vendredi 31 mars 2017

Zelig (W. Allen, 1983)




Exceptionnel film de Woody Allen, qui prend appui sur deux idées de génie, l’une purement scénaristique, l’autre formelle.
Cette idée d’un homme-caméléon qui s’identifie physiquement et intellectuellement aux personnes qui l’entourent, est somptueuse : Leonard Zelig est une image ultime du conformisme. Voulant plaire à autrui, Zelig, sans cesse, devient autrui. On a là une représentation, délicieusement exagérée, de qui veut plaire, de qui veut flatter autrui, de qui est toujours d’accord sur tout, de qui n’existe qu’au travers de la pensée dominante (avec le terrible confort du fascisme en ligne de mire).



Le corollaire est que Zelig, évidemment, laissé seul face à lui-même, n’existe guère. Il n’a pas de personnalité, pas d’opinion, pas de particularité. Il devient ce que sont les autres.
Et, brodant inlassablement sur ce thème, le film regorge d’idées (face au docteur, Zelig est insoignable puisqu’il se sent médecin ; soigné malgré tout, par un tour de passe-passe amusant, voilà Zelig trop bien soigné puisqu’il ne supporte plus la moindre contradiction, etc.).

La mise en œuvre est l’autre idée de génie : le film se présente sous la forme d’un faux-documentaire qui alterne images d’archives, fausses interviews et trucages avec une véracité incroyable et une imagination incessante et jubilatoire. Allen s’amuse à montrer une multitude d’images d’archives ou de références qu’il déforme et adapte (Forrest Gump n’apparaît alors que comme une pâle copie) et il incruste son étrange personnage multiformes à la place de Lindbergh dans sa parade, aux côtés de Chaplin ou de Scott Fitzgerald et va jusqu’à Rome déranger le pape ou, dans une image étonnante et très drôle, interrompre Hitler en plein discours. Les années 30 sont revues et corrigées avec foisonnement et truculence. Les trucages sont parfaits et les interviews factices des différents protagonistes plus âgés sont plus vraies que nature.

Le film, en plus d’une réflexion puissante sur le conformisme, propose une multitude de mises en abyme. Il peut se voir comme la volonté incessante du peuple juif à s’insérer ou encore comme les recherches cinématographiques d’un Woody Allen protéiforme qui s’essaye à de nombreuses formes cinématographiques. Le film, enfin, qui est en fait une déclaration d’amour (puisque Zelig sera sauvé par l’amour que lui porte son médecin), est aussi une mise en image de l’histoire d’amour entre Woody Allen et Mia Farrow.


mercredi 29 mars 2017

The Lost City of Z (J. Gray, 2016)




Film assez décevant de James Gray, qui manque incontestablement d’un souffle épique qu’il recherche pourtant. L’histoire de Fawcett promettait d’être fascinante mais elle se suit assez mollement, avec des ruptures de rythme, de grandes ellipses et de (trop) longues scènes intimistes convenues qui font passer bien peu d’émotion.
Si Fawcett part à reculons pour son premier voyage en Amazonie, on comprend qu’il se passionne pour ce qu’il découvre. On comprend que, par défi face au rejet de ses pairs, il s’obstine ; on comprend ensuite, que, peu à peu, la passion tourne à l’obsession. On comprend tout cela mais on ne le ressent pas. On n’entre pas dans le cerveau de Fawcett, dans sa monomanie, dans son obnubilation.
Quelques belles images, une reconstitution appliquée, un aperçu des croyances des élites intellectuelles de l’Angleterre au début du XXème siècle, cela ne suffit guère pour un film de cette ampleur et avec une telle ambition.


Il faut dire que ces films d’aventure et d’exploration sont un peu coincés entre deux tendances. Ou bien le film lorgne du côté de l’aventure pure, avec de l’action, des rebondissements, des découvertes (on pense alors à Indiana Jones qui s’impose comme référence) ; ou alors le film cherche à entrer dans le crâne de l’explorateur, au plus près de ses sensations ou de sa folie. On pense alors à Aguirre, à Dersou Ouzala, au Nouveau monde ou, pourquoi pas, pour un film à la frontière entre plusieurs genres, à Apocalypse Now. Le film de Gray lorgne évidement du côté de ce second groupe (Aguirre est cité plusieurs fois) et l’histoire a tout pour construire un tel type de récit avec un Fawcett qui est d’abord piégé par sa condition et bientôt par son destin : découvrir cette cité qui l’obsède. Et sa relation à son fils aîné permettait un effet démultiplicateur (fils délaissé longtemps et finalement alter ego auprès duquel il se sent un passeur).
Mais, si le film délaisse clairement le pur récit d’aventure, il ne parvient pas non plus aller au-delà de quelques moments ou de quelques images : il n’y a rien derrière les images, rien qui ne vienne les hanter.
L’image finale recèle ce que le film aurait pu montrer : immerger Fawcett dans la jungle, même quand il est en Angleterre auprès des siens. Mais cette très belle image (sa femme, vue dans un miroir, qui s’enfonce dans la jungle), ne fait que ressentir davantage ce qui manque au film.

samedi 25 mars 2017

Douze hommes en colère (12 Angry Men de S. Lumet, 1957)




Adapté d’une pièce de théâtre, ce film célèbre a peut-être une notoriété qui dépasse ses qualités propres ou disons, son intérêt. Rien à dire sur la réalisation ou le jeu des acteurs : Sydney Lumet, dont c’est le premier film, s'appuie sur un excellent Henri Fonda, dont le ton calme et la voix posée passe très bien dans cette incarnation d’un monsieur Tout-le-monde qui s’interroge.
Ce huis-clos – l’essentiel du film se déroule dans la salle de délibération à l’atmosphère oppressante et moite – est très efficace, de même que l’hésitation grandissante, parmi les jurés, quant à la culpabilité du jeune noir. Cette concentration du film sur la salle de délibération est assez rare puisque si le film de procès est un grand classique du cinéma, on voit le plus souvent les effets de manche des avocats qui s'affrontent, à coups d'arguments et de contre-arguments, ou le dévoilement, à grands coups de suspense, de la décision finale du jury. Mais on ne voit jamais, justement, ce qui se passe dans la salle de délibération. Et l'accent est mis sur les motivations, les raisonnements (ou l'absence de raisonnements) des jurés. De sorte que le spectateur est mis dans la position de juger les jurés.

Cela dit, si le film se veut une réflexion sur la justice, il apparaît comme une approche de l'erreur judiciaire (bien plus qu'un réquisitoire contre la peine de mort, comme on le lit souvent). Pourtant le système judiciaire américain, paradoxalement, en sort grandi, puisque l’unanimité est demandée et que le « doute légitime » suffit à sauver un accusé. Ce sont les hommes qui n’en sortent pas grandis : la légèreté de leurs votes (certains veulent voter vite fait pour pouvoir s’en aller et sortir de cette pièce où on étouffe) et leur manque de réflexion (de prime abord ils avalisent la culpabilité de l’accusé, avant, dans un second temps seulement et très progressivement, de se rendre compte que les choses ne sont pas aussi simples) montrent combien l’humain est inconstant et combien compter sur lui pour juger son prochain n’est finalement rien de plus que la moins mauvaise des solutions.



On regrette aussi que le film, s'il est efficace, expose un cas un peu facile. Lumet a bien dû le sentir puisqu’il traitera à de nombreuses autres reprises du thème de la justice, complexifiant progressivement les situations, jusqu’à coller au plus près du réel (dans Le Prince de New York en particulier). On a davantage l’impression, ici, d’un cas didactique mais très abstrait. Et on se demande ce qu’a bien pu faire l’avocat de l'accusé, pendant le procès pour ne pas avoir démonté l'accusation (comme le fait le juré 8, qui incarne ici la droiture sans préjugés du Juste). On peut prétexter un avocat commis d’office et peu motivé (ce qui est probablement le cas pour défendre un jeune noir pauvre) mais tout de même, la situation apparaît un peu facile. Henry Fonda a finalement plus la position d'un avocat que celle d'un juré. On est bien loin de l’ambiguïté (ambiguïté due à ce qu’elle colle au réel) du Prince de New York.

vendredi 24 mars 2017

Le Feu follet (L. Malle, 1966)




Adapté d’un roman de Drieu La Rochelle, Louis Malle propose un film très moderne dans sa forme, en faisant errer son personnage principal, Alain Leroy, et en accompagnant avec une mélancolie détachée ses journées emplies de futilités et de béances. Si le ton est mélancolique (la musique de Satie étant sans doute trop belle pour accompagner la déambulation triste d’Alain), la fin sera tragique.
Le film est servi par un très bon Maurice Ronet (le film en fait lui doit beaucoup), qui incarne parfaitement cet homme revenu d’une cure de désintoxication mais qui ne parvient pas à prendre pied dans la société.
Alain boit pour ne pas voir la vie autour de lui. Quand il revient, désintoxiqué, il ne parvient décidément pas à accepter cette société. De même il n’accepte pas que, en vieillissant, son rapport au monde doive encore changer. Son suicide n’était pas du tout inéluctable, il le devient. Alain est en fait poussé au suicide, il se sait trop en marge des gens qu’il côtoie, qu’il ne comprend pas et qui ne le comprennent pas.



mercredi 22 mars 2017

Les Tueurs (The Killers de R. Siodmak, 1946)




Excellent film noir, à la narration en flash-back complexe mais passionnante et qui distille son atmosphère noire de fatalité avec efficacité. Ce destin implacable, si typique du genre, enserre impitoyablement Anderson (très bon Burt Lancaster dans son premier rôle, avec son grand corps athlétique, fragile et gauche) : manipulé par Colfax et ses sbires, il tombe sous l’emprise de la belle Kitty (Ava Gardner, parfaite femme fatale et envoûtante) ; Anderson névrosé, coincé dans son cauchemar, perdu, trahi, maudit, mort avant l’heure.
La narration est captivante : après que des tueurs ont exécuté leur contrat (dans un prologue éblouissant), on suit l’enquête de Reardon qui se révèle de plus en plus oppressante à mesure qu’elle permet de comprendre ce qui s’est passé (au niveau scénaristique – et non pas en ce qui concerne l’atmosphère – on retrouve les grandes lignes de Citizen Kane).
La première séquence, qui voit les deux tueurs arriver dans la petite ville de Brentwood, est exceptionnelle et peut être considérée comme un modèle du genre, avec sa photo contrastée, ses tueurs à gage venus de nulle part pour accomplir leur contrat et son atmosphère noire oppressante.



Le match de boxe est resté célèbre par sa violence qui rend le personnage infiniment loser, avec cette carcasse musclée qui semble trop grande pour lui. De même, le hold-up, filmé en plan-séquence depuis une grue, est une réussite spectaculaire. Ce mouvement contraste avec la multitude de plans en intérieur, serrés, qui écrasent les personnages dans un noir et blanc obsédant (on n’est pas loin de l’expressionnisme chez Siodmak, qui est resté influencé par les réalisateurs allemands, son pays d’origine).
Révélant Burt Lancaster et Ava Gardner, confirmant Siodmak comme maître du genre, Les Tueurs est un des plus grands fleurons du film noir.



On notera la reprise remarquable, mais en-dessous de l’original et avec une narration différente, dans A bout portant de Don Siegel. On s'intéressera aussi aux Tueurs de Tarkovski, court métrage qui reprend les premières séquences du film (l'arrivée dans le bar). La comparaison avec Siodmak est passionnante, d'autant plus qu'il s'agit d'une construction, d'un rythme et d'un thème que ne filmera jamais plus Tarkovski, dont l'oeuvre postérieure sera bien éloignée du film noir.


lundi 20 mars 2017

Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets de R. Hamer, 1949)




Excellent film noir à l’humour so British, délicieux et caustique. Très drôle, le film doit beaucoup au détachement du personnage principal qui raconte son histoire avec un flegme délectable et il s'en remet aussi à la performance d’acteur d’Alec Guinness, qui interprète pas moins de sept rôles différents. L’inventivité et l’humour avec lequel les meurtres sont commis par Mazzini pour remonter dans l’arbre généalogique de la famille d’Ascoyne rendent le film truculent.


L’aristocratie de la période édouardienne, décrite avec un terrible cynisme, en prend pour son grade. Il ne reste que la morale, sauvée par un ultime tour de passe-passe. On tient là le chef-d’œuvre du genre.


samedi 18 mars 2017

Argo (B. Affleck, 2012)




Thriller assez quelconque : sous le prétexte d’une situation historique propice, Ben Affleck propose finalement un film appliqué mais sans surprise. On aura bien du mal à trouver un intérêt à ce sujet tel qu’il est traité : on suit sans tension l’exfiltration des diplomates coincés en Iran, sans jamais douter un instant de la réussite de l’entreprise, malgré les effets de suspense que le réalisateur tente d’essaimer.
Ben Affleck est un acteur souvent assez quelconque (ici son personnage, pourtant central, est très insipide) et, en ce qui concerne ses qualités de réalisateur, on n'est guère convaincu par Argo (malgré le grand succès rencontré).

jeudi 16 mars 2017

Entr'acte (R. Clair, 1924)




Film surréaliste (et même dadaïste) qui fut projeté à l'entracte d'un ballet dadaïste en 1924. Le film manipule l’image, superpose des plans, les dédoublant ou les renversant et joue avec des associations d’idées étranges, absurdes, incongrues, contradictoires. 
Une certaine frénésie se dégage, autour de cet enterrement plein de rebondissements, à demi-fêté et qui se termine avec l’absurdité qui sied au surréalisme.


mardi 14 mars 2017

Qu'est-il arrivé à Baby Jane ? (Whatever Happened to Baby Jane? de R. Aldrich, 1962)




Excellent film de Robert Aldrich qui emmène sa situation initiale très loin, provoquant une outrance malsaine dont on ignore jusqu’où elle ira.
Préfigurant les films de séquestration, l’emprise sans cesse plus abominable de Jane sur Blanche va crescendo et, en fait, ne cessera jamais. On reconnaît là Aldrich, qui a le nez creux de réunir les deux stars qui n’ont plus la côte et qui se détestent, mais Aldrich tient son monde et parvient à rénover le genre du thriller horrifique en imposant un huis-clos névrotique, qui va jusqu’à la folie.


Le numéro d’actrice est fabuleux, avec Bette Davis qui trouve une seconde vie d’actrice en vieille acariâtre épouvantable (on la retrouvera, aussi épouvantable mais moins violente, dans L’Argent de la vieille). Le génie d’Aldrich explose dans la séquence finale.


dimanche 12 mars 2017

Black Coal (Bai Ri Yan Huo de Diao Yi'nan, 2015)




Excellent film noir qui propose une revisite étonnante du genre. Réaliser un film noir original n'est pas une mince affaire tant le genre a été codé par le cinéma américain et tant il a été décliné mille et une fois.
Mais Diao Yi'nan réussit cette gageure avec maestria : il emporte le spectateur dans une ville industrielle, charbonneuse, glacée et noire du Nord de la Chine, et fait s'empêtrer l’inspecteur Zhang Zili dans une sordide histoire qui se met en place lentement, à coups de détails glauques, d'ellipses éblouissantes et de séquences qui sont autant de coups de théâtre.
L'explosion de violence chez le coiffeur (début de la descente aux enfers pour Zhang) s'accompagne d'une explosion visuelle avec des couleurs détonantes, dans un ensemble jusque-là terne et gris.



Un peu plus tard, l'ellipse de quinze ans en un long plan séquence sous la neige, interrompu d’un cut et d’un demi-tour, est une brillante démonstration technique mise au service d'une narration virtuose.


Les personnages s’épaississent au fur et à mesure du film, avec ce qu’il faut de destin qui les étreint (comme dans tout film noir). Zhang parvient à une difficile rédemption, lui qui apparaît perdu après l’ellipse temporelle de quinze ans ; de même Wu, longtemps fantomatique, éternellement suivie par son mari prétendument mort.
L'histoire elle-même est très complexe et bien comprendre ses tenants et aboutissants demande plusieurs visions (et le film s’enrichit à chaque nouvelle vision), la seconde vision permettant de passer par-dessus les surprises (qu'elles soient scénaristiques ou de mise en scène) pour mieux commencer à intégrer tous les pions disséminés par Diao Yi'nan et qui sont lentement raccordés les uns aux autres. C’est que rien n’est clair et net dans cette histoire, tout semble opaque, caché, les vérités sont sordides et restent longtemps indicibles. La peinture sociale de cette Chine du Nord est très dure, âpre, glacée.



Le titre original du film (en chinois « feux d’artifice en plein jour »), en plus de faire écho à la boîte de nuit qui est une étape importante de l’enquête, annonce le final en suspens.


vendredi 10 mars 2017

Au fil du temps (Im Lauf der Zeit de W. Wenders, 1976)




Étonnant film de Wenders, empreint d’une nostalgie, d’une chaleur ou d’une poussière un peu étrange et lointaine. Road-movie sur fond de cinéma, de rock, d’introspection, Wenders européanise ce genre très américain et décrit une contemplation tranquille et lente, détachée du monde. Les deux personnages, atypiques, qui fond un bout de chemin ensemble, cherchent – sans chercher vraiment – des réponses, sans les trouver vraiment.
Les années passant, ce film de plus de quarante ans se voit maintenant doté d’un charme désuet supplémentaire.
Le film évoque le charme du cinéma, de l’enfance, de la lenteur calme des paysages qui défilent. Il est une errance sans véritable but – il est en cela très moderne – qui emmène ses protagonistes, ici, là et ailleurs, au fil du temps, donc.


mercredi 8 mars 2017

La Vie criminelle d'Archibald de la Cruz (Ensayo de un crimen de L. Buñuel, 1955)




Très bon film de Luis Buñuel, empli de fétichisme, de pulsion, de foi et de cette fascination démoniaque typique du réalisateur.
Le film reprend en écho la première séquence, clef, où le jeune héros découvre avec effroi et fascination l’association entre ses premiers émois (les jambes découvertes de sa gouvernante affalée) et le sang versé.



Cette association persuade Archibald d’être démoniaque et Buñuel, toujours très à l’aise pour passer par l’image pour exprimer les pulsions des personnages, s’ingénie à jouer avec les symboles qui font naître ses pulsions morbides : les jambes de Patricia, le visage de Lavinia entouré de flammes ou la pureté supposée de Carlotta, elle seule capable, pense-t-il, de le guérir de ses pulsions criminelles.


Les pulsions enfouies remontent en surface et il n’est qu’un ensemble de circonstances qui l’empêchent de passer à l’acte et qui, dans un sens, font le travail à sa place. Le film est traversé de l'intelligence ironique de Buñuel
Archibald sera absous par le commissaire (la pensée n'est pas criminelle !) et il faut remarquer que c’est l'un des rares films de Buñuel où le héros guérit et semble à même d'être heureux.

lundi 6 mars 2017

Que le spectacle commence (All That Jazz de B. Fosse, 1979)




Bob Fosse choisit de traiter un thème dur (l’imminence de la mort) au travers de la forme joyeuse et dansante de la comédie musicale. Et ce mélange de prime abord étrange réussit parfaitement : le film équilibre l’humour, l’ironie, l’inventivité et la musicalité tout en racontant le malaise cardiaque fatal de Joey Gideon, chorégraphe réputé obsédé par son travail.
Bob Fosse réalise un film très autobiographique, dont l’idée lui est venue à la suite d’un accident cardiaque. Joey Gideon (très bon Roy Scheider) est ainsi un double du réalisateur – jusque dans son look : tout en noir avec sa petite barbiche – et on le suit dans la préparation d’un spectacle musical et dans le montage d’un film. On pense à Huit et demi, avec ce regard de l’artiste sur tout ce qui le submerge, sa peur de ne pas tenir, de ne pas satisfaire sa propre exigence créatrice, d’être fauché par la mort.



Et le talent de Fosse lui permet de passer outre la minceur du scénario (on peut résumer l’histoire, sans rien omettre d’essentiel, en une phrase) pour, à la fois, représenter sa peur de la mort, figurer la vie par la danse, montrer la préparation de façon semi-documentaire du montage d’un show et participer de l’enterrement du genre en assumant un aspect kitsch et outrancier qui répond à la morbidité du sujet.
La danse (dans des chorégraphies typiques de Fosse) devient une figuration de la vie, de l’urgence du corps à exister, de l’existence éphémère. L’aspect métaphorique des numéros explose à la fin, lorsque la mort, fascinante et fatale, et avec laquelle Joey a palabré tout le film, lui tend ses bras.

Le rituel matinal de l’artiste vient génialement scander le film, au son du concerto pour cordes et basse de Vivaldi. On y voit Joey, de plus en plus usé par son rythme de vie, les drogues, les boissons, les femmes. Mais pourtant, à chaque fois, le spectacle doit continuer.



samedi 4 mars 2017

Embrasse-moi, idiot (Kiss Me, Stupid de B. Wilder, 1964)




Sous les dehors d’une comédie qui confine au loufoque, le regard de Billy Wilder est d’une très grande cruauté. S’il a une compassion certaine pour les femmes perdues (ici Kim Novack en Polly), son trait est vif et violent contre la bonne société : le mari est prêt à tout – y compris à compromettre son couple – pour vendre ses chansons. Et on aurait tort de s’en tenir au happy-end imposé par le genre : au-delà des prétextes et des faux-semblants, et le mari et la femme sont allés jusqu’à déserter le lit conjugal, l’un avec une prostituée, l’autre avec la star de passage. On comprend que les ligues de vertus américaines aient pu être offusquées.
Il est dommage que quelques scènes soient un peu forcées, parce que la dernière partie – à partir du moment où la femme de Spooner, mise à la porte, se retrouve dans la caravane de Polly – permet au cercle infernal de se refermer et à Wilder de montrer tout le cynisme de la société américaine.
Le ton comique et décontracté du film permet à Wilder, comme souvent (du Gouffre aux chimères à La Garçonnière), une critique de la société américaine très dure et sans concession.


jeudi 2 mars 2017

Hangover Square (J. Brahm, 1945)




Intéressant film noir « victorien », même s’il ne rejoint pas les meilleures réussites du genre. La faute à un scénario qui s’emmêle un peu en préférant partir sur l’axe de la description d’une histoire plutôt que sur la construction d’un suspense. Dès lors on suit sans déplaisir mais sans grande surprise les moments de folie de George Bone et l’on n’est guère tenu en haleine.
C’est regrettable, parce que la réalisation exubérante et expressive joue à merveille de l’ambiance noire des rues embrumées, des becs de gaz et des yeux écarquillés de Bone pris de folie.
Il faut retenir la dernière séquence du concert où le compositeur, pris de folie, revoit tous ses actes meurtriers. Malgré le bémol scénaristique (le concert aurait dû être le moment de nous révéler ses actes au lieu de simplement nous les faire revivre) cette séquence est exceptionnelle.