mercredi 31 janvier 2024

Marie-Octobre (J. Duvivier, 1959)

 



Film à chute filmé comme au théâtre, Marie-Octobre, construit autour d’une intrigue resserrée et animé par les dialogues de Henri Jeanson, semble avoir tout pour captiver. Mais, même si l’on ne s’ennuie pas, on n’est pas complètement pris par l’intrigue, qui se veut pourtant bien ficelée et emplie de rebondissements.
Cela dit, le film, loin d’être un chef-d’œuvre, ne peut réellement décevoir le cinéphile tant la distribution est exceptionnelle. La présence de Lino Ventura, Bernard Blier, Danielle Darrieux, Paul Meurisse, Noël Roquevert, Robert Dalban, Serge Reggiani ou encore Paul Frankeur dépasse le récit et donne une saveur particulière (et sans doute inaltérable) au film.

 




lundi 29 janvier 2024

Anatomie d'une chute (J. Triet, 2023)

 



Après une rapide entame qui conduit au drame, le film se dirige vers le genre particulier (et parfois passionnant) du film de procès. Et alors le cinéphile peut se faire piéger : le titre Anatomie d’une chute fait immédiatement écho avec Autopsie d’un meurtre, autre fameux film de procès. Or, dans ce film de Preminger, plus le meurtre est décortiqué, plus les débats avancent, moins l’on sait à quoi s’en tenir et, en fin de film, le spectateur est laissé dans une indécision parfaite. On se doute, alors – un peu comme si l’on nous avait révélé maladroitement la fin – que le film ne tranchera pas vraiment entre meurtre et suicide concernant la mort du père au cœur du procès. Dès lors on sait que si la ligne de crête sur laquelle reste le film est étroite, on n’en descendra jamais : la culpabilité de Sandra restera en suspens.
Cela dit le film est très bien mené et le couple se dévoile progressivement avec habileté même si, il faut bien dire, les révélations sur les heurts et tempêtes au cœur du couple ne sont guère passionnantes. On comprend que tout n’était pas rose, la belle affaire. Les histoires de rivalité ou de jalousie sont assez convenues.

Sandra Hüller (déjà vu dans le réussi Toni Erdmann) est remarquable et son personnage intéressant, bien plus, en tous les cas, que celui, très fade, du mari. Le jeune Milo Machado Graner joue très bien le rôle toujours difficile de Daniel, l’enfant tiraillé qui subit le procès autant qu’il y participe.

Si l’indécision règne, on notera cependant que, d’une part, juridiquement il n’y a pas grand suspense (puisqu’au bénéfice du doute la mère ne peut qu’être acquittée) et que, a contrario, visuellement (cinémato-graphiquement pourrait-on dire) le film tranche : Sandra est coupable. En effet le flash-back raconté par Daniel est différent des autres flash-backs (puisque le père parle avec la voix de Daniel). Cela signifie donc, cinématographiquement, que cette séquence est inventée. Dès lors on comprend que l’enfant ment pour sauver sa mère en accréditant la thèse du suicide. À cela s’ajoute une remarque de Sandra pendant le procès (disant à son avocat que le tableau qu’il vient de peindre d’un mari dépressif est faux) et, en toute fin de film, Sandra qui vient se réfugier dans les bras de son fils (et non le contraire) indiquant combien elle lui doit son acquittement. De sorte que l'on est un peu gêné : le film travaille beaucoup l'incertitude et, dans le même temps, donne des indices clairs indiquant la culpabilité de la mère.



mercredi 24 janvier 2024

Expendables 4 (The Expendables 4 de S. Waugh, 2023)

 



Affligeante suite d’une série de films commencée, il faut bien le dire, dans  une médiocrité qui n’augurait rien de bon. Las, de film en film, la franchise s’effondre et confine désormais aux abysses.
On notera, au milieu de l’affligeant déluge d’action sans queue ni tête, l’étonnante texture de l’image, qui donne une coloration entièrement numérique à tout ce qui apparaît à l’écran, y compris aux acteurs eux-mêmes. Si l’on ne doute pas de la profusion d’effets spéciaux numériques, on est malgré tout surpris de voir que les acteurs eux-mêmes sont contaminés et sont comme aspirés hors de la réalité. Finalement on se demande si le tournage a réellement eu lieu et si quelque chose existe en dehors de cette bouillie d’images à la fois clinquantes et stupides qui se répand à l’écran.





lundi 22 janvier 2024

Fando et Lis (Fando y Lis de A. Jodorowsky, 1968)

 



Cette première réalisation de Alejandro Jodorowsky, OVNI cinématographique, bien qu’imparfaite et volontiers extravagante, annonce les futurs films du réalisateur chilien.
Le film se présente comme un voyage initiatique, sorte de quête de l’innocence fantasmagorique, peuplé d’étranges personnages. C’est que le fil rouge du film (Fando veut trouver le pays mythique de Tar et, là-bas, Lis pourra y retrouver l’usage de ses jambes) est volontiers étiré ou même coupé au grès des rencontres, des digressions, des images qui partent dans tous les sens. Et le fil discontinu est simplement rabouté par le chapitrage qui achève de donner au film des allures de conte.

Par moment surréaliste, construit comme une expérience un peu mystique, le film est empli d’une galerie de personnages, dont certains annoncent déjà les monstres qui émailleront les prochains films du réalisateur.

Jodorowsky pose ainsi les bases de son cinéma si particulier et unique à bien des égards. Il travaille l’image, le son, on le sent happé par la découverte de ce nouveau médium qui le fascine et qu’il aborde comme un vaste laboratoire d’expérimentations. Il ne donne pas une opinion mais il exprime une véritable vision du monde, une Weltanschauung que sa filmographie à venir viendra préciser et modeler toujours davantage.

 



mercredi 17 janvier 2024

L'Insoutenable légèreté de l'être (The Unbearable Lightness of Being de P. Kaufman, 1988)

 



Adaptation un peu fade et appliquée du fameux roman de Kundera. Daniel Day-Lewis est très sous-employé (mais peut-être le personnage est-il trop limité) et il n’est guère secondé par Juliette Binoche dont la passion enthousiaste et fragile confine à la naïveté.
Ce sont les moments les plus politiques (l’arrivée des chars à Prague et, surtout, le retour à l’Est) qui forment les séquences les plus réussies ; les avatars sentimentaux de Tomas étant eux filmés de façon sans doute trop ordinaires.

 



lundi 15 janvier 2024

Les Grandes Gueules (R. Enrico, 1965)





Très bon film de Robert Enrico, qui nous emmène dans une scierie perdue dans la forêt des Vosges. On compte assez peu de films français mêlant ainsi amitié et aventure, tout en s’apparentant, sur bien des aspects, à un western à la sauce française.
C’est que, du western, Les Grandes gueules reprend bien des éléments, autant dans les thèmes du récit (la confrontation à une nature difficile et rude, le combat entre un petit exploitant et un gros industriel) qu’au niveau des personnages (les multiples bagarres, le rejet des étrangers par les bons citoyens, les tensions dans le bar, la camaraderie progressive des repentis, la vengeance sous-jacente).

Le film s’appuie sur une belle galerie de personnages au milieu desquels Hector Valentin s’active comme il peut, en patron volontaire et coriace. On notera l’exceptionnelle performance de Bourvil qui, entre Le Corniaud et La Grande vadrouille – rôles comiques s’il en est –, montre ici son talent extraordinaire : il compose un personnage dont la sincérité – sincérité à la fois triste et butée – saute aux yeux du spectateur. L’équilibre avec Lino Ventura est parfait : ce dernier construit un personnage complexe – qui joue sur des ressorts d’amitié alors qu’il vient, en réalité, pour se venger – donne une dimension supplémentaire au récit. L’amitié virile qui semble vouloir se dégager est biaisée et conduit le récit vers le drame.

Il en ressort une tonalité très sombre où tout semble vain : la scierie échoue à se maintenir, l’amitié possible est fracassée par les manigances et les désirs de vengeance.





samedi 13 janvier 2024

L'Empire du crime/Passeport pour deux tueurs (La mala ordina de F. Di Leo, 1972)

 



Après la grande réussite de Milan calibre 9, Fernando Di Leo enchaîne et retrouve l’univers gris, urbain et violent de la mafia. Sans être aussi percutant et sec que le film précédent – on regrette quelques longueurs et quelques facilités –, L’Empire du crime reste efficace.
Il s’appuie sur un personnage intéressant qui change du tout au tout au fur et à mesure du film. Traqué par les tueurs de la mafia, le petit maquereau sans importance Lucas Canali s’affermit peu à peu puis, devant le massacre de sa famille qui a lieu sous ses yeux, devient une boule de colère inarrêtable. Le film érige d’ailleurs en climax ce massacre suivi d’une longue course-poursuite, filmée de façon très expressive à coup de gros plans sur le visage de Canali qui passe du choc de la douleur à la violence de la colère. Mario Adolf, avec son visage étrange et très expressif, tient très bien ce rôle qui commence dans un registre de pure comédie pour se terminer dans une vengeance sanglante. Les deux tueurs américains lancés à ses trousses (Henry Silva et l’immense Woody Strode), sous-utilisés et finalement assez peu présents, ont sans doute inspiré Tarantino (grand amateur du film) pour le célèbre binôme de gangsters de Pulp Fiction.


On notera aussi la dimension politique du film : les deux tueurs sont dépêchés par la branche américaine de la mafia avec pour mission de bien faire comprendre au parrain local qui domine et qui doit s’exécuter. On peut certainement lire à travers cette relation de domination une métaphore de la politique américaine vis-à-vis de l’Italie. L'autre titre français Passeport pour deux tueurs insiste davantage (avec raison) sur cet aspect du film.

 


mercredi 10 janvier 2024

Merci la vie (B. Blier, 1991)

 



Après une première moitié très décevante et peu intéressante, Merci la vie, brusquement, part dans tous les sens et devient joyeusement frappadingue sur le dernier tiers du film. On retrouve alors, après ce démarrage morne et poussif (comme si la machine parfois si parfaitement huilée du réalisateur patinait et tournait à vide), toute la verve de Bertrand Blier, sa manière de faire volontiers absurde, faisant feu de tout bois, sans se prendre au sérieux, égratignant son époque (le SIDA) ou jonglant avec l’histoire (la guerre contre les Allemands, entre résistance et déportation), jouant avec le cinéma lui-même (avec la mise en abyme répétée et souvent drolatique), brisant sans cesse le quatrième mur, emboîtant les séquences les unes dans les autres et jouant de champ-contrechamps excentriques. Le ton joyeux et décalé marche très bien avec le montage qui ne cesse de casser la narration dans tous les sens.
Il est bien dommage que Merci la vie soit si inégal, mais enfin, on reste sur un dernier long moment savoureux et détonnant et, vu le début du film, d’autant plus surprenant qu’il était inespéré.

 




vendredi 5 janvier 2024

La Femme de mon pote (B. Blier, 1983)

 



Petit film de Bertrand Blier, qui est bien loin de sa verve caustique habituelle, loin du regard au vitriol qu’il peut apposer sur la société, loin du monde absurde et désenchanté qu’il filme parfois. Il filme ici l’histoire de ce trio sans véritable punch, s’en remettant aux acteurs (assez peu convaincants il faut dire) et trouvant un ton un peu doux-amer mais sans verve. Le problème est sans doute que les trois personnages (formant un trio classique : deux amis amoureux de la même femme) restent enfermés dans leurs stéréotypes. Ils ne surprennent jamais, restant tout au long du film tels qu’ils nous sont présentés au départ. Et ce ne sont pas quelques saillies de dialogues qui peuvent donner une dimension supplémentaire aux personnages. Mais, comme souvent, Blier a du mal à s’approcher des crânes des personnages pour aller voir un peu ce qu’il en est à l’intérieur. Il reste à distance avec sa caméra et se garde d’aller voir au plus près, les filmant un peu comme au théâtre : il les regarde s’agiter mais il ne les épaissit pas. Coluche et Thierry Lhermitte peinent à émouvoir et Isabelle Hupert, pourtant capable de composition fulgurante, campe ici un personnage trop terne et monolithique.




mercredi 3 janvier 2024

Les Aventuriers (R. Enrico, 1967)

 



Après une première demi-heure peu convaincante, le film gagne en épaisseur au fur et à mesure de ses drames, notamment après l’épisode africain. Le dernier tiers du film, alors que les personnages ont complètement changé de registre et apparaissent infiniment marqués et meurtris, est très réussi, le film d’aventure s’étant mué en un puissant drame.
Alain Delon compose alors un de ses personnages dont il a le secret : taiseux et déjà éteint, comme si quelque chose était mort en lui. Lino Ventura, qui campe le second personnage de ce duo, avec toute la masse de son mutisme, exprime autrement la tristesse, davantage comme une lassitude que comme une brisure intérieure. Portés par ces deux acteurs immenses, les deux personnages, amis intimes qui suivent longtemps la même trajectoire, s’assemblent parfaitement.

Delon, au travers de ce personnage d'aventurier tête brûlée et perdu, meurt une nouvelle fois dans un film, ce qui, tout à la fois, est rare pour une star de cet acabit mais très courant chez lui. Le film, alors, dégage une grande tristesse lorsque la caméra s’échappe, laissant Roland seul, perdu sur le fort délabré et battu par les flots.