dimanche 30 octobre 2016

The Artist (M. Hazanavicius, 2011)




Le très grand succès de The Artist ne peut que réjouir l'amateur de cinéma : voilà un film muet en noir et blanc en haut de l'affiche !
Le film lui-même, en revanche, laisse circonspect. Si cette idée de filmer « à l’ancienne » est très bonne, pourquoi s’abstenir d’écrire un scénario ? Parce que cette histoire d’un artiste du muet qui peine à passer au parlant et dont la carrière croise celle d’une danseuse qui devient star ne distille aucune surprise (et, du coup, bien peu d'émotion) : dès les premiers instants on devine toute la trame. Jusqu’à la fin où  – quel coup de théâtre !  – les deux sont amoureux et sont stars ensemble. L’idée finale d’aller vers la comédie musicale est très bonne mais ne sauve rien (et ne surprend toujours pas).
Le scénario n’apportant aucune surprise, on aurait pu trouver de l’intérêt dans cette mise en abyme du cinéma autour de la transition entre le muet et le parlant. Mais d’autres films l’ont fait, et avec quel brio ! Revoir Chantons sous la pluie permet de mesurer à quel point The Artist est simpliste. On ne nous dit rien en fait de transition. La trajectoire de George, autant que celle de Peppy, est écrite à l’avance. Que les uns ont pu en pâtir, que d’autres en furent bénéficiaires : la belle affaire.
Le film, en revanche, évoque de nombreux autres films et il est, sur ce point, réussi.
La situation est à mi-chemin entre Chantons sous la pluie et Une étoile est née (avec l’ascension de Peppy qui devient une star) et de nombreuses évocations ou saynètes évoquent tel ou tel film. Par exemple le jeu avec le manteau évoque L’Heure suprême de Borzage :


Diane se pelotonne contre le manteau de Chico
De même Peppy s'imagine enlacée par Georges

Jean Dujardin a un rôle écrit pour lui (celui des sourires faciles et outranciers), où son jeu tout en exagération est efficace (il choisit bien ses rôles : on reste plus réservé sur sa qualité d’acteur quand les exagérations ne sont plus de mise…).

vendredi 28 octobre 2016

Le Suspect (The Suspect de R. Siodmak, 1944)




Très bon film noir, dominé par la figure ronde, calme et courtoise de l'excellent Charles Laughton. Robert Siodmak, dans un récit au rythme complètement maîtrisé, s’ingénie à montrer combien le mal est en chacun de nous puisqu’il est dans ce bourgeois tranquille et affable. Et le spectateur, placé du côté de ce doux monsieur Marshall, ne peut que constater combien le mal peut faire irruption dans une vie, non pas en fonction de la personnalité de chacun, mais bien plus en fonction des circonstances de la vie.
L’étude psychologique est très fouillée et le scénario joue entièrement sur la connaissance du spectateur des ressorts internes du personnage jusqu’au final original (mais tiré d’un fait réel). Siodmak comme souvent, filme avec une photo magnifique les rues de Londres emplies de brumes et d’ombres, où les pas claquent sur le pavé humide.



mardi 25 octobre 2016

Le Vaisseau fantôme (The Sea Wolf de M. Curtiz, 1941)




Très bonne adaptation du roman de Jack London (on se demande pourquoi, en passant en France, le film n’a pas conservé son titre original, qui est aussi celui du roman), dans laquelle Michael Curtiz crée un huis-clos parfait, organisé autour du capitaine tyran et d’une galerie étonnante de personnages. L’univers qu’il décrit est très sombre, dans ce bateau fantasmagorique où tout n’est qu’ombre et cruauté.
Si la distribution est très réussie, Edward G. Robinson, en Loup des mers, manque peut-être d’une stature physique suffisante : chez Jack London, Larsen est un monstre physique, grand, harmonieux, musclé, puissant. L’équilibre est total entre son corps parfaitement développé et son esprit cultivé et éclairé (il lit Milton et le film en cite un vers célèbre qui sert de clef de voûte à la dictature impitoyable qu’il met en place sur son bateau). Cette dualité ne se retrouve pas chez Robinson qui, s’il est très bon, n’a pas le physique du Larsen originel (on pense à un Brando par exemple, puissant, le front fort, ombrageux, insaisissable).
Mais le film est une vraie réussite, jusqu’à la fin qui ménage un minuscule trait d’espoir dans une humanité jusqu’alors décrite avec une noirceur rare.


dimanche 23 octobre 2016

Exodus (O. Preminger, 1960)




Très beau film d’Otto Preminger qui s’attache à présenter son récit sur les premiers temps de la fondation d’Israël avec un certain réalisme. Tout l’art de Preminger est de parvenir à regrouper dans une narration très dense autant de personnages et autant d'événements sans jamais caricaturer son propos (par exemple les Anglais sont présentés comme racistes et dédaigneux mais aussi comme étant compréhensifs et volontaires). Il parvient aussi à montrer comment un ensemble d’idées divergentes et contradictoires (des tendances les plus modérées aux plus extrémistes) peuvent s’associer et fusionner autour du grand projet de la création d’un état. On reconnaît par là-même l’honnêteté intellectuelle et politique du réalisateur qui ne simplifie rien et ne fait pas un récit élogieux de ces événements historiques fondateurs.
La mise en scène de Preminger, discrète et fluide, est parfaite dans cette grande fresque, tour à tour épique, romantique ou tragique. On remarquera avec quel talent le réalisateur parvient à brosser les grands moments de la création d’un pays, tout en évoquant, au travers de quelques scènes bien amenées et impeccablement insérées dans un ensemble plus grand, une histoire d’amour ou d’amitié, le dévouement d’une infirmière ou d’un médecin, la violence contenue d’un jeune homme ou encore l’évocation des camps d’extermination, dans une séquence à la fois sobre, courte et terriblement poignante.
Articulé autour de l’épisode de l’Exodus, on regrette juste que le film fasse l’ellipse sur la traversée du bateau, d’une part parce que le récit s’attache longtemps aux difficultés de son départ, et aussi parce que, par ailleurs, le récit se passe de telles ellipses.
Mais ces trois heures trente de film, parfaitement équilibrées et passionnantes, sont une belle réussite. L’oraison funèbre finale, dite par Ari Ben Canaan (Paul Newman), est exceptionnelle.


vendredi 21 octobre 2016

40 ans, toujours puceau (The 40 Year-Old Virgin de J. Apatow, 2005)




Comédie américaine assez quelconque mais typique d’une tendance contemporaine du genre. En effet le sujet est très actuel : Andy est un quadra (encore puceau, donc), adulescent typique (il passe ses soirées devant des jeux vidéo, collectionne les figurines Comics, etc.). Comme il est entouré de collègues de boulot qui sont à l’opposé (fêtards qui ne pensent qu’à sauter sur chaque femme croisée), ceux-ci entreprennent de le déniaiser.
Le Journal de Bridget Jones est un pendant féminin à ce film, même si Bridget Jones est très soucieuse de son rapport aux hommes, alors que Andy ignore superbement le beau sexe (du moins jusqu’à ce que ses acolytes ne l’incitent à passer à l’action).
Le succès du film est tel qu’il devient une espèce de repère pour tout un tas de comédie du même acabit (ce qui permet de se rendre compte des bas-fonds où est tombée la comédie...).

mercredi 19 octobre 2016

Real (K. Kurosawa, 2013)




Très bon film de K. Kurosawa qui montre là son grand talent : on le voit jouer avec les images et jongler avec les périodes de temps, dans cette histoire qui trouve un bel équilibre entre onirisme, romance et science-fiction.
Kurosawa dissémine dans son film des indices qui annoncent le basculement principal (c’est Atsumi qui vient en aide à Koichi et non l’inverse) et annoncent aussi le traumatisme subi par le couple.
Ainsi, si le film fait penser à Inception (de par cette entrée dans les rêves), il apporte ce qui manque sans doute au film de Nolan, à savoir des indices visuels, par exemple le cercle dessiné sur le dos de la main de Koichi qui apparaît ou disparaît, l’apparition énigmatique et récurrente d’un garçon ou de cadavres, la bonne trouvaille visuelle des « zombies philosophiques » (dont la représentation évoque eXistenZ), etc. Ces indices signent l’étrangeté et la dimension onirique du récit et provoquent un doute et un malaise chez le spectateur qui sent que la réalité et l’imaginaire se confondent de plus en plus. Autrement dit, Kurosawa ne s’appuie pas seulement sur le scénario mais aussi sur l’image pour déstabiliser le spectateur et créer une tension et un désarroi.
Le film fait aussi directement référence à Je t’aime, je t’aime d’A. Resnais, dont il adapte l’idée principale (une machine qui permet de voyager dans le passé) et reprend le jeu d’images étranges et sans logique. Mais là où Resnais procède par de brusques coupures et un montage volontairement désordonné, Kurosawa se plait à fondre ses images, à les brouiller, à les enfermer dans le noir (dans de beaux jeux de lumière). Et Kurosawa donne de nouvelles dimensions (onirique et fantastique) à ce qui n’est, chez Resnais, qu’un drame romantique traité de façon très intellectuelle.


dimanche 16 octobre 2016

Le Goût du saké (Sanma no aji de Y. Ozu, 1962)




Chef-d’œuvre de Y. Ozu, Le Gout du saké montre un père et sa fille qui doivent affronter leur destin : elle doit se marier et laisser son père seul.
Ce thème, déjà traité dans plusieurs films d’Ozu, est abordé avec toujours une tranquillité un petit peu triste et résignée, mais aussi avec un regard sur la vie plein de poésie. Du formalisme extrême d’Ozu – avec ses éternels plans au ras du sol, sa caméra infiniment immobile (qui montre, si besoin était, l’abus délirant des mouvements de caméra dans les standards actuels) – émerge comme par magie une poésie lente et douce. Le génie d’Ozu est de parvenir à des sentiments si puissants et universels avec son style simple et sans concession.
C’est ainsi que, progressivement, avec beaucoup de sagesse, le père veuf comprend que le bonheur de sa fille passe avant tout. Quitte, bien sûr, à devoir renoncer à elle (il restera seul pour ses vieux jours). Mais son bonheur ne saurait être sans le bonheur de sa fille.


Ce dernier film du maître japonais, bien illustré par son acteur emblématique Chishu Ryu, vieillissant lui aussi, aborde alors la triste solitude de la vieillesse. Les choses sont ce qu’elles sont, nous dit Ozu (on ne peut rien changer à l’ordre des choses), et la vieillesse doit se vivre seul. Dès lors, que la fille se marie (et que, dans ce sens, elle vive enfin sa vie), c’est aussi permettre au père de vieillir sereinement.
Il restera au vieux père le plaisir solitaire de se souvenir des choses. On retrouve un écho sublime à cette idée mélancolique, dans le « Happy thoughts ! » que lance en guise d’adieu Nickie Ferrante (Cary Grant), dans Elle et lui, à sa grand-mère restée seule dans son petit paradis.

samedi 15 octobre 2016

Frontière chinoise (7 Women de J. Ford, 1966)




Le dernier film de J. Ford est bien décevant. Ford, d’ordinaire si habile à brosser des portraits, ne propose rien d’autre que des personnages caricaturaux, avec des actrices qui surjouent en permanence (notamment Anne Bancroft ou Margaret Leighton, enfermées dans leurs personnages exagérés).
Ford cherche à travailler l’espace de façon intéressante en opposant l’espace délimité de la mission, qui serait préservé d’un monde extérieur barbare et violent (qu’on ne verra guère que durant le générique). Et la lourde porte en bois sera en réalité un obstacle dérisoire. Mais même les envahisseurs se révèlent être des caricatures et l’ensemble, malgré une fin sèche et réussie, ne révèle guère de surprises.

jeudi 13 octobre 2016

Les Fiancées en folie (Seven Chances de B. Keaton, 1925)




Excellent film de B. Keaton, où après une première partie qui pose le sujet (et qui l’épaissit, au travers d’un thème romantique), décolle véritablement ensuite jusqu’à un délire burlesque exceptionnel. Bien qu’il ne soit pas entièrement auteur de l’histoire, Keaton parvient à adapter un scénario d’abord très burlesque à son style.
Jimmie Shannon doit se marier avant sept heures du soir s’il veut hériter de plusieurs millions de dollars. Éconduit par sa fiancée maladroitement abordée, il passe une annonce et ce sont des centaines de femmes qui se retrouvent à l’église pour épouser le futur millionnaire. Jimmie cherche alors à leur échapper.

Reprenant le thème légendaire de la course-poursuite, si chère aux courts-métrages muets, Keaton le magnifie de façon exceptionnelle : ce sont des centaines de prétendantes qui se ruent pour tenter d’écharper le pauvre Shannon. Tout le génie burlesque de Keaton explose dans cette séquence, avec ses performances physiques improbables (quand il court, se met au pas, bondit, évite des rochers, saute sur un arbre abattu, etc.). La course-poursuite atteint des sommets inouïs quand Shannon, dévalant une pente, est poursuivi par des rochers qui se détachent sur son passage. Entre idée géniale et improvisation (tous les gags sont improvisés, Keaton ne pouvant prévoir avec précision où tomberaient les rochers), on tient là une des plus belles séquences comiques du Cinéma.


lundi 10 octobre 2016

Les Sept mercenaires (The Magnificent Seven de J. Sturges, 1960)




Western solide et bien charpenté, à défaut d’être original. Il reprend la trame des Sept samouraïs de Kurosawa en occultant l’aspect social du film japonais pour se concentrer sur l’action et en l’adaptant à l’Ouest américain.
Le film fait la part belle aux acteurs et l’on sait la brochette de stars réunies pour l’occasion. Ce qui donne lieu à quelques séquences amusantes, comme lorsque Steve McQueen, associé à Yul Brynner pour mener un corbillard jusqu’au cimetière, fait ce qu’il peut pour exister et capter l’attention, lui dont le jeu minimaliste est d’ordinaire la marque de fabrique.

Le principal défaut du film est dans l’absence de surprise qu’il réserve : il est l’œuvre d’un professionnel sûr de son travail et l’ensemble ronronne tranquillement (un peu comme d’autres westerns du même réalisateur, tels que Le Dernier train de Gun Hill ou Règlement de comptes à O.K. Corral). Mais, du fait du rythme et des acteurs, le film est plaisant.

samedi 8 octobre 2016

Péchés de jeunesse (M. Tourneur, 1941)




Film assez typique de la période où M. Tourneur entreprend de balader son personnage dans différents milieux, reproduisant une manière de faire courante à l’époque (on retrouve ce principe de films à sketch dans Carnet de bal par exemple).

Harry Baur est très bien en vieil homme qui se cherche un fils et qui, sans cesse, passe de l'espoir au désespoir. Le film apparaît aujourd'hui un peu désuet et la description sociale trop appliquée (chaque fils perdu se trouvant dans des milieux différents qui décrivent à eux tous la société).

jeudi 6 octobre 2016

La Vie d'O'Haru, femme galante (Saikaku Ichidai Onna de K. Mizoguchi, 1952)




Film parfait et sublime de Kenji Mizoguchi, où O'Haru apparaît comme l'archétype des héroïnes mizoguchiennes, meurtries et écrasées par leur destin. La femme, si centrale chez Mizoguchi, est ici celle qui subira, tout au long de sa vie, mille et un malheurs contre lesquels elle ne peut lutter. Malheurs qu’elle accueille avec humilité et résignation. O’Haru, perpétuellement arrachée, perpétuellement niée, incarne le désespoir de la condition féminine. On tient là une idée forte de Mizoguchi : montrer un cadre social cruel entièrement masculin mais avec un contenu infiniment féminin. Et, de reniements en désespoir, il ne reste plus rien d’O’Haru : c’est cette image qui ouvre le film, cette prostituée à peine reconnaissable, qui traverse la rue comme un fantôme.


Chaque plan est parfaitement agencé, construit, abouti, avec des mouvements de caméra fluides, évidents. L’accablement d'O’Haru ressort d'autant plus dans ces plans calmes et sereins. Et parfois, dans des moments de dramaturgie extrême, la caméra accélère : lorsque son fils passe, sans un regard, un travelling rapide le suit, mais en vain : O’Haru finira perdue pour le monde.

Un instant O'Haru voit son fils, qui passe sans un regard...
La maîtrise de Mizoguchi est totale, il parvient à construire des images précises et ciselées qui sont en même temps très épurées. Et le film, porté par Kinuyo Tanaka, actrice si souvent utilisée par Mizoguchi, livre une image déchirante de la femme, mais qui n’est jamais larmoyante. Il ressort, de cette perfection formelle et de cette position juste du réalisateur face à son histoire, une très grande beauté.

lundi 3 octobre 2016

Fear and Desire (S. Kubrick, 1953)




Ce premier long métrage de Stanley Kubrick, loin d'être un chef-d’œuvre, laisse cependant transparaître plusieurs particularités qui seront assez typiques du réalisateur génial qu'il deviendra, quelques films plus tard.

On remarquera l'attention portée à la photo, très appliquée et contrastée ; les  cadrages marqués (beaucoup de gros plans, beaucoup d'insistance), une certaine froideur, déjà, dans le traitement du sujet. Cette froideur « cérébrale » sera une marque de fabrique : on sait que bien peu de séquences dans tout son œuvre ont un traitement chaleureux et émotionnel (on pensera à la toute fin des Sentiers de la gloire ou au premier rapprochement de Barry avec la comtesse de Lyndon). Ici, déjà, dans cette intrigue qui se veut déconnectée du réel (on est en guerre, certes, mais on ignore tout de la situation, de la période, des armées qui s'affrontent), Kubrick ne s'attache guère aux personnages, malgré le recours aux voix off pour travailler la psychologie des personnages. Mais cette désincarnation un peu étrange et détachée est réussie. Pour le reste la narration est assez lâche et laisse un peu le spectateur sur sa faim. Par exemple le jeu entre les officiers ennemis et les soldats qui cherchent à se dépêtrer reste bien trop flou pour être utile à l'intrigue.

dimanche 2 octobre 2016

Bullhead (Rundskop de M. Roskam, 2011)




Film policier belge très réussi, qui enveloppe le spectateur dans une atmosphère oppressante et typée, autour d’un élevage de bovins flamand qui fait dans le trafic d’hormones (le film prend appui sur des faits réels qui se sont déroulés dans les années 1990). Le scénario propose une belle idée, qui fonctionne comme un double fond, puisque Jacky, l’éleveur qui participe au trafic d’hormones, s’injecte lui aussi, pour des raisons qui seront éclaircies progressivement, les mêmes anabolisants qu’à ses bêtes.
Michaël Roskam (dont c’est le premier film) a le bon goût de ne pas en faire trop (la mode – belge notamment – est aux réalisations très expressives, pour en mettre plein les yeux), s’en remettant à la langue gutturale et heurtée, à l’atmosphère froide du paysage et, surtout, aux interprètes, pour faire vivre son récit. Le film réussit même à distiller une touche d’humour – ô combien délicate à manier dans ce contexte oppressant et sombre – grâce à un duo de garagistes improbable.
L’interprétation est un des grands points forts du film (ce qui est le cas de bon nombre de films belges). Mattias Schoenaerts, en particulier, est excellent (il sera beaucoup plus quelconque dans son film suivant, De rouille et d’os), on sent la puissance bestiale et rustique qui émane de lui, les accès de violence soudains, comme un taureau qui tourne dans son box. Mais il joue aussi remarquablement la fragilité, le renfermement sur soi-même, le mal sombre qui le ronge. La véracité de son personnage lui doit beaucoup. Le réalisateur s’attarde alors sur lui, prend la peine de l’épaissir et de le complexifier, notamment avec plusieurs flash-backs qui révèlent progressivement le traumatisme d’enfant (et quel traumatisme !) subi par Jacky.
Le regret est peut-être dans le scénario lui-même qui, à trop vouloir mettre Jacky au centre du film, en oublie de développer son récit policier (présent mais singulièrement éclipsé) ou les autres personnages (il y a pourtant d’excellents rôles secondaires, qui auraient permis de densifier le récit). On a l’étrange impression que, au fur et à mesure du film, le personnage passe devant l’histoire elle-même. Le côté polar passe au second plan et ne vient qu’après la tentation de la vengeance ou la tentative amoureuse de Jacky. La fin, cela dit, est très réussie.
La version originale est fondamentale, non seulement par le dépaysement et l’incarnation locale que prend le film (ce qui est toujours le cas, dans toutes les langues ; on ne dira jamais assez ce que perdent les films lorsqu’ils sont vus en VF) mais aussi parce que le film est bi-langue (les protagonistes, d’une ville à l’autre, s’exprimant en français ou en flamand).
C’est ainsi un film qui explore plusieurs frontières, celle de la langue, mais aussi la frontière de la folie et, partant, celle entre l’homme et la bête.