vendredi 30 avril 2021

L'Aventure vient de la mer (Frenchman's Creek de M. Leisen, 1944)

 
 


Réjouissant film d’aventure de Mitchell Leisen, empli d’exotisme et de romantisme, qui joue à plein et avec un plaisir évident à rassembler tous les codes du genre (la belle rousse éprise d’aventure, le pirate charismatique, les gentilshommes ridiculisés, le bateau au creux de sa crique, les duels à l'épée, l’attaque audacieuse, l’évasion spectaculaire, etc.). Tout cet ensemble est ici admirablement équilibré, avec ce qu’il faut de légèreté, de tons chatoyants, d’extérieurs aux couleurs magnifiées, de brumes étranges et de vieilles pierres. On retrouve un peu, dans une version plus adulte mais tout aussi chatoyante, le charme des Contrebandiers de Moonfleet, le cimetière et le trésor en moins, le bateau de pirates en plus.


Et il est amusant de voir comment le film écartèle la belle Dona (Joan fontaine, parfaite) entre l’appel du large et sa raison qui lui commande d’élever les enfants. Chers enfants, oubliés tout au long de l’histoire, et qui reviennent à la conscience de Dona, en toute fin de film, in extremis, comme on retrouve sa raison au réveil, comme pour clore cette parenthèse enchantée.

 

mercredi 28 avril 2021

A Dangerous Method (D. Cronenberg, 2011)




Fidèle à sa nouvelle trajectoire cinématographique depuis A History of Violence, David Cronenberg explore d’autres voies, laissant de côté ses anciens thèmes de prédilection (la métamorphose des corps, les liens entre l’organique et le minéral, entre la pensée et l’organique). Mais, pourtant, A Dangerous Method revient sur les questions de l’inconscient, en le prenant à la racine, si l’on peut dire, avec les débats entre Freud et Jung, avec Sabina Spielrein au milieu.
Sous des dehors classiques qui semblent ne mettre en scène qu’un débat d’idées (c’est un film en costumes ; sans violence et, bien sûr, sans ces moments gore qu’a affectionnés Cronenberg si longtemps), le film développe un langage savant d’images qui sont comme une expression du subconscient et complètent ce que les personnages ne disent pas. Et les tensions naissent et se développent, chez les trois protagonistes, à leur corps défendant, avec ce qu’il faut d’ellipses, de cuts, de jeux sur des cadrages ou sur la profondeur de champ.
S’il s’agit de montrer un moment d’une quête intellectuelle (prise en cours de route, et qui reste inachevée), l’ensemble ne passionne pas vraiment : ce bout de chemin intellectuel est peut-être trop court et il ne semble pas décisif (si ce n’est dans la rencontre puis la séparation de Freud et Jung).

 


lundi 26 avril 2021

Les Neiges du Kilimandjaro (The Snows of Kilimanjaro de H. King, 1952)



Adaptation très hollywoodienne (et trop hollywoodienne, en fait, pour être émouvante) de la nouvelle d’Hemingway. Gregory Peck est ici dans un rôle qui ne lui va guère : son visage trop lisse, qui convient parfois si bien, ne rend pas compte des délires et des douleurs de Harry Street, dont on verrait volontiers le front barré de rides plus marquées. Les angoisses, la décadence, les délires fiévreux : tout cela marque davantage le visage. Son jeu trop classique (ici trop forcé) peine à rendre le personnage crédible.
On préférera les rôles féminins (Susan Hayward et Ava Gardner) mais l’ensemble, même s’il se suit sans ennui, peine à tenir en haleine et à émouvoir. Et la fin, comme pour en rajouter, s’étire trop en longueur et, qui plus est, s’avère sans surprise aucune.


 

vendredi 23 avril 2021

L'Arbre aux sabots (L'albero degli zoccoli de E. Olmi, 1978)




Fresque paysanne sur quatre saisons, L’Arbre aux sabots, dans son attache au terroir et sans autre narration que celle de montrer un quotidien, immerge le spectateur dans la vie italienne rurale, rude et dure, avec, en arrière-plan, le rapport difficile entre propriétaires terriens et simples paysans. Le film évoque bien sûr le Farrebique de Rouquier mais il rejoint aussi La Terre tremble de Visconti ou encore le 1900 de Bertolucci (mais en moins politique que ces deux derniers films).
Ermanno Olmi, très nettement, se positionne en héritier du néo-réalisme, en conservant certains grands principes (des acteurs non professionnels, une rugosité dans la vie authentique qui est montrée sans fard), mais en prenant des libertés à la fois en décalant son histoire à la fin du XXème siècle (renonçant ainsi au principe essentiel du néoréalisme de descendre avec une caméra hors du studio et de saisir la vie directement) et, davantage encore, en prenant des partis-pris esthétiques très nets, aussi bien dans le rythme très contemplatif que dans la beauté visuelle des plans.
Pourtant, malgré de magnifiques séquences (la descente en péniche par exemple), cette longue fresque a quelque chose d’un peu vieilli, d’un peu passé. Un comble pour une histoire qui se veut hors d’âge, aussi bien dans la forme que dans son discours.




mercredi 21 avril 2021

La Route des Indes (A Passage to India de D. Lean, 1984)



La Route des Indes nous plonge dans l'Inde des années 20 et, si David Lean sait filmer avec majesté les fleuves, les flancs de montagne, les lumières ou les foules, il ne cherche pas à retrouver le légendaire lyrisme de Lawrence d'Arabie. Ici Lean, au contraire, et paradoxalement, presque, cherche à scruter au plus près ce qui traverse le cerveau de ses personnages, aussi bien Adela, remplie d'émotion par l'Inde, que Aziz Ahmed, le docteur qui admire, dans un premier temps, l'Empire britannique, avant de s'en détourner, subissant un opprobre injuste. Ahmed symbolise d’ailleurs parfaitement l’Inde : tenté par l’Empire britannique qu’il admire, vêtu à l’occidental, volontiers ami (et obséquieux) avec les Anglais, il rompt complètement après son procès, redevenant Indien de cœur et d’allure. Ce regard sur le personnage, allié à l’émotion de la jeune Anglaise découvrant l’Inde et ses charmes est tout à fait réussie. La Route des Indes annonce alors parfaitement, avec un quart de siècle d’avance, la rupture profonde qui va s’opérer entre ces deux pays qui, bien que proches et liés, irrémédiablement, vont se séparer.
On reste en revanche plus réservé sur le personnage campé par Alec Guinness : le professeur Godbole évoque irrésistiblement l'ami Peter Sellers, ce qui donne une touche comique involontaire au personnage. Ce pont entre les deux acteurs, en revanche, est un écho aux débuts de Peter Sellers, dont on sait qu'il fut, dans ses débuts, un second rôle auprès d'Alec Guinness lui-même, alors que celui-ci régnait sur la comédie à l'anglaise.


 

lundi 19 avril 2021

La Glorieuse parade (Yankee Doodle Dandy de M. Curtiz, 1942)



Ce célèbre film de Michael Curtiz, s'il doit être replacé dans un contexte de propagande (il fut tourné pendant la guerre), est envahi par un élan, une bouffée d'énergie qui fait plaisir. Cette vitalité est due tout autant à Curtiz, qui sait parfaitement rythmer un film, qu’à James Cagney, parfait ici, et dont les talents de danseur lui permettent de bondir en tous sens.
On avait vu Curtiz à l'œuvre avec Errol Flynn : épaulé par un grand acteur, il est décidément très fort. Bien sûr Cagney restera éternellement cette figure du gangster, mais ce détour du côté du musical lui va très bien. Curtiz, d’ailleurs, se plait à montrer les shows de George Cohan sur scène, le plus souvent avec sa famille, dans de longues séquences dansées ou chantées qui rapprochent le film d’une comédie musicale.





samedi 17 avril 2021

Gandhi (R. Attenborough, 1982)



Ce fameux film de Richard Attenborough, s'il fut couvert d'Oscars, laisse un peu sur sa faim. Certes il retrace les grands traits de la vie de Gandhi, certes Ben Kingsley est remarquable dans le rôle-titre, certes le message sur la non-violence, sur la  dignité d'un individu et d'un peuple sont remarquables. Mais, derrière l'hagiographie – qui ne laisse guère de place pour un regard critique sur Gandhi – il ressort bien peu de choses en définitive : à se fixer uniquement sur Gandhi, on ne comprend pas tout ce qui se passe de ce moment clé de la décolonisation de l'Inde.
Gandhi nous dit qu'un jour les Anglais comprendront qu’ils ne sont pas chez eux en Inde et qu’alors, ils partiront. Et un jour, effectivement, ils partent. Mais on ne comprend pas ce revirement chez les Anglais qui, finalement, acceptent de partir. On aurait voulu voir, à l'image, en scrutant des visages, des atmosphères ou des silences, en montrant la dissonance entre l'Anglais et l'Indou, ce qui se passe chez les Anglais, ce qui les convainc, ce qui les convertit. Mais Attenborough ne s’intéresse pas vraiment à autre chose que son personnage, sur lequel il reste fixé en permanence
et qui n’est même pas un prétexte (à l’exploration de l’Inde, à la décolonisation, à comprendre les rapports humains, etc.) : il n’en a que pour Gandhi.
Et, à ce manque sur l’attitude anglaise, répond un autre manque, tout aussi fondamental, et qui montre combien Attenborough ne fait qu’effleurer son sujet : en début de film, Gandhi, avocat fraichement sorti de l'université de Cambridge, découvre le violent racisme de l'Afrique du Sud. Et il se bat pour la justice mais s'il le fait, c'est en tant que citoyen britannique, puisque, pour Indien qu'il puisse être, il n'en est pas moins sujet de Sa Majesté et a donc les mêmes droits. Or, quand il retourne en Inde, Gandhi ne se considère plus comme citoyen anglais mais il lutte pour l'indépendance de son pays, déclarant que les Anglais sont étrangers. Ce changement de perspective, que l’on ne comprend guère, aurait été passionnant à suivre, puisqu’il est le miroir du trajet que devront parcourir les Anglais.
On se souvient que, dans La Croisée des destins, le personnage joué par Ava Gardner incarnait l'Inde, avec ses contradictions et ses tiraillements ; ici Gandhi ne représente rien d'autre que Gandhi.
On préfère l’angle de vue que choisit Attenborough dans Cry Freedom, où le personnage central du martyr – Steve Biko – laisse la place au journaliste qui va utiliser cette figure pour dénoncer l’apartheid.
Quand à Ben Kingsley, si sa performance est mémorable, on le redira une nouvelle fois : le mimétisme n'est jamais, pour un acteur, une si grande performance. Imiter un personnage existant, même parfaitement, est toujours plus simple que de le créer.

 

jeudi 15 avril 2021

L'Epreuve de force (The Gauntlet de C. Eastwood, 1977)





Après plusieurs films remarquables ou intéressants (JoseyWales ou même Breezy), Clint Eastwood réalise ici un film très quelconque. On y trouve la dichotomie flic intègre versus mafia corrompue, qui a ici ses ramifications jusqu’au plus haut niveau. Très vite on comprend où veut en venir le film, avec Schokley qui parvient, tant bien que mal et après bien des exploits, à amener son témoin devant le juge.
Sans doute conscient que cette surenchère d'action lui va assez mal, Eastwood abandonnera rapidement cette façon d'aborder la violence, même si elle restera l'un de ses thèmes principaux. Ce film fait ainsi partie du tout venant peu intéressant de l’ami Eastwood dont on sait très bien à quel point il est capable, par ailleurs, de réaliser des chefs-d’œuvre.


mercredi 14 avril 2021

L'Été du démon (Kichiku de Y. Nomura, 1978)



Incroyable film de Yoshitaro Nomura, qui filme la descente aux enfers de Sokishi : coincé entre sa femme et ses enfants nés d’une relation adultère que leur mère lui laisse tout à coup sur les bras, il va progressivement sombrer, malgré bien des combats intérieurs. Alors, laminé par sa femme toute de haine pour ces enfants symbolisant la maitresse haïe, il va se débarrasser, lâche et fébrile, des trois bambins.
Cette confrontation entre lâcheté et amour vient s’inscrire dans le regard du père, sur ce visage marqué, dans ce corps torturé, sec et déjà usé par le travail.

Et le film, implacable, enfonce toujours plus profondément Sokishi, perdu, désemparé, soumis, qui ne peut se libérer qu’au prix de l’effroyable.
Nomura explore cette crête étroite sur laquelle Sokishi ne sait comment rester stable alors qu’il glisse sans cesse dans l’abîme et tente de retrouver son équilibre – équilibre impossible que la magnifique fin vient étaler sous ses yeux.
Certaines scènes sont terribles, avec la violence contre les enfants, les distensions entre les tentatives et les renoncements du moment, la tragédie qui semble inexorable et le fatum épouvantable qui s’abat sur le père.