vendredi 29 septembre 2023

Equalizer 3 (The Equalizer 3 de A. Fqua)

 



On ne change pas une équipe qui gagne, se disent les producteurs. Industriellement parlant, ils auraient tort. Dans cette optique, le studio de cinéma devient alors un fast-food qui applique strictement la même recette avec les mêmes ingrédients. Et le film devient une série. Chacun est à sa place, depuis les étapes du scénario et la manière de filmer habituelle jusqu’au dénouement final, avec les gentils innocents, les méchants impitoyables et, au milieu, en justicier, Denzel Washington, qui redresse tous les torts. On remarquera que, de la même façon que les McDonald’s déclinent leurs hamburgers en différentes versions, ici l’intrigue est déplacée en Italie, histoire de changer la sauce et de faire croire à un peu d’exotisme.
On notera aussi que McCall, le redresseur de torts, se vit en justicier défenseur de la veuve et de l’orphelin empli de morale. On se souvient que cette question du flic justicier était déjà au cœur de L’Inspecteur Harry. Et, dès Magum Force, le film suivant, Don Siegel et Clint Eastwood avaient tordu le cou à cette tentation du justicier. Las, avec ses films calibrés et ses méchants très méchants, la série de Antoine Fuqua ne s’embarrasse pas de toutes ces questions.

 




mercredi 27 septembre 2023

Insiang (L. Brocka, 1976)

 



Magnifique film de Lino Brocka qui plonge dans les bidonvilles de Manille dont il  saisit avec sa caméra la violence terrible.
Insiang, qui se bat, cherche à surnager dans cet environnement qui écrase tout, affronte sa mère et ses réprimandes. Mais quoi qu’elle fasse, malgré sa confession finale, elle finit seule, sans retrouver cette mère perdue à jamais.

On tient là un film puissant et dérangeant, avec une façon de parcourir le bidonville par la caméra qui saisit sur le vif et à chaque instant, la pauvreté, la promiscuité ou les rapports sociaux éreintants. Tout cela est exprimé jusqu’à son paroxysme par cette relation d’amour et de haine entre la mère et sa fille, qui sont séparées plus encore par cet amant violeur autour duquel le drame se noue.

 



lundi 25 septembre 2023

Vatel (R. Joffé, 2000)

 



Si le film cherche à recréer l’ambiance de fêtes gigantesques et très abouties de François Vatel au service du Grand Condé – fêtes destinées à éblouir Louis XIV et sa cour –, l’on reste assez peu emporté par cette débauche de décors alambiqués et ces allers-retours entre les dorures de la cour et l’agitation des offices. Il y avait là pourtant un motif central à travailler, cœur de bien des films (à commencer par La Règle du jeu, matriciel entre tous). Surtout que Vatel lui-même, qui tout à la fois, se soucie du moindre commis et a l’oreille du prince de Condé, établit une liaison entre ces deux mondes qui ne se croisent pas. Mais Roland Joffé ne sait trop comment travailler ces deux mondes et l’ensemble apparaît bien superficiel. On comprend simplement que les petites gens des offices se sacrifient pour le bon plaisir de ducs et de marquis suffisants, intrigants et bien peu conscients des sacrifices qu’impose leur vie luxueuse.
Gérard Depardieu fait le boulot sans trop forcer, semblant peu inspiré par ce personnage qui, pourtant, pourrait l’inspirer. Il a bien du mal à montrer autre chose qu’un personnage affairé et coincé par ses obligations. Son petit jeu de séduction avec Anne de Montausier apparaît assez vain et parvient mal à s’insérer dans le propos du film.
La fin dramatique du personnage apparait très outrancière, arrivant soudainement et presque à brule-pourpoint, mais elle nous rappelle que, décidément, le vrai peut ne pas être vraisemblable.

 




samedi 23 septembre 2023

La Cible humaine (The Gunfighter de H. King, 1950)





Intéressant western en ce qu’il met en scène de façon assez outrancière mais voulue le personnage du gunfighter qui dégaine plus vite que son ombre. On nous le dit dès le prologue : pour ce qui est de dégainer, Ringo est le plus rapide. Dès lors, le film montre combien ce stéréotype coince le personnage : il n’est plus possible, pour Ringo, d’échapper à son image. Il est sans cesse provoqué en duel, tout le monde le reconnaît, le craint ou le maudit. Il est condamné à filer de ville en ville, sans pouvoir s’arrêter. Pourtant Ringo a vieilli, il ne veut plus de ces duels et de cette sinistre célébrité.
On peut voir dans William Munny, le héros terrible de l’Impitoyable d’Eastwood, un Ringo qui aurait réussi sa transition (avant de rebasculer). On remarque que, comme souvent dans les westerns, la place de la femme est centrale : seule une femme peut rendre possible cette transition de desperado en homme honorable. C’est ce qu’avait trouvé William Munny, c’est ce qu’espère Ringo, pour tourner la page et se fixer.
Mais le film a le bon goût d’assumer les codes du western : le stéréotype aura la peau de Ringo. Il ne peut que mourir en desperado (dans le dos qui plus est) sans devenir un homme honorable, entouré de la femme qu’il aime, à élever son fils dans un petit ranch. En 1950 le western ne permet pas encore à ses personnages d’évoluer trop franchement : un homme de l’horizon ne peut devenir un homme de la terre. Il faudra attendre quelques années encore, que les frontières deviennent floues entre tous ces personnages. Mais Henry King exploite parfaitement son personnage, lui donnant une épaisseur psychologique que le stéréotype avait jusqu’alors laissée de côté. Et Gregory Peck saisit tout à fait qui est ce Ringo complexe, antihéros qui veut passer à autre chose mais qui n’y parvient pas.



mardi 19 septembre 2023

Un tramway nommé Désir (A Streecar Named Desire de E. Kazan, 1951)





Film au parfum de scandale et au succès immédiat, Un Tramway nommé Désir est un gros pavé de modernité jeté dans le Hollywood ronronnant des années cinquante. Cette adaptation de la pièce de Tennessee Williams respire la provocation, avec son immoralité, sa violence, sa décadence. Il fallut d’ailleurs adapter la pièce pour en enlever quelques traits qui ne pouvaient être tolérés dans un film (l’homosexualité du mari de Blanche, le viol final qui n’est que suggéré) et rajouter une morale acceptable (Stella qui part, punissant ainsi Stanley, ce qui n’avait pas lieu dans la pièce). Les censeurs imposeront malgré tout quelques coupures, le code Hays s’affolant devant un tel film.
Si, à la sortie du film, Vivien Leigh est la seule star (et sa présence renvoie très habilement, dans l’imaginaire du spectateur, à une Scarlett O’Hara déclassée), c’est bien sûr l’explosion en plein cadre de Marlon Brando qui est le cœur du film. Hollywood, avec sa retenue, ses codes, son cadre moral, son héritage théâtral semble tout à coup complètement dépassé par ce jeu violent, incroyablement franc, pulsionnel, concentré de testostérone sans retenue. On retrouvera, au féminin, la même déflagration cinq ans plus tard avec B. B. dans Et Dieu… créa la femme.
L’exhibition de la plastique de Brando joue autant que son expression en elle-même : le jeu d’acteur entre dans une ère nouvelle (celle de l’Actor’s Studio, dont Brando est la figure de proue) et l’acteur devient aussitôt la référence absolue des jeunes James Dean, Jack Nicholson, Robert De Niro et autres Al Pacino. Le jeu plus superficiel et surfait du passé (celui de Cary Grant, Humphrey Bogart et autre Kirk Douglas) prend aussitôt un coup de vieux.

Mais il faut dire que le film, du fait de la performance de Brando, détourne l’attention du sujet principal de Tennessee Williams, à savoir la trajectoire de Blanche, femme qui se perd et devient folle. Déclassée et perdue, Blanche semble incarner un combat entre un ça pulsionnel et volontiers nymphomane et un surmoi de raffinement et de préciosité. Cette oscillation débouche sur une schizophrénie qui l’étreint peu à peu. Et c’est le coup final du viol par Stanley, mâle alpha brut et pulsionnel, qui la font basculer définitivement dans la folie.
Derrière Vivien Leigh et Brando, les seconds rôles sont très bien tenus, avec notamment le très grand Karl Malden, l’un des meilleurs acteurs de seconds rôles d’Hollywood.
Et Elia Kazan transpose l'humeur de la pièce à l’écran, captant parfaitement l’antagonisme entre ses personnages, et il parvient à recréer – dans cet appartement aux pièces contiguës et à l’ambiance moite – un cadre où se développent la tension, les mensonges, l’attirance et la haine.



lundi 18 septembre 2023

Pacifiction (A. Serra, 2022)

 



Étonnant film où tout n’est question que de sensations, d’attention aux choses, aux éléments, aux indices que De Roller tente de saisir. Pendant toute la durée du film, on sent bien que l’on reste dans l’étrange moment de calme avant la tempête, juste avant que les évènements ne se déclenchent, lorsque tout est suspendu. Le film a pu surprendre et déranger : en plus de deux heures trente, il ne se passe, à proprement parler, rien de décisif, il n’y a que quelques indices épars qui sont disséminés.
Benoît Magimel est magistral : il trouve un ton parfaitement juste dans un rôle compliqué, puisque son personnage oscille sans cesse entre la politique et les relations humaines, jouant d’amitié, de services et d’arrangements, cherchant à comprendre ce qui se trame, à saisir la sincérité ou l’insincérité des uns ou des autres.

Albert Serra, qui montre une grande sensibilité à la douceur des choses, compose plusieurs séquences très belles pour évoquer le battement profond de l’île. Il sait opposer la frénésie de la boîte de nuit avec le lent mouvement des vagues, ou encore les rayons de soleil qui se reflètent et éclatent à l’écran avec la nuit noire et silencieuse dans laquelle une lueur survient.




vendredi 15 septembre 2023

Still Walking (Aruitemo aruitemo de H. Kore-eda, 2008)

 



Hirokazu Kore-eda filme avec délicatesse et beaucoup de finesse ce moment d’intimité et de retrouvailles familiales. Comme souvent, sa caméra capte plusieurs personnages et c’est cet ensemble qui constitue peu à peu, sous nos yeux, la famille Yokoyama.
Et, dans cette famille il y a sans cesse une oscillation entre le plaisir de se retrouver et des malaises toujours palpables. C’est que, malgré la bonne volonté, le passé est lourd et il est bien difficile de se retrouver simplement. Chacun a des douleurs que les autres ne peuvent apaiser : le père vieillissant est irrémédiablement déçu par son fils qui n’est pas devenu médecin comme lui, la mère est marquée par le deuil de son fils aîné tout en souffrant d’avoir été écrasée par la personnalité de son mari, le second fils, resté dans l’ombre de son frère, cache son chômage à ses parents pour ne pas les décevoir davantage, etc.
Kore-eda ne juge pas : il expose, comprenant chacun, ne condamnant personne, parce que les choses ne sont pas simples et qu’ainsi va la vie. Il y a du Ozu, bien entendu, dans cette chronique familiale filmée au plus près des individus, en se glissant dans les recoins de la maison pour, bientôt, saisir l’âme de ses personnages.
L’épilogue, néanmoins, montre que les choses avancent, même trop tard (les parents, alors, sont morts), mais que la transmission se fait et que des nœuds, lentement, se dénouent.


 

mercredi 13 septembre 2023

Fighter (The Fighter de D. O. Russell, 2010)

 



S’il n’est pas inintéressant et s’il montre efficacement le parcours de Micky Ward un peu perdu au milieu de sa famille dans et hors des rings, Fighter manque sans doute d’une dimension que l’on pressent par moment mais que le réalisateur laisse trop de côté.
C’est que ce boxeur prometteur qui cherche à s’extirper d’une famille qui le tire en arrière doit d’abord et avant tout affronter son frère aîné, boxeur maudit à la dérive. Et cet affrontement, à un moment seulement, lors d’un banal entraînement, devient purement physique. Et c’est à ce moment que l’on comprend combien la puissance des coups, par cette destruction qu’implique la boxe peut, seule, exprimer le combat entre les deux frères. De même que les boxeurs se cognent dessus à qui mieux-mieux pour ensuite s’enlacer dès le combat terminé, les deux frères boxent, en réalité, l’un contre l’autre durant tout le film. Il aurait fallu filmer ce combat décisif, il aurait fallu les voir se cogner, tant tout se résout, dans la psyché de ces personnages, par le rapport de force à mains nues : la destruction comme la gloire viennent de leurs poings.

Cela dit Fighter est servi par son casting et l’on est même surpris par Mark Wahlberg, d’ordinaire bien fade, dont le jeu très sobre (souvent trop sobre) convient très bien ici pour exprimer le tiraillement qui ne quitte pas son personnage. Christian Bale s’en donne à cœur joie (dans un rôle, où, encore, une fois, il montre sa capacité à se transformer physiquement) et Melissa Leo, qui joue la mère, est remarquable elle aussi dans un rôle pas facile.

 




lundi 11 septembre 2023

Le Cavalier du désert (The Westerner de W. Wyler, 1940)





Western assez faible de William Wyler, qui tourne autour de la personnalité du juge Roy Bean qui, s’il a inspiré plusieurs films, n’a finalement jamais été tellement mis en valeur (Juge et Hors-la-loi de John Huston, par exemple, n’est pas très convaincant non plus). Ici Walter Brennan met son cabotinage jovial au service du juge, et sa personnalité s’oppose à celle, toujours sobre, de Gary Cooper. Mais la sauce ne prend guère : flirtant parfois avec la comédie, le film peine à être crédible. Surtout que, derrière ses allures débonnaires, le juge n’hésite pas à pendre qui s’oppose à lui. Il en résulte un film un peu bancal, qui a du mal à se situer.
Cela dit, il est question d'un combat souvent illustré dans les westerns, combat entre les éleveurs qui font transiter le bétail à travers la plaine et qui s’opposent aux fermiers qui cultivent et dressent des barbelés. On remarque que, d’un film à l’autre, on est tantôt du coté des éleveurs qui font passer leur bétail (comme ici), tantôt du côté des fermiers, comme dans Open Range par exemple, où le shérif mange dans la main du propriétaire terrien.

 




samedi 9 septembre 2023

The Salvation (K. Levring, 2014)

 



Le western, genre devenu mineur depuis bien longtemps, semble aujourd’hui faire constamment le grand écart entre des films assez confidentiels (Hostiles de Cooper ou les œuvres de Kelly Reichardt) et des films bas de gamme (Les Sept mercenaires de Fuqua), qui, eux, continuent de surfer sur la vague décidément inépuisable du western italien.
The Salvation, malheureusement, tient de cette seconde veine. C’est que le film est en même temps très quelconque et très ambitieux par sa mise en scène et son esthétique. Il faut dire que, après une première séquence cruelle et violente qui laisse le spectateur en suspens (Jon, sa femme et son fils sont agressés dans une diligence ; Jon parvient à tuer les agresseurs mais sans pouvoir sauver ses proches), la séquence suivante achève le film : on voit surgir le grand méchant tueur qui terrorise la population locale pour demander qu’on lui livre celui qui a eu l’audace de tuer son frère. Toute la douleur sourde que Jon pouvait ressentir est balayée : le film ne sera rien d’autre qu’une banale histoire d’injustice, de vengeance et de domination d’une petite communauté par une bande de tueurs, sur fond de spéculation immobilière autour du pétrole. Bien entendu jamais on ne doute que Jon tuera toute la bande.
Kristian Levring fait un bond de cinquante ans en arrière et nous ramène au cinéma d’exploitation spaghetti le plus éculé, filmant la violence sans raconter grand-chose, tout en lorgnant du côté d’Il était une fois dans l’Ouest, de Django ou de Keoma. On retrouve donc une esthétique moderne et devenue parfaitement banale. Les restes calcinés de la ville (qui font une image étonnante à l'écran) sont une métaphore involontaire mais puissante de The Salvation : du western, Levring reprend les principaux codes du genre, mais, autour de cette charpente, il ne construit rien et ne raconte rien, tout reste superficiel et creux. The Salvation est ainsi une baudruche qui reste en suspens dix minutes avant de se dégonfler pesamment, s’en remettant à un maniérisme léonien banal.
Mads Mikkelsen, qui campe le fermier ancien soldat qui règle les comptes, a le calibre pour construire des personnages à la fois mutiques et complexes, mais le rôle vide que lui propose le film le coince dans une partition faiblarde.
C’est bien dommage pour le genre qui a décidément bien du mal à se remettre du déferlement de Sergio Leone. En délaissant le fond au seul profit de la forme, le réalisateur star italien a dévitalisé jusqu’à l’agonie le western. De l’immense fleuve que fut le western, il n'en reste qu’un étiage mince, même s’il continue, vaille que vaille, d’être alimenté. Mais ce ne sont certes pas des films comme The Salvation qui vont le renflouer…

 



lundi 4 septembre 2023

Adieu au langage (J.- L. Godard, 2014)





Sans doute, pour comprendre le cinéma de Jean-Luc Godard à partir des années 70 (et ensuite, peut-être, parvenir à l’apprécier), faut-il accepter que ce cinéma, très expérimental, soit d’une grande prétention. Dès lors que cette prémisse est posée, on peut, si l’on en a le courage, essayer de ressentir ce que Godard, avec emphase et lourdeur, tente de saisir.
Et, dans Adieu au langage, du haut de ses 74 ans, l'on a vraiment l’impression que Godard est plus que jamais incapable de ressentir le murmure des choses, qu’il lui faut les asséner sans cesse avec grandiloquence et maniérisme dans un ton superfétatoire. C’est assez pénible et l’on se perd dans ces explorations et ces déambulations souvent anodines, puisqu’en réalité ces grandes émotions, ces grandes questions ou ces grandes révélations sont bien petites ou très convenues.






samedi 2 septembre 2023

Batman : Le Défi (Batman Returns de T. Burton, 1992)

 



Ce second film de Tim Burton mettant en scène le héros chauve-souris masqué poursuit une pente à la fois conventionnelle et kitsch. Il n’est qu’une exploitation de la réussite du premier opus. On n’est pas loin du Grand-Guignol par moment et on sent bien où nous conduit l’intrigue.
Tim Burton semble un peu coincé dans son idée, même si quelques séquences équilibrent très bien les tons entre conte de Noël divertissant et noirceur, tons que conjuguent si aisément l’ami Burton.