mercredi 30 mars 2022

La recette pour un bon blockbuster



On sait que le cinéma, avant même d’être un art, est une industrie. Et l’on sait que si un film peut coûter cher, il peut aussi rapporter beaucoup d’argent. Et l’on a même appris, depuis Griffith, que si un film coûte extrêmement cher, alors il est aussi possible qu’il rapporte énormément d’argent. Les producteurs connaissent parfaitement ces mécanismes amplificateurs mais, en bons investisseurs prudents, ils savent bien que plus le gain potentiel est important et plus le risque est grand. Ils n’investissent donc pas leur argent sans quelques garanties : il convient donc, si l’on veut être financé, de suivre certaines manières de faire qui minimisent les risques d’échec – voire garantissent le succès.
Le réalisateur, alors, n’a plus qu’à faire son film comme l’on suit une recette de cuisine et y glisser les ingrédients nécessaires.


- Procédés scénaristiques :

- Respecter la structure élémentaire du scénario en suivant les règles de base, par exemple celles définies par B. Snyder dans son livre Save The Cat et qui sont largement suivies à Hollywood. On y trouve le programme précis du high concept (scénario calibré pour un succès international), avec les différents points forts incontournables, avec l’exposition, le catalyseur, la grande scène d’action, puis la pause dans l’action, la fausse victoire, enfin le moment où tout semble perdu avant le climax final, etc.
- Proposer une désignation claire des personnages (aussi bien par des scènes dédiées qu’au travers de leur apparence : les bons ont une bonne tête ; les méchants une tête de méchant).

- Respecter des normes d’exploitation (classification PG-13 par exemple : pas de sang – malgré des destructions ou des morts en pagaille –, pas de scènes de sexe explicites, etc.).



- Procédés techniques :

- Utiliser des procédés narratifs simples avec peu d’effets de style (litotes, ellipses ou métaphores sont à éviter) même si certains effets, a contrario, sont à surligner (exemple d’un personnage surpris : acteur très expressif + gros plan après un cut brusque + musique ad hoc).
- Le montage transparent habituel est la norme (raccords regards, raccords mouvements, raccords dans l’axe, fondus-enchainés, etc.).

- Les dialogues sont en champ-contre-champ (on doit voir à l’écran celui qui parle) ; leur rôle est purement informatif.
- Les scènes d’action ont un rythme très élevé, avec énormément de plans très courts, pour une action immersive (allant ponctuellement jusqu’au rythme des jeux vidéo), mais avec des ralentis qui désignent des moments clés (notamment au cœur des scènes d’action, lors de la mort d’un personnage, etc.).

- L’émotion est téléguidée, en particulier au travers de scènes où les effets sont surlignés, ce qui contraste avec un ensemble lisse. Des réparties humoristiques ou sarcastiques 
 qui viennent commenter l'action au moment où elle a lieu ou qui viennent rompre le ton ou l'émotion d'une scène (bathos sont saupoudrées ici et là. L'idée est celle de l'esthétique du « coup de coude », comme si l'acteur, en même temps qu'il jouait, était assis à côté du spectateur dans le canapé et lui donnait régulièrement un coup de coude de connivence.
- La présence d’une bande-son aux allures de playlist permet de pallier à l’absence de substance des images et donne à peu de coût une émotion, quand bien même elle est factice au regard de l’histoire. Le public cible du film est désigné par cette playlist.
- Ne pas hésiter à sonoriser en mickeymousing pour insister sur certains effets (surprise, tension notamment) et utiliser une musique très moderne pour achever de donner un effet clip à certaines séquences (scènes d’action).



- Enrobage final :

Pour servir le plat obtenu, la présence d’acteurs bankables est la bienvenue et la publicité se fera sur le mode de la déferlante : teasers multiples progressivement égrenés, clips, produits dérivés, bande annonce, affichages massifs, sortie mondiale simultanée, etc. Autant que par le film lui-même, le blockbuster s’identifie par son matraquage publicitaire.


Le film est à consommer immédiatement : l’exploitation ne se joue pas sur la durée mais dès le premier week-end. Les sommes énormes récoltées permettent même, le plus souvent, de pallier à un mauvais bouche à oreille. Le nombre de salles distribuant simultanément le film devient alors un élément décisif dans la rentabilité du film.


Au sein des films obtenus, des séquences arrachées à ce cahier des charges sont très rares, même si une ou deux minutes sont parfois grappillées par un réalisateur (le saut en parachute sur fond de Ligeti dans le Godzilla de Edwards par exemple). Mais, à suivre ainsi une recette qui évite le maximum de déconvenues aux producteurs, on comprend bien que l’on est davantage dans l’artisanat que dans l’art, quand bien même cela requiert des compétences techniques et un professionnalisme de très haut vol. Et l'on conviendra, enfin, que cette standardisation liée à une marchandisation à outrance produit des œuvres singulièrement inauthentiques.




lundi 28 mars 2022

Les Horizons perdus (Lost Horizon de F. Capra, 1937)





Avec La Vie est belle, Les Horizons perdus constitue l’autre sommet de l’œuvre de Frank Capra. Sous la forme d’un conte philosophique, Capra dépasse ses utopies gentiment naïves (Vous ne l’emporterez pas avec vous par exemple) et emporte le spectateur dans une fable étrange, exotique et merveilleuse.
Chez Capra, Shangri-La est un monde hors du monde, préservé des hommes et de leurs vices (la jalousie, le profit, etc.) et dont il ne reste que les vertus de tempérance et d’humilité. Il faut toute la foi de Capra pour rendre crédible cette société perdue dans la montagne, pour la dessiner et la faire vivre sous nos yeux. Les scènes avec le Grand Lama sont emplies d’une spiritualité douce et très belle.



L’habileté du film consiste à parachuter plusieurs personnages dans cette vallée isolée, personnages qui n’y trouvent pas tous, d’emblée, leur Shangri-La. Si Colman (très bon Robert Conway) est tout de suite en syntonie avec le lieu, d’autres passagers mettent des semaines à oublier leurs ambitions et les vices avec lesquels ils sont venus, quand le frère de Colman, lui, ne se sentira jamais apaisé et devra repartir. C’est que le Shangri-Là, nous dit Capra, est une affaire personnelle. Il nous exhorte d’ailleurs, en fin de film, à croire en ce postulat merveilleux qu’il y a, pour chacun de nous, un monde où l’on sentira, immédiatement, que c’est là l’endroit qui nous convient, qui nous répond, avec lequel l’harmonie a lieu. On retrouve d’ailleurs la même exhortation à la fin de La Vie est belle (où Capra nous pointait du doigt en nous disant de prendre conscience de notre vie merveilleuse).
Pour Capra, Shangri-La est une vallée perdue et inaccessible au fin fond de l’Himalaya, pour d’autres ce sera un home calme et tranquille au creux de la campagne, pour d’autres un petit val qui mousse de rayons, pour d’autres encore le charme particulier de tel quartier d'une grande ville ou la place calme et sereine d’un petit village. Cerca trova comme disait Vasari.


jeudi 24 mars 2022

John Wick (D. Leitch et C. Stahelski, 2014)

 



Ce film très conventionnel (qui entrainera plusieurs suites) met en scène une énième fois un tueur à la retraite qui reprend du service pour se venger. Rien de bien nouveau, donc, à raconter, et rien de bien nouveau, non plus, pour le dire, tant le film reprend les canons hollywoodiens en vigueur du film d’action.
L'ancien tueur à gages John Wick (Keanu Reeves, qui tient bien le rôle) reprend donc du service 
– sur une intrigue bien mince –, prend des coups, les rend, tue à tout va et se venge. Les amateurs peu exigeants se réjouiront peut-être, mais, pour le reste, John Wick est sans doute à réserver aux soirées entre amis, une bière à la main.



lundi 21 mars 2022

The VelociPastor (B. Steere, 2018)





The VelociPastor
n’est pas qu’un invraisemblable nanar (le scénario, sur ce point, annonce la couleur : un prêtre, bientôt associé à une prostituée, affronte une mafia chinoise et, ce faisant, découvre qu’il peut se transformer en vélociraptor…), il est aussi un trait d’union entre le nanar, donc, et le film suédé. Assumant son absence totale de moyens et d’ambition, il congédie le pseudo-réalisme et assume son carton-pâte, ses gants en caoutchouc et ses figurants mauvais acteurs. Rien ne va dans le film, qui pourrait avoir été tourné par un groupe d’étudiants.

Avec le suédage, apparu à la suite du très quelconque Soyez sympa, rembobinez de Michel Gondry, une catégorie est née, en-dessous du nanar si l’on veut : refaire des films déjà existants, mais sans moyens et sans volonté de cacher les fils des marionnettes, en assumant le bricolage et en laissant trainer des micros dans le champ. Cette idée incongrue mais drôle du suédage fait ainsi le bonheur de nombreux amateurs et autres passionnés qui s’en donnent à cœur joie et refont, dans leur garage ou leur jardin et avec trois bouts de ficelle, une séquence, une bande-annonce ou même une version raccourcie de leur film préféré. Le suédage fait aussi le bonheur de multiples ateliers artistiques scolaires, en étant devenu une sorte de passage obligé qui permet, à peu de frais et en faisant l’impasse sur l’étape toujours compliquée de produire un scénario, de bricoler, patouiller, imaginer et réaliser, somme toute, un court-métrage à peu près présentable. Avec, a minima, l’argument du pastiche, qui recouvre le film obtenu du voile d’indulgence parfois nécessaire.


The VelociPastor
, en définitive, est un nanar de cet acabit (même s’il n’est pas un suédage à proprement parler : il ne reprend pas un film déjà existant, se contentant d'assumer une forme bricolée), à regarder entre potes, avec une bière à la main et à commenter à voix haute. Sans bières et sans amis, le film n’est guère tenable.

 

vendredi 18 mars 2022

Don't Look Up : Déni cosmique (Don't Look Up de A. McKay, 2021)

 



On est un peu surpris des dithyrambes que recueille Don’t Look up qui est une comédie finalement assez peu marquante. Le film démarre d’ailleurs assez mollement pendant la première demi-heure, avant de prendre un meilleur rythme. On retrouve assez peu le style de Adam McKay qui était plus visible dans ses derniers films et réussi dans Vice.
La dénonciation de la collusion entre le gouvernement et les très grandes fortunes est très bien montrée, avec la présidente dégénérée (on se croirait dans Idiocracy) et le gourou richissime et fou qui, sous des dehors de sage doux et affable, est d’une inhumanité absolue. Les médias, comme il se doit, en prennent aussi pour leur grade. Chacun défend ses propres intérêts et le reste importe peu : tout cela est montré avec amusement et sans la gravité lourde et malavisée qu'aurait pu provoquer le sujet.
La question de la fin du monde reprend avec légèreté (c’est sans doute l’un des points forts du film) les thèmes de La Fin du monde de Gance ou, plus récemment, de Melancholia. Mais, ici, le ton est comique et même par moment franchement burlesque. La distribution prestigieuse (notamment Meryl Streep et Leonardo DiCaprio)  n’apporte pas grand-chose, les différents personnages n’étant, en eux-mêmes, pas très intéressants.
On peut voir dans Don’t Look Up une dénonciation des changements climatiques (1) – ce que la presse ne manque pas de souligner – mais, tout aussi bien, la dénonciation de la gestion du Covid ou n’importe quel autre scandale. Le miroir grossissant de la comédie (ne pas regarder vers le ciel où les preuves sont accablantes puisqu'il n’y a qu’à regarder pour voir) fonctionne très bien.
L’épilogue futuriste, qui glisse dans la science-fiction pure, est très drôle.



________________________________

(1) : Juste une remarque, purement scientifique, qui gène un peu ce parallèle avec le changement climatique : autant la trajectoire d’une comète est facile à calculer avec précision et certitude, autant la prévision des conséquences des changements climatiques observés suppose des modélisations complexes, très complexes même, qui avalent une quantité considérable de données et donnent un champ des possibles, qui sont bien loin des certitudes relatives à une trajectoire céleste. Le « il n’y a qu’à regarder pour voir » proposé par le film ne fonctionne pas du tout en ce qui concerne le futur climatique de la planète.



mercredi 16 mars 2022

Mandibules (Q. Dupieux, 2020)

 



Comme souvent avec Quentin Dupieux, Mandibules nous entraîne dans une histoire très acadabrantesque et à demi-fantastique. Mais la narration se tient, et le film ne joue pas de l’absurde ou de la mise en abîme (comme dans Rubber ou Réalité). On suit ici, sur quelques jours, deux branquignoles incapables qui se targuent d’apprivoiser une mouche géante. Le personnage de Manu, hirsute et béat, revisite le Big Lebowski (même si Le Duc, pour incapable qu’il est, n’est pas non plus un sommet de stupidité comme Manu et son comparse).
Bien entendu Dupieux garde toujours la même distance avec le réel et avec le sérieux, mais la bêtise (même assumée) des deux zozos – et qui est le moteur de l’action – fatigue quelque peu. Certaines situations sont bien vues (lorsque le flic reconnaît son ancienne amie ; lorsque l’amie hystérique est accusée d’avoir mangé un chien) mais tout cela tourne un peu à vide.

Cela dit la séquence finale – avec la pseudo-tirade sur l’amitié et une dernière image amusante 
est très réussie.
 

 

lundi 14 mars 2022

Stereo (D. Cronenberg, 1969)

 



Le premier film de David Cronenberg tient bien plus du cinéma underground et de l’exercice d’Art et essai : disons que lorsqu’il le réalise, il n’y a pas encore, chez Cronenberg, l’idée d’être cinéaste, de réaliser film après film et d’explorer, comme il l’a fait ensuite, tel ou tel motif.
Mais si Stereo est bien loin des grandes réalisations postérieures de Cronenberg, il contient, en même temps – et c’est en cela qu’il est surprenant –, les prémices de ses motifs et de ses thèmes favoris. Présenté en forme de documentaire sur une expérience scientifique, le film est sans dialogue mais avec une voix off qui offre une description scientifique qui commente l’image. Cette expérience scientifique interpelle parce qu’on retrouvera (dans Scanners ou dans Chromosome 3) la même idée, avec une relation de cobayes progressivement abandonnés à leur maître.
Mais on est surpris : Stereo montre peu – la faute, bien sûr, aux maigres moyens et au peu d’ambition du réalisateur –, alors que le cinéma de Cronenberg est, au contraire, basé sur la monstration et sur le surgissement au cœur du plan. Cette expression visuelle des traumatismes, des pensées, des cauchemars est d’ailleurs l’une des forces de Cronenberg. C’est en particulier le cas pour Scanners et Chromosome 3, qui emmèneront plus loin l’expérience en matérialisant – et donc en faisant surgir dans le plan – ce qui hante le cerveau.




vendredi 11 mars 2022

Dikkenek (O. Van Hoofstadt, 2006)

 



Comédie belge revendiquée et outrée, Dikkenek fait partie de ces films où absolument tous les personnages que l’on croise sont des caricatures. Que quelques personnages soient exagérés, grossis ou malmenés par le miroir déformant que se veut être le film, certes, mais là il n’y en a pas un qui y échappe : tous sont lourds, outrés, appuyés. On a beau être dans une comédie, la charge est lourde.
Le film alors profite et pâtit tout à la fois de ce principe de départ : il met en scène plusieurs personnages hauts en couleurs qui sont réussis mais, par ailleurs, le tout a bien du mal à être davantage qu’un ensemble de personnages qui se cherchent, se croisent, se frappent, se mélangent ou se désespèrent.
Il manque un liant certains à cette étrange galerie.
C'est que Dikkenek tourne autour de deux personnages pivots aussi « grande gueule »  l’un que l’autre, avec Jean-Luc Couchard – qui fait un mix improbable entre Benoît Poelvoorde et Joe Pesci – et François Damiens, dont la force comique et l’abattage donnent une grande énergie au film. Autour d’eux tout le monde s’agite en tous les sens. On s’amuse de réparties cinglantes, de situations parfois incongrues, du bagout de Couchard, des tirades de Damiens ou du comique répétitif (Greg qui se fait cogner sans cesse), même si l’ensemble n’a ni queue ni tête, reste un peu foutraque et, pour tout dire, fatigue quelque peu. Pourtant le film, après un échec à sa sortie, se construit peu à peu une certaine renommée auprès d'un public de fans.
La distribution étonne pour un premier métrage avec plusieurs acteurs de renom dans les seconds rôles. Si Florence Foresti est fatigante (comme quoi le ton du one-man-show ne va guère au cinéma, même pour un personnage caricatural), la médiocre Marion Cotillard, pour une fois, puisqu’il s’agit de jouer la caricature – sans finesse donc, et en surjouant à peu près chaque mot et chaque expression –, s’en sort en maîtresse d’école hystérico-camée.