mardi 29 septembre 2020

Les Nuits fauves (C. Collard, 1992)





Si le film a eu un grand retentissement lors de sa sortie, c’est autant par la mort prématurée du réalisateur (décédé tragiquement du SIDA juste avant la sortie en salle) que par le sujet lui-même, qui vient mettre sur le devant de la scène la question alors assez neuve du SIDA. Mais, passé ce double effet de circonstances, le film, aujourd’hui, apparaît vieilli et bien décevant.
Formellement le film est assez brouillon et l’on ne sent pas du tout ce que l’on s’attend à y trouver : une pulsion d’énergie, un ressenti à vif qui fait vibrer le monde. C’est ce que l’on s’attend à y trouver parce que c’est ce que le film raconte : une histoire d’écorché vif, qui prend la vie comme elle lui vient, confondant vitesse et précipitation, mais happant ce qu’il peut de l’amour autour de lui, des corps, des énergies, tant qu’il est encore temps. Et qu’importent les ravages qu’il peut faire, des douleurs qu’il laisse, des personnages vidés qu’il épuise.
Le SIDA lui-même n’est pas directement traité – on ne voit que quelques moments médicaux et pas d’affaiblissement dû à la maladie – mais il présent à chaque instant, comme une partie intégrante de l’être et comme responsable des actes de Jean (ce que l’on peut discuter : Jean avait-il vraiment un comportement et un rapport à l’autre différents avant d’être infecté par le virus ?). Cette absence/présence est très bien rendue.
Le film mélange aussi avec facilité de nombreux personnages mais sans que, des images, l’énergie ne pulse réellement. La faute sans doute à Cyril Collard réalisateur qui ne parvient pas à remplir l’image de ce qu’il ressent. Et c’est aussi, sans doute, Cyril Collard acteur (il incarne Jean, double revendiqué du réalisateur) qui manque cruellement de personnalité, empêchant le film de distiller énergie et émotion.
Il faut dire aussi que l’égoïsme semble un fil conducteur bien constant et que l’on comprend bien davantage les souffrances de ceux qui l’entourent que la souffrance de Jean lui-même : il ne la fait pas ressentir, se défaussant, disant à qui veut l’entendre – aussi bien les personnages autour de lui que les spectateurs – que, si l’on n’a pas le SIDA, on ne peut pas le comprendre. Certes mais alors que veut dire le film ? Pourquoi le cinéma ? Que lui apporte ce médium s’il ne peut s’y exprimer davantage ? On tient là, peut-être, ce qui manque au film. Et l’argument que l’on entrevoit le temps d’une réplique et qui pourrait propulser le film (« le SIDA peut t’apprendre à aimer ») est laissé soigneusement de côté.

On préférera sans doute, sur le même thème (mais avec un souci de reconstitution historique), 120 battements par minute dont le titre, pour le coup, dit bien combien on ressent, davantage que dans Les Nuits fauves, le cœur qui fait ce qu’il peut pour battre encore et toujours.





samedi 26 septembre 2020

Ma 6-T va crak-er (J.- F. Richet, 1997)

 



Dans la foulée de la Haine, Jean-François Richet fait son petit topo sur la banlieue. Très brouillon (formellement, la plupart des films sur le thème restent, depuis Do the Right Thing, dans cette idée d'un grand clip un peu foutraque), sans grande passion, le film accumule des pensums (les tirades faussement improvisées sur le chômage et l’abandon des cités). On nous donne à voir de nombreux personnages dont on ne sait à peu près rien si ce n’est qu’ils sont tous à fleur de peau. Notons que c’est un peu le discours permanent sur les banlieues. Mais Richet ne nous dit rien d’autre. Rien sur les relations entre communautés, rien sur les gangs, rien sur l’origine de ces tensions et ce qui les exacerbe (ah, si, oui, les policiers sont racistes et violents), rien sur les familles, rien sur les fratries ou sur les individus. Pas un personnage ne sera un peu épaissi, pas une porte intime ne sera poussée.
Mais tout le monde est à fleur de peau, alors tout le monde va se tirer dessus. Et la police, comme il se doit, assassine. Tout cela reste très minimaliste et bien peu convaincant.


jeudi 24 septembre 2020

Contagion (S. Soderbergh, 2011)

 

Prenant avec sérieux le genre (celui du film catastrophe s’appuyant sur une épidémie, tels que Alerte ! ou L’Armée des douze singes), Steven Soderbergh cherche à construire un ensemble réaliste, ce qui constitue sans doute son apport principal. Mais on notera que ce n’est guère un intérêt cinématographique.
Suivant les codes du genre, il se heurte, comme tant d’autres films catastrophe, au problème d’échelle : comment rendre compte d’une catastrophe mondiale et, dans le même temps, suivre des destins individuels ? Soderbergh y parvient parfois, par exemple lorsqu’il suit le père de famille qui découvre que sa femme, première victime de l’épidémie, l’a trompé, mais se perd un peu à d’autres moments, par exemple lorsque le docteur Orantes, envoyée par l’OMS, est prise en otage par des villageois. Mais il saisit néanmoins de nombreux aspects du problème, depuis la mauvaise influence des blogueurs jusqu’aux drames familiaux en passant par les laboratoires de recherche.

L’ensemble emporte parfois par son rythme efficace, mais il est aussi brouillon et trop mécanique et, finalement, attendu. Il faut dire aussi que le scénario qui, dans un premier temps, l’inspire (en créant un emballement lié à l’épidémie qui se répand), se retourne contre le réalisateur : puisqu’il s’agit de brosser le portrait type d’une pandémie (apparition, développement, découvertes médicales, vaccination, happy end, etc.), le spectateur ne risque guère d’être surpris.

mardi 22 septembre 2020

La Route de Salina (G. Lautner, 1970)



Improbable film de Georges Lautner, bien loin de ses célèbres Tontons flingueurs et autre Pacha. Bien plus qu’un genre différent, c’est à la fois un autre univers et un autre style qu’explore ici Lautner, montrant une variation étonnante dans la palette de ses talents.
Ethéré, lunaire, très typé hippie années soixante-dix et surtout complètement américain, il est difficile de voir un lien entre Sur la route de Salina et la bande à Ventura et Blier, avec ses beuveries et autres bourre-pifs pimentés des bons mots d’Audiard.

Accompagnés d'une musique envoûtante et psychédélique, la douceur perdue de Jonas, l’érotisme chaud de Billy et la folie douce et inquiète de Mama composent une toile lente, brûlante et très minérale. Plus que l’intrigue elle-même, c’est son traitement radical qui surprend, avec le très bon Robert Walker dont le personnage de Jonas, détaché et perdu, provoque la même distance au monde chez le spectateur, qui s’interroge sur ce qui se passe – comme Jonas – mais avec le même recul un peu éloigné, comme étranger au monde.
Liberté, amour incestueux, frustration sexuelle, solitude, meurtre, tout y passe, derrière la chaleur et le décor vide et minéral (le couple parcourt même les pouzzolanes de Lanzarote, dans un paysage bien peu californien pour le coup).



Les rires cruels de Billy, en fin de film, renvoient directement – avec la même conclusion tragique – à La Chienne de Renoir.
Tarantino évoquera le film dans son Kill Bill vol. 2en y replaçant le planant Sunny Road to Salina de Christophe, au moment où son héroïne parcourt le désert minéral, comme le faisaient Jonas et Billy, perdus dans leurs dérives.


samedi 19 septembre 2020

Bombardiers en piqué (Dive Bomber de M. Curtiz, 1941)



Dive Bomber, qui se concentre sur les recherches médicales visant à éviter aux pilotes de chasse les évanouissements en vol, s’il a un aspect documentaire très marqué, n’est guère palpitant. Il faut dire que cette histoire d’une inimitié qui sera dépassée est un peu trop cousue de fil blanc. La recherche médicale, avec ses essais, ses réflexions, ses échecs, ses persévérances et – Hollywood oblige – ses sacrifices, est toutefois très bien rendue.
Avec Michael Curtiz à la baguette et Errol Flynn en tête d’affiche, on pouvait néanmoins s’attendre à un récit moins didactique et plus enlevé.

 

vendredi 18 septembre 2020

Poker d'as pour Django (Le due facce del dollaro de R. Bianchi Montero, 1968)

 



Western italien construit autour d’un vaste braquage, très organisé et abouti, dont on comprend très vite que sa réussite ne fait aucun doute et que ce sera donc l’après-braquage, avec force trahisons, qui posera problème.
Le film reprend le style alors en vigueur dans le genre, caricaturant Leone et ses cadrages dissonants. On retiendra les acteurs – tous habitués, d’ordinaire, à des rôles secondaires – et qui parviennent ici à construire leurs personnages. L’ensemble, bien que sentant le petit budget, est plutôt réussi et la fin, sans être exceptionnelle, a le (grand) mérite de surprendre.
On reste bien sûr songeur devant le titre français : si l'un des personnages se nomme bien Django, il n’est nulle part question de poker.


mercredi 16 septembre 2020

Arizona Junior (J. Coen, 1987)

 

Après un premier film réussi en forme de polar noir (Sang pour sang), Joël Coen change son fusil d’épaule et explore la comédie : il se fait donc plaisir avec ce film amusant, porté par un duo de personnages très bien campé par Nicholas Cage (qui reprend ici le même ton de looser dépassé que dans Peggy Sue s’est mariée) et Holly Hunter. Autour de ces deux-là, les multiples personnages font très cartoons et c’est là la première apparition de ce prototype de personnage, brossé à gros traits, faisant irruption dans le cadre sans le moindre doute, et que l’on retrouvera si souvent dans la filmographie des frères Coen : de Miller’s Crossing au Big Lebowski en passant par Intolérable cruauté ou O’Brother, c’est tout une galerie de portraits de personnages secondaires résolument burlesques qui emplissent les comédies des frères Coen.
Mais le film, peu à peu, abandonne le ton de comédie du début, qui avait une teinte de tragique désespéré porté par le couple McDunnough pour s’enfoncer dans un loufoque bien peu subtile. L’on regrette un peu cet équilibre du début qui parvenait à garder une certaine tenue, avec un montage très rythmé, une répétition de séquences très drôles, une voix off percutante, le tout formant une accroche réussie. Le film, sans doute, pâtit trop de ce burlesque loufoque qui dénature un peu la tentative désespérée du couple de construire une famille.


lundi 14 septembre 2020

Elvira Madigan (B. Widerberg, 1967)




S’appuyant sur une histoire vraie romantique et bientôt tragique, Bo Widerberg filme une bulle esthétique et mélancolique, avec ce couple illégitime qui fuit, se cache, et qui, pour un moment, vit l’amour pur – chimiquement pur pourrait-on dire – débarrassé des oripeaux du quotidien et de ses contraintes. Il reste alors des moments à deux, des herbes folles, une  lumière qui jaillit entre les arbres, des éclats de rire, de la complicité, des moments lents et mélancoliques.
Bien sûr cela n’est possible qu’un temps et la tragédie s’en mêle, mais ce temps suspendu est magnifiquement filmé par Widerberg.
Et, entre autres images, il reste aussi, bien sûr, ces moments très beaux où Elvira la funambule s’entraîne, une corde entre deux arbres, au son de l’Amoroso de Vivaldi.


samedi 12 septembre 2020

Brazil (T. Gilliam, 1985)



Film ébouriffant de Terry Gilliam qui fait feu de tout bois. Il propose une dystrophie à la fois amusante et très noire, mélangeant comme dans un shaker Orwell et Kafka, parvenant à conjuguer une inventivité de tous les instants avec des images très métaphoriques ou aliénantes qui rendent compte parfaitement des traits saillants de la société moderne (depuis les bouillies infâmes des restaurants gastronomiques jusqu’aux écrans qui envahissent et déforment tout (lors même que les ordinateurs, en 1985, ne se sont pas encore répandus dans les bureaux), en passant par la chirurgie esthétique délirante). Bien entendu les rapports humains sont aliénants au possible et l’univers semble engoncé dans une architecture écrasante et suffocante, avec l’idée géniale de rendre organique cette forêt de tuyaux et de conduits en tous genres qui se cachent derrière chaque mur et débordent sans cesse, ahanant et pulsant comme un monstre endormi, sûr de sa force, contre lequel tout combat est perdu d’avance.
L’esthétique de Gilliam, entre abstraction et expressionnisme, met en mouvement une cité qui évoque Metropolis, joue de cadrages insolites, d’exubérances et d’anamorphoses, remplit le cadre de décors abstraits, froids et colossaux, incruste des slogans sortis tout droit de 1984, entremêle des personnages effrayants ou dépravés, assimile l’homme à un insecte et écrase tout ce petit monde par les coups de buttoir d’un Léviathan bureaucratique abrutissant et violent, dont on sent battre sans cesse le pouls.
La fin est remarquable : sauf à vouloir donner une vision positive complètement dissonante après tant de noirceur, le conventionnel happy-end hollywoodien n’était pas possible. Le doux rêveur qu’est Sam Lowry ne pouvait pas sortir indemne de ces méandres terribles et suffocants ; il ne pouvait même pas s’en sortir du tout. Tout comme l’Icare qu’il est dans son rêve, il se brûle les ailes à courir après la femme de ses rêves qu’il rencontre, matérialisée, dans le réel son rêve. Las, cette société n’admet pas que les rêves puissent avoir quoi que ce soit qui se raccroche au réel.

Même si Gilliam reprendra des éléments issus tout droit de cette esthétique (dans L’Armée des 12 singes notamment), il ne proposera plus un tel univers entièrement clôt sur lui-même et uniquement peuplé de ses visions cauchemardesques.



jeudi 10 septembre 2020

Dragon Inn (King Hu, 1967)




Pénible série B, Dragon Inn est rapidement fatigant. Si King Hu est une figure maîtresse du wuxia (les films chinois d’arts martiaux et de sabres), notamment avec A Touch of Zen, ici il n’y a plus la moindre poésie ou la moindre épaisseur spirituelle et le film, qui fait partie de ceux qui posent les bases du genre, se réduit à un catalogue des codes que l'on retrouvera dans de nombreux wuxia. Le film introduit notamment l'image (que l'on reverra souvent) des eunuques maléfiques et de l'auberge, dans laquelle se concentre longtemps l'action. Mais cet assemblage sans saveur suffisait à l'époque : en Chine, le film fut un gros succès.
Le scénario n’est là que pour proposer des prétextes à des combats sans intérêts et sans grâce. Les personnages sont vides et creux et le film devient rapidement complètement artificiel et vain. On sent combien le genre, au travers de ce type de réalisation dévitalisée, se rapproche du western italien, mais dans ce qu’il a de plus creux, répétitif et caricatural (n’oublions pas que, pour plusieurs centaines de westerns italiens réalisés, seuls quelques-uns sont remarquables ou exceptionnels).
On se retrouve donc avec des méchants qui sont décimés dans une auberge, avec un chef des méchants vraiment très méchant (ce qui veut dire, code du genre oblige, qu’il est encore plus fort en arts martiaux) et qui va tuer plusieurs gentils avant d’être tué à son tour (mais après un âpre combat). Si le film suit pas à pas les recettes du wuxia, il ne séduira que les amateurs les plus assidus.

Dragon Inn, cependant, aura une belle postérité, avec plusieurs cinéastes qui réaliseront des suites ou s’inspireront de la fameuse auberge au centre du film. Et il faudra toute la vista de Ang Lee (Tigre et Dragon) ou de Tarantino (grand fan du genre, et qui reprend mille motifs dans ses deux Kill Bill) pour réaliser, à partir de ce matériau bien peu inspirant, des films d’une toute autre saveur.


mardi 8 septembre 2020

L'Assassinat de Trotsky (J. Losey, 1972)




Joseph Losey affiche d’emblée (par une adresse au spectateur) sa volonté de prise de distance et d’objectivité ou, à tout le moins, celle de ne pas s’enfermer dans du militantisme, alors que le film, par son sujet même, est très politique.
On suit alors Trotsky enfermé dans son hacienda et, en parallèle, Frank Jacson, qui se rapproche peu à peu de sa cible. Et le film a le bon goût d’être fidèle à ce qu’il annonçait en présentant les événements de façon assez détachée, distante même, ne prenant pas parti, ni pour Trotsky – qui est montré à la fois dans son intelligence et dans ses illusions (il croit influencer encore le monde) – ni pour Frank Jacson, que Delon joue intelligemment, très taiseux, distant, mystérieux, à la fois altier et minable.
Cette distance du réalisateur laisse le spectateur dans une position assez rare et remarquable : c’est à lui de faire avec ce qui lui est livré, de préférer y voir un gâchis (Trotsky meurt alors qu’il avait encore de l’énergie et des intentions) ou plutôt un crépuscule (Trotsky vivait dans une bulle qui allait s’amenuisant et sa vie était déjà derrière lui) ou peut-être un combat perdu (enfin ses adversaires ont réussi à le faire taire) ou simplement une mort un peu stupide (Frank Jacson semble un peu minable et qu’il assassine un tel homme est un accident de l’histoire), etc. Et c’est le traitement du sujet par Losey qui permet ce croisement des directions interprétatives, dont aucune n’est vraiment privilégiée, et qui enrichit donc le film bien plus qu’une prise de position nette.


Alain Delon, mais aussi Richard Burton, qui joue tantôt avec emphase, tantôt avec retenue, densifient parfaitement leurs personnages (on n’en dira pas autant de Romy Schneider, dont le rôle, certes secondaire, reste très creux).


jeudi 3 septembre 2020

Ils aiment la vie (Kanal de A. Wajda, 1957)




Andrzej Wajda a essentiellement filmé l’histoire de la Pologne : l’après-guerre terrible avec la lutte entre les patriotes et les communistes (dans ses trois premiers films), puis le joug communiste (L’Homme de marbre) et la montée des syndicats (L’Homme de fer) et revenant tardivement sur les massacres du début de la guerre (avec Katyn). Ici, après Une fille a parlé et avant Cendres et diamant, il explore la confrontation de la jeunesse polonaise avec la guerre : ces jeunes adultes découvrent le monde dans la violence et la mort, traqués et perdus, bientôt fatigués et résignés.
Passant habilement d’un film sur la grande histoire (l’insurrection de Varsovie de septembre 1944) à une histoire rapidement plus intimiste, la fin très noire montre le regard sans faux semblant de Wajda qui, au moment où il tourne, sait comment se terminera cette insurrection et à quel point la Pologne sortira décimée et ravagée par la guerre.

Wajda rompt surtout avec l'académisme du réalisme socialiste en imposant un style marqué, esthétique et romantique (malgré la violence du propos), avec des lumières contrastées, des plans exagérés et une présentation du monde très sombre. Le film, d’ailleurs, se passe pour l’essentiel dans les égouts ; égouts d’où l’on ne ressort pas vivant, mais où l’on se perd, où l’on est traqué, où l’on s’illusionne ou se désespère.
On trouvera des traces de ce film dans Cendres et diamant, où Maciek dit porter des lunettes noires en souvenir des égouts traversés pendant la guerre.



mardi 1 septembre 2020

Tenet (C. Nolan, 2020)




S’il faut remercier la Warner de jouer le jeu pour avoir accepté de prendre un risque en sortant sa grosse production avant les autres majors dans cette période compliquée qui suit les différents confinements et restrictions – venant ainsi donner un coup de pouce aux salles de cinéma exsangues après un été très dur – Tenet s’avère néanmoins bien décevant.
Reprenant ses marottes habituelles (un mélange d’action et de jeux spatio-temporels), Christopher Nolan réalise une variation d’Inception où ce ne sont plus des rêves qui s’emboîtent mais des temporalités qui se croisent.
Mais le film est bien long, parfois ennuyeux, très bavard, servi par des acteurs assez fades (en particulier John David Washington et Elizabeth Debicki) et il ne captive guère. Si l’on est motivé, on pourra s’amuser à délabyrinther les sens cachés pour s’assurer de la cohérence de l’histoire, passablement confuse, en particulier dans la grande bataille finale, qui, loin de montrer l’aboutissement de la tenaille temporelle dont il est question tout au long du film, apparaît comme une scène de guerre conventionnelle et assez quelconque (on retrouve un peu le même travers que lors de l'épisode final du bunker dans Inception).
Bien entendu, il n’est jamais question d'émotion : tout ce qui touche les personnages restant bien froid et éloigné du spectateur (malgré une image finale qui se veut douce et réconciliatrice avec la mère et son enfant). Et l'on voit que Nolan compte sur les fans pour disserter, via les réseaux sociaux, de la cohérence de l’ensemble et des nombreux signaux cachés (le film tourne autour du carré Sator, mais plus comme un jeu que comme une clef explicative). Et l'on retombera alors dans le même travers qu'avec Inception : disséquer et comprendre un scénario retors et très mathématique n'a rien à voir avec une émotion cinématographique, loin s'en faut.
Il faut aussi regretter une régression par rapport à Inception : Nolan échoue complètement à représenter à l'écran les jeux imbriqués de temporalités contraires (entre les oiseaux qui volent à l'envers, les tourniquets ou la bataille finale brouillonne) quand il jouait très bien des ralentis qui suspendaient le temps pour imbriquer les rêves.

Le film met parfaitement en évidence une contradiction manifeste chez le réalisateur (contradiction déjà croisée dans Inception ou Interstellar) : il réalise de grands films d’action, qui se veulent aussi des histoires complexes. Or on se demande pourquoi Nolan cherche la déferlante d’action (avec des musiques fortes et des jeux de caméra qui alpaguent le spectateur) si ce sont les entrelacs complexes du scénario qui, in fine, sont censés marquer le spectateur. Cherche-t-il à réaliser un spectacle « total » (à la fois intelligent et divertissant), ou bien n’a-t-il pas confiance en sa capacité à captiver sans passer par de grosses séquences d’action ?
Force est de constater, en tous les cas, que lorsque le scénario ne peut se faire l'économie de séquences d'explications alambiquées (et Tenet, sur ce point, a des moments bien peu inspirés), Nolan est mal à l’aise, se contentant de champs-contre-champs lourds et sans saveur qui contrastent avec son aisance dans les moments d’action (par exemple lors de la séquence d’ouverture très réussie ou dans les montages parallèles parfaits qu’il propose à plusieurs reprises).

C’est alors que l’on se souvient que ses meilleurs films (ses trois Batman) nous épargnent les narrations discontinues et les idées scénaristiques science-fictionnelles. On se souvient aussi de son prétentieux Interstellar, gâché par de laborieuses réflexions métaphysiques. Et l’on se souvient enfin que, dans Memento, il s’abstient à la fois d’un déluge d’action et d’explications longues et mal mises en scène. C'est dire à quel point Nolan, finalement, n’est jamais aussi bon que lorsqu’il laisse de côté son blabla et sa prétention d’intelligence et se concentre sur des personnages qu’il jette au cœur de l’action.