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jeudi 9 janvier 2020

Liliom (F. Borzage, 1930)




Adapté d’une pièce de théâtre du début du siècle par Frank Borzage, Liliom conserve son origine scénique : l’action est confinée dans quelques décors qui sont tantôt minimalistes (jusqu’à approcher l’abstrait), tantôt expressionnistes, tantôt oniriques. Les jeux d’acteurs sont forcés et exagérés (on y voit aussi, sans doute, la trace du jeu d’acteurs du muet) et l’intrigue très linéaire, jouant simplement de vastes ellipses.
Si Rose Hobart est touchante en humble amoureuse, Charles Farrell est moins convaincant : jouer le mauvais garçon n’est pas son truc. Mais sa naïveté, dans la dernière partie du film, sonne juste. Quant à Liliom, il semble porter sa personnalité sur son nom (le mot liliom signifiant « dur à cuire » en Hongrois), mais on aurait tort de croire qu’il est un tough guy à l’américaine : Liliom est surtout un bonimenteur qui plait aux filles avant d’être un mauvais garçon.
Fritz Lang, dans le Liliom qu’il réalisera en 1934, utilisera lui aussi un acteur à contre-emploi, puisque le personnage sera campé par Charles Boyer, davantage utilisé au cinéma en amoureux romantique. Mais ici, Liliom est sincère et touché (alors que, chez Lang, s’il abandonne toute dureté, il reste ironique).
Quant aux scènes oniriques qui se passent dans les cieux, on préférera peut-être le parti-pris de Lang (qui fait enlever Liliom par des anges) plutôt que celui de Borzage (où Liliom monte dans un train céleste) même si cela vaut des scènes surprenantes.


Mais, si l’ensemble paraît un peu emprunté, l’incroyable style de Borzage explose, tout à coup, dans deux scènes particulières : lorsque Julie tourne sur le manège aux bras de Liliom (on voudrait, tout comme Julie, que cela ne s’arrête jamais) et, auprès de Liliom étendu, lorsque, éclairée par une bougie, elle lui lit sobrement et doucement la Bible.


samedi 10 février 2018

La Tempête qui tue (The Mortal Storm de F. Borzage, 1940)




Exceptionnel film de Frank Borzage (1) qui est l'un des premiers à rendre compte de l’histoire en marche en Allemagne, en montrant la transformation subie par l’idéologie raciale nazie.
Avec une facilité éblouissante, Borzage fait épouser la destinée du pays avec celle d’une famille, en montrant comment cette famille unie est brisée, comment la haine se répand, entre les êtres, dans les rues, dans le pays entier. On retrouve ainsi une foule d’images qui signent le passage d’un ordre du monde à un autre, avec la transformation d’un pays uni en un pays fracturé et haineux (le vieux professeur juif fêté, puis qui reste isolé dans sa salle : les étudiants ne sont plus là, ils sont partis brûler les livres).



Borzage, avec son incroyable lyrisme, parvient à nouer une tragédie déchirante qui se clôt sur le symbole du mal qui déferle sur l’Allemagne : la mort de Freya, dans les montagnes blanches, où le sang noir vient tâcher la neige immaculée. Le mélodrame est un genre si puissant, dans les mains de Borzage, qu’il en devient un instrument de dénonciation politique et c’est l’humanité entière qui se joue dans ce couple qui se bat, qui vibre, qui est déchiré. Nul discours ici, c’est par l’image qu’il s’exprime, en rejetant hors champ ou dans l’ombre les jeunes fanatisés et en gardant en pleine lumière Martin ou Freya.



Le film, évidemment, sera immédiatement censuré en Allemagne (censure qui s’accompagnera de celle de toutes les productions de la MGM puis bientôt de celle de toutes les productions d’Hollywood quand sortira Le Dictateur). Le film ensuite, à la Libération, ne correspondait guère aux attentes du public (on peut le comprendre) de sorte qu’il sombra peu à peu dans l’oubli. La Tempête qui tue, pourtant, est de ces chefs d’œuvre qui élèvent tant le cinéma qu’on pourrait les croire inoubliables.



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(1) : Borzage intègre ainsi le cercle très fermé de ceux qui ont réalisé des grands chefs-d’œuvre aussi bien muets que parlants. On peine, à vrai dire, à trouver d’autres réalisateurs aussi à l’aise dans ces deux cinémas bien plus différents qu’il n’y paraît. On pense à Dreyer, Lang ou encore à Chaplin (mais ce dernier, malgré son très grand Dictateur, était bien plus à l’aise dans le muet, sa réticence à se mettre au parlant le montre bien) mais ils sont bien peu nombreux.

lundi 18 janvier 2016

L'Heure suprême (Seventh Heaven de F. Borzage, 1927)




Ce film extraordinaire est un des plus beaux exemples de la perfection atteinte par le cinéma muet. Le lyrisme éblouissant de Frank Borzage ne connaît guère d’équivalent : il est l’un des plus beaux peintres de l’amour à l’écran, l'un des plus émouvants, sachant distiller une grâce religieuse dans les liens qui unissent le couple.
Chico et Diane se sont rencontrés par hasard, ils s’aiment, et rien ne pourra les séparer, pas même la misère, la guerre ou la mort. De l’incantation faite à Dieu jusqu’au miracle final, cet amour fou, plus fort que tout, emporte par son lyrisme.
Borzage impose Charles Farrell et Janet Gaynor qui deviendront le premier couple mythique du cinéma. À la candeur de Charles Farrell se marie la fragilité de papillon blessé de Janet Gaylord.
Depuis les égouts jusqu’au paradis, les personnages sont élevés, non pas au rang de héros, mais de figures universelles, transcendées par leur amour plus fort que tout. Cet amour dont ils sont si sûrs et qui leur donne peu à peu une si grande force. Et, à la cécité physique, répond le miracle de la vie, de Dieu : Diane sera les yeux de Chico.


Ce lyrisme, un peu naïf, infiniment touchant et émouvant, appuyé par l’image très stylisée de Borzage, par sa mise en scène expressive, par ses jeux de lumière loin de tout réalisme, crée un romantisme absolu et poétique, à la tonalité propre à Borzage.


mardi 23 décembre 2014

L'Isolé (Lucky star de F. Borzage, 1929)



Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

Film éblouissant sur l’amour fou, plein de tendresse et de lyrisme. Quand on pense aux chefs-d’œuvre du muet, on cite Murnau ou Chaplin et on oublie souvent Borzage. Pourtant on touche ici une perfection.
Ce film muet extraordinaire est tourné en pleine transition muet-parlant : la version proposée aux USA est une version parlante (les acteurs ont dû prendre des cours de diction). C’est donc le dernier film muet de Borzage (retrouvé en 1990) et c’est un chef-d’œuvre absolu. On comprend, en le voyant, le mot d’Hitchcock  quand il disait « au muet il ne manquait que la parole » : avec le parlant beaucoup de choses ont été perdues.
On comprend aussi qu’il ait fallu bien des années au parlant pour produire à son tour des chefs-d’œuvre. Même le génie de Chaplin aura bien du mal à s’en accommoder et il ne se sera jamais aussi bien exprimé avec le parlant qu'il ne l'a fait au temps du muet. Ce qu’il fait passer à travers son personnage de Charlot (qui restera à jamais muet, même dans Les Temps modernes) est bien plus fin et touchant que le discours lourd qui clôt Le DictateurBorzage est ainsi l’un des très rares réalisateurs à avoir su produire des chefs-d’œuvre muets, mais aussi parlants (en particulier The Mortal Storm).
Le couple star Charles Farrell et Janet Gaynor est plein de poésie, vibrant. On est loin du « réalisme » des sentiments (aujourd’hui on cherche sans cesse à coller au réel, semble-t-il), on est dans le lyrisme, dans l'exaltation, quand l'amour peut renverser des montagnes. Et la neige, l’eau, la lumière, tout est sublime.

Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

Il y a du Vermeer dans certaines scènes, quand la lumière vient doucement se poser, par petites touches, sur le front de Mary, sur son profil, sur l'anse du seau. C’est à la fois sobre, lumineux, très beau.

Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

La fin du film, en particulier, est merveilleuse et miraculeuse (dans le sens religieux du terme).

Lucky Star L'Isolé Franck Borzage Janett Gaynor Charles Farrell Affiche Poster

lundi 25 mars 2013

La Femme au corbeau (The River de F. Borzage, 1929)




Admirable film de Frank Borzage, difficilement parvenu jusqu’à nous et qu’il faut admirer avec une précaution émerveillée due à ce sauvetage partiel mais qui a sans doute préservé l’essentiel.
Le film a longtemps été considéré comme perdu avant qu’une copie, fragmentaire, soit retrouvée. Malgré quelques bobines manquantes le cœur du film est bien présent : on y voit le couple (Charles Farrell et Mary Duncan, admirables) mis au centre du film, comme jamais chez Borzage, isolé de tout ce qui peut densifier habituellement la narration mais détourne en même temps l’attention du spectateur.
Ici il n’y a qu’un homme et une femme, seuls dans cette nature vierge et sauvage, comme un paradis perdu et parcouru par un Adam et une Ève. La femme a trop vécu de rencontres, elle est fatiguée de ces relations avec les hommes, désabusée. Le corbeau que lui confie son mari violent est le symbole de ce passé noir qui la hante. Lui, au contraire, arrive à peine à l’âge adulte, et se découvre petit à petit être un homme (la relation de couple est inversée par rapport à ce que Borzage filmera dans L’Isolé). Tout le film est dans cette relation entre la femme qui a trop connu de relations mais qui va redevenir sensible, peu à peu, à l’érotisme, à l’amour et l’homme, pur et innocent, et va découvrir cette passion dévorante qui l’attire vers l’autre.


Borzage va très loin dans cette attirance puisqu’il n'y met pas que de l’amour platonique ou miraculeux, loin s’en faut, mais il exprime clairement l’érotisme, l’attirance physique, la possession charnelle (l'Amérique du pré-code autorisant encore ce que le code Hays, bientôt, n'autorisera plus). Cette dimension charnelle prend une signification supplémentaire dans les paysages boisés et enneigés qui, à la fois, isolent le couple et se font le réceptacle des pulsions de l'amour fou (avec la séquence sublime où Allen John, repoussé par Rosalee, fou de douleur, se rue à demi-nu dans la forêt et abat des arbres, pour exprimer sa rage passionnée).

On retrouve ici, dans ce qui nous reste à voir de La Femme au corbeau, ces fulgurances qui traversent toujours les plus grands films de Borzage, avec ce mélange d’émotion et de lyrisme inouï auquel bien peu de réalisateurs sont parvenus.