samedi 30 octobre 2021

Larmes de joie (Risate di gioia de M. Monicelli, 1960)





Larmes de joie, s’il est sorti au cœur de la grande période de la comédie italienne, et s'il est réalisé par celui-là même qui réalisa le premier chef d’œuvre du genre (Le Pigeon), reste assez laborieux. C’est d’ailleurs ce qui surprend le plus : malgré tous les ingrédients qu’il contient, l’alchimie ne se fait pas et le film ne s’élève jamais au-dessus de sa narration, comme si les situations emprisonnaient les personnages. Malgré Monicelli à la baguette, malgré Toto, malgré Anna Magnani et Ben Gazzara, malgré Age et Scarpelli au scénario, la sauce ne prend pas vraiment et le film peine à trouver le bon ton et le bon rythme.
Il faut peut-être, alors, comprendre les choses différemment : une somme de talents – aussi grands soient-ils – ne garantit rien. Pour que l’alchimie joue et que de l’or surgisse à l’image, il faut un quelque chose qui ne saurait se résumer à une somme de talents. Ici les ingrédients sont là mais il manque cette mystérieuse transmutation qui, comme par miracle,
envahit l’écran et montre que le tout est supérieur à la somme des parties, comme dans les plus grands films, qui ont toujours, sans doute, une part de miracle en eux.


 

jeudi 28 octobre 2021

Images de la vie (Imitation of life de J. Stahl, 1934)

 



Film originel sur lequel s’appuiera Douglas Sirk pour son extraordinaire Mirage de la vie, Images de la vie est lui aussi un film admirable et riche. Le regard sur la place des Noirs est très dure, aussi bien chez la tante Delilah (admirable Louise Beavers), éternelle domestique, que, bien sûr, chez Peola (jouée par Fredi Washington, une véritable actrice noire – ce que ne reprendra pas Sirk), qui est à fleur de peau tout au long du film. Images de la vie est ainsi l'un des premiers films à aborder la question du passing (terme désigne les Noirs qui se font passer pour Blancs pour échapper à la ségrégation). Il sera suivit, plus tard, par Pinky, L'Esclave libre ou, par le remake de Sirk).


Si le film n’a pas la vista et la richesse de son remake, Images de la vie bénéficie néanmoins de l’éblouissante Claudette Colbert, avec sa bouille pétillante, qui dynamise et irradie le film, lui donnant une coloration optimiste au milieu d’un regard bien sombre (non pas dans le regard social – la réussite financière de Beatrice n’a d’égale que sa bonté – mais dans le rapport entre les communautés).


mercredi 27 octobre 2021

Le Livre de la jungle (Jungle Book de Z. Korda, 1942)

 



Alors que les longs-métrages de Walt Disney font mouche à tous les coups, Le Livre de la jungle s’inscrit dans le genre pas si courant des films pour enfants. Même si le film est aujourd’hui délicieusement suranné, Zoltan Korda propose une mise en image charmante, exotique et réussie de la nouvelle de Kipling. Il entraîne le spectateur dans un ailleurs savoureux et chatoyant, empli de mille péripéties et de bêtes sauvages.
Si Walt Disney lui-même, quelque vingt-cinq ans plus tard, proposera
son propre imagier qui marquera les mémoires, ce film de Korda est une vraie réussite du genre.

 


lundi 25 octobre 2021

L'Amour en quatrième vitesse (Viva Las Vegas de G. Sidney, 1964)





Ce musical qui met en vedette Elvis Presley pâtit d’une intrigue minimaliste sans grande saveur. En revanche elle permet à George Sidney de multiplier les moments musicaux, d’autant plus qu’il a la bonne idée d’adjoindre au King une partenaire qui lui donne la réplique en chanson. Pour le reste on trouve tous les ingrédients chers au genre.
L’ensemble est bien sûr suranné et apparaît aujourd’hui volontiers kitch, mais c’est là aussi, sans doute, que se situe une bonne part de la légende d’Elvis.



samedi 23 octobre 2021

Ivanhoé (Ivanhoe de R. Thorpe, 1952)





Richard Thorpe lance avec son Ivanhoé la première de ses adaptations de Walter Scott. Il faut dire qu’il a trouvé en Robert Taylor l’interprète idéal : charisme, yeux bleus, port aristocratique naturel, élégance toute chevaleresque. Il suffit alors de l’entourer de jolies femmes (Joan Fontaine et la toute jeune Elizabeth Taylor), de lui donner une cause noble (libérer Richard Cœur de Lion) et de lui opposer des méchants très méchants (Georges Sanders et un remarquable Guy Rolfe dans le rôle du prince Jean). Et, ensuite, le talent de Thorpe fait le reste et équilibre les moments romantiques et l’action pleine de panache du tournoi, les trahisons et les batailles rangées, les beaux paysages et les décors très hollywoodiens. Et, dans ce mélange réussi, Hollywood donne sa pleine mesure dans ce qui reste un très grand film du genre.
Conscient des qualités du film, la MGM reprendra à la fois Richard Thorpe et Robert Taylor pour raconter, avec le toujours même plaisir pour le spectateur, les histoires des Chevaliers de la table ronde et de Quentin Durward.



jeudi 21 octobre 2021

Monsieur N. (A. De Caunes, 2003)





Si ce n’est pour l’originalité de son parti-pris scénaristique (le film s’intéresse aux derniers moments de Napoléon exilé à Sainte-Hélène), Monsieur N. n’est guère passionnant. Certes Philippe Torreton s’en sort bien en Napoléon et Richard E. Grant campe un Hudson Lowe détestable à souhait. On apprécie l'entrée en scène de Napoléon, qui est filmé en intérieur, enfermé dans des pièces sombres, coincé derrière des persiennes. Lui qui, naguère, dominait les champs de bataille d'Europe, en est réduit à des joutes oratoires avec son triste geôlier. S'il domine son adversaire, il s'agit d'une piètre consolation pour celui qui est descendu de son piédestal et qui ne l'accepte pas.
Mais, pour le reste, Antoine De Caunes n’est guère convaincant avec une réalisation assez molle et des allers-retours dans la narration bien peu utiles : le film aimerait promettre une grande révélation mais il ne semble pas y croire lui-même.



lundi 18 octobre 2021

Moonrise Kingdom (W. Anderson, 2012)

 



Faisant suite à Fantastic Mr. Fox, on retrouve dans Moonrise Kingdom – et avec quel plaisir ! – tout le style de Wes Anderson, style affirmé depuis longtemps et qui est fait de jeux géométriques francs, d’axes de symétrie qui découpent le cadre, de mouvements de caméra angulaires, de champs-contrechamps accentués, d’une grande profondeur de champ qu’il s’amuse à remplir sans cesse, de cuts tout en rupture et d’une bande son à la fois désuète et drôle. A cela s’ajoute bien sûr ce second degré permanent, qui permet de mettre en scène des personnages décalés, certains déprimés et las de vivre, quand d’autres sont emplis d’énergie, virevoltants et aspirent à surgir et à traverser le cadre en courant (on trouve très tôt chez Wes Anderson ces personnages aux aspirations diverses, par exemple dans Rushmore).
Anderson mélange ce petit monde dans un univers délicieusement décalé, jouant d’aplats de couleurs sépia, d'images incongrues, de décors cartoonesques et d’accessoires désuets (il faut voir les deux jeunes héros fugueurs danser sur un vinyle de Françoise Hardy au bord de la plage !). Tout cela crée une atmosphère immédiatement reconnaissable et délicieuse, déjà parfaitement en place depuis La Famille Tenenbaum. Et – jeux de contradiction qu’adore Anderson – il donne à ses jeunes héros des aspirations et des préoccupations d’adultes, créant un décalage très drôle. De cette mixture improbable mais complètement contrôlée et génialement équilibrée surgit l’étrange tonalité wesandersonienne à la fois mélancolique et drôle (on a pu parler à son propos de mélancomique).


Et, comme toujours, Wes Anderson s’amuse avec un casting improbable et prestigieux, jouant de contre-emplois permanents (de Bruce Willis en flic pépère à Edward Norton en chef scout dépassé). Et, bien sûr, comme une signature, Bill Murray est toujours là, en quinqua bedonnant et déprimé. Il faut le voir l’œil vide et le torse nu, une bière dans une main et une hache dans l’autre, s’en aller couper du bois le soir venu.

 

vendredi 15 octobre 2021

Le Jour du vin et des roses (Days of Wine and Roses de B. Edwards, 1962)





Blake Edwards, plus habitué aux comédies, parvient, dans ce film très dur, à jouer de variations de tons, passant de moments légers à des climax violents et très sombres. Avec beaucoup d’habileté, il empêche ainsi le film de tomber dans une noirceur outrée qui réduirait le propos.
Il est bien aidé par un scénario habile puisque, après un premier quart d’heure un peu convenu, il associe la relation à l’alcoolisme avec la relation au sein d’un couple : l’alcool unit d’abord Joe et Kirsten avant de les séparer et de les détruire. Et, si Joe parvient à se sortir de l’emprise de l’alcool, il préfère renoncer à sa femme que de risquer de replonger une nouvelle fois. On ressent alors parfaitement le Mal que constitue l’alcool, qui détruit l’individu jusqu’à ce qu’il a de plus cher : pour Joe, renoncer à l’alcool signifie renoncer à sa femme qui est aussi la mère de sa fille.

Blake Edwards est aussi aidé par un duo d’acteurs remarquables. On notera avec quelle facilité Jack Lemon, légendaire vis comique de Certains l’aiment chaud, met toute son expressivité au service d’un rôle dramatique (voir la séquence incroyable dans la chambre capitonnée : on a rarement vu une caméra chercher à capter la douleur délirante d’aussi près). Et Lee Remick parvient aussi à montrer comment Kirsten, jeune et jolie, sombre peu à peu jusqu’à la solitude dépravée. Le film fait ainsi l’économie d’un happy-end franc (Joe s’en sort, mais à quel prix ! ; Kirsten est laissée face à elle-même) qui aurait été une façon de conclure un peu facile et qui aurait atténué le propos (erreur, par exemple, du Lost Weekend de Wilder, sur le même thème).

 

mercredi 13 octobre 2021

Les Cavaliers (The Horsemen de J. Frankenheimer, 1971)




Cette adaptation de l’immense roman de Kessel laisse (forcément) sur sa faim. Malgré deux bons interprètes (Omar Sharif et Jack Palance font un Ouroz et un Toursène convaincants, chacun dans leur style) et malgré des paysages parfois magnifiques (dès le générique), on ne retrouve guère le souffle épique et romanesque du roman, ni le rapport majestueux et dantesque à la Nature, au minéral et aux Dieux inconnus qui façonnent le monde. Mais, si l’on sait John Frankenheimer capable de fulgurances stylistiques (voir sa trilogie de la paranoïa), en revanche il n’est pas du tout un cinéaste de l’épique. Il eût fallu un Ford, un Hawks ou un Kurozawa pour bien filmer une Nature englobante et au-dessus des Hommes. Ou alors, pour une autre relation à la Nature, aller du côté du mysticisme d’un Malick ou d’un Herzog.
Ainsi, malgré quelques bonnes séquences (le Bouzkachi), Frankenheimer, finalement, peine à toucher à travers le parcours pourtant inouï d’Ouroz et a bien du mal à retranscrire ce qui peut se passer à l’intérieur de son crâne et à montrer combien son trajet démentiel le façonnera.




lundi 11 octobre 2021

Waterloo (S. Bondartchouk, 1970)

 



Spectaculaire film sur Napoléon qui se résume assez vite, comme le titre l’indique, à la bataille de Waterloo. Le film, alors, se veut spectaculaire, à grand renfort de figurants et de vues d’hélicoptères.
Mais, comme toujours pour un film mettant en scène Napoléon, l'on s’intéresse aux interprètes. Et si l’on a pu juger excessive l’interprétation de Rod Steiger (qui en fait souvent trop), il campe pourtant ici un Napoléon très convaincant. Avec des gros plans qui ne cessent de scruter sa foi en lui-même ou, tout au contraire, son incrédulité ou ses doutes, Sergueï Bondartchouk cherche à comprendre la monstruosité du personnage, mélange de génie et d'inhumanité. Il lui oppose un Wellington plus anglais que jamais, mélange de classe, de flegme et de retenue, campé par un superbe Christopher Plummer.


Le film, au-delà de charges de cavalerie efficaces et de jolis mouvements de troupes, nous gratifie d’un moment historique exceptionnel : lorsque Wellington, tout à coup, à la lunette, voit Napoléon passer devant ses troupes. Cette vision, vue en caméra subjective à travers l’oculaire de la longue-vue de Wellington, est l’une des images les plus réussies captées par le cinéma concernant l’Empereur : proche et lointain, image mouvante et fugace, passant devant ses troupes, silhouette à la fois familière et inaccessible. Wellington sait le moment historique. Et lorsqu’on lui signale que Napoléon est à porté de canons, il donne l’ordre, évidemment, de ne pas tirer. Napoléon est un monstre, mais on ne le canonne pas. C’est que le monstre est génial. Et puis, avec Wellington, la guerre a encore belle allure (on est encore au « Messieurs les Anglais tirez les premiers »). Et Wellington, quelques instants plus tard, imitera Napoléon et passera devant ses troupes. Cette séquence montre très bien le mélange complexe d’admiration et de haine qui habite les Anglais à propos de Napoléon.


La fin est très sombre et sans concession, avec Wellington qui parcourt le champ couvert de morts, ne cachant rien des ravages des guerres napoléoniennes, et Waterloo se termine sur un Napoléon plein de boue, recroquevillé, malade, pleurant, perdu.