lundi 28 février 2022

Henry V (L. Olivier, 1944)





Film contrasté où, après une excellente première demi-heure, le film devient moins prenant. Mais on admire les premières séquences du film qui reconstituent le théâtre élisabéthain, avec la caméra qui plonge vers la scène, se promène dans les coulisses ou se tourne vers les spectateurs. Puis, progressivement, le théâtre se mue en cinéma, avec la scène qui s’agrandit et les décors qui prennent vie. Cette première demi-heure est extraordinaire.
Mais le film, ensuite, tout en gardant une fraîcheur permanente au travers de décors naïfs qui reprennent les miniatures du moyen-âge (jouant de l’esthétique des Très Riches Heures du Duc de Berry notamment), est moins réussi.


On notera, aux côtés de Laurence Olivier – acteur shakespearien parfait, avec sa voix magnifique – le jeu épouvantable et éprouvant de Renée Asherson, qui torture son texte français. Et dire que Laurence Olivier voulait imposer Vivien Leigh...



 

samedi 26 février 2022

Annonces matrimoniales (La Visita de A. Pietrangeli, 1963)

 



Si l’intrigue D’annonces matrimoniales est simple, l’équilibre du film et l’acuité du regard d’Antonio Pietrangeli tiennent parfaitement le spectateur : son portrait au vitriol de la classe moyenne italienne fait mouche. L’hypocrisie sociale bat son plein dans ce petit monde grinçant, avec, pointées par toutes les flèches décochées par Pietrangeli, toutes les petites tares, les bassesses, les médiocrités, les superficialités. On mesure très bien ce que le film doit au néoréalisme, dont il reprend le regard direct et sans fard sur l’Italie prise dans le quotidien de ses préoccupations les plus banales.
L’interprétation est une réussite, avec Adolfo, l’employé minable et médiocre, qui est parfaitement campé par un remarquable François Périer.


Cela dit il n’y a pas le même regard que dans Les Monstres : ici les deux portraits brossés sont, dans leur banale médiocrité, d’une humanité frappante (et même attachante en fin de film), sans qu’il y ait besoin d’une exagération corrosive comme chez Risi ou Monicelli.




jeudi 24 février 2022

La Tête d'un homme (J. Duvivier, 1933)

 



Ce film mettant en scène le célèbre commissaire vaut d’abord pour la présence d’Harry Baur en Maigret mais aussi pour quelques minutes exceptionnelles, cachées au cœur du film, qui surgissent tout à coup, l’air de rien. L’enquête est lancée et le commissaire rend visite à Radek (excellent Valéry Inkijinoff) qu’il pressent être le meurtrier. Ils s’attablent, ne disent rien, écoutent une voisine qui chante. Et la scène dure, en même temps que la narration s’arrête, et l’on est tous les trois à écouter, émus, dans nos pensées. Cet aparté étonnant et très rare est merveilleux. Puis les personnages sortent de leurs pensées, parlent à nouveau et l’histoire redémarre.


Comme chez Simenon, le film offre une belle peinture de la société, avec le bar empli de paumés, de mauvais perdants, de petits bourgeois déchus qui lorgnent sur l’héritage de la vieille tante. Ce portrait social est sans doute la grande réussite du film, là où échoueront quelque peu de nombreuses adaptations de Maigret.

Mais le film déçoit un peu en termes d’enquête : même si l’histoire est intelligente, on sait tout d’emblée de la machination et il y a bien peu de fils à dénouer de la part du commissaire.
Harry Baur est très bien en Maigret (mais on sait quel immense acteur il est) : la stature imposante, taiseux, il a ce qu’il faut de bonhommie et d’humanité.

 


mardi 22 février 2022

Bac Nord (C. Jimenez, 2021)

 



Construit en deux parties, Bac Nord démarre parfaitement en forme de film d’action rythmé qui se veut immersif et très américain dans l’idée. Cédric Jimenez plonge le spectateur dans le quotidien de  policiers embourbés dans la lutte contre le trafic de drogue dans les cités. Le film cherche à épaissir ses personnages dans des scènes assez convenues (le barbecue du dimanche) ou à montrer les conflits avec leur hiérarchie mais on sent bien que ce n’est pas le cœur du film qui préfère la frénésie de la caméra qui court après les protagonistes lors d’actions chocs ou de rapports de force violents au cœur de quartiers filmés comme des zones de guerre.
La seconde partie, construite autour de la mise en accusation des mêmes policiers, est, quant à elle, moins prenante et tourne un peu à vide – surtout que le réalisateur, se focalisant sur les personnages, laisse volontiers de côté le pourquoi du comment.

Un point fort du film, au-delà du rythme de la première heure, est l’interprétation, en particulier celle de Gilles Lelouche, très quelconque en parrain mafieux dans La French (le polar précédent de Jimenez), mais ici très convaincant en policier à la fois usé et agressif.

Le film, bien entendu, prend une dimension politique inévitable, en montrant sous un jour nouveau et sans grande concession les cités prises dans la poigne de fer des gangs de la drogue. On comprend les débats qu’il provoque. On est bien loin de la vision des Misérables qui, lui, politiquement, était adoubé, mais qui prétendait, par un tour de passe-passe étonnant, décrire la vie des cités sans jamais évoquer le problème de la drogue. On est ici davantage du côté de Deephan (qui était très décevant) et de Ma 6-T va crack-er (mais vu du point de vue des policiers et avec un récit et des personnages autrement plus convaincants).




 

jeudi 17 février 2022

Frissons (Shivers de D. Cronenberg, 1975)

 



Après deux films radicaux (et désargentés) proches du cinéma underground, Cronenberg réalise avec Frissons son premier film ambitieux. Si plusieurs de ces thèmes étaient déjà présents dans Stereo et Crimes of the Future, leur minimalisme ne permettait pas encore de savoir de quoi serait faite l’image de Cronenberg : ici on voit pour la première fois une des marques de fabrique du réalisateur qui est de montrer les choses. Les greffes, les protubérances, les organes, la déformation des chairs, la contamination, l’horreur : tout cela est déjà présent au cœur du cadre. Et le film a déjà cette pulsion et ce monstrueux qui l’habite. Plusieurs scènes d’horreur viennent émailler le film, avec ces espèces d’aplysies parasites qui sortent ou entrent dans les corps. On voit très bien comment Alien viendra chercher des motifs et les perfectionnera (le monstre dans le ventre qui ne demande qu’à sortir, le monstre qui saute à la gorge). On voit aussi ce que Cronenberg, dans Frissons, doit à Romero (cette filiation se perdra rapidement, dès après Rage, son film suivant), avec les infectés qui deviennent des hordes zombiesques avides de sang et de sexe.

Cronenberg tire à boulets rouges sur la modernité (angle d’attaque qui ne sera plus aussi nettement le sien par la suite), à travers cet immeuble récent et propre sur lui, promesse d’une vie moderne et tout confort, mais, en réalité, tout à fait inhumaine. Dès lors, plutôt qu’une vie froide, géométrique et aseptisée, ce sont les pulsions agressives et sexuelles qui ressortent et explosent.

 

mardi 15 février 2022

Une balle dans la tête (Die xue jie tou de J. Woo, 1990)





Film de guerre très ambitieux de John Woo qui rompt avec les films de gangsters qu’il faisait depuis quelques années. Mais cette incursion dans le film de guerre lui réussit puis qu'il s'agit sans doute, avec The Killer, de son film le plus abouti.
Commençant par des règlements de compte entre bandes rivales, le film prend rapidement la tangente lorsque Ben, Paul et Franck, les trois amis inséparables, se retrouvent plongés au milieu de la guerre du Vietnam et – la petite histoire rejoignant la grande –  les voilà coincés au milieu du conflit vietnamien, parmi les soldats, les explosions et les américains prisonniers.

John Woo parvient parfaitement à équilibrer son thème favori (la guerre entre mafias locales) avec des scènes de guerre, volontiers très violentes. Il faut dire que les motifs habituels du réalisateur collent très bien avec les bazookas et autres grenades et qu’il n’a pas trop à forcer son style pour montrer la guerre.


Le brio de John Woo est la manière dont il reprend de grands motifs du Voyage au bout de l’enfer. Il en revisite la séquence célèbre de la roulette russe mais, surtout, reprend son motif principal du one shot. Ce motif était, chez Cimino, d’abord un principe de vie esthétique (il s’agissait de n’utiliser qu’une seule balle lors d’une partie de chasse), puis un principe mortifère (avec la séquence de la roulette russe, d’abord dans le camp de prisonnier puis lors de la séquence finale), montrant par là combien la guerre détruit la force des âmes.
Ici, l’idée est brillamment utilisée puisque John Woo la met au cœur de son motif de prédilection de l’impasse mexicaine, que l’on retrouve si souvent chez lui. Mais là, dans Une balle dans la tête, cette séquence est d’abord mise en scène une première fois, sans que personne ne tire (comme souvent), puis elle est reprise, mais en la fractionnant dans le temps. Paul tire dans la tête de Franck puis, dans un règlement de compte final entre les deux amis devenus ennemis, Ben tirera à son tour dans la tête de Franck (dans son crâne alors qu’il est déjà mort) avant de tirer dans la tête de Paul. Mais ce dernier coup de feu n’est pas montré, il n’est qu’évoqué par le montage, de façon remarquable. C’est là l’une des plus belles et des plus puissantes séquences de John Woo. Ce mélange – à ce point – entre deux films est exceptionnel et très rare, surtout lorsqu’il parvient à accorder deux motifs célèbres dans le cinéma : le one shot légendaire de De Niro et l’impasse mexicaine élevée au rang de signature chez John Woo.

 

samedi 12 février 2022

Convoi de femmes (Westward the Women de W. Wellman, 1951)


 



Western assez conventionnel, malgré le pitch qui se veut original : plutôt que de convoyer du bétail à travers le pays, ce sont cent cinquante femmes à qui Buck Wyatt doit faire parcourir plusieurs milliers de kilomètres, en direction de la Californie. Déserté par les hommes, le convoi avance coûte que coûte.
Mais il n’y a rien de bien original dans cette longue chevauchée : les difficultés rencontrées, les morts ou les épreuves qui se succèdent passent en revue les habituelles embûches (chariots embourbés, attaques d’Indiens, désert sans eau, etc.). Robert Taylor fait le job, mais là aussi sans surprise : son personnage très rigide rejoint celui de Tom Dunson dans La Rivière rouge et il nous rappelle qu’il faut des hommes très durs au mal pour mener à bien ce type d’entreprise folle.
Mais il n’y a guère d’épaisseur psychologique chez tout ce petit monde, guère d’élan ou de souffle épique, juste une illustration de la conquête de l’Ouest sous un angle certes orignal – les femmes viennent rejoindre les hommes exilés en Californie – mais qui, in fine, n’apporte pas grand-chose.

 

mercredi 9 février 2022

Akira (K. Otomo, 1988)

 



Adapté de son propre manga, Katsuhiro Otomo réalise avec Akira un dessin animé extraordinaire, qui marque une rupture nette avec les longs-métrages américains. S'il n'est pas le premier dessin animé de long-métrage japonais (le studio Ghibli, crée par Miyazaki et Takahata, existe déjà), il est le premier, en revanche à avoir une résonance internationale.

Il faut dire qu’Akira multiplie les influences et vient largement puiser dans la culture occidentale puisqu’on y retrouve, de façon marquée, Orange mécanique (avec les bandes adolescentes qui s’affrontent la nuit), Easy Rider (la mythologie autour de la moto), Blade Runner (dans l’esthétique de science-fiction urbaine), Cronenberg (avec ce mélange pulsionnel entre l’organique et le métal), Jodorowsky (avec les enfants monstres)
ou encore la culture punk.
Mais Akira, bien sûr, est aussi infiniment japonais, avec son esthétique de manga et cette omniprésence de l’apocalypse et de la bombe atomique. Ici, comme souvent dans les mangas ou la culture japonaise d’après-guerre, l’apocalypse est déjà survenue et, en même temps, doit bientôt advenir. Le film est dans cet entre-deux permanent qui dit tout du monde noir et détruit qui nous est montré. Et l’atmosphère du film envoûte le spectateur, avec la musique rythmée qui accompagnent les road trips dans ce Néo-Tokyo dévasté, les images flottantes et parfois comme arrêtées, les rais de lumières qui jaillissent sur les immeubles ou les explosions qui se figent avant de se répandre en de longs souffles.


La grande intelligence du film vient du duo Tetsuo-Kaneda dont l’équilibre se cherche sans cesse et, surtout, du personnage d’Akira, qui est caché, en retrait et reste confiné tout au long du film. Ce personnage mutant est alors, tout à la fois, une monstruosité, une arme, une menace ou un espoir, multipliant les interprétations et les lectures politiques du film.


L’influence d’Akira sera bien sûr considérable et immédiate sur la culture populaire des années 90.