vendredi 29 mai 2020

Scandale à Paris (Scandal in Paris de D. Sirk, 1946)




Douglas Sirk surprend avec ce film historique, loin des mélodrames qui feront bientôt sa gloire. Mais, dans ce genre si particulier, il se coule avec une aisance sidérante dans les aventures de Vidocq. L'ouverture, avec le timbre si particulier de la voix off de George Sanders, est d'une fluidité étonnante (la naissance en prison), puis Sirk passe tranquillement d’un moment à l’autre, sautant sur quelques années, jouant des lieux et des décors, construisant des moments intimes, saupoudrant le tout d’intrigues policières et se permettant de jolies métaphores. C’est ainsi que Vidocq prête son visage à Saint-Michel avant, lui-même, en fin de film, de se transformer en Saint-Michel, en tuant en quelque sorte son dragon. Il exauce ainsi sa bien-aimée qui voyait un saint là où il n’y avait, encore, qu’un bandit.
George Sanders est remarquable dans ce rôle taillé sur mesure, avec sa prestance, son charme et son flegme britanniques. Il est parfait en gentleman cambrioleur fin, raffiné et machiavélique. Il donne aussi une distance doucement ironique à son personnage, qui rejoint le ton général de ce film brillant et savoureux.



mercredi 27 mai 2020

Gloria Mundi (R. Guédiguian, 2019)




Autour d’une histoire où plusieurs générations d’une famille se battent comme elles peuvent pour s’en sortir, Robert Guediguian se place, comme souvent, du côté des petites gens qui rament et pour qui rien n’est simple.
Bien sûr la lecture se veut politique (comme souvent chez Guediguian) et le film illustre non pas tant la France de Macron que le discours même de Macron : Bruno incarne la version macroniste des « premiers de cordées », qui écrasent allègrement – autant qu’ils les détestent – les « gens qui ne sont rien ». Si le personnage est bien mince et très caricatural, l’idée du Cashstore, quoi que bien vue, est un peu lourde : avec cette façon d’arnaquer les petites gens qu’il dédaigne, Bruno illustre le capitalisme à la sauce Guediguian, qui veut que ceux qui s’élèvent le font (forcément) en écrasant sans vergogne les plus faibles. Nulle solidarité, d’ailleurs dans cette branche pourrie de la famille. Et c’est l’ancienne génération, celle des parents – celle de Guédiguian –, dévouée et prête à tout, qui incarne les valeurs de solidarité. Une solidarité mais qui est confrontée à la dure réalité quotidienne : Sylvie ne peut pas suivre la lutte syndicale au travail, elle a trop besoin d’argent (c’est sans doute là un grand symbole pour le réalisateur : la vie est au bord de la rupture).
Les personnages donc, sont un peu décevants (comme si souvent dans les films qui veulent faire de la politique sans le dire) : les gentils sont gentils et les méchants restent méchants, de sorte que les personnages sont donnés dès le départ et ne sortent jamais de leurs stéréotypes.
Il n’y a que le personnage de Daniel (très bon Gérard Meylan), avec sa touche de poésie distante et détachée du monde qui est tout à fait réussi. Sortant d’une longue peine de prison, il passe dans le regard de Daniel – regard vieilli mais qui est resté naïf – une douceur calme qui est comme extérieure à ce monde qui se débat sous ses yeux. Daniel apporte ainsi un pas de côté, un peu en dehors des trajectoires simples des autres personnages, qui fait du bien au film.


lundi 25 mai 2020

Lincoln (S. Spielberg, 2012)




Alors que  – vu le titre – l’on pense avoir à faire à un biopic sur Lincoln, Steven Spielberg se concentre en réalité sur les dernières semaines de la guerre de Sécession, au moment des débats sur le fameux 13ème amendement, qui met fin à l’esclavage. Si Lincoln est bien sûr au cœur du film, ce resserrement du personnage sur cette seule action en dit long sur le parti-pris historique du film qui réduit le légendaire président à ce seul acte. On comparera avec la façon dont Ford, en particulier, le filme dans Vers sa destinée : Lincoln représente alors l’aspiration d’un peuple, il en est l’incarnation, dans sa stature même. Chez Spielberg il est un vieux sage, au fait des choses politiques, qui sent qu’il faut profiter d’un moment particulier (la fin de la guerre) pour passer cette loi décisive. Lincoln porte ici très haut des idées très nobles, mais il n’incarne pas son pays.
Cela dit Spielberg magnifie le personnage à l’image : Lincoln est un sage qui apaise et qui sait, au fond, ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Absolument remarquable, Daniel Day-Lewis est fidèle à la qualité toujours exceptionnelle de ses interprétations.
Et le film s’attarde sur l’habileté politique de celui qui a compris que les morts de la guerre civile ne devaient pas l’être pour rien. Le film devient même parfois purement politique, avec plusieurs séquences très longues de discussions et de vote au Parlement (on se croirait dans Tempête à Washington de Preminger).



Formellement, Spielberg propose un film remarquable, avec une photographie splendide, d’un noir tout en retenue, où contrastent des éclats de lumière. On retrouve avec plaisir la vista de Spielberg, lui qui a si souvent laissé son talent de côté dans de nombreux films de commande.
On remarquera, en particulier, son art de l’ellipse dans la façon de traiter la reddition de Lee : en une séquence, Spielberg retrouve les traces de Ford puisqu’honorer Lee c’est commencer à reconstruire la Nation. Cette séquence digne et sobre est exceptionnelle.
Autre moment remarquable : l’assassinat de Lincoln, qui est lui aussi laissé tout à fait hors-champ et qui n’est filmé qu’au travers des yeux de son fils apprenant la nouvelle, alors même qu’il est au théâtre.


samedi 23 mai 2020

The Square (R. Öslund, 2017)




Dans un film assez froid, Ruben Östlund reprend tous les canons de la moraline (le bobo branché arrogant, les bourgeois entichés d’art contemporain, les mendiants, la boîte de com., etc.) et propose un énième regard satirique – qui se veut lucide – sur la société.
Le seul vrai parti-pris de Östlund est de choisir un personnage principal bien peu aimable, hautain et sans affect. Mais, comme il est assez détestable, on se doute un peu que le film ne va pas en rester là : Christian va donc subir la trajectoire classique : il est d’abord puni, va s’effondrer, puis il sera progressivement absous (avec la scène cathartique de la recherche du numéro de téléphone de l’enfant roumain dans les poubelles). Dès lors, Christian a compris, il a dépassé ses préjugés, il n’est plus le même. Et le regard de ses enfants sur lui cautionne ce changement. Tout cela est très convenu et, par là même, n’est guère passionnant. Et on a du mal à sortir de cette impression d’aquarium avec le réalisateur qui regarde évoluer son personnage comme on regarde un poisson faire des ronds dans l’eau.
Il est d’ailleurs tout à fait révélateur que la scène du dîner de gala, de loin la plus percutante et la plus réussie, soit complètement déconnectée du reste du film.

Le film prend appui sur l’art contemporain pour raconter sa petite histoire : non seulement bien sûr autour de son « square », mais aussi autour des différentes installations du musée ou encore autour du petit film trash réalisé par les publicitaires. Östlund y met bien une touche d’ironie absurde et de cocasserie grinçante. Mais il est singulier (ou révélateur, c’est selon), qu’un film prenant pour support l’art contemporain – qui est supposément novateur et volontiers transgressif (1) – en arrive à des dénonciations très conventionnelles, tout à fait banales, et vues cent fois, sur l’arrogance hypocrite et déshumanisée de la bourgeoise.
Notons aussi qu’en plus d’être réalisateur, Östlund est artiste plasticien : il a réalisé  une installation en carré, telle qu’on la voit dans le film, devant le musée de Värnamo en Suède : tout cela laisse circonspect sur sa distance ironique avec ce qu’il dénonce puisque s’il s’en moque ici, il se prend par ailleurs très au sérieux.



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(1) : La transgression – attitude adolescente s’il en est – est, on le sait, la substance même de l’art contemporain.


jeudi 21 mai 2020

Chaussure à son pied (Hobson's Choice de D. Lean, 1954)

 

Cette comédie de meurs est arc-boutée autour de la figure bonhomme et très théâtrale de Charles Laughton, qui s'en donne à cœur joie. Même si le personnage est caricatural, son jeu comique est remarquable (il faut le voir avec ses hallucinations dues à l'alcool !). L'intrigue, en revanche, est assez simple, et l'on sait bien que le paternel, pauvre bougre alcoolique, au-delà de ses postures et de ses effets de manche, se fera mener, tout au long du film, par le bout du nez.


On retrouve néanmoins des figures féminines importantes, rappelant qu'elles parcourent bon nombre de films du réalisateur : si on a souvent glosé sur l'absence de femmes dans Lawrence d'Arabie, les femmes ont souvent la partie-belle dans ses films. C’est le cas ici où le progressisme social est clairement mis en avant (l'opposition entre les classes sociales est très marquée et revient souvent dans le jeu comique) et où les hommes sont ridiculisés.
Mais on ne retrouvera plus guère ce ton comique chez David Lean, qui quittera bientôt les petits projets anglais pour se tourner vers les grosses productions qui ont fait sa gloire.



mercredi 20 mai 2020

La Meilleure part (Y. Allégret, 1956)




Petit film de Yves Allégret, autour de la construction d’un barrage. La Meilleure part se veut un regard un peu exhaustif et touche à tout, abordant aussi bien l’enthousiasme jusqu’au-boutiste de l’ingénieur principal (Gérard Philippe, dans un rôle assez quelconque), que les conditions de vie dangereuses des ouvriers, leurs revendications salariales et leurs menaces de grèves. Mais, à vouloir tout traiter, il passe à côté de son sujet et le film n’est guère passionnant.
On retiendra la format en CinemaScope, très novateur à l'époque dans le cinéma français et que cherche à mettre en valeur Allégret par ses prises de vue.


vendredi 15 mai 2020

La Révolution française (R. Enrico et R. Heffron, 1989)




Film de commande très didactique mais sans grand intérêt autre qu'illustratif, La Révolution française propose une reconstitution appliquée mais sans saveur des principaux évènements de la Révolution. Le film se voudrait une vaste fresque, mais il n'est qu'un vaste cours, comme une mise en image de personnages, de moments clés, de grands discours. Bien sûr, cinématographiquement parlant, cela n’a pas beaucoup d’intérêt. Le film, en fait, semble avoir été réalisé pour un public de scolaires, que l’argument du bicentenaire aura permis de convoquer dans les salles.
De façon un peu étrange, la distribution fait la part belle aux nombreux acteurs de seconds rangs (Klaus Maria Brandauer, Peter Ustinov, Sam Neil, Christopher Lee, Michel Galabru, François Cluzet, Michel Duchaussoy, etc.) mais sans s’appuyer sur une ou deux grandes stars (comme le faisait le Danton de Wajda avec Depardieu). On retiendra, au milieu de ce petit monde, la belle composition de Jean-François Balmer qui interprète parfaitement un Louis XVI falot et dépassé.



mercredi 13 mai 2020

Il était une fois le Bronx (A Bronx Tale de R. De Niro, 1993)



Quand bien même beaucoup s’essayent à la réalisation, il est très rare qu’un grand acteur soit aussi un grand réalisateur. Ainsi, quand Robert De Niro, peu de temps après Les Affranchis, se prend à vouloir filmer un quartier italien, en organisant son film autour d’un enfant captivé par les mafieux du bar d’à côté, on pouvait s’attendre à davantage d’inspiration. Las, très loin de la vista de Scorsese, Il était une fois le Bronx reste plat, sans surprise, convenu et n’a donc pas grand intérêt. On peut y voir un premier film scolaire sans autre ambition que de passer de l’autre côté de la caméra, mais l’ami Bob a dû sentir ses limites, en n’insistant guère (il ne renouvellera l’expérience qu’une seule fois, treize ans plus tard).
Robert De Niro a beau être un acteur exceptionnel, n’est pas Charles Laughton, John Cassavetes ou Clint Eastwood qui veut.





lundi 11 mai 2020

Retour à Zombieland (Zombieland: Double Tap de R. Fleischer, 2019)




Dans la lignée de Shaun of the Dead, avec la même vampirisation du film de zombies par la comédie lourde et bête (en y intégrant ici en sus une louche de western), Bienvenue à Zombieland se voulait un mélange assez lourdingue de loufoque et de film de zombies.
Retour à Zombieland, cette suite que l’on craignait (connaissant la tendance d’Hollywood aux séries), est de la même veine, c’est-à-dire lourde, sans intérêt, avec des personnages stupides, des situations ridicules et un scénario à la fois idiot, inintéressant et prévisible.
On notera toutefois une étrange mise en abyme avec le personnage de Madison, d’une stupidité affligeante mais revendiquée : elle est tout à fait à l’image du film et apparaît peut-être comme la représentation à l’image du zeste de mauvaise conscience du réalisateur d’offrir un tel spectacle aux pauvres spectateurs.


samedi 9 mai 2020

La Reine Christine (Queen Christina de R. Mamoulian, 1933)




La Reine Christine, formellement, a beaucoup vieilli : le film semble rigide et guindé, presque théâtral. La froideur de la mise en scène et du décor rajoutent à l’austérité. On peine à retrouver la patte de Rouben Mamoulian, lui capable d’un style volontiers virtuose (comme dans son Docteur Jekyll et M. Hyde), et qui semble ici suivre l’académisme le plus poussif. Certaines séquences – notamment celle où Greta Garbo, qui se veut androgyne parce qu’elle est habillée en homme, est prise pour tel – laissent songeur.
On garde néanmoins à l’esprit cette volonté de faire le portrait d’une femme à la fois attachée à sa fonction politique tout en cherchant à se réaliser personnellement, allant jusqu’à abdiquer par amour. De ce point de vue le film est étonnamment moderne.
Et la personnalité de la reine et son abdication résonnent avec la volonté de Greta Garbo de se retirer de la vie publique – alors qu’elle est une star immense à l’apogée de sa notoriété – et de renoncer à son métier d’actrice. Et, tout comme la reine suédoise qui quitte son trône, elle quittera définitivement le métier quelques années plus tard, à seulement trente-six ans.


mercredi 6 mai 2020

Les Misérables (L. Ly, 2019)




Les Misérables cherche à dresser un portrait d’une banlieue française, exercice régulier dans le cinéma français, depuis Le bruit et la fureur en passant par La Haine. Et, à chaque fois, il y a comme une volonté d’une « mise à jour réaliste » qui se veut toujours une nouvelle révélation de ce qu’est vraiment la banlieue. D’ailleurs Ladj Ly a construit son film à partir de différents événements qui viennent du vécu du réalisateur dans la banlieue, depuis le vol d’un lionceau dans un cirque jusqu’au guet-apens final.
La longue introduction, qui présente de nombreux personnages, sert à inscrire cette « réalité » de la cité dans l'instabilité des équilibres qui la régissent. Il prend même le soin d’un personnage-relais qui est le prétexte habituel pour tout expliquer à celui qui ne sait rien : Stéphane, le flic qui débarque, sera celui dont on épouse le regard. Ly joue d’ailleurs avec ce rôle de témoin puisqu’il en introduit un second, qui est le témoin non plus de la cité mais de l’histoire : Buzz – qui est son propre fils – dont le drone survole la cité et qui observe toute la dernière séquence à travers l’œilleton de la porte.
Dans ces équilibres qu’il décrit, le film est certes moins caricatural que Dheepan (il est difficile de faire pire), mais il reprend néanmoins des personnages classiques ou déjà vus, à commencer par l’opposition bon flic/mauvais flic, qui est au cœur du film. Il montre aussi un personnage de maire qui n’en est pas un (et l’on pense alors à Do the Right Thing de Spike Lee, qui montrait déjà un curieux personnage surnommé Da Mayor), ce qui est aussi une façon de mettre en demeure le pouvoir politique, faussement présent, en réalité absent, donc, de ces équilibres précaires.


Mais tout cela montre une banlieue finalement très proche de l’image que l’on peut s’en faire, même si le film écarte totalement la question de la drogue (qui était, notamment, au centre de Dheepan). On sent que Ly ne réalise pas un film qui fâche (comme avaient pu le faire, chacun à leur manière Brisseau ou Kassowitz) en mettant en avant, de plus en plus à mesure que le film avance, l’injustice subie par des innocents (les enfants). Il identifie d’ailleurs Issa à Gavroche, comme une version moderne du gamin des rues, et sur lequel tire le policier (au flash-ball certes). Et le film va jusqu’à la révolte des enfants contre les méchants flics, mais aussi contre toutes les factions qui composent la cité. Et il se termine en suspens (un peu comme dans La Haine), opposant Gavroche et le gentil flic, en une didactique peu originale et beaucoup trop appuyée.
Ly filme avec énergie mais sans grande pulsion interne. Et l’on mesure d’ailleurs l’écart esthétique avec Do the Right Thing (qui est l'un des grands films de banlieues) où Spike Lee construisait une esthétique qui répondait à ce qu’il filmait. A l’époque c’était une vraie nouveauté, maintenant cela paraît beaucoup plus banal.


lundi 4 mai 2020

Au feu, les pompiers ! (Hoří, má panenko de M. Forman, 1967)




Ce dernier film tchèque de Milos Forman avant son départ pour Hollywood est une réussite : il parvient à tisser une jolie métaphore du régime communiste. Sa caméra n’épargne personne et la satire, si elle est parfois drôle, est surtout très cruelle.
A travers la fête des pompiers, il filme la petite troupe de bras cassés à l’organisation qui cumulent allègrement une improvisation désastreuse, une incompétence étonnante et une déresponsabilité totale. L’intéressement et la raideur le disputent à la panique et à la lâcheté. Tout cela mène comme il se doit à l’échec pathétique de la fête et du concours qui y était prévu. Sans le dire directement, puisqu'il ne fait que mettre en scène le bal des pompiers d'une petite ville, son regard politique est sans concession.


Dans son premier film américain Taking Off, Forman restera sur cette description à la fois acerbe et proche du peuple, avant d’aller vers les films de plus grande ampleur avec le très grand succès que l’on sait.
Mais on retrouvera dans Vol au-dessus d’un nid de coucou la même intention que dans Au feu les pompiers, avec un regard social acéré obtenu en scrutant au plus près un petit groupe d’individus enfermés.