lundi 28 décembre 2020

L'Extase et l'Agonie (The Agony and the Ecstasy de C. Reed, 1965)

 

Même s’il n’est pas un grand film, L’Extase et l’Agonie procure un certain plaisir : celui de voir Michel-Ange à l’œuvre, le nez collé au plafond de la Sixtine, en haut de son immense échafaudage. Bien sûr cet aspect est très documentaire mais, pour le coup, il n’est pas dénué d’émotion. Les décors d’ailleurs sont remarquables : c’est qu’il a fallu reconstituer le plafond de la chapelle Sixtine en cours d’élaboration, avec les légendaires panneaux – dont on aura vu les dessins – progressivement enduits, décalqués et peints.
Charlton Heston fait un Michel-Ange très crédible : passablement misanthrope, au caractère impossible, mais conscient de son art. Mandaté par le pape lui-même (le très haut en couleur Jules II, bien campé par Rex Harrison), il se retrouve, pour des années, à même le plafond, plaqué contre la paroi, tout en haut, seul. Le film montre combien il est prisonnier de son génie : condamné au labeur solitaire de celui qui tutoie le divin – puisque lui seul parle le langage des Dieux, loin des autres hommes. Cet aspect magnifique d’une grandeur qui dépasse l’Homme et l’accable est très bien rendu.

Il y a dans L’Extase et l’Agonie cet aspect fascinant du cinéma qui tente de mettre des images – saisissantes qui plus est – sur un moment qui nous échappe : celui de la création. On est bien sûr dans la fiction, loin du procédé imaginé par Clouzot dans Le Mystère Picasso, mais, à sa façon, le film s’approche tout près du geste du peintre, de son état mental et de la façon dont il est happé par l’œuvre.




jeudi 24 décembre 2020

L'Ouragan (The Hurricane de J. Ford, 1937)




Incroyable et méconnu film de John Ford qui, loin des westerns ou de l’Irlande, se tourne du côté des îles, entre Tahitiens et Français.
Il décrit (avec un zeste de naïveté) un univers paradisiaque puis il met en place une injustice, de plus en plus violente, lorsque Terangi est progressivement frappé par le destin. Et, quand Terangi semble définitivement condamné (ou bien à la prison pour des années ou bien à l’exil loin des siens), l’ouragan du titre se déchaîne sur l’île.
En une longue séquence incroyable, les vagues viennent peu à peu déferler sur les maisons, déraciner les arbres, renverser les bateaux. Et l’église, même, que l'on pense hors d’atteinte, se fera balayée. Certains s’attachent aux arbres, d’autres se réfugient dans des pirogues, d’autres encore chantent et prient dans l’église, dont il faut bientôt soutenir les murs qui menacent de s’effondrer, sous les coups de butoir des vagues.
La puissance de cette séquence surprend : on tient là   dès les années 30   un film catastrophe qu'il sera difficile d'égaler, à la fois par son sens de l'absolu (c'est tout un univers qui est détruit) et, bien plus encore, par l'inversion qu'il propose : les films catastrophes montrent d'ordinaire une destruction qu'il s'agit d'empêcher ou à laquelle on survit péniblement, dans un monde dévasté. Ici, dans L'Ouragan, cette destruction est la condition même d'une nouvelle vie. En effet, par ce Déluge de fin du monde, tout est balayé, sauf Terangi et les siens, accrochés à un arbre – tel Noé réfugié dans son arche – ainsi que quelques barques miraculées. Les autres habitants meurent, comme autant de victimes expiatoires. Mais, au lendemain du Déluge, Terangi, absout, pourra désormais vivre heureux auprès des siens.


En fin de carrière, Ford reviendra sur les îles, dans La Taverne de l’Irlandais, mais loin des châtiments divins et avec un tout autre ton, celui des amitiés viriles et complices.



lundi 21 décembre 2020

Midway (R. Emmerich, 2019)

 


Sur les pas du Pearl Harbor de Michal Bay et avec dans un coin de la tête La Bataille de Midway de Jack Smight, Roland Emmerich propose un Midway qui reprend le grand principe de ces films : quelques personnages héroïques que l’on va suivre et qui convergent vers des grands moments de bataille. L’ensemble dresse bien sûr un portrait magistral des soldats américains, cow-boys modernes qui bravent le feu et dont l’ardeur au combat a tôt fait de balayer les préjugés des Japonais. Dès lors le film procure bien peu de surprises et d’émotions, n’évitant malheureusement pas les ralentissements de rythme qui tentent bien vainement de faire vivre un peu les personnages. À ce titre on notera qu’un film beaucoup plus immersif comme La Chute du faucon noir (qui n’interrompt jamais le combat et, au contraire, l’emmène crescendo une fois qu’il l’a enclenché) a la bonne idée de se passer de tous ces moments de pseudo-romantisme ou de pseudo-amitiés viriles pour aller au bout de son idée. Ici Emmerich se sent obligé de passer par tous les poncifs, qu’il eut pourtant fallu enlever pour donner plus de tonus et de cohérence dramatique au film.
Cela dit, par rapport au film de Smight de 1976 (qui était lui, nettement plus prenant), le numérique est passé par là et il faut bien admettre l’efficacité de ces séquences de combat, avec les plongées délirantes des bombardiers en piqué sur les porte-avions, moments saisis avec toute leur folie, mélange de panache, d’inconscience et de sacrifice. Ces quelques minutes de climax, au milieu des mille et une séquences numérico-pyrotechniques que nous offre le cinéma de guerre actuel, sont parmi les plus réussies.




samedi 19 décembre 2020

Le montage interdit

 

L'idée du montage interdit – proposée par André Bazin dans un article repris dans son ouvrage fondateur Qu’est-ce que le cinéma ? – suggère que, dans certains cas, « quand l’essentiel d’un évènement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit ». C’est un plan qui peut arriver en fin de séquence puisque, nous dit Bazin, « il authentifie rétrospectivement tous les plans antérieurs ».
Chaplin s’y soumet par exemple dans Le Cirque, lorsque Charlot se trouve enfermé dans une cage avec un lion. Si la séquence est composée de nombreux plans où l’on ne voit que Charlot et d’autres avec uniquement le lion, on voit aussi, dans plusieurs plans larges ad hoc, Charlot et le lion ensemble dans la cage.
Pour que la séquence fonctionne, ce plan est essentiel.


Mais l’on s’amuse de voir dans tel ou tel film que, malgré « l’interdiction », le réalisateur ne peut se passer du montage. On pense à Arènes sanglantes où le pauvre Mamoulian, qui doit montrer Tyrone Power en matador face au taureau, n’a pas d’autres choix que de recourir au montage. Il n’est pas question de mettre, de face et en plan rapproché, la star et la bête ensemble dans le champ : le montage reste la seule solution. Et, comme le prévoit Bazin, la séquence en question devient très artificielle et incomplète (Bazin encore : « certaines situations n’existent cinématographiquement qu’autant que leur unité spatiale est mise en évidence »). On sent bien qu’il manque quelque chose pour que l’on y croie. Le montage ici, paradoxalement, est une négation du cinéma : il eût fallu ne pas monter.

 




jeudi 17 décembre 2020

Divorce à l'italienne (Divorzio all'italiana de P. Germi, 1961)



Grande comédie italienne de Pietro Germi, Divorce à l’italienne a la force du mélange entre des situations et des personnages drolatiques et un regard sur l’Italie (ici sur la Sicile) et sa pauvreté. Sans qu’elle soit au cœur même du propos (moins que dans Le Pigeon par exemple), Germi montre cette pauvreté : les paysages sont désertiques, les rues sont jonchées de ruines, les maisons sont délabrées, et même le palais du baron est décrépi, loin des splendeurs passées.
Marcello Mastroianni joue parfaitement ce baron mal marié, gominé, moustache tombante, fume-cigarette au coin des lèvres, tic persistant, bien loin de son image de séducteur. Germi d’ailleurs s’amuse bien en montrant Mastroianni qui va au cinéma voir la Dolce Vita… Et ce baron fantasme sur sa jeune cousine et imagine peu à peu comment se débarrasser de sa femme. La solution sera trouvée – savoureuse astuce scénaristique – en s’arcboutant sur les mœurs siciliennes (se faire déshonorer pour pouvoir, ensuite, recouvrer son honneur).
Le jeu de voix off, les images mentales (le baron qui lit dans le journal les exploits de Spoutnik et imagine aussitôt sa femme emportée au loin dans une fusée spatiale !) ou encore l’utilisation de l’espace (les nombreuses pièces du palais, la large rue où l’on se montre) sont remarquables et savoureux. Bien sûr les Siciliens eux-mêmes en prennent pour leur grade, entre le prétendant ahuri, les colères de la belle-famille, les ragots de la place du village et, bien sûr, ces jeux de codes d’honneur, peu à peu au cœur du film. Et la fin, avec ce qu’il faut de provocation, est parfaite.

On trouve des thèmes chers au réalisateur et que l’on retrouvera dans Séduite et abandonnée : l’importance de la position sociale, le regard des autres sur la place publique, l’honneur qu’il faut à tout prix sauver, la loi qu’il faut exploiter pour arriver à ses fins et, chapeautant le tout, ces changements d’humeur entre coups de gueule et hypocrisie du paraître, qui donnent une force comique redoutable.