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mardi 12 décembre 2017

Le Sacrifice (Offret de A. Tarkovski, 1986)




Le dernier film d’Andrei Tarkosvki est l’un des plus austères du réalisateur (qui compte pourtant bon nombre de films austères !). C’est que Le Sacrifice, en plus d’un rythme naturellement lent et économe en actions, est très bavard. Et il s’agit de longs monologues ou de dialogues où l’on parle surtout philosophie.
On trouvera moins de richesse formelle que dans d’autres films du réalisateur (même si, techniquement, tout est proche de la perfection), notamment parce que, le film étant bavard, l’expression de la caméra semble passer au second plan. Là où le cinéaste s’exprimait jusqu’alors par l’image, il semble ici s’exprimer aussi par des paroles. Le propos de Tarkovski y devient on ne peut plus théorique et perd sans doute en puissance : les paroles, chez le cinéaste russe, sont moins profondes que ses images. Cela dit le formalisme tarkovskien est à l’œuvre : le film s’ouvre sur un plan séquence très long qui, s’il n’est pas éblouissant, reste très technique et il se ferme sur un autre plan-séquence – l’incendie de la maison – qui, lui, est réellement éblouissant. Dans ce plan, toute la puissance visuelle de Tarkovski, construite autour des rapports de l'Homme aux quatre éléments, explose à l'écran. 



Ce dernier film, réalisé en Suède et avec une équipe proche de celle de Bergman, est, bien entendu, riche en symbole. Alexander, le personnage central, apparaît à bien des égards comme un double de Tarkovski (c’est un intellectuel reclus sur une île, en marge de la société et Tarkovski, alors, est en exil) et il ne cesse de douter et de s’interroger. Il ira ainsi presque jusqu’au suicide. Et sa fureur contre le monde moderne est celle de Tarkovski. Ce rejet de la civilisation est exprimé dans cet isolement, dans ce retour à la matière (l’eau, l’air, la terre et le feu s’y entremêlent), et dans l’enfant provisoirement muet (dont l’innocence ne peut s’exprimer, mais à qui seront réservés les derniers mots). Le mysticisme cher au réalisateur permet d'échapper à l'apocalypse promise au monde : plus ici que dans d’autres films, où elle n’était qu’une interprétation parmi d’autres, la croyance en Dieu (ou dans des forces mystérieuses) peut seule sauver le monde. Dieu sauve alors le monde et Alexander tient sa promesse : celle de cesser toute glose qui, finalement, empêche de vivre. L’extraordinaire séquence de l’incendie de la maison vient amener jusqu’à son terme cet élan de mysticisme.



On notera que le dernier plan du film (un mouvement de caméra ascendant sur l’arbre planté en début de film), qui est aussi le dernier plan du cinéaste, répond, par une magie étrange, à son tout premier, dans L’Enfance d’Ivan, où la caméra descendait le long d’un tronc d’arbre.

vendredi 31 octobre 2014

Stalker (A. Tarkovski, 1979)




Extraordinaire film de Andrei Tarkovski, qui emmène le spectateur dans un univers décalé, étrange, fait d’irréalité et de sensations.
Comme souvent avec Tarkovski, le rythme est très lent, il impose son formalisme, ses lents mouvements, ses personnages qui errent dans un univers étrange, ici une « zone » où des évènements mystérieux se déroulent, sans que tout soit bien identifié. Cette zone est traversée par deux hommes, accompagnés par leur guide – le stalker –, qui les emmène au cœur même de la zone, dans une mystérieuse chambre où, parait-il tous les vœux sont exaucés.
Le film, en faisant pénétrer les protagonistes au sein de cette « zone », est un parcours initiatique, conçu comme un passage vers un ailleurs mal défini. Dans la zone le monde semble arrêté, le temps ne s’écoule plus. Et, dans la chambre, au cœur même de la zone, on est dans un monde de rêve (la chambre existe-t-elle seulement ?).

Ce film à la fois lent et dense est difficile : on peut tout à fait passer au travers et s’ennuyer ferme, on peut aussi entrer dans la zone, guidé par le stalker, et contempler les lentes méditations de la caméra qui se perd dans les ruines, dans l’eau des flaques, dans les hallucinations des personnages. La désolation de la zone contrastant d’ailleurs avec la beauté formelle des images.
L’œuvre est typique de Tarkovski en incitant à la réflexion : on est aux confins de la métaphysique et on sent bien que Dieu est absent de cette zone, qu’il ne sera d’aucun secours pour les trois personnages quant à leurs espoirs, leurs illusions ou pour offrir un autre possible. Cette partition entre monde extérieur, la zone et la chambre cachée au cœur de la zone offre un entrelacs entre réel (le monde), irréel (la zone) et idéal (la chambre). On a ainsi un idéal (une chambre où nos vœux sont exaucés !) caché au cœur de l’irréel. Pour atteindre son idéal, il faut donc détruire la raison, la rationalité, la signification logique des choses.
Et au milieu de cet univers de sensation qu’est la zone, le stalker, pragmatique, qui connaît quelques règles propres à la zone qui permettent de la traverser, met en garde les personnages qui l'accompagnent : l'un est écrivain, il ne croit pas en la capacité de la chambre de réaliser tous les désirs, l'autre est scientifique et veut, lui, détruire cette chambre secrète.

La chambre, au cœur du cœur de la zone
On entre alors dans ce film comme on entre dans une cathédrale : on est englobé dans un ailleurs étrange où le temps se fige. On a cette impression de pensées qui sont mises en images. C’est là qu’est le génie de Tarkovski : proposer une réflexion qui passe par la poésie – austère et sombre – de l’image.

samedi 18 mai 2013

L'Enfance d'Ivan (Иваново детство de A. Tarkovski, 1962)




Dès son premier film Andreï Tarkovski développe un style incroyablement mature, avec un formalisme extrême, dévoué à l’esthétisme et au symbolisme, un rythme lent, des mouvements de caméra très travaillés. Autant d’éléments que l’on retrouvera chez lui films après films.
Son écriture très symbolique et métaphorique structure le film autour de deux lignes de force. D’une part la Nature, avec les éléments qui la composent et qui constituent une présence puissante et englobante. Tarkovski insiste sur cette matérialité environnante, avec une « foi dans la matière » qui, là aussi, sera un motif qu’il retravaillera inlassablement. Cette Nature, mélange d’eau et de de terre constitue la terre maternelle, celle de la Russie. D’autre part L’Enfance d’Ivan est un film sur l’innocence – ou plutôt la perte d’innocence – qui est symbolisée par Ivan, l’enfant jeté dans la guerre. Cette perte de l’innocence, nous dit Tarkovski, conduit inévitablement à la mort.



Union soviétique oblige, Tarkovski filme la victoire des Russes sur les armées allemandes, mais, dans ce film de guerre, on ne verra ni combat ni ennemi, simplement, autour de plans éblouissants, des visages, des pierres, du bois, de l’eau. Dans le noir et blanc épuré de l’image, tout prend une dimension presque fantastique, le cauchemar devient poétique.



L’absurdité de la guerre est dite dans cet enfant soldat, avec sa blondeur d’ange et ce caractère si dur et cassant. Ivan, l’enfant qui rêve de sa mère (sublime plan vertical du puits) ou de jeux sur la plage, broyé par ce monde de cauchemar, ne pourra survivre.

mardi 30 octobre 2012

Le Miroir (Зеркало de A. Tarkovski, 1975)




Film extrêmement riche mais aussi très ardu, Le Miroir est un vagabondage autobiographique d’Andrei Tarkovski qui joue avec les images de sa mémoire (images de sa mère, de sa maison d’enfance, etc.), les raccorde à celles de la Russie et cherche à relier le tout par la grâce du cinéma.
Le film est très complexe à la fois dans sa forme austère (comme toujours avec Tarkovski), mais aussi dans son montage (montage dit de correspondances), qui joue par associations d’images qui créent un récit complètement discontinu, qui va et vient entre le présent et différents moments du passé. Des séquences d’un passé lointain, d’un passé plus proche et d’un présent se succèdent, s’entrecroisent, sans relations temporelles logiques. C’est l’enchaînement des motifs qui justifie la juxtaposition des séquences : ce qu’évoquent les images, leur humeur, leur texture, le souffle du vent, une impression d’étouffement, une lumière particulière. Et ce sont ces échos des images entre elles qui fascinent.
Ainsi, pour Tarkovski, le montage n’intervient pas à l’intérieur d’une séquence (qui constitue des blocs à l’architecture parfaite), mais au jeu entre ces séquences (on voit là ce qui le différencie des réalistes russes classiques). Il explique d’ailleurs à propos du Miroir :
« Le montage du Miroir fut un travail colossal. Il y eut plus de vingt versions différentes. Et par « versions » je n’entends pas quelques modifications dans l’ordre de succession de certains plans, mais des changements fondamentaux dans la construction et l’enchaînement des séquences. J’avais l’impression par moments que le film ne pourrait jamais être monté et que des erreurs impardonnables avaient été commises au cours du tournage. Le film ne tenait pas debout, il s’éparpillait sous nos yeux, n’avait pas d’unité, pas de liant intérieur, pas de logique. Puis, un beau jour, alors que j’avais désespérément imaginé une dernière variante, le film apparut, le matériau se mit à vivre, les différentes parties du film à fonctionner ensemble, comme si quelque système sanguin les réunissait. Et quand cette dernière tentative désespérée fut projetée sur un écran, le film naquit sous mes yeux. J’ai longtemps eu du mal à croire à ce miracle, mais le film, cette fois, tenait debout. »
Et Tarkovski explique dans une expression magnifique ce qu’il cherche à obtenir (et ce qu’il fait, effectivement, dans Le Miroir) : « Le montage devient un collage de morceaux, grands ou petits, qui portent chacun en eux-mêmes un temps particulier. […] Le montage perturbe le cours du temps, l’interrompt et, simultanément, lui rend une qualité nouvelle. Sa distorsion peut être un moyen de son expression rythmique. Sculpter le temps ! »


Par-dessus cette opacité se rajoutent des personnages qui semblent s’entremêler (Margarita Terechkova jouant à la fois la femme et la mère du narrateur) et on comprend que le film demande plusieurs visionnages avant de pouvoir saisir la portée de ce qui est montré.
Tarkovski se raconte mais il cherche constamment à relier ses souvenirs – les images qui peuplent sa mémoire – avec les souvenirs communs et universels de la Russie. Sa question existentielle devient celle de tout un peuple.



Au milieu de l’entremêlât des séquences, deux surgissent et sont des clefs explicatives : la première séquence d’introduction, pré-générique, et l’avant-dernière.
La séquence d’introduction, où l’on voit un adolescent bègue, être guéri par une séance d’hypnose (menée par une thérapeute), peut être comprise comme le pouvoir de la suggestion sur l’esprit : pour Tarkovski cette puissance de suggestion c’est le cinéma lui-même, qu’il va utiliser pour tenter de se libérer du poids des souvenirs qui l’obsèdent et qui reviennent sans cesse dans son esprit, comme un bégaiement incessant. On verra d’ailleurs combien une image précise est ressassée – celle enfant où il revient dans la maison d’enfance mais sans parvenir à franchir tous les seuils – et comment une image différente – cette maison en flammes – le libérera.


L’avant-dernière séquence, quant à elle, montre le narrateur alité, dans un hypothétique présent, à demi-caché derrière un paravent, qui se montre optimiste et libère symboliquement l’oiseau qu’il serrait dans sa main. L’oiseau s’envole et le narrateur revoit enfin des images apaisées de son enfance, avec ses parents associés. La thérapie est achevée, le cinéma a fait son œuvre. La caméra, enfin libérée, peut s’enfoncer dans le paysage.