mercredi 30 avril 2014

Au hasard Balthazar (R. Bresson, 1966)




Très beau film de Robert Bresson, qui lui donne l’austérité et l’âpreté à laquelle confinent ses exigences. C’est que son style s’appuie sur une sobriété permanente dans la mise en scène, avec un minimum d’effets et des acteurs qu’il veut avec le moins de jeu possible.
Bresson parvient à dépouiller le film de l’acteur et de son jeu. Il choisit souvent des interprètes non professionnels (ou débutants) et exige d’eux une théâtralité anti-naturelle et une neutralité d’être et de tons, d’où des voix blanches et monocordes (au prix de nombreuses répétitions) pour dire les quelques lignes de texte. En ce sens Bresson trouve dans l’âne un acteur idéal. L’émotion ne naîtra pas du jeu de l’acteur, elle ne pourra naître que du dispositif cinématographique.
De même Bresson donne une importance fondamentale au son, avec une musique tout à fait absente. Seule la belle sonate de Schubert est utilisée avec parcimonie et discrétion. Et ce sont bien plus les bruits qui emplissent la bande son (ils prennent plus de place que les dialogues), avec, particulièrement, les braiements de Balthazar. Le découpage fragmente le récit, laissant le spectateur joindre les bouts, remplir intellectuellement les manques, construire les significations.
Et, de ce minimalisme austère, une émotion naît à l’image, autour de Balthazar, révélateur du monde qui l’entoure. C’est là la clef du cinéma de Bresson : le spectateur doit dépasser l’austérité d’apparence pour atteindre à la signification puissante du film, très dense, très riche, et qui s’enrichit, même, à chaque vision.
Bresson fait un portrait très dur de l’humanité : le monde qu’il nous donne à voir est empli de vices. Gérard, le voyou qui détruit tout autour de lui, sans que Bresson ne donne jamais aucune raison à ce comportement, est une représentation du Mal, présent dans la société et qui la mine. Il détruira toute l’innocence aimante de Marie et martyrisera Balthazar jusqu’à le perdre. A partir de cette figure, Bresson balaie ainsi les vices humains, depuis Arnold, l’ivrogne, en passant par l’avare, et jusqu’au père de Marie, figé dans sa fierté ; le tout sous le regard énigmatique de Balthazar qui scrute notre humanité et l’interroge.
Balthazar, témoin, lien entre le profane et le sacré (il est baptisé par les enfants), tantôt ami ou camarade, tantôt maltraité : « C’est un saint » dit la mère de Marie.


Les seuls moments où des regards sont rendus à Balthazar sont au zoo : par des jeux de champ contre-champ, les animaux regardent Balthazar qui les regarde. La mort de Balthazar (on peut d’ailleurs voir le film comme un film d’initiation, de l’enfance de l’âne à sa mort) est très belle, : atteint par une balle perdue, il est entouré par un troupeau de moutons, dans le doux son des tintements de leurs cloches, avec cette sérénité stoïque qui ne l’aura guère quittée.



Béla Tarr trouve une source manifeste d’inspiration dans Au hasard Balthazar, que ce soit dans le regard de l’éléphant, que l’on retrouvera dans l’œil de la baleine des Harmonies Werckmeister ou, évidemment, dans Le Cheval de Turin, où le cheval harnaché subit à la fois ses maîtres et les éléments.

mardi 29 avril 2014

Le Mépris (J.- L. Godard, 1963)




Très grand film de Jean-Luc Godard : il s'agit d'un film quasi-expérimental (dans le sens godardien : être en perpétuelle recherche) et qui reste regardable par le commun des spectateurs (c'est déjà, en cela, une belle réussite de Godard).
Godard cherche – et parvient – à fixer des instants précis de la vie d'un couple (un regard, un geste) et ce que cet instant introduit de doute, de méprise et, finalement, tout l'art de Godard est là, il montre comme cet instant de doute parvient jusqu'à l'incompréhension et, donc, au mépris. Il filme un petit quelque chose qui fait basculer et désordonne la vie du couple. Le génie de Godard, ici, est de parvenir à saisir ces moments qui semblent minimes mais sont les clefs du couple.
L'intelligence du scénario tient dans le couple lui-même : Paul (Michel Piccoli) qui pense beaucoup, psychologise, hésite à agir, se triture l'esprit et s’oppose à Camille, sa femme (Brigitte Bardot), qui agit ponctuellement, mais par instinct, sans passer par de longues cogitations.

Paul et Camille dans la splendeur de Capri
Camille, d'ailleurs se fie uniquement – et simplement devrait-on dire – aux regards que lui porte (ou ne lui porte plus) son mari. De là elle sait et elle sent, l'amour qu'il lui porte (d'où les célèbres questions de Camille à son mari sur ses fesses).
Le personnage de Fritz Lang – joué par F. Lang lui-même – sert de regard moral sur ce couple. Il permet de regarder le couple d'un point de vue extérieur et de sortir des points de vue, tour à tour proposés, du mari et de la femme.
Godard propose aussi, finalement, un film sur un film (on suit les relations entre un scénariste, un réalisateur et un producteur) avec une mise en abyme subtile puisque le regard de Godard sur le couple est porté à l’écran par Fritz Lang – c'est-à-dire par un réalisateur au sens le plus artistiquement génial du terme.



Le film évoque bien sûr Le Voyage en Italie où les errements d'un couple seront sauvéspar la grâce. Et l’ouverture célèbre avec Bardot, fesses nues, sera reprise bien souvent. Par exemple Kubrick, dans Eyes Wide Shut, prend le même point de départ : les fesses nues de N. Kidman et le doute, qui s'immisce dans un couple.

samedi 26 avril 2014

Le Poison (The Lost Weekend de B. Wilder, 1945)




Bon film de Billy Wilder, sur le thème de l'alcoolisme, sujet qu'il traite de plein fouet : on suit le week-end éprouvant de Don, incapable de s’empêcher de boire et de rester sobre. Avec ce mélange d'humour et de tragique qui lui est habituel, B. Wilder est assez à l'aise, et la composition de Ray Milland est remarquable.
On reste loin, cependant, des meilleurs films du réalisateur, sans doute parce que celui-ci ne parvient pas à surprendre réellement. Car c'est bien là un des secrets des films qui nous emportent : c'est en étonnant le spectateur qu'on le capte et qu'on ne le lâche plus. Ici c'est peut-être le sujet même – l'alcoolique revient toujours à son verre – qui empêche de réellement captiver le spectateur qui sait ce que fera Don un moment plus tard. De même la fin apparaît un peu superficielle et optimiste.

jeudi 24 avril 2014

La Vie à l'envers (A. Jessua, 1964)




Film très original de Jessua, qui propose une manière intelligente et originale de cerner les maux profonds de la société française. On retrouvera cette tendance dans beaucoup de ses films qui montrent entre eux une grande cohérence.
Jacques Valin, employé d’une agence immobilière, qui mène une vie sans histoire, va progressivement se refermer sur lui-même, jusqu’à plonger dans une folie solitaire et heureuse.
Très bien servi par l'excellent Charles Denner, le film a l’intelligence de proposer le point de vue du personnage principal, point de vue appuyé par sa propre voix off, calme et sereine. Et c’est par des détails disséminés (les proches de Valin qui constatent que sa barbe pousse ; la façon qu’a Valin de bousculer par mégarde des passants qu’il ne voit même plus) que l’on sent Valin échapper au monde et glisser peu à peu dans la folie.
La critique de la société – de l’Homme en tant qu’animal social, même – est très forte et très bien vue. Voilà un film injustement méconnu et qui voit très bien quels abîmes peuvent cisailler la société, pour peu que l’on gratte, comme Jessua le fait très bien, le vernis social.


mardi 22 avril 2014

Ordet (C. T. Dreyer, 1955)




Exceptionnel film de Carl Dreyer, assez âpre, sec, bavard, mais qui ouvre vers une fin éblouissante (peut-être une des plus belles fins du cinéma).
Le film questionne la foi dans sa quotidienneté et aussi son universalité au travers de deux visions protestantes, en particulier celle de la famille Borgen, au milieu des querelles de sceptiques ou de fanatiques. Chacun des membres de la famille, dominée par le patriarche, Morgen, présentant une manière différente de vivre sa foi.
Anders, le dernier fils de Morgen, veut se marier avec une fille de la famille Skraedder, mais les chefs de famille s’opposent, Peter Skradder étant d’une religiosité rigoriste. Le fils aîné de Morgen est marié avec Inger, qui meurt bientôt en couches. Quant à Johannes, le benjamin, il sera le cœur du film et c’est un personnage exceptionnel : il s’identifie à Jésus-Christ, on le croit fou.
Avec une rigueur et une maîtrise absolue, Dreyer construit chaque plan, dispose ses personnages en les laissant cloîtrés dans une ferme, avec simplement, le temps de les perdre dans les dunes, quelques scènes à la recherche de Johannes.

Dans sa foi, chaque personnage vit, chacun à sa façon, son doute, l’éloignant de la parole de Jésus (parole qui est portée par Johannes). Depuis l’aîné, qui se demande si la foi est bien importante, jusqu’à Inger, douce et aimante. C’est ce doute qui enserre la famille, et qui est le lien entre la foi et la vie de tous les jours. C’est ce doute que vient balayer Johannes. Extraordinaire Johannes, avec son visage christique, et son phrasé monocorde et vibrant de foi.


La séquence du miracle est exceptionnelle, elle touche par son aspect merveilleux, plus direct et appuyé que dans les films de Rossellini (dans Voyage en Italie par exemple). Dreyer n’hésite pas : le miracle accompli est une résurrection.
Dreyer interroge évidemment la question d’un nouvel avènement du Christ, en la personne de Johannes (qui prône la foi en la possibilité d’un miracle et dans la bonté de Dieu). Mais Johannes doit accomplir un miracle – il faut que sa parole « prenne corps » – pour ne plus passer pour un fou. Alors que, tout au contraire, il est celui qui voit mieux, qui ne doute pas.


dimanche 20 avril 2014

Blow-Up (M. Antonioni, 1966)




Film fondamental de Michelangelo Antonioni, quand bien même ses recherches formelles restent bien opaques. Le film est assez loin de ses réalisations habituelles, puisqu’il joue ici avec les couleurs, et que, par rapport à ses œuvres italiennes qui montrent le vide, l’espace, l’incommunicabilité, les pertes de repère et de sens, Antonioni, dans Blow-Up, questionne davantage son art et la relation entre chacun et le monde qui l'entoure.

Antonioni aborde ici la multiplicité des regards à porter sur le monde, l’importance des changements de points de vue, les jeux de perception. Antonioni, tout en maîtrise, utilise parfaitement le média cinéma puisqu’il ne dit pas les choses mais il les montre en les faisant subir à son personnage (et au spectateur). Tout regard devient une interrogation, qu’il s’agisse d’un cadrage, d’une profondeur de champ, d’un mouvement ou non de caméra. Antonioni montre ainsi la distance entre le réel et la retranscription du réel au travers de l’image produite. Thomas, qui voit le monde au travers de son appareil photographique, ne voit pas ce qu’il voit, il croit comprendre mais ne comprend pas.



Le film joue avec trois regards (celui de Thomas, celui du spectateur et celui d’Antonioni) auquel on peut rajouter le regard de l’appareil photo de Thomas, qui voit différemment de Thomas (et celui-ci en prend conscience progressivement), puisqu’il voit objectivement les choses et de façon plus fine, sans que le cerveau ne trie et n’interprète.
Son appareil photo lui permet de voir – tel un œil plus performant – ce que lui n’a pas vu, mais son cerveau est incapable de traiter cette image : il a beau agrandir et scruter l'image, elle ne lui apporte aucune compréhension et il ne parvient pas à résoudre l’énigme. L’absence de sens, thème souvent présent chez Antonioni, rejaillit donc, d’autant plus pour le spectateur qui, lors d’une première vision du film, aura bien du mal à s’y retrouver. D’autres visions permettent de comprendre davantage le déroulement énigmatique du meurtre capté par les photos de Thomas, mais sans toutefois pouvoir tout comprendre. C’est ainsi que, si Antonioni questionne, il laisse beaucoup de réponses ouvertes.



On remarquera qu’Antonioni interroge uniquement l’image (en jouant sur la photographie) sans englober le son, pourtant indéfectible du rapport à la réalité (en particulier dans le contexte cinématographique), son sur lequel insisteront Coppola (avec Conversation secrète) ou De Palma (avec Blow Out) dans des questionnements similaires. Antonioni se limite curieusement à l’incomplétude du regard et à son impuissance.
Malgré ce questionnement fondamental pour l’artiste qui est sans cesse sur la corde raide entre le réel et l’imaginaire, le film reste formellement austère et aride, difficile à suivre, volontiers confus, disparate, lent et abstrait, dans une veine antonionienne typique.



vendredi 18 avril 2014

Les Enchaînés (Notorius de A. Hitchcock, 1946)




Thriller parfait d’Hichcock, qui sublime le genre en venant enchâsser une histoire d’amour complexe et légendaire (avec le fameux baiser qui, nonobstant la censure, n’en finit pas) dans une passionnante histoire d’espionnage. On remarquera que le nœud de cet espionnage (l’uranium caché à la cave) est loin d’être le cœur du film (on a là un exemple du célèbre MacGuffin hitchcockien).
Alicia (admirable Ingrid Bergman) joue un double jeu : celui de la séduction complexe qu’elle entretient avec Devlin (Cary Grant, parfait dans ce rôle pourtant presque à contre-emploi) et le classique jeu de l’espionne auprès de celui qu’elle va jusqu’à épouser. Ce jeu d’amour est très cruel (elle accepte de se marier pour tester l’amour de Devlin, celui-ci ne faisant rien pour l’en dissuader) et il tourne autour d’un classique triangle amoureux (avec Claude Rains en mari espionné).


Une des réussites éblouissantes du film est très bien formulée par François Truffaut, dans ses entretiens avec Hitchcock : « La plus grande réussite de Notorious est probablement qu’il atteint au comble de la stylisation et au comble de la simplicité ». Il est certain que la maîtrise d’Hitchcock est telle que ce film complexe apparaît sobre et que l’intrigue, riche et incertaine, semble se dérouler avec une déconcertante facilité.


A noter que ce double enchâssement (l’histoire d’amour venant redoubler le thriller d’espionnage) est ce qui manque sans doute au Rideau déchiré, lui aussi histoire d’espionnage d’un couple, mais dont la trame, jouant sur la seule corde de la course-poursuite, semble trop fine et pauvre.

mercredi 16 avril 2014

Citizen Kane (O. Welles, 1941)




Film essentiel et très célèbre, Citizen Kane est l’un des plus commentés et l’un des mieux classés au jeu des classements des « meilleurs films ». Il faut reconnaître que ce premier film d’O. Welles est un éblouissant coup de maître. Welles y exprime son style baroque mieux qu’il ne le fera jamais. Mais jamais Welles ne retrouvera une telle indépendance de réalisateur et il passera ensuite le plus clair de son temps à se battre avec les majors d’Hollywood à la recherche d’argent ou d’une liberté qui ne lui sera guère accordée. Constamment bridé, on regrette que Welles n’aie pas eu l’intelligence de travail d’un Kubrick qui comprit très vite que le déploiement de son génie dépendait en grande partie de son indépendance (mais l’ego de Welles ne pouvait guère l’aider à se détourner ainsi des grands circuits de distribution). Las, Welles resta enferré dans mille et une contraintes et frustrations tout au long de sa carrière.
La substance du film, plus encore que l’enquête ou que le personnage de Kane, est dans le processus de création du film. On sent que Welles a parfaitement conscience de rendre visible sa virtuosité pour le spectateur. C’est ainsi que la mise en scène est très visible, brillante, novatrice, baroque, avec en particulier un usage de la profondeur de champ exceptionnel et des positions ou des mouvements de caméra extrêmes.

Le film est aussi très original dans son écriture (J. Lourcelles – qui n'aimait pas beaucoup Welles – dit même avec sévérité que la part essentielle de l’originalité du film existait déjà sur le papier, avant même le premier jour de tournage). Les nombreux flash-backs sont parfois volontairement redondants : ils racontent selon différents points de vue la même période de la vie de Kane. On notera que seul le spectateur aura le fin mot de l’enquête qui motive tout le film (enquête qui justifie cette structure en flash-backs). Le journaliste ne parviendra jamais à une intimité suffisante avec la personne de Kane pour parvenir à résoudre l’énigme. Dans cette dernière séquence, Welles change de procédé narratif et reprend une narration directe conventionnelle, alors qu’il avait sans cesse innové tout le reste du film.

Mais le film est fondateur dans l’utilisation de la profondeur de champ, dans des plans qui viennent transgresser les représentations classiques. Par exemple lorsque l’avenir de Kane enfant est discuté : la caméra démarre auprès de l’enfant qui joue dans la neige puis recule en un magnifique plan-séquence qui laisse, au fond, la fenêtre entrouverte par laquelle on entend les cris de l’enfant, alors que son avenir se décide, entre adultes, sans lui.


Welles arrive ainsi, par son utilisation de la profondeur de champ, à englober tout l’espace cinématographique, non seulement dans un objectif esthétique mais avec une construction lourde de signification puisque l’avenir de l’enfant se décide : il ne le sait pas encore, mais ces jeux innocents dans la neige appartiennent au passé. L’image sert donc à Welles à montrer, à la fois des moments du présent et des images du passé.

La fameuse construction autour du suicide de Susan est également très novatrice : l’organisation en diagonale en partant d’un gros plan achève le découpage de l’image comme autant de plans parallèles qui s’éloignent progressivement (comme une succession de scènes de théâtre parallèles).


On retrouve la même avancée progressive dans la peinture classique italienne avec, par exemple, la virtuosité encore primitive d’un Giotto (qui peint en représentant ses personnages comme sur une scène de théâtre), développée par G. Da Fabriano (qui magnifie cette organisation mais sans la dépasser), avant que le baroque n’emporte cette superposition de plans, avec, par exemple, Le Tintoret.

Giotto, Scènes de vie de Saint François d'Assise (1300)
Gentile da Fabriano, L'Adoration des mages (1423)
Le Tintoret, L’Enlèvement du corps de Saint Marc (1562)

C’est F. Truffaut qui résume magnifiquement l’apport du film : « Welles délivre non seulement un bon film, mais LE film, celui qui résumerait 40 ans de cinéma tout en prenant le contre-pied de tout ce qui avait été fait, un film qui serait à la fois un bilan et un programme, une déclaration de guerre au cinéma traditionnel et une déclaration d’amour au médium ».


mardi 15 avril 2014

L'Homme léopard (The Leopard Man de J. Tourneur, 1943)




Intéressant film de J. Tourneur, qui vaut surtout pour la mise en scène de plusieurs séquences de suspense, toujours basées sur des impressions, des suggestions, des ellipses étonnantes et efficaces, et qui laissent la part belle à l’imagination du spectateur. Autrement dit, Tourneur montre peu mais évoque beaucoup. Et il est brillantissime dans cet exercice.

Deux yeux qui brillent dans le noir,
Tourneur n'en montrera pas beaucoup plus.
On regrette simplement que l’intrigue soit assez confuse et qu'elle apparaisse même, finalement, assez secondaire. On sent bien que le scénario n’est qu’un prétexte pour Tourneur pour mettre en scène ces moments d’effroi. C’est en cela que le film est moins réussi que La Féline ou Vaudou.

vendredi 11 avril 2014

RoboCop (P. Verhoeven, 1987)




Bon film d’action de Paul Verhoeven qui, deux ans après le succès de Terminator (dont on sent l’influence), en remet une couche en ce qui concerne le mélange homme-machine.
Pour justifier son robot-policier, Verhoeven décrit une Amérique ultra-violente et dont des quartiers entiers sont laissés aux mains de bandes impitoyables et dévastatrices. Les médias (la télévision notamment) en prennent pour leur grade, de même que les dirigeants, cyniques, arrivistes et corrompus, qui prêchent une ville moderne et nettoyée.
On remarquera la décérébration produite par l’omniprésence de la télévision (avec des mélanges détonants entre les actualités épouvantables et les publicités qui s’enchaînent) qu’il faut mettre en regard de RoboCop, prétendument machine mais dont le cerveau fonctionne encore et s’exprime de plus en plus, au grand désarroi de ses concepteurs.
Les effets spéciaux ont parfois pris un coup de vieux et l’ensemble est très typé « années 90 », mais le film est réussi.

Le grand succès du film engendrera diverses suites tout à fait oubliables qui renchérissent dans l’horreur en cherchant à surfer sur le succès du premier opus.




lundi 7 avril 2014

Tout sur ma mère (Todo sobre mi madre de P. Almodovar, 1999)




Beau film à l'intrigue assez complexe, organisée comme autant de poupées gigognes. Almodovar y multiplie les références cinématographiques, en partant de la même séquence d'ouverture qu'Opening Night : un accident d'un jeune fan (alors qu'il veut voir son idole) lance l'action. Ainsi, en quittant Madrid (où son fils, donc, est mort) pour Barcelone, Huma, dans une narration riche et qui s’épaissit sans cesse, va à la rencontre de son passé.
Mankiewicz est aussi très présent : directement (dans le titre même du film qui fait référence à All about Eve ou par Esteban qui se met à écrire après avoir vu ce film), mais aussi dans le jeu double entre Manuela et Nina, même si, ici, il n'y a aucun arrivisme ni malveillance chez l'une ou l'autre (à l'inverse de la Ève de Mankiewicz).

Le film apparaît alors comme un des plus beaux exemples de tout le talent d'Almodovar, capable de raconter avec une facilité déconcertante des histoires complexes, d'épaissir de nombreux personnages en allant chercher l'humanité au plus profond de chacun d'eux, le tout au travers des thèmes chers au cinéaste : des filiations complexes, des sexualités refoulées ou débridées, des personnages aux blessures sourdes et profondes.

samedi 5 avril 2014

Gladiator (R. Scott, 2000)




Les milliers de péplums qui ont été réalisés montrent combien ce genre fut jadis très en vogue (on pense au cinéma italien ; c’est un peu par ce genre qu’il fit ses premières armes, dès Cabiria). Mais, si l’on cherche un excellent péplum, on aura plus de difficultés. On pense à Spartacus, Jules César, Cléopâtre ou encore Jason et les argonautes ou à quelques autres et, côté box-office, à Ben-Hur. Ridley Scott surprend donc en ressuscitant le genre, avec ce Gladiator réussi.
Le film s'inspire dans les grandes lignes de La Chute de l'Empire romain d'Anthony Mann, avec la difficile succession de Marc-Aurèle par Commode. Ridley Scott propose une mise en scène efficace, avec des scènes de combat dans l’arène percutantes. Russell Crowe, qui accède par ce rôle au rang de superstar, est un très bon général déchu en quête de vengeance, de même que Joaquin Phoenix, qui incarne un Commode particulièrement mauvais. Le film doit beaucoup à ce duo d’acteurs excellents qui, chacun dans son genre, épaississent parfaitement leur personnage.
On reconnaît pourtant les facilités commerciales de Ridley Scott qui viennent entacher bon nombre de ses films. On voit ainsi les limites du réalisateur, en particulier dans des scènes aux ralentis inutiles et mal venues ou lorsqu’il cherche à évoquer les émotions du général Maximus Decimus avec une lourdeur certaine.
Mais, malgré ces quelques séquences mal senties et des effets faciles, le film reste un bon divertissement.


jeudi 3 avril 2014

Pulp Fiction (Q. Tarantino, 1994)




Remarquable film de Quentin Tarantino, qui apporte un ton humoristique original et rafraîchissant, non seulement dans les dialogues et dans ses personnages, mais dans le ton même du film. C’est là sa grande réussite : il ne s’agit pas, comme on le voit dans tant de films d’action, de faire quelques bons mots, mais ici l’humour – qu’on ne peut dissocier d’une prise de distance du réalisateur vis-à-vis de son récit – vient à la fois de dialogues fleuves qui semblent déconnectés de l’histoire, des personnages (tous hauts en couleurs et truculents) et des situations proposées (les deux tueurs Jules et Vincent sont par exemple de remarquables catalyseurs de situations iconoclastes).
Ce ton nouveau (agrémenté d’une bande originale ébouriffante) contribuera à classer immédiatement Pulp Fiction parmi les films « cultes » (et son réalisateur parmi les réalisateurs « cultes »).

Tarantino revisite le film choral en faisant s’entrecroiser plusieurs histoires distinctes aux ressorts complètement différents. Il montre par là même sa très grande qualité de narrateur. En effet les histoires qui s’entremêlent sont très sommaires, mais Tarantino n’en a cure et il joue avec beaucoup de facilité avec ces embryons de récits.
On retrouve déjà la violence qui sera une marque de fabrique du réalisateur, mais avec ce comique (qui va jusqu’au burlesque) qui désamorce les situations (malheureusement, fort de cette réussite, Tarantino aura tendance à exagérer à outrance ce cocktail violence/dérision : même avec la distance du comique, la violence systématique finit par lasser). Formellement, on regrette ces écrans noirs qui permettent de passer d’une séquence à l’autre mais qui découpent le film en une suite de courts-métrages. Il y a là une contradiction : Tarantino joue à mêler ses histoires, mais passe de l’une à l’autre en interrompant complètement son film à chaque fois.

Malgré tout, s’il est un excellent manieur de caméra et, on l’a dit, un très bon narrateur, on sent déjà que Tarantino a bien peu de choses à dire. Ses petites historiettes racontées distraient et amusent mais elles ne dépassent pas le divertissement (1).
Les goûts de Tarantino, très fortement exprimés dès ce second film (et plus encore au fur et à mesure de ses réalisations) ancrent le film dans une époque (celle des années 90). Dès lors, on constate que, vingt ans plus tard, le film semble parfois un peu démodé.



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(1) : Les films suivants du réalisateur confirmeront cette tendance. Et lorsqu’il tente de proposer une réflexion (comme dans Inglourious Basterds ou Django Unchained), on comprend d’autant plus combien il a peu de choses à dire, tant le film peine à approfondir son sujet et ses idées.