en deuxième ou troisième partie de soirée dans les cinémas.

Il a bien quelques qualités – un personnage principal bien campé et haut en couleur, des chansons entraînantes, une multiplication d’allusions à différents films (avec Frankenstein au milieu) – mais qui ne parviennent pas à gommer l’impression de série Z kitsch de l’ensemble.

Les principaux motifs qui ont pu choquer à l’époque (la liberté sexuelle qui est prônée, le Dr Franck en transsexuel, l’homosexualité, etc.) ont bien sûr beaucoup perdu de leur force corrosive et provocatrice. Il reste une sarabande carnavalesque un peu foutraque, émaillée de chants et de danses, aux accents très kitch.



Mais, on le sait, parmi les midnights movies, The Rocky Horror Picture Show est devenu un objet de culte délirant, devenant un des plus grands exemples de dévotion d’un public envers un film. Le film est projeté en continu depuis sa sortie (avec notamment des séances hebdomadaires à Paris qui ne désemplissent pas), chaque séance étant l’occasion d’un incroyable spectacle interactif qui ne connaît guère d’équivalent dans le cinéma.

vendredi 8 février 2019

Bande à part (J.- L. Godard, 1964)





Avec Bande à part, Jean-Luc Godard construit un film assez éloigné de ses grandes productions du moment (le film est tourné dans la foulée du Mépris et il précède Pierrot le fou) et il s’apparente donc à une série B (une série Z, même, dixit Godard). Sans beaucoup d’argent, sans grandes stars, avec un scénario très mince, Godard met en scène un trio de personnages et il les fait vagabonder, rebondir, jouer et flirter ensemble.
Comme dans les polars américains, le film s’appuie sur un coup qui est organisé et exécuté, mais, ici, le fameux coup, évoqué d’emblée, est ensuite relégué en fin de film (un peu comme dans le très bon Coup de l’escalier de R. Wise). C’est que Godard se concentre sur son petit trio et il préfère remplir son film de moments pris sur le vif, lors d’un cours d’anglais, dans un bar (avec la fameuse séquence où ils dansent le Madison), où lorsqu’il s’agit de traverser le Louvre au pas de course. Le film change alors continuellement de registre (de la comédie au drame, en passant par le burlesque) donnant à l’ensemble un aspect de patchwork mal assemblé.
Et il faut bien dire que si le film a une certaine légèreté – que les acteurs retransmettent très bien – il ne passionne pas non plus et l’inventivité de Godard tombe parfois un peu à plat (la répartie d'Odile à l’homme qui la drague par exemple). La fin tragique évoque À bout de souffle, avec les gesticulations d'Arthur qui reprend le même jeu final théâtral que Belmondo.
Mais ce petit film a malgré tout le bon goût de nous épargner toute la didactique lourde et glaciale de certains films du réalisateur.


lundi 4 février 2019

Doctor X (M. Curtiz, 1932)




Alors que les majors se battent à coup de monstres (Frankenstein pour Universal, Freaks pour la MGM,), la Warner lance son Doctor X qui, s’il a quelques qualités, semble bien pâlichon en regard de la concurrence.
Il y a bien une innovation technique intéressante, puisque le Technicolor bichrome est aujourd’hui une jolie curiosité visuelle, teintant légèrement l’image sans réellement la colorer (la différence avec le Technicolor trichrome, qui se développe à peine quelques années plus tard, est énorme). Mais cette recherche d’un meurtrier parmi plusieurs éminents savants, même si elle se laisse suivre sans déplaisir, n’est pas non plus infiniment passionnante.
Les quelques effets de manche (décors, effets spéciaux) fonctionnent assez mal et il faut dire que le meurtrier, qui se veut monstrueux, n’a pas l’empreinte visuelle de ses prédécesseurs (malgré une belle scène où le coupable modifie son apparence). Le film souffre aussi d’un personnage (le journaliste) dont le comique naïf affadit considérablement l’ambiance angoissante, Curtiz ne parvenant pas vraiment à mélanger les tons d’humour et de tension horrifique.



vendredi 1 février 2019

De sang-froid (In Cold Blood de R. Brooks, 1967)




Très bon film noir, porté par une ambiance sombre (à la photographie incroyable) et par les interprétations magistrales de Robert Blake et Scott Wilson qui sont pour beaucoup dans la réussite du film.
Cette adaptation du célèbre roman de Truman Capote (rédigé à partir de son enquête dans le Kansas après le meurtre d’une famille par deux assassins) est construite autour d’une vaste ellipse sur la nuit du meurtre qui permet de concentrer le film sur les personnages et de construire une tension qui monte progressivement. La dénonciation de la peine de mort, à travers son absurdité (c'est l'angle d'attaque de Brooks), nous semble guère convaincante, mais là n'est pas l'intérêt principal du film.
Richard Brooks filme l’ensemble de la tragédie – depuis les assassinats jusqu’aux pendaisons finales – avec la même distance glaciale – marquée par ce noir et blanc obsédant – et la même application froide.
On tient là un film noir étrange, assez envoûtant, teinté de modernité, avec ce regard fixé sur le meurtrier Perry Smith, le plus ambivalent des deux. Robert Blake trouve le ton juste et le difficile équilibre pour exprimer à la fois la sensibilité et la violence soudaine qui émane de ce personnage tout à la fois insaisissable, attachant et terrifiant.