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lundi 20 février 2023

Vidéodrome (Videodrome de D. Cronenberg, 1983)

 



Dans ce film étonnant et volontiers dérangeant où il va jusqu’au bout de ses idées, David Cronenberg, fidèle à ses leitmotivs, mélange la réalité et le cauchemar, joue de pulsion, de déviance et d’incertitude. Il explore, comme souvent, le mélange de la chair et des matériaux (la télévision, les cassettes vidéos) et relie, organiquement, la main de son personnage Max avec son pistolet.
Il faut bien dire à quel point Cronenberg, par essence (1), doit montrer les choses, les fixer avec sa caméra pour les mettre au milieu du cadre. Charge à lui, ensuite, de distiller le doute dans l’esprit du spectateur (s’agit-il de la réalité ou d’illusions, d’une horreur vécue ou d’un cauchemar ?). Mais, dans tous les cas, la monstration est au cœur de son cinéma. Avec Vidéodrome, il continue sur sa lancée et l’on voit Max engloutir sa tête dans une télé, Max au ventre déchiré d’une fente verticale farfouiller dans ses intestins, où une cassette vidéo être glissée par cette même fente, comme dans un magnétoscope. Le délire fusionnel joue à plein et Cronenberg peut exposer ses idées de nouvelle chair (« the new flesh »).

James Wood est parfait dans ce directeur d’une chaîne de télévision qui cherche toujours plus loin comment appâter ses téléspectateurs et qui plonge peu à peu dans la folie.

La fin impeccable, boucle la boucle et le spectateur en ressort sonné.





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(1) : Son premier film – Stereo – brassait déjà ses thèmes favoris mais il restait très cérébral. Conscient de ses limites, Cronenberg virera sa cuti très vite, dès son film suivant, pour, à l’opposé, montrer tant et plus.

 

vendredi 29 avril 2022

Rage (Rabid de D. Cronenberg, 1977)





Après Frissons qui donnait à voir au cœur de l’écran les principaux motifs de l’œuvre de David Cronenberg, Rage donne à nouveau à voir des chairs protubérantes, des greffes qui deviennent monstrueuses et des cerveaux tuméfiés. On voit parfaitement ici combien le cinéma de Cronenberg, dans ces premiers films, reprend des motifs venus tout droit de chez Romero. Il s’en émancipera rapidement, gardant toutefois le goût de la chair dévastée, décharnée et malaxée.

 

lundi 14 mars 2022

Stereo (D. Cronenberg, 1969)

 



Le premier film de David Cronenberg tient bien plus du cinéma underground et de l’exercice d’Art et essai : disons que lorsqu’il le réalise, il n’y a pas encore, chez Cronenberg, l’idée d’être cinéaste, de réaliser film après film et d’explorer, comme il l’a fait ensuite, tel ou tel motif.
Mais si Stereo est bien loin des grandes réalisations postérieures de Cronenberg, il contient, en même temps – et c’est en cela qu’il est surprenant –, les prémices de ses motifs et de ses thèmes favoris. Présenté en forme de documentaire sur une expérience scientifique, le film est sans dialogue mais avec une voix off qui offre une description scientifique qui commente l’image. Cette expérience scientifique interpelle parce qu’on retrouvera (dans Scanners ou dans Chromosome 3) la même idée, avec une relation de cobayes progressivement abandonnés à leur maître.
Mais on est surpris : Stereo montre peu – la faute, bien sûr, aux maigres moyens et au peu d’ambition du réalisateur –, alors que le cinéma de Cronenberg est, au contraire, basé sur la monstration et sur le surgissement au cœur du plan. Cette expression visuelle des traumatismes, des pensées, des cauchemars est d’ailleurs l’une des forces de Cronenberg. C’est en particulier le cas pour Scanners et Chromosome 3, qui emmèneront plus loin l’expérience en matérialisant – et donc en faisant surgir dans le plan – ce qui hante le cerveau.




jeudi 17 février 2022

Frissons (Shivers de D. Cronenberg, 1975)

 



Après deux films radicaux (et désargentés) proches du cinéma underground, Cronenberg réalise avec Frissons son premier film ambitieux. Si plusieurs de ces thèmes étaient déjà présents dans Stereo et Crimes of the Future, leur minimalisme ne permettait pas encore de savoir de quoi serait faite l’image de Cronenberg : ici on voit pour la première fois une des marques de fabrique du réalisateur qui est de montrer les choses. Les greffes, les protubérances, les organes, la déformation des chairs, la contamination, l’horreur : tout cela est déjà présent au cœur du cadre. Et le film a déjà cette pulsion et ce monstrueux qui l’habite. Plusieurs scènes d’horreur viennent émailler le film, avec ces espèces d’aplysies parasites qui sortent ou entrent dans les corps. On voit très bien comment Alien viendra chercher des motifs et les perfectionnera (le monstre dans le ventre qui ne demande qu’à sortir, le monstre qui saute à la gorge). On voit aussi ce que Cronenberg, dans Frissons, doit à Romero (cette filiation se perdra rapidement, dès après Rage, son film suivant), avec les infectés qui deviennent des hordes zombiesques avides de sang et de sexe.

Cronenberg tire à boulets rouges sur la modernité (angle d’attaque qui ne sera plus aussi nettement le sien par la suite), à travers cet immeuble récent et propre sur lui, promesse d’une vie moderne et tout confort, mais, en réalité, tout à fait inhumaine. Dès lors, plutôt qu’une vie froide, géométrique et aseptisée, ce sont les pulsions agressives et sexuelles qui ressortent et explosent.

 

mercredi 28 avril 2021

A Dangerous Method (D. Cronenberg, 2011)




Fidèle à sa nouvelle trajectoire cinématographique depuis A History of Violence, David Cronenberg explore d’autres voies, laissant de côté ses anciens thèmes de prédilection (la métamorphose des corps, les liens entre l’organique et le minéral, entre la pensée et l’organique). Mais, pourtant, A Dangerous Method revient sur les questions de l’inconscient, en le prenant à la racine, si l’on peut dire, avec les débats entre Freud et Jung, avec Sabina Spielrein au milieu.
Sous des dehors classiques qui semblent ne mettre en scène qu’un débat d’idées (c’est un film en costumes ; sans violence et, bien sûr, sans ces moments gore qu’a affectionnés Cronenberg si longtemps), le film développe un langage savant d’images qui sont comme une expression du subconscient et complètent ce que les personnages ne disent pas. Et les tensions naissent et se développent, chez les trois protagonistes, à leur corps défendant, avec ce qu’il faut d’ellipses, de cuts, de jeux sur des cadrages ou sur la profondeur de champ.
S’il s’agit de montrer un moment d’une quête intellectuelle (prise en cours de route, et qui reste inachevée), l’ensemble ne passionne pas vraiment : ce bout de chemin intellectuel est peut-être trop court et il ne semble pas décisif (si ce n’est dans la rencontre puis la séparation de Freud et Jung).

 


samedi 28 mars 2020

Spider (D. Cronenberg, 2002)




Extraordinaire film de David Cronenberg qui tisse une toile complexe autour de son personnage, Dennis « Spider » Cleg (excellent Ralph Fiennes), et prend le spectateur dans un entrelacs d'images qui sont des souvenirs, des délires ou des cauchemars ; oscillant entre le quotidien de Dennis, son passé d'enfant et ses fantasmes.
Cronenberg cherche à sonder l'inconscient de son personnage : il s'agit de plonger dans son esprit malade, tenter de lever son amnésie et pour cela retrouver l'origine de cette terreur enfantine qui le bloque depuis si longtemps. Le film correspond en quelque sorte à la séance de thérapie, étalée sur plusieurs jours, mise au point par le directeur de l'asile pour soigner Cleg. Spider rejoint alors, dans sa thématique, des films aussi divers que La Maison du Docteur Edwards, Marnie, La Vallée de la peur ou encore Shutter Island. C'est d'un traumatisme passé dont il s'agit et qu'il faut percer à jour.
La compréhension fine suppose de démêler les images qui relèvent de la réalité de Cleg, celles qui sont issues de son enfance, et celles qui sont de l'ordre du fantasme. La confusion entre sa mère, la prostituée Yvonne ou sa logeuse Mme Wilkinson, confusion entretenue à l'image où tout s'entremêle, est un exemple de ces constructions, tout droit issues du cerveau malade de Cleg et qu'il faut interpréter (de même la vision du jardin et de la cabane, qui recèle le secret caché de l'enfant). La toile d'araignée est donc tout autant celle qui est tissée au creux du cerveau de Cleg que la dispersion des indices par Cronenberg qui amènent le spectateur vers la révélation finale.
Le « What have you done ? » prononcé par Mme Wilkinson peut signifier la prise de conscience de Cleg : il peut être ramené à l'asile. C'est Cleg enfant que l'on voit dans la voiture, la révélation l'ayant brusquement ramené vers son passé. Cette dernière image fait écho avec le final du Messager de J. Losey, où là aussi un traumatisme d'enfant (d'un autre ordre) bloque un adulte, le rend incapable d'amour et bloque sa relation à autrui. Cette construction complexe, à coups d'images mentales qui construise un labyrinthe complexe mêlant réalité et fantasmes, rappelle aussi Mulholland Drive (le film ayant clairement des accents lynchiens).




dimanche 25 mars 2018

Crash (D. Cronenberg, 1996)



Film sulfureux dès sa sortie, Crash est une nouvelle exploration de David Cronenberg qui pousse très loin le travail de l’un de ses motifs préférés, à savoir la trituration des corps et le mélange organique-mécanique (en particulier la fusion entre la chair et le métal), motif qui jalonne nombre de ses films.
Il s’appuie sur un couple échangiste en mal de sensation (pierre d’assise déjà on ne peut plus aventureuse pour le récit) et emmène ce couple vers des sensations où l’extase confine à l’autodestruction physique. On comprend le parfum subversif qui remplit le film, parfois jusqu’au malaise.

Cronenberg construit donc son film autour d’une exploration progressive, qui commence par le voyeurisme (l’excitation vient de la contemplation d’un carambolage terrible), et va jusqu’à mettre en scène ses propres accidents. Il montre par là-même que cette exploration n’a aucune limite (la réplique finale montrant bien à quel point c’est la collision ultime qui est recherchée, celle qui tuera). La métaphore avec l’acte sexuel est on ne peut plus nette, d’autant que Cronenberg relie James Ballard et sa femme, personnages vides et à la recherche de cette « autre chose », avec Vaughan, sorte de gourou qui trouve son énergie sexuelle dans la reconstitution d’accidents. L’automobile devient alors un moyen d’accéder à la jouissance et Cronenberg mélange, dans les scènes de collision, le sang, l’huile, le carburant et le sperme. Et, à la tôle froissée et au métal déchiré, répondent les terribles cicatrices, les scarifications, les broches et autres prothèses de métal.




Bien entendu cette exploration du corps répond au vide intérieur de l’Homme moderne tel qu’il apparaît chez Cronenberg. Il n’est question, pour cet Homme moderne cerné de technologie, que de ressenti, mais jamais de pensée ou de spiritualité. Les seules expériences tentées ou recherchées ont trait au ressenti physique et l’exaltation de l’esprit suit celle du corps (et l’un contredit l’autre : la souffrance physique allant avec l’exaltation). Le culte de la voiture – engin iconique de l’individualisme – est détourné vers l’objet qui permet la jouissance.

Le film, alors, cherche à capter ce frisson caché, ultime, le dernier qui reste dans cet homme déshumanisé, désincarné et qui se réduit à son corps.

jeudi 19 février 2015

eXistenZ (D. Cronenberg, 1999)



eXistenZ David Cronenberg Affiche Poster

Film très intéressant de David Cronenberg, qui développe plusieurs de ses thèmes habituels, en particulier le mélange organique et technologique (le tout saupoudré d’un peu de gore, il faut bien).
Cronenberg s’amuse à plonger ses personnages (et le spectateur en même temps) dans un jeu grandeur nature qui est une anticipation des consoles de jeux modernes (et futures ?). L’idée de brancher la console directement sur le corps est très bonne, surtout avec le traitement par Cronenberg : la séquence avec Willem Defoe est particulièrement réussie. Les gamers assidus doivent ressentir cette ouverture dans un autre monde apportée par le jeu vidéo.
Dans un premier temps on voit bien la réalité et le virtuel, mais très vite les frontières s’estompent, il faut s’en remettre à l’étrangeté de l’image (bonne idée du personnage qui bugge, tant qu’il n’a pas la bonne question), aux bizarreries rencontrées (dans l’abattoir, à découper des animaux à mi-chemin entre le poisson et l’amphibien). Et, finalement, les personnages sont complètement perdus, et le spectateur aussi.

La qualité de réalisation de Cronenberg lui permet d’utiliser l’image pour mettre mal à l’aise, pour nous perdre dans les méandres de cette alternance réalité/virtualité du jeu. Il vient ainsi magnifier le scénario : le malaise et l’incompréhension ne naissent pas seulement du déroulement de l'histoire mais aussi des images. La fin, bien entendu, ouvre bien des perspectives.

Ce film, bien plus que Matrix qui lui succédera de peu, annonce ces films inspirés des jeux vidéo, en particulier Avatar qui reprendra, en le développant sous un autre angle, la recherche de la fusion entre les jeux vidéo et le cinéma.

mardi 17 février 2015

La Mouche noire (The Fly de K. Neumann, 1958) et La Mouche (The Fly de D. Cronenberg, 1986)


         

La Mouche de David Cronenberg est un remake remarquable de La Mouche noire de Kurt Neumann. Les deux films sont très bons, même s’ils abordent l’histoire de façon différente et c’est ce qui rend leur comparaison très intéressante.
Cronenberg insiste sur deux aspects nouveaux par rapport au film original.
Tout d’abord il se plaît à montrer la transformation de son héros. Lorsqu’il voit son corps partir en lambeau, Seth Brundle se dit qu’il va mourir. Et ensuite seulement il comprend qu’il se transforme en autre chose. Cette évolution du héros, à la fois physique et psychique, est un apport de Cronenberg qui est fascinant.
Ensuite, et on reconnaît là le penchant pour l’organique un peu gore de Cronenberg, le film s’attarde sur tel ou tel détail sanguinolent et repoussant (les dents qui tombent, la régurgitation d’acide…). Cronenberg en rajoute dans une fin grand-guignolesque mais efficace. Et surtout cette fin répond à l’évolution de Seth Brundle : Cronenberg va au bout de son idée.

La manière qu'a Cronenberg de filmer la métamorphose est fascinante. Cette métamorphose renvoie à la métamorphose comme thème classique dans le cinéma ou dans la littérature qu'il s'agisse de Docteur Jekyll et Mr. Hyde ou bien du mythe du loup-garou. Mais il s'agit ici d'une métamorphose irréversible, en une fois, qui fait disparaître la personne derrière le monstre. Et plutôt que de montrer la métamorphose sous forme d'ellipse (comme le fait Mamoulian par exemple) ou au travers d'une séquence choc (dans Le Loup-garou de Londres par exemple), c'est tout le sujet du film de scruter cette transformation. Et Cronenberg voit juste : une métamorphose, au sens biologique du terme, correspond à la destruction d'organes et, ensuite à la formation de nouveaux organes. C'est tout à fait ce que montre le film, avec Brundle qui ne comprend qu'après coup que si ses organes disparaissent, c'est pour permettre, ensuite, à de nouveaux organes d'apparaître.
Mais à filmer la destruction d'un corps, Cronenberg renvoie inévitablement à la mort et à la disparition progressive des facultés, organe par organe. Brundle est comme atteint par un cancer, ses organes tombent, il se voit mourir. Ces images terribles renvoient à la dégénérescence juste avant la mort. C'est une vieillesse en accélérée, un cancer violent qui le prend. L'image de Brundle, dans sa salle de bain, qui s'assoit sur le rebord de sa baignoire et qui comprend qu'il va mourir est saisissante.

Dans le film original, ces aspects sont complètements absents. C’est au contraire la froide sobriété des images qui les rend terrifiantes. Neumann montre peu, il suggère et cela suffit bien. Évidemment le coup de force du film est dans l’image finale, brillante et terrifiante idée à laquelle a dû renoncer Cronenberg. Le prix à payer pour montrer l’évolution du héros auquel s’est attaché Cronenberg, c’est le renoncement à cette image finale.
De sorte qu’au-delà de l’aspect gore ou pas gore, au-delà des effets spéciaux ou de l’ambiance du film (un film typé années 50 ou typé années 80) on préférera l’un ou l’autre selon qu’on s’intéressera à la transformation lente d'un homme en mouche ou à la transformation soudaine de l’homme… et de la mouche.


Steh Brundle, dans La Mouche de Cronenberg

André Delambre, dans La Mouche noire de Neumann