jeudi 31 janvier 2013

Règlement de comptes (The Big Heat de F. Lang, 1953)




Avec Règlement de comptes, Fritz Lang continue sa croisade virulente à l'encontre de la société américaine. C'est l'indistinction entre le Bien et le Mal qui sont l'objet de sa réflexion. Il s'appuie sur une petite ville où la corruption règne et où le chef de la mafia a des allures à la fois d'homme d'affaire et de politicien. Et si le flic intègre Bannion (très bon Glenn Ford, qui donne une grande densité à son personnage) est au départ l'exact opposé de la brute inhumaine et violente qu'est Vince Stone (Lee Marvin, dans une composition légendaire), le parcours de Bannion dans sa croisade anti-corruption, avec le terrible assassinat de sa femme, va le conduire à s'approcher de plus en plus de la limite incertaine qui différencie le flic du truand. Et, de plus en plus, Bannion devient monomaniaque, s'extrait de la société, arc-bouté sur son objectif de détruire la pègre. Mais il n'est plus question de faire respecter la loi, il n'est question que de vengeance.



La mise en scène parfaite de Fritz Lang équilibre ce qui est montré et ce qui est laissé hors-champ (splendide construction de la scène d'ouverture), et la caméra sait suivre les personnages ou s'arrêter parfaitement (on ne voit pas Debby être ébouillantée, son hurlement suffit) et Lang joue des gros plans et des changements de focales, joue sur la profondeur de champ, construit son cadre avec une maîtrise totale.



Règlement de compte vient donc s'insérer parfaitement dans la lignée des films américains de Lang et il est l'une des grandes références de ces films noirs qui joue parfaitement de l'indistinction entre Bien et Mal, qui questionne cette frontière. On pense par exemple au Carrefour de la mort de H. Hathaway, articulé lui aussi sur l'exploration de cette frontière mais du côté du truand, avec Nick Bianco qui veut s'acheter une conduite mais qui reste contraint par son milieu (et, là aussi, un tueur sadique qui rôde autour).

mardi 29 janvier 2013

Cet obscur objet du désir (L. Buñuel, 1977)





Ce dernier film de Luis Buñuel est tout à fait dans la lignée de sa période française : sous des dehors classique, il brille à la fois par son inventivité et par son irrévérence permanente, ici en explorant les dessous on ne peut plus sadomasochistes d’un couple.
Si le film commence avec cette application typique et classique de Buñuel, très vite des éléments incongrus apparaissent et commencent à faire dévier le récit. Ici l’explosion d’une bombe par des terroristes (explosion accueillie avec une distance étrange, comme si ce n’était qu’une contrariété, comme un embouteillage un peu contraignant), là un nain qui prend place dans le wagon. Et c’est ainsi que Buñuel lance le cœur de son sujet : le récit par Mathieu (Fernando Rey, fidèle du réalisateur, comme toujours parfait) de sa relation troublée avec Conchita.


Et comme ce couple est complexe, Buñuel a une idée de génie : à l’image ce seront deux actrices qui vont interpréter le même personnage. L’une, Angela Molina, sera la Conchita chaude, brûlante et sensuelle ; l’autre, Carole Bouquet, sera la Conchita froide et calculatrice. Mathieu, alors, va raconter par le menu sa soumission sans limite à Conchita, qui va l’humilier, le frustrer, le rabaisser, esclave qu’il est de sa quête de jouissance, jouissance qui lui est refusée.

Angela Molina est une Conchita sensuelle et brûlante

Carole Bouquet est une Conchita froide et calculatrice
Mais Buñuel enrichit considérablement le propos de deux manières : d’une part les interlocuteurs de Mathieu, dans son wagon, sont une mère de famille, un magistrat et un psychologue. Et, tous approuvent (ou du moins ne désapprouvent pas ni ne stigmatisent) la relation sadomasochiste. La société, représentée par les occupants du wagon, semble alors accepter cette relation perverse.
Le second aspect relie davantage encore la société entière à la relation sadique entre jouissance et douleur : le film est émaillé d’actes terroristes (explosion, fusillades, hommes armés, etc.) face auxquels la société semble bien apathique et résignée, presque détachée. Si ces actes ont une résonance contemporaine en évoquant les années de plomb, il est probable que, venant de Buñuel, il faille y voir un peu plus que la simple évocation d’un contexte historique. En fait c’est comme si le corps social ne luttait pas contre cette douleur subie et qu’elle en prenait juste acte. C’est un peu comme si tout le monde, dans la société, avait une part de sadomasochisme. Idée buñuelienne s’il en est…


samedi 26 janvier 2013

Toni (J. Renoir, 1935)




Très important film de Renoir, qui aura une importance capitale dans le cinéma européen, Toni marque une rupture chez Renoir et annonce de grands chefs-d’œuvre à venir. Renoir filme en Provence, sur les terres de Pagnol (Pagnol qui finance le film, propose son équipe technique et même des acteurs).
Si la trame est simple (Toni, fraîchement débarqué d’Italie, se lie avec sa logeuse mais en aime une autre), Renoir filme l’impasse dans laquelle sont enfermés les personnages avec une tension et une rugosité qui semblent liées à l’univers social, lui-même contraint par la nature qui les environne. C’est ainsi que les accents, le vent dans les herbes, les moments de vie, les paysages prennent une dimension particulière.



Et si le film n’a pas le chatoiement de Partie de campagne, ce n’est pas tant que l’histoire s’y prête moins (elle est ici bien plus sordide) que parce que l’humeur de la Provence n’est pas celle du bord de l’eau champêtre de Maupassant. Or le génie de Renoir est précisément dans cette façon de saisir une ambiance, une diaprure, ou d’une teinte particulière d’un endroit ou d’un moment pour en faire vibrer l’image.
Visconti, assistant de Renoir sur ce film, saura retenir du maître cette attention au réel, cette façon de saisir l’humeur d’un pays, d’une parole ou d’un geste et de le raccorder à un univers. C’est ainsi que ce film est souvent cité comme précurseur des grands films italiens néo-réalistes de Rossellini, De Sica ou, bien entendu, Visconti.

jeudi 24 janvier 2013

The Lodger (A. Hitchcock, 1926)




Avec The Lodger, Alfred Hitchcock, après avoir réalisé trois films, franchit une étape importante : à travers ce récit adapté de l’histoire de Jack L’Éventreur, se mettent en place à la fois des thématiques que l’on retrouvera tout au long de son œuvre futur, mais aussi un style et un ton qui sera si caractéristique.
On retrouve en effet ce grand thème du faux-coupable qui sera comme un grand fil rouge à travers bien des films (et bien des chefs-d’œuvre) d’Hitchcock. Ici le doute s’installe très vite sur l’identité de ce mystérieux locataire (qui semble tout faire pour paraître suspect) et Hitchcock s’amusera à emmener ce doute le plus loin possible.


Le film ensuite, montre la maestria d’Hitchcock et son inventivité de metteur en scène, depuis la première séquence magistrale qui installe un climat d’angoisse en quelques plans fixes, jusqu’à la célèbre séquence où la logeuse entend son locataire arpenter le plafond. Dans cette séquence, Hitchcock utilise un plafond de verre et le spectateur voit – puisque le film est muet – ce que la logeuse entend (Hitchcock détaille fièrement l’astuce technique auprès de Truffaut dans ses entretiens). Le film est donc l’occasion d’expérimentations visuelles qui sont une démonstration (toujours faite, on le voit, au service de la narration) de l’art déjà très abouti d’Hitchcock. Et il joue aussi – déjà – à mener son spectateur par le bout du nez, le laissant sur la corde raide de l’incertitude quant à la culpabilité du locataire. Il met ainsi en place toute une série d’images qui jouent comme autant de symboles.
Hitchcock, enfin, change de ton avec aisance (encore une caractéristique fameuse du maître, qui aimait tant mettre une distance ironique dans ses films) passant de l’horreur pure (la scène d’ouverture), à la comédie romantique, pour mieux revenir à un suspense purement policier.


On notera que Hitchcock refera un film très proche en terme de thématique : l’arrivée dans une petite pension de famille tranquille d’un locataire qui sème un désordre (et dont la fille de la maison s’éprend) et autour duquel le doute s’installe, sera le cœur même de L’Ombre d’un doute, avec le fameux oncle Charlie venu rendre visite à sa famille.

Si la thématique de Jack l'éventreur sera souvent reprise au cinéma, on retiendra les bonnes versions de J. Brahm (Jack l'Éventreur) en 1944 et de H. Fregonese (Man in the Attic) en 1953.

mercredi 23 janvier 2013

Gentleman Jim (R. Walsh, 1942)




Très bon film de Raoul Walsh qui continue de réaliser des films réjouissants avec Errol Flynn en vedette. Ici il exprime un grand classique du rêve américain, avec un jeune défavorisé qui, par le talent de ses poings, va devenir une star.
Walsh maîtrise complètement son sujet, jouant avec aisance sur les variations de  rythme ou de tons, sur la succession de scènes de bagarre ou de saynètes drôles. S’il construit un parcours merveilleux pour son héros, il ne le ménage pas pour autant, montrant sa rustrerie, son insolence ou son caractère parfois insupportable. Errol Flynn d’ailleurs, très à l’aise et tout feu tout flammes, trouve ici un personnage qui lui va comme un gant puisque de nombreuses qualités ou défauts se retrouvent aussi bien chez l’acteur que chez le personnage.



Le San Francisco de la fin du XIXème siècle est parfaitement rendu, de même que le développement de la boxe qui, de clandestin, devient progressivement un sport reconnu et encadré par des règles strictes. Dans les combats de boxe proprement dits, Walsh insiste uniquement sur le jeu de jambes légendaire de Jim, qui s’oppose aux techniques plus rustiques et violentes de ses adversaires.
Si le film de boxe illustre bien souvent la trajectoire victorieuse telle qu’exprimée ici, Gentleman Jim, par son rythme, sa décontraction, sa maîtrise, le jeu de son acteur principal constitue un des plus grands films du genre, aux côtés de Nous avons gagné ce soir, Fat City ou Raging Bull.

lundi 21 janvier 2013

Le Corbeau (H.- G. Clouzot, 1943)




Très grand film qu’il faut voir aujourd’hui en le détachant de son histoire pour pouvoir profiter de sa perfection, à la fois formelle et dans l’étonnante puissance cinématographique qu’il dégage.
C’est que le film, réalisé en 1943 par la Continental, qui était alors financée par les Allemands, a réussi la sinistre gageure d’être rejeté à la fois par le régime de Vichy et par la France de la Libération. De censure en censure, le film eut son lot de malheurs, de même que le réalisateur et les comédiens qui durent subir des accusations de collaborationnisme. Sinistre ironie pour ce film dénonçant la délation.

Mais aujourd’hui le film apparaît davantage pour ce qu’il est : une galerie de portraits au vitriol de la société française. Clouzot insiste d’emblée : le village au cœur du récit pourrait être n’importe lequel, ce n’est rien de moins que la substance de la France dont il va être question. La délation, la rumeur, la traîtrise, la lâcheté, voilà ce qui semble animer la France de 1943. Et il n’est fait nulle référence à l’Occupation ou aux Allemands : ce sont les Français seuls qui sont en cause. Le mal est en eux. Et il ne s’agit pas seulement d’un coupable – un corbeau qui envoie lettres sur lettres pour menacer, dénoncer ou faire courir de fausses rumeurs – c’est tout le village qui sert de relais, d’amplificateur, de creuset au précipité chimique de la délation.
Clouzot lance son intrigue en jouant sur le symbole de l’hôpital qui, bien loin de guérir, semble au contraire être à l’origine du mal : depuis les médecins jusqu’aux infirmières, il n’est pas un personnage qui soit moral ou intègre.



A cette galerie de portraits répond une brochette d’acteurs parfaits qui donnent une dimension considérable à chaque personnage – et donc au film lui-même. Derrière les stars Pierre Fresnay et Ginette Leclerc, on trouve des seconds couteaux aguerris et épatants (Pierre Larquey, Noël Rocquevert, etc.).

La mise en scène de Clouzot atteint une perfection rare : tout est précis, pensé, construit avec intelligence, en sentant parfaitement comment balader le spectateur, de suspect en suspect. On sent alors, confusément, combien, au fond, c’est tout le village qui est coupable. Cette indistinction entre le Bien et le Mal participe de la terrible noirceur pessimiste du film. La fameuse scène où l’ampoule se balance violemment est ainsi un bel exemple de la dimension métaphorique du film. Et si le Docteur Germain, devant qui oscille cette ampoule, semble hésiter entre le Bien et le Mal, c’est lui, finalement, qui recouvrera son intégrité et démasquera le coupable.



vendredi 18 janvier 2013

Ocean's Eleven (S. Soderbergh, 2001)




Remake décontracté du film de Milestone, qui vaut pour l’ambiance cool, chic, sport et high-tech orchestrée par Steven Soderbergh dont la fluidité narrative déroule avec facilité le braquage complexe organisé par Danny Ocean et sa bande.



Soderbergh, dans un style assez documentaire mais chatoyant, enlevé et même clairement séducteur, prend un évident plaisir à diriger sa bonne brochette d’acteurs (y compris du côté des méchants : Andy Garcia est venimeux à souhait) et à jouer sur un rythme parfait, joueur et plein d’élan (bonifiant le film original qui était trop mollasson).



L’idée, évidemment, est de se laisser porter, sans trop chercher à décortiquer les rouages de l’organisation ou à bien saisir tous les artifices (ce que bon nombre de films de braquage incitent à faire). Il s’agit de prendre un plaisir cinématographique simple : Soderbergh, en définitive, a peu de choses à dire, mais il les dit très bien.

Le succès du film, c’était inévitable, a entraîné deux suites assez faiblardes (Ocean’s Twelve et Ocean 13), qui surjouent la décontraction et tournent rapidement à vide.

jeudi 17 janvier 2013

La Complainte du sentier (Pather panchali de S. Ray, 1955)




Très important film de Satyajit Ray qui, pour sa première réalisation, et alors qu’il n’a ni expérience ni argent, décide de tourner le dos aux importants studios, qui imposent une esthétique loin de ses aspirations. Il s’enfonce dans L’Inde et pose sa caméra aux abords d’un village pauvre, réquisitionne des acteurs non-professionnels et tourne avec trois francs six sous.
Le regard que pose Ray sur l’Inde est celui des néoréalistes en Italie : il parvient à saisir l’essence du pays, à capter l’âme de l’Inde. Le film est une lente chronique, doucement rythmée par une musique au sitar, de la vie de la petite famille d’Apu, le garçon de sept ans, entouré de sa sœur, de sa mère qui porte les enfants à bout de bras et d’un père trop absent.



La grande réussite de Ray est d’avoir su intégrer ses influences néoréalistes (Ray est un fin cinéphile) en les transposant de l’Italie à l’Inde. L’authenticité qui apparaît l’écran est d’autant plus surprenante que Ray lui-même est issu d’une bourgeoisie aisée (il a pu rencontrer Jean Renoir lors du tournage du Fleuve, preuve, s’il en est, qu’il ne vivait pas dans un village pauvre et reculé). Mais Ray, au travers de sa caméra, a une perception aiguë de la vie du cœur battant de l’Inde : il saisit des moments, des petits événements de tous les jours et, bien loin d’un quelconque misérabilisme, c’est au contraire une poésie qui envahit l’écran, une poésie indienne, lente, très lyrique.
Et le miracle s’accomplit : la peinture de ce petit coin de village perdu porte une humanité douce, touchante, humble et infiniment universelle.



mardi 15 janvier 2013

Star Trek, le film (Star Trek: The Motion Picture de R. Wise, 1979)




Cette première adaptation au cinéma de la série télévisée apparaît bien vieillie aujourd’hui. D’autant plus si on compare le film à La Guerre des étoiles, sorti pourtant un an auparavant, mais dont le rythme et l’action efficaces ont bien mieux supporté les années. Il faut dire qu’ici le rythme est très lent et peu spectaculaire. Cela n’est en soi pas rédhibitoire mais le scénario n’est guère convaincant : il laisse présager beaucoup d’étrangeté avant de médiocrement retomber sur ses pieds. C’est regrettable tant la découverte de nouveaux mondes est motivante pour le spectateur (américain en particulier, mais pour tout amateur de cinéma en général), la science-fiction ayant d’ailleurs repris le flambeau du western en illustrant un nouvel espace de confrontation, avec la technologie du futur qui permet de partir à la découverte d’un univers sauvage et inconnu. Rien de tout cela ici où le voyage dans l’espace ne mène pas bien loin et où les découvertes se cantonnent à retrouver une vieille sonde qui a traversé l’espace en tous sens (mais pas le spectateur, c’est un peu dommage).



À l’inverse de ce premier opus, les épisodes les plus récents de la saga ont complètement intégré la dimension spectaculaire starwarsienne, en ne proposant rien de plus qu’un spectacle habituel de film d’action.

samedi 12 janvier 2013

Opération Tonnerre (Thunderball de T. Young, 1965)




Encore un James Bond très réussi avec Sean Connery en vedette. La série a mûri (en installant une séquence d’action prégénérique, elle met en place le dernier code qui deviendra incontournable) et elle dose parfaitement les éléments du cocktail que vient voir le public. On est ici dans la mise en place d’une recette comme dans toute série qui se respecte. Le film est donc sans surprise : les spectateurs qui auront aimé les premiers opus seront ravis et, de la même façon, ceux qui n’ont pas aimé les précédents n’ont aucune raison d’aimer davantage celui-ci.



Il n’y a donc aucune réelle originalité (là n’est pas ce qui est attendu) mais le charisme de Sean Connery nous emporte avec plaisir dans ses aventures, devenues gentiment kitchs aujourd’hui.

mardi 8 janvier 2013

Une approche du cinéma comme art : l'émotion de la création




Alain Bergala, dans son livre « L’hypothèse cinéma », rappelle le but que Nabokov s’assignait lorsqu’il enseignait la littérature, devant ses étudiants :
« J’ai essayé de faire de vous de bons lecteurs, qui lisent non dans le but infantile de s’identifier aux personnages du livre, ni dans le but adolescent d’apprendre à vivre, ni dans le but académique de s’adonner aux généralisations. J’ai essayé de vous apprendre à lire les livres pour leur forme, pour leur visions, pour leur art. J’ai essayé de vous apprendre à éprouver un petit frisson de satisfaction artistique, à partager non point les émotions des personnages du livre, mais les émotions de son auteur – les joies et les difficultés de la création. Nous n’avons pas glosé autour des livres, à propos des livres, nous sommes allés au centre de tel ou tel chef-d’œuvre, au cœur même du sujet ».

Et A. Bergala conclut : « Nabokov définit là avec une grande exigence ce que devrait être une approche du cinéma comme art : apprendre à devenir un spectateur qui éprouve les émotions de la création elle-même ».



vendredi 4 janvier 2013

Association criminelle (The Big Combo de J. H. Lewis, 1955)




Excellent film noir (bien que méconnu), qui brille à la fois par son classicisme, avec une ambiance inquiétante et violente, des relations troubles, érotiques ou ambiguës entre les personnages et, dans le même temps, qui brille par l’inventivité de Joseph H. Lewis qui nous gratifie de quelques séquences éblouissantes, telles que l’exécution silencieuse de McClure, au sonotone arraché, ou la séquence finale dans la brume. La distribution, articulée autour de Cornell Wilde, est excellente. Des jeux de lumière fascinants et une bande-son très jazz enveloppent le tout.



On voit ici combien la vista d’un réalisateur peut épouser les thèmes classiques d’un genre tout en lui donnant une patte singulière. On tient là un joyau du film noir.

mercredi 2 janvier 2013

La Folle ingénue (Cluny Brown de E. Lubitsch, 1946)




Ayant alterné tout au long de sa carrière des comédies sur fond historique (le communisme dans Ninotchka ou le nazisme dans To Be or Not to Be), la comédie sophistiquée (Haute pègre, Sérénade à trois) et la comédie romantique (The Shop Around the Corner), Ernst Lubitsch conclut sa carrière avec cette comédie qui reprend toutes ces variations à la fois, mettant en scène un milieu aristocratique comme Lubitsch les aime tant, un écrivain qui fuit le nazisme et la légèreté d’un jeu de séduction charmant entre gens modestes.
Le duo au centre du récit est savoureux, avec Charles Boyer en écrivain pique-assiette et à l’esprit libre un peu farfelu qui fait face à Jennifer Jones, dans un registre surprenant, loin de ses rôles les plus célèbres (où elle joue – avec une sensualité brûlante, par exemple dans Duel au soleil ou Ruby Gentry). Ici elle incarne Cluny Brown ingénue (le titre français, une fois n’est pas coutume, dit bien les choses) et pétillante. Lubitsch joue avec ses deux personnages qui se tourneront autour avec plaisir, sur fond de carcan aristocratique dont Lubitsch se plait à gratter le vernis.
Le film alors ne s’en remet plus à la malice fine et précise de la « Lubitsh Touch », mais il s’appuie sur le jeu des deux personnages centraux (retrouvant un peu l’humeur de The Shop Around the Corner), sur lesquels Lubitsch pose un regard tendre, sur des dialogues savoureux, sur des situations que dégoupillent avec délice Cluny Brown ou Adam Velinski.



Lubitsch, pour ce qui est son dernier film, ravit donc une dernière fois, en sabordant l’aristocratie – sa cible favorite mais qu’il aime tant – et en faisant l’éloge de l’incongruité, de la liberté, de la légèreté qui doit s’immiscer dans les fissures du carcan social.