jeudi 30 juin 2016

La Griffe du passé (Out of the Past de J. Tourneur, 1947)




Chef-d’œuvre du film noir, La Griffe du passé en constitue sans doute un des plus grands sommets, au côté de trois ou quatre autre films (de Wilder, Preminger ou Aldrich).
Parfait film noir, on retrouve, magnifiés, tous les ingrédients typiques du genre : un héros qui subit l’action, avec un fatalisme conscient qui renforce l’impression d’étouffement et de tragique, une femme fatale, un univers de corruption et de dépravation, une machination qui échappe au héros, quand bien même il sent qu’il est pris dans un piège.
L’atmosphère étouffe peu à peu Jeff, qui sait bien qu’il ne peut échapper à son passé, tourner la page et commencer réellement une autre vie. Et s’il a pleinement conscience du piège qui lui est tendu, il ne cherche pas à y échapper, sentant, confusément, irrépressiblement, la fin tragique.


Comme toujours, Tourneur reste très sobre, son noir et blanc envahit l’image, il distille une atmosphère plus qu’il ne montre franchement les choses. Et, malgré cette tension pesant sur les épaules de Jeff, malgré les rires inquiétants de Whit Stelring (Kirk Douglas), malgré cette sensation d’inéluctabilité sinistre, il ressort de ce film une pureté directe et parfaite.

L’interprétation est hors de pair : le flegme naturel de Robert Mitchum est au cœur du fatalisme qui imprègne le film. Son jeu laconique s’oppose parfaitement à celui, beaucoup plus expressionniste, de Kirk Douglas, terriblement inquiétant derrière son apparente jovialité. Et Jane Greer est une femme fatale parfaite, extraordinaire incarnation de ce personnage type – et légendaire – du cinéma hollywoodien.


mardi 28 juin 2016

L'Or de MacKenna (Mackenna's Gold de J. Lee Thompson, 1969)




Western très quelconque, et même, dans un sens, anachronique.
Il s'agit d'une grosse production, tournée avec deux super-stars (Gregory Peck et Omar Sharif) et de nombreux acteurs de renom (Edward G. Robinson, Telly Savalas, Anthony Quayle, Lee J. Cobb), mais qui passe complètement à côté de son sujet.
L'histoire est très conventionnelle, elle cherche à placer beaucoup de codes du genre (des Indiens, une recherche de trésors, des trahisons, etc.) mais avec des personnages monolithiques et caricaturaux et une réalisation bien molle.
On a l'impression que J. Lee Thompson ignore ce qu'est devenu le western en 1969 : il ne tient compte ni des westerns révisionnistes qui viennent de revoir complètement le genre (Little Big Man ou La Horde sauvage), ni des derniers westerns d'A. Mann ou de Ford lui-même, qui proposent des situations complexes, des personnages névrosés ou contradictoires. Le film se rapproche plus des westerns de série B des années 40 ou 50 que d'un western de la fin des années 60, où le genre est en pleine recherche et, il faut dire, en plein enterrement.

Il faut remarquer que le scénario de l'extraordinaire diptyque de Blueberry, La Mine de l'Allemand perdu et Le Spectre aux balles d'or, datant de 1972, reprend plusieurs éléments directement inspirés de ce film (la poursuite de l'or, un passage étroit dans une falaise, une cité pueblo, un filon d'or gigantesque, etc.). Comme quoi un western très quelconque et oubliable peut être à l'origine d'une des BD les plus remarquables.

dimanche 26 juin 2016

Persona (I. Bergman, 1966)




Très grand film de Bergman, qui donne ici, plus que dans aucun de ses autres films, une primauté presqu’absolue à l’image.
Persona est une sorte de poésie métaphysique et psychanalytique, dans laquelle Bergman explore la relation à l’autre, la sociabilité et les masques (1) qu’il faut porter pour être sociable.
Elisabeth est une actrice célèbre souffrante et Alma est son infirmière. Elisabeth se tait, Alma parle beaucoup. Face au mutisme d’Elisabeth, Alma parle sans cesse et subit alors comme une psychanalyse : elle se raconte. La relation devient progressivement trouble entre l’actrice et l’infirmière, Alma est attirée par Elisabeth, mais l’inverse n’est pas vrai et cela devient conflictuel. Et le film aboutit à une fusion des deux personnages qui, pour guérir, doivent retrouver la force de se replonger dans le monde. Chacune puise sa force dans l’autre. Ce qui semble importer, selon Bergman, c’est la relation à autrui. L’homme est un animal sociable sinon, sans l’autre, il meurt.

Bergman utilise avec génie deux actrices très semblables (Liv Ullmann, son actrice fétiche, et Bibi Andersson). Et cette ressemblance, rajoute, à l’image, un mélange d’identité des deux personnages.

Bibi Andersson et Liv Ullmann
Il s’agit donc d’un film sur l’altérité. Les deux personnages représentent la confrontation à l’autre, tout en reprenant la dualité qui agite Bergman (une part de soi cherche à rêver, l’autre cauchemarde).
Le film devient alors un pendant à la célèbre réflexion de Rimbaud sur l’identité :
« Car Je est un autre. Si le cuivre s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. […] La première étude de l’homme qui veut être poète est sa propre connaissance entière, il cherche son âme, il l’inspecte, il la tente. Dès qu’il la sait, il doit la cultiver ; cela semble simple : en tout cerveau s’accomplit un développement naturel ; tant d’égoïstes se proclament auteurs. »

Dans ce film très formaliste, Bergman use de gros plans (voire très gros plan), de contrastes de lumière, de photogrammes qui créent une puissante mise en abyme. Il décortique ainsi les masques, les superficialités de l’apparence, toujours en jouant sur la dualité.

La séquence pré-générique est détachée du corps du film : c’est beaucoup plus Bergman qui s’adresse au spectateur directement et non pas encore par le biais de l’histoire de l’infirmière et de sa malade.


Comme beaucoup de grands films, Bergman touche à l’universel : en développant cet intimité de deux êtres – éloignés d’abord puis de plus en plus proches, jusqu’à se confondre – c’est l’universalité des rapports de chacun avec autrui qui est montrée.



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(1) : Le mot persona désigne les masques antiques que portaient les acteurs de théâtre pour incarner leur rôle et qui dissimulaient leur visage. Le mot a séduit Bergman – il voulait d’abord nommer son film Cinématographie – d’autant plus que C. Jung utilise le terme en psychanalyse : il désignait par persona le masque social et par alma le subconscient. Bergman s’inspirera de cet autre mot pour nommer l'un de ses personnages.

jeudi 23 juin 2016

Le Mécano de la « General » (The General de B. Keaton, 1926)




Somptueux film burlesque, Le Mécano de la « General » est aussi un film d’aventures, sans cesse en mouvement, et, bien entendu, un film de guerre. Sans se départir de sa drôlerie, c’est un réquisitoire très dur contre la guerre, où l’agitation vaine et destructrice des armées qui courent en tous sens et les généraux ridicules sont dénoncés par Keaton.
La construction visuelle du film est fascinante, elle associe le mouvement de la locomotive, les espaces à franchir (multiplication de la relation poursuivi-poursuivant) et des jeux graphiques saisissants (ligne des rails, des travers, des obstacles, des poteaux ou du front, le tout s’entrecroisant dans des effets visuels répétés). Keaton-acteur est tout aussi génial. Son incroyable vitalité d’acrobate contraste avec son impassibilité légendaire et les situations et les gags s’enchaînent. Et son personnage, héros malgré lui, indifférent au fond au sort des autres ou de la guerre, veut simplement et humblement s’occuper de sa machine et retrouver sa dulcinée. Et Keaton mélange dans un cocktail comique l’adresse du professionnel qui maîtrise sa machine et les mille et une maladresses qui émaillent le film, rajoute le hasard qui vient à la rescousse du héros dépassé et joue avec la figure de l’anti-héros (qui se moque de l’engagement dans la guerre et accomplit des exploits guerriers malgré lui ou avec facilité).


Il faut remarquer la particularité du comique de Keaton, très différent de la majorité des autres réalisateurs burlesques, à commencer par Chaplin. En effet le burlesque suit le plus souvent un schéma narratif précis qui déclenche le rire : c’est la confusion entretenue entre deux actions très semblables mais qui renvoient à des situations très différentes. On voit par exemple Charlot de dos, et, abandonné par sa femme, il semble secoué de sanglots. Mais on découvre, dès qu’il se retourne, qu’il agite en fait un shaker et se prépare un cocktail. Le rire naît de la confusion des actions qui renvoient à des situations opposées (tristesse/joie).
Chez Keaton, au contraire, le rire naît de l’écart entre la situation donnée et l’action qui s’y déroule. Et la situation, le plus souvent, implique un paysage ou des décors gigantesque, qui constituent un tout englobant, dans lequel, minuscule, se débat le personnage joué par Keaton. Et le rire naît ou bien des gags à rebondissements qui s’enchaînent (ce qu’on a pu appeler le « gag-trajectoire ») ou bien de l’intervention, très fréquente chez Keaton, de machines, souvent gigantesques. Et ces machines sont sources de gags et de cascades improbables (en plus d’être un véritable partenaire dans Le Mécano). Ajoutons que le réalisme des cascades (ici il s’agit d’un vrai train et d’un vrai pont qui sont démolis).


Le comique de Keaton est donc à ce titre très différent du burlesque de Chaplin. Son personnage ne maîtrise pas l’environnement qui cherche sans cesse à l’expulser du cadre et l’oblige à mille acrobaties pour s’y maintenir, à l’inverse de ce qu’on observe chez Chaplin.

lundi 20 juin 2016

Assurance sur la mort (Double Indemnity de B. Wilder, 1944)




L’un des chefs-d’œuvre du film noir (genre qui n’en manque pas). Tout est parfait ici, depuis le déroulement du scénario, haletant et plein de surprises, jusqu’aux acteurs excellents et incisifs. Tous les éléments du film noir sont ici réunis, comme le mélange parfait et équilibré d’une recette implacable.
Le scénario (avec Chandler à la baguette, adaptant une histoire de James Cain), avec beaucoup d’intelligence, procède d’un long flash-back et n’hésite pas à nous révéler la clef de l’énigme : ce n’est pas sur le suspense en tant que tel que le film s’appuie, mais sur la fatalité, si propre au film noir et qui resurgit chez tant d’autres chefs-d’œuvre du genre (La Griffe du passé par exemple). Ici l’engrenage qui peu à peu broiera Walter (très bon Fred Mac Murray), une fois mis en marche, est inarrêtable. Et, malgré son intelligence et sa vista, Keyes (excellent Edward G. Robinson) ne parvient jamais jusqu’au cœur de l’affaire. Cette façon de se rapprocher de l’énigme, de tourner autour sans saisir complétement l’embrouille est captivante.


On assiste alors à une fascinante histoire à multiple fonds, depuis Walter qui est berné par Phyllis, la femme fatale, jusqu’à Keyes, spectateur de cette arnaque et qui fouille tant et plus pour comprendre. Un sublime film noir.


samedi 18 juin 2016

38 témoins (L. Belvaux, 2012)





Une femme est assassinée dans une rue du Havre en pleine nuit. La police enquête mais personne n'a rien vu, rien entendu. Mais un dernier témoin ne tient plus : il a entendu les cris de la jeune femme agressée. L'enquête repart et, en fait, il s'avère que, si personne ne l'a avoué, tout le monde a entendu et personne n'a rien fait.
C'est donc un film sur la lâcheté, qui cherche à inciter le spectateur non pas à comprendre pourquoi personne n'a réagi (il est simplement évoqué que les raisons sont multiples, mais là n'est pas ce qui intéresse le réalisateur), mais à juger cette absence de réaction des témoins. C'est d'ailleurs ce que demande le personnage principal quand il explique vouloir être jugé pour ce qu'il n'a pas fait, afin de soulager, tant que faire ce peut, sa conscience.
La reconstitution, en fin de film, est une des séquences les plus réussies, avec les cris de la victime qui vrillent la nuit et l'abattement des témoins. Comment vivre avec ce cri ? La lâcheté, nous dit Lucas Belvaux, implique de devoir vivre avec ce cri.
La ville du Havre – ville de ciment grise et figée, aux rues droites et anonymes – se prête très bien à ce silence lourd du quartier.

Mais il ressort du film un aspect décevant, l'impression qu'il y avait mieux à faire.
Le plus décevant est l'absence de suspense. On sait très vite que Pierre (Yvan Attal) se tait et on comprend tout aussi vite le fin mot de l'histoire. La seule surprise (si l'on peut dire) est l'efficacité de la dernière séquence.
Autre déception, elle aussi directement due au scénario qui cherche à titiller le spectateur, en lui demandant implicitement ce qu'il aurait fait dans la même situation mais en utilisant une situation exceptionnelle (être témoin d'un meurtre). Mais le spectateur, bien au chaud dans son fauteuil, est bien en peine de savoir comment il aurait réagi face à cette situation. Comment le spectateur peut-il intégrer dans sa vie de tous les jours une telle situation. Quel spectateur ne se dit pas qu'il aurait réagit en entendant les cris par exemple en appelant la police ?

L'autre déception vient du jeu des acteurs : Nicole Garcia joue très mal, mais le personnage qu'elle campe est très caricatural, et Yvan Attal – qui est le cœur du film – peine à faire passer, autrement qu'en le disant, les émotions lourdes qui détruisent son personnage. Il nous dit « je suis rongé par le remord », mais on ne le voit pas rongé par le remord. Les personnages secondaires sont tout aussi caricaturaux, depuis les enquêteurs jusqu'au procureur. Il y avait pourtant de quoi faire : le port du Havre, avec le lent ballet des porte-containers et le silence brumeux des docks, la froideur triste des rues de la ville, le ciment omniprésent qui pourrait imprégner les esprits. Mais la réalisation ne sent pas son sujet : on se croirait dans une série télé de second rang. C'est dommage, la lâcheté est un sujet classique qu'il est intéressant de continuer à traiter, surtout en regard de l'endormissement actuel de la société (ce que tente sans doute de dire Belvaux).




vendredi 17 juin 2016

Les Nains aussi ont commencé petits (Auch Zwerge haben klein angefangen de W. Herzog, 1970)




Film étonnant, à bien des égards unique, où l’on reste en compagnie de nains (il n’y a que des nains dans le film) échappés d’un asile et qui harcèlent le directeur de cet asile – lui-même nain –, qui garde en otage un des nains.
Le film ne raconte pas d’histoire, le déchaînement progressif des nains est sans raison, sans aboutissement. Mais certaines séquences sont incroyables (et improbables) : la séquence d’ouverture sur fond d’une musique délirante, l’épisode dans la chambre à coucher, les nains aveugles, et tout un tas de saynètes où le délire méchant et sadique des nains se révèle.


On pense bien sûr à Freaks, mais il n’y a pas ici l’entraide et la solidarité entre monstres, simplement des fous lâchés en liberté. Werner Herzog a 28 ans quand il tourne ce film, c’est dire à la fois la liberté incroyable du réalisateur (qui se fiche de donner un sens à son histoire), et en même temps sa sureté technique, sa confiance en les images qu’il capte.
Ce film délirant est, pour W. Herzog, un début de l’exploration de la folie. Ici il ne fait que la constater, l’observer. Dans Aguirre, L’énigme de Kaspar Hauser ou encore Fitzzcaraldo, il la scrutera bien davantage encore, avec l'acuité de son regard incroyablement créatif.


mercredi 15 juin 2016

L'Enigme du Chicago Express (The Narrow Margin de R. Fleischer, 1952)




Bon polar, qui est rapidement un angoissant huit-clos dans un train. En parallèle de l’intrigue qui se noue, Fleischer explore le dévouement sans limite des policiers, prêts à se faire tuer pour accomplir leur devoir (thème qu’il abordera de nouveaux dans Les Flics ne dorment pas la nuit). On regrettera un coup de théâtre un peu forcé et plusieurs incohérences.
Mais ce n’est pas ce qui intéresse le plus Fleischer, qui préfère promener sa caméra avec brio dans les compartiments du train, collant aux personnages, montrant les malfaiteurs s’approcher de plus en plus du pauvre témoin protégé par un policier qui fait ce qu’il peut et jouer au chat et à la souris avec les tueurs. Voilà de l’excellente série B. A peine le tournage achevé, on proposa d’ailleurs à Fleischer de retourner le même film mais avec plus de moyens et une distribution plus prestigieuse – avec Robert Mitchum notamment –, mais il refusa et le film, du coup, le temps de ces tractations, sorti 2 ans après la fin de son tournage.


lundi 13 juin 2016

Une balle signée X (No Name on the Bullet de J. Arnold, 1959)




Bon western de série B qui décrit l’arrivée de l’impitoyable tueur John Gant dans une petite ville. Le film propose deux originalités assez remarquables. Tout d’abord au travers de la figure angélique du tueur (Audie Murphy, la bouille ronde, les yeux bleus, calme et courtois), à l’opposé des figures de méchants habituels du cinéma qui rivalisent de sales gueules (de Jack Elam à John Ireland) ; d’autre part on ne sait pourquoi – ni, surtout, pour qui – le tueur est là. Qui est visé ? Quelle est la cible de ce tueur renommé ? C’est sur cette question que la bassesse des habitants se révèle, que les suspicions vont bon train, que les rancœurs enfouies rejaillissent. Le tueur, longtemps, ne laisse rien deviner de ses intentions.
Le dénouement (John Gant est effectivement venu pour exécuter un contrat) se permet même de sauver à la fois le héros – qui, ignorant tout de la réputation du tueur, avait sympathisé avec cet homme courtois – et John Gant.

La figure d'ange de l'impitoyable tueur

jeudi 9 juin 2016

Night Call (Nightcrawler de D. Gilroy, 2014)




Film assez quelconque, qui se veut une dénonciation violente et jusqu’au-boutiste des médias américains avides d’audimat, doublée d’une attaque sur les valeurs de travail de l’Amérique.
Le film montre comment Lou Bloom (Jake Gyllenhaal), jeune homme paumé qui bidouille comme il peut pour survivre, parvient à percer dans le monde des cameramen free-lance qui vendent leurs images chocs aux chaînes de télé. L’idée est alors d’arriver le plus vite possible sur place en cas d’accident ou de crime. Le top du top étant d’arriver avant même la police et de filmer en gros plan les cadavres ensanglantés. Le trait est très forcé, mais le ton est largement cynique.
Le film montre aussi comment Lou pervertit les valeurs américaines à son profit. En effet, non sans un certain humour noir glaçant, Lou analyse froidement, et avec une application sérieuse, les situations et les opportunités pour développer sa petite entreprise naissante, sans aucune considération morale mais simplement sur des critères d’offre et de demande ou de marketing. Il développe sa boîte, voilà tout. Le seul aspect réussi du film est, outre la composition de Gyllenhaal (mais sur un personnage sans finesse, sans complexité), de parvenir, par moment, à distiller une ambiance pesante et pessimiste.
Mais la dénonciation porte peu. Le problème est que le cynisme a bon dos : il n’y a rien de bien novateur dans ce film hautement caricatural. Lou représente une forme moderne d’aliénation et il incarne toute la perversion des valeurs américaines ; la journaliste représente le point le plus poussé de la course à l’image sans moral. Et cela n’ira pas plus loin. Les personnages sont rapidement posés, il ne sera rien dit ou rien montré d’autre.

Enfin, pour juger de l'originalité du propos, on ne manquera pas de rappeler que d'autres films, déjà, et pour certains il y a fort longtemps, ont dénoncé le cynisme des médias, avec force ou violence. On pense au Caméraman (1928), au Gouffre aux chimères (1952) ou encore à Network (1976). Rien de neuf sous le soleil, donc, avec Night Call.

mardi 7 juin 2016

The Place Beyond the Pines (D. Cianfrance, 2013)




Bonne surprise que ce thriller qui nous entraîne intelligemment sur une fausse piste : il nous embarque d’abord sur une histoire bien emmenée (mais un peu trop classique) d'un casse-coup qui se prend au jeu de hold-up. Mais là n'est pas la trame principale (c'est d'ailleurs amusant, les hold-up sont traités à la va-vite, en s'y attardant a minima) : Cianfrance refait le coup de Psychose et cisaille son récit en faisant mourir sa star après trois quarts d'heure de film. C'est alors que le film prend sa véritable dimension.


Luke (Ryan Gosling) définitivement hors course
L'idée de faire mourir la star est très bonne même si elle est tempérée par une autre star (d'un moindre calibre, mais que le spectateur reconnaît). Quand Luke (Ryan Gosling) trouve refuge en désespoir de cause dans une maison, parmi les policiers qui le poursuivent, un premier arrive et entre dans la maison pour le débusquer et le spectateur peut se dire « tiens c'est Bradley Cooper ». Il sait dès lors que ce policier a un rôle important, qu'il ne sera pas abattu vite fait par Luke. Si l'on ne s'attend pas à ce que Luke meurt on sait qu'il ne s'échappera pas non plus parce que c’est Bradley Cooper – et non un figurant lambda – lui fait face.

Cianfrance compose la même ambiance que le réussi Blue Valentine : il parvient à installer dans son récit une note triste, désenchantée, dont on ne parvient pas à s'extraire (même, par exemple, quand Avery Cross est salué en héros ou quand il monte dans la hiérarchie jusqu'à être procureur). Et le drame se noue 15 ans plus tard quand les deux histoires se relient de nouveau, au travers des deux adolescents. On tend alors vers une fresque (15 ans s'écoulent, deux générations se confrontent), ce qui était inattendu au regard de la première demi-heure.
Même si on sent le coup venir (l'enfant qui venge le père) et si certains éléments sont un peu convenus (le fils de policier qui se drogue par exemple, déjà vu dans Traffic de Soderbergh), le film est très réussi.
Bradley Cooper, plus habitué aux films faciles (Very Bad Trip) qu'aux drames, est très bien en flic rongé par son « acte de bravoure ». Et il porte une grande part du malaise qui s’installe tout au long du film.


samedi 4 juin 2016

Traquenard (Party Girl de N. Ray, 1958)




Très bon polar, dans lequel N. Ray insuffle à la fois un romantisme et mille couleurs baroques dans un genre qui ne s’y prête guère. Il n’hésite pas à faire se succéder des scènes de genres très différents allant du film de gangster classique à la comédie musicale, dont il reprend les couleurs chaudes.
Robert Taylor, en avocat véreux au service de la pègre et qui veut regagner son honneur (et le cœur d’une chanteuse délaissée), est remarquable. Pour l’avocat la rédemption passera par la trahison : il n’y a pas de héros dans ce film, que des âmes blessées et finissantes.


Le polar noir devient chatoyant (Cyd Charisse)
La composition de Lee J. Cobb en chef mafieux est très réussie. On voit dans ses mimiques les prémisses de celles de De Niro dans Les Incorruptibles de De Palma.

Lee J. Cobb interprète Rico Angelo le chef mafieux.
On trouve d’ailleurs dans ces mêmes Incorruptibles une scène reprise de Traquenard. Mais entre les deux films le code Hayes a été abrogé et ce n’est plus une queue de billard miniature qu’utilise le mafieux pour châtier le traître mais une batte de baseball grandeur nature. 

Rico Angelo s'apprête à punir le traître...
... de même que Al Capone mais avec une batte de baseball.
Et le gangster puni ne disparaît pas chastement sous la table qui masque les coups qui lui sont portés, mais c’est une mare de  sang qui se répand sur la table…

Le baroquisme de De Palma : vue verticale avec zoom arrière
sur la tête qui ensanglante la table blanche et bien mise

vendredi 3 juin 2016

Le Lauréat (The Graduate de M. Nichols, 1967)




Important film de Mike Nichols en ce qu’il est souvent considéré comme un des premiers films marquant le Nouvel Hollywood. Réalisé en marge des grands compagnies de production, par un réalisateur trentenaire, avec une certaine autonomie, en imposant un acteur peu connu et avec un budget relativement faible, Le Lauréat symbolise bien cette prise de distance, aussi bien du point de vue financier que du point de vue des idées, de jeunes réalisateurs avec les majors.
Nichols peint le portrait de deux générations, celle des pères et celle des fils – représentée par Benjamin Braddock –, qui s’opposent, s’entremêlent, s’affrontent, ne se comprennent pas vraiment. La génération des pères est présentée comme un carcan étouffant (amusantes recommandations des amis du père de Benjamin, l’engageant à consacrer son avenir dans le plastique), duquel cherche à s’extirper Benjamin, tant bien que mal. La façon dont Nichols enferme sans cesse son personnage dans le cadre est très bien faite. Les tentations  de Benjamin face à Mrs Robinson, puis ses péripéties pour séduire Elaine ne sont donc pas tant une rébellion (comme Nicholas Ray a pu la filmer dans les années 50 par exemple) ou un combat pour un idéal, mais plutôt l’agitation de quelqu’un qui cherche à se dépêtrer d’une asphyxie. Le portrait de l’Amérique ainsi brossé est donc assez féroce et désespérant, puisque la nouvelle génération ne porte pas non plus des espoirs faramineux quant à l’avenir.
En ce sens les deux séquences qui ouvrent et ferment le film résument à elles seules bien des choses. La première montre Benjamin, passif, qui se laisse porter  sur un tapis roulant. La métaphore du carcan dans lequel il est engoncé est parfaite.


La dernière séquence montre Elaine et Benjamin, dans le bus, qui s’échappent, et Nichols a l’intelligence de faire durer ce plan, jusqu’à dissoudre l’image classique du happy-end, qui se trouve alors déjà remis en cause : la roue de l’habitude et de l’accoutumance vient bien vite ternir cette belle image. En un dernier pied de nez, Nichols annonce des lendemains qui ne chantent pas.


Cette dernière séquence est d'une importance capitale : elle annonce complètement le Nouvel Hollywood. Si le film en lui-même est encore largement sous l'influence du cinéma classique américain, ce départ en bus ouvre la porte : l'itinéraire des deux amants, s'il avait du être raconté dans un film, aurait constitué l'esprit même du Nouvel Hollywood, fait d'itinéraires indéterminés, d'errances, de traversées de désert, en se laissant porter au fil des rencontres. D'Easy Rider à Vanishing Point en passant par la Balade sauvage ou Bonnie and Clyde, le cinéma filmera ces errances.
Dustin Hoffman, obtient par ce rôle une reconnaissance internationale et devient un des symboles de cette nouvelle génération d’acteurs bien loin des standards masculins habituels.
La bande originale, enfin, comprend les célèbres chansons de Simon and Garfunkel, dont Mrs Robinson, qui contribuera aussi au succès du film.

mercredi 1 juin 2016

L'Ange bleu (Der blaue Engel de J. von Sternberg, 1930)




Film mythique par quelques scènes avec Marlene Dietrich mais en réalité assez décevant. Un professeur respectable s’éprend d’une chanteuse de cabaret. Ils se marient et il devient son souffre-douleur, jusqu’à être humilié devant ses anciens élèves.
Si Marlene se révèle ici ce n’est guère en tant qu’actrice : elle est surtout filmée à faire un numéro de cabaret, d'où les images célèbres extraites de ces séquences. Le personnage principal est celui du professeur Rath : Emil Jannings, qui l’interprète, fait une composition étonnante.


Emil Jannings : il interprète le respectable professeur Rath... 


... qui finit en clown ridicule et humilié.
Quant à Marlene, elle sera bien mieux utilisée par von Sternberg, en tant qu'actrice, par exemple dans L’Impératrice rouge ou dans Agent X27.