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mardi 8 septembre 2020

L'Assassinat de Trotsky (J. Losey, 1972)




Joseph Losey affiche d’emblée (par une adresse au spectateur) sa volonté de prise de distance et d’objectivité ou, à tout le moins, celle de ne pas s’enfermer dans du militantisme, alors que le film, par son sujet même, est très politique.
On suit alors Trotsky enfermé dans son hacienda et, en parallèle, Frank Jacson, qui se rapproche peu à peu de sa cible. Et le film a le bon goût d’être fidèle à ce qu’il annonçait en présentant les événements de façon assez détachée, distante même, ne prenant pas parti, ni pour Trotsky – qui est montré à la fois dans son intelligence et dans ses illusions (il croit influencer encore le monde) – ni pour Frank Jacson, que Delon joue intelligemment, très taiseux, distant, mystérieux, à la fois altier et minable.
Cette distance du réalisateur laisse le spectateur dans une position assez rare et remarquable : c’est à lui de faire avec ce qui lui est livré, de préférer y voir un gâchis (Trotsky meurt alors qu’il avait encore de l’énergie et des intentions) ou plutôt un crépuscule (Trotsky vivait dans une bulle qui allait s’amenuisant et sa vie était déjà derrière lui) ou peut-être un combat perdu (enfin ses adversaires ont réussi à le faire taire) ou simplement une mort un peu stupide (Frank Jacson semble un peu minable et qu’il assassine un tel homme est un accident de l’histoire), etc. Et c’est le traitement du sujet par Losey qui permet ce croisement des directions interprétatives, dont aucune n’est vraiment privilégiée, et qui enrichit donc le film bien plus qu’une prise de position nette.


Alain Delon, mais aussi Richard Burton, qui joue tantôt avec emphase, tantôt avec retenue, densifient parfaitement leurs personnages (on n’en dira pas autant de Romy Schneider, dont le rôle, certes secondaire, reste très creux).


mercredi 17 avril 2013

Monsieur Klein (J. Losey, 1976)





Excellent film de Joseph Losey qui montre le cheminement d’une conscience qui, entièrement tournée vers soi, de force, se met à devoir prendre conscience d’autrui. Archétype du profiteur cynique – il rachète à bas prix les œuvres d’art de Juifs aux abois – Robert Klein est confondu avec un homonyme juif.


La force du film est dans le cheminement du personnage qui se trouve obligé de se tourner vers autrui – ici le Juif – et à embrasser ses malheurs. Bien plus : il se met à assumer cet état de Juif qu’il n’est pourtant pas. Et il comprend que ce qu’il subit – ou ce qui le menace – ne serait pas moins odieux s’il était réellement juif. C’est cette prise de conscient qui lui fait accepter de subir ces violences. Et il consent à sa disparition au milieu de tous les autres, dans la rafle du Vel’ d’Hiv.

C’est ainsi que Joseph Losey emmène jusqu’au bout son personnage, dans une quête de son double qui est un chemin d’inversion et de conversion étonnant, allant jusqu’à se confondre avec autrui. Dans une ambiance glacée et noire, toute l’enquête de Klein, toutes ses démarches ou ses visites n’aboutissent qu’à ce retournement progressif du personnage contre lui-même, pendant que l’administration de son côté, se retourne progressivement contre lui. Il commence à signaler ce qui est pour lui inacceptable – être confondu avec un homonyme juif – se plaindra, se mettra en colère puis ouvrira les yeux. Et toue la violence intérieure (que Delon retransmet avec une espèce d’impassibilité dérangée géniale) épousera le calme du juste quand, au Vélodrome d’Hiver, il se laisse entraîner volontiers.


Les deux premières séquences – le monstrueux examen médical et la vente du tableau à Monsieur Klein (auquel répondra le court dialogue final) – plante le décor de cette France sous l’Occupation, où l’on est dépouillé de son identité (physique ou historique) et, bien vite, de son humanité.

lundi 11 mars 2013

Le Messager (The Go-Between de J. Losey, 1971)





Très beau drame de l’enfance, Le Messager est construit en un immense flash-back rapidement annoncé par une voix off et qui se boucle en toute fin de film. Du château fascinant de son ami où il passe un été et où il a tout à découvrir, Léo, du haut de ses treize ans, balloté par Mariam, est plongé dans un monde merveilleux et inconnu. Et derrière le décor chatoyant – dont Losey sait jouer entre l’effet qu’il a sur l’enfant et celui qu'il exerce sur le spectateur – le malaise s’insinue avec Mariam, fiancée, qui retrouve le métayer Ted, son amant. Et, bien plus que l’opposition des classes, c’est l’opposition d’avec le monde des adultes qui va s’ancrer dans la mémoire de Léo.


Losey travaille à la fois le regard de l’enfant sur le monde adulte – avec la belle Mariam dont il tombe amoureux – mais aussi sur le monde adulte qui ne prête guère attention à Léo. Y compris de la part de Mariam, qui a de l’affection pour lui mais a surtout besoin de lui comme porteur de messages secrets, entre elle et son amant. Terrible découverte, le jour de son anniversaire, fêté en grande pompe par ses aristocrates, avec le cadeau inouï d’une bicyclette, pour lui le garçon d’origine modeste. Mais il est le jouet de la mère de famille autant que celui des amants. Balloté de toute part, sacrifié, il ne peut qu’exploser : ce séjour à Norfolk, qui devait être un doux moment dans la diaprure verte d’un château, n’est qu’un cauchemar.


Et toute la finesse de Losey est de nous faire accéder à ce qui s’ancre irrémédiablement dans la tête du garçon. Losey ne donne finalement des amants étreints qu’une image de plaisir sexuel et donne de Ted, qui se suicide, une image fixe, où il est figé à demi-avachi sur son fusil. Puis vient le visage froid et fermé de Léo, 60 ans plus tard. Et l’on comprend combien ces deux images sont tout ce qui le hante depuis 60 ans : elles résonnent avec la verdure chaude de la campagne, les escaliers du château, les tableaux, les parures et transforment le tout, depuis tant d’années, en une terrible et indélébile cicatrice dans sa mémoire.