jeudi 30 janvier 2020

Malevil (C. de Chalonge, 1981)




Si la distribution de Malevil surprend dans un premier temps (on trouve Michel Serrault, Jean-Louis Trintignant, Jacques Villeret ou encore Jacques Dutronc), le film, après un début très réussi, patine un peu.
Le démarrage est en effet assez remarquable pour le genre, les scénaristes américains feraient bien d’en prendre de la graine. Plutôt que d’ouvrir le film en montrant des personnages ne faisant rien de précis, comme on le voit dans la majorité des films catastrophe (des gens se réveillent doucement, sont en voiture, vont chercher les enfants à l’école, etc.), Christian de Chalonge a la bonne idée de démarrer son film sur une fausse piste. On suit donc le maire de la commune qui reçoit quelques administrés pour un problème de voirie et la discussion, un peu tendue, se lance. On est alors dans la cave du maire, autour d’un verre de vin. Ces préoccupations sont très vite balayées par la déflagration et la catastrophe en surface, qui reste hors champ. Cette fausse piste, sans aller aussi loin que dans Psychose, s’adapte très bien au genre : les habitants sont saisis non pas tant dans un train-train quotidien mais dans des occupations précises qui, très vite, n’ont plus de raison d’être.


Malheureusement, ensuite, passé le moment de stupeur, on voit la petite société qui s’organise et le récit retombe dans une forme assez consensuelle de film post-apocalyptique. Qu’il s’agisse des raids des sauvages ou de la rencontre avec l’autre communauté menée par un illuminé, cela n’est guère palpitant.
Trintignant fait ce qu’il peut, mais son personnage très caricatural est bien peu intéressant et la fin est assez décevante : il en ressort cette impression que le réalisateur ne va pas tout à fait au bout de son idée. La reconquête civilisatrice en cours semble soudainement bien peu utile (alors qu’elle était jusque là le cœur du film) et la petite communauté se retrouve tout à coup sauvée et mélangée, en un instant, avec les sauvages qui erraient sans foi ni loi.



mardi 28 janvier 2020

Armaguedon (A. Jessua, 1977)




S’il semble de prime abord se confiner au cinéma français des années 70 (de par son style ou ses acteurs), Armaguedon a d’étonnantes résonances actuelles, par exemple la menace terroriste (avec le kamikaze dans la dernière séquence), le profiler (que l’on subira jusqu’à plus soif dans les thrillers modernes) ou la dénonciation de la télévision. Le film reprend sur ce point la même ligne que le Network de Lumet, sorti au même moment, aux États-Unis.
Mais, au-delà du rythme rapide et sans temps mort qui conduit efficacement l’action, c’est bien entendu le message final de Louis Carrier qui est intéressant. Bien loin de la diatribe attendue (on pensait qu’il s’en prendrait, comme il se doit, à une attaque en règle contre les puissances supérieures qui écrasent le monde), c’est une adresse directe au Français et à son endormissement, à son absence de volonté et à son abrutissement par la télé. Si l’idée, en elle-même, n’est pas originale, elle l’est beaucoup plus dans le contexte proposé. C’est l’individu que vise Louis Carrier, individu qu’il cherche à émouvoir dans un discours qui se veut touchant et empli de bons sentiments, mais qui est reçu avec des moqueries.
Si Jean Yanne est très bien – de même que les seconds rôles, Michel Duchaussoy et Renato Salvatori – c’est Delon qui n’est pas bon : son personnage est beaucoup trop à son avantage et sûr de lui. Mais, dans les années 70, Delon commence à réduire la caractérisation de ses personnages à ce seul stéréotype, alors qu’il avait su, jusqu’alors, jouer sur de nombreux registres (à ce moment de sa carrière, il ne lui reste plus guère de grands rôles, hormis dans Monsieur Klein).



vendredi 24 janvier 2020

Up the River (J. Ford, 1930)




Le grand intérêt de ce film est de proposer, dans leurs premiers rôles, les deux futures légendes que sont Humphrey Bogart (1) et Spencer Tracy. Privilège d’autant plus rare qu’ils ne se retrouveront jamais, une fois leur notoriété établie. Qu’ils aient commencé ensemble, en quelque sorte, et sous l’égide de Ford, installe des liens puissants entre ces légendes. Les deux ont déjà leur style et leur allure bientôt inimitables.



Le film, s’il se suit sans déplaisir, se perd un peu en oscillant entre plusieurs genres (le film carcéral, la comédie, le film de gangster) et ce n’est qu’en fin de film, que les choses se décantent : l’esprit potache de Ford et son sens de la camaraderie installent les dernières scènes dans la comédie.



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(1) : Bogart avait déjà joué dans de petits rôles, sans être crédité au générique.


mercredi 22 janvier 2020

Juliette des esprits (Giulietta degli spiriti de F. Fellini, 1965)



Si l’on retrouve, dans Juliette des esprits, le goût de Federico Fellini pour la touche onirique qu’il affectionne tant, le film reste ancré dans une forme de réalité, sans construire un univers décalé, fantasmagorique, empreint de souvenirs et de baroquisme (comme dans tant de grands films du réalisateur, de Huit et demi à Et vogue le navire, en passant par Amarcord). Ici, face au doute qui peu à peu, se mue en certitude quant à la tromperie de son mari, Juliette fuit le monde, se réfugie en elle-même, dans son imaginaire.
Mais Juliette, pourtant toujours jouée par Giuletta Masina, est un pêrsonnage beaucoup plus terne que Gelsomina dans La Strada ou Cabiria dans Les Nuits de Cabiria. D’ailleurs elle ne lutte pas réellement face à la tromperie de son mari, simplement elle s’enfuit en elle-même. Elle va alors flirter avec des tensions enfouies, la peur de la mort, la religion, tout ce mélange jouant comme une psychanalyse qui lui permet d’affronter la réalité, après un long détour par l’imaginaire. Mais c’est peut-être ce manque de personnalité de l’héroïne qui donne une forme de froideur, parfois, au film, alors que bien des images étonnantes traversent l’écran et que Fellini, fidèle à sa maestria si singulière, continue de jouer avec l’image, d’innover et de créer sans cesse, avec une puissance visuelle et onirique toujours renouvelée.


 

lundi 20 janvier 2020

Le Mans (L. Katzin, 1971)




Fils chéri de Steve McQueen qui a tenu sa réalisation à bout de bras, Le Mans réduit son pitch au suivi de la course des 24 heures du Mans. Une affaire de passionnés (la production est un gouffre maintenu coûte que coûte par l’acteur) qui s’adresse avant tout aux passionnés. Car si les aficionados s’y retrouvent (on suit les différents points du circuit – de la ligne droite des Hunaudières au légendaire virage d’Indianapolis – et on visite les cockpits au plus près des pilotes), le spectateur lambda aura de la peine à y trouver un intérêt dans ce récit sans narration réelle et sans mise en scène d’un quelconque suspense. Et, sous un autre angle, l’on reste loin du film qui fait découvrir un monde étrange et fascinant (ce que peut être une course automobile suivie de l’intérieur) : le réalisateur fait bien peu partager ce qu’il ressent.
Le film, dans le monde de la course automobile, est devenu légendaire et l’ami McQueen, avec sa combinaison, sa cagoule, sa Tag-Heuer carrée, son regard perdu au loin, est une icône. Mais, pour le spectateur de cinéma, au-delà des carences de la réalisation ou du scénario, c’est le paradoxal manque de charisme de l’acteur, par rapport à bien d’autres de ses films, qui surprend. Son jeu minimaliste se perd sous le casque et la combinaison et même la fatigue, l’extrême tension, le rythme infernal et lancinant, tout cela ne surgit pas de l’image et reste trop figé à sa place.
On préférera peut-être se tourner vers le Grand Prix de Frankenheimer, sans doute plus conventionnel (même s'il l'est trop), mais qui se fourvoie moins que Katzin et McQueen dont la grande ambition joue contre le film.





vendredi 17 janvier 2020

Qui a tué le chat ? (Il gatto de L. Comencini, 1977)




Comédie bien lourde et caricaturale de Luigi Comencini qui est capable de bien mieux. Ici il force le trait à chaque instant, grossissant les caractères des personnages et exagérant les situations.
Même s’il reste quelques bonnes séquences (la première visite au commissariat par exemple), beaucoup de scènes sont laborieuses.
C’est tout à fait dommage, il y avait les ingrédients pour faire bien mieux. Notamment l’idée très bonne (et tout à fait dans l’air du temps de la comédie italienne) que, derrière chacun des habitants qu’il s’agit de déloger, se cache un des travers de la société, depuis le trafic de drogue, le bordel, jusqu'à la mafia. À l’image du film, la fin est décevante et tombe à plat.
Ugo Tognazzi cabotine à tout va (comme trop souvent) et s’il fait parfois sourire il fatigue beaucoup. On notera que Michel Galabru s’en sort plutôt bien mais il faut dire que, en version originale, il nous fait grâce de sa voix puisqu’il est doublé en italien. Dès lors, une grande partie de l’exagération de son jeu disparaît et, en tant qu’acteur, il semble s’améliorer aussitôt.


mercredi 15 janvier 2020

The Visit (N. M. Shyamalan, 2015)




Shyamalan semble s’user bien vite : depuis ses meilleurs films (Signes ou Le Village qui sortaient de l’ordinaire), il devient de moins en moins convaincant et en vient à réaliser de parfaits nanars.
Il s’appuie ici sur les ressorts classiques du film d’horreur (l’innocente visite dont on sait qu’elle va mal se passer ; la réutilisation des vidéos réalisées par les enfants, etc.). Rien de bien nouveau, rien de bien surprenant et un twist final qui n’intéresse guère. Et, au final, la maman a eu très peur mais les enfants vont bien…


lundi 13 janvier 2020

Ange (Angel d'E. Lubitsch, 1937)




Très grand film d’Ernst Lubitsch, qui continue d’offrir au spectateur des chefs d’œuvre de comédies sophistiquées. Son style explose constamment à l’écran : jamais, sans doute, même dans ses plus grands chefs d’œuvre, il n’est allé aussi loin dans l’art de l’ellipse, imposant au spectateur, sans cesse, de compléter la narration, de jouer en lui-même les scènes qui se sont jouées mais que Lubitsch a choisi de ne pas montrer, derrière une porte qui nous est restée fermée. Ce rythme, cette façon d’utiliser les décors pour montrer précisément et pour cacher tout aussi soigneusement, cette Lubitsch’s touch en somme, à travers laquelle aucune situation n’est donnée pour elle-même (ce sont les actions et les comportements des personnages qui déclenchent les situations) donne une subtilité pleine de préciosité au film.
L’habituel triangle amoureux est servi par un trio d’acteurs exceptionnels (Melvyn Douglas et Herbert Marshall se disputent Marlène Dietrich), qui évoluent dans leur registre favori qui se trouve être aussi celui de Lubitsch : parmi les grands de ce monde, dans un univers raffiné et cristallin, avec force manteaux de fourrure, coupes de champagne et  bijoux précieux.

 

Et, comme un précieux caviar, Angel se déguste avec goût, préciosité et réclame une complicité exigeante du spectateur. On se demande si, aujourd’hui, des réalisateurs sont capables de demander autant de leurs spectateurs et, ce faisant, de leur faire à ce point confiance pour le suivre.


samedi 11 janvier 2020

Le cinéma moderne

 

On entend par cinéma moderne un cinéma qui propose des personnages, des situations ou des narrations en rupture par rapport au cinéma classique. La réalisation du film elle-même n’utilise pas les circuits de productions habituels, notamment en se développant en marge des studios. Cette manière de faire permet la réalisation de films d’auteur, à petits budgets ou en ruptures avec les conventions.
Ce cinéma apparaît désenchanté, les personnages y sont moins héroïques, ce ne sont plus des héros bien déterminés comme le cinéma en a tant connus, mais des personnages qui errent sans but réels, qui se laissent porter. Les histoires deviennent banales, s’attardent sur les à-côtés de la vie ou les moments insignifiants. La signification de l’image ou de l’histoire peut être multiple ou confuse et l’Histoire du cinéma est revisitée, avec des inspirations qui se multiplient.
C’est après-guerre, dans le cinéma italien, avec Rosselini ou Antonioni, que ce nouveau regard et cette nouvelle manière de raconter des histoires se sont développés.

Des films comme Allemagne année zéro, L’Avventura, Voyage en Italie, L’Éclipse, Les Quatre Cents Coups, Bande à part, Blow-Up, Au feu, les pompiers !, Antonio das Mortes, Les Gens de la pluie, Deep End, La Maman et la putain, Jeanne Dielman, Taxi Driver, Pauline à la plage, Le Goût de la cerise, Elephant, Still Life, etc. sont à ranger du côté du cinéma moderne.

Gilles Deleuze, dans sa réflexion sur la classification des images, considère ces films comme procédant de l’image-temps.

 

jeudi 9 janvier 2020

Liliom (F. Borzage, 1930)




Adapté d’une pièce de théâtre du début du siècle par Frank Borzage, Liliom conserve son origine scénique : l’action est confinée dans quelques décors qui sont tantôt minimalistes (jusqu’à approcher l’abstrait), tantôt expressionnistes, tantôt oniriques. Les jeux d’acteurs sont forcés et exagérés (on y voit aussi, sans doute, la trace du jeu d’acteurs du muet) et l’intrigue très linéaire, jouant simplement de vastes ellipses.
Si Rose Hobart est touchante en humble amoureuse, Charles Farrell est moins convaincant : jouer le mauvais garçon n’est pas son truc. Mais sa naïveté, dans la dernière partie du film, sonne juste. Quant à Liliom, il semble porter sa personnalité sur son nom (le mot liliom signifiant « dur à cuire » en Hongrois), mais on aurait tort de croire qu’il est un tough guy à l’américaine : Liliom est surtout un bonimenteur qui plait aux filles avant d’être un mauvais garçon.
Fritz Lang, dans le Liliom qu’il réalisera en 1934, utilisera lui aussi un acteur à contre-emploi, puisque le personnage sera campé par Charles Boyer, davantage utilisé au cinéma en amoureux romantique. Mais ici, Liliom est sincère et touché (alors que, chez Lang, s’il abandonne toute dureté, il reste ironique).
Quant aux scènes oniriques qui se passent dans les cieux, on préférera peut-être le parti-pris de Lang (qui fait enlever Liliom par des anges) plutôt que celui de Borzage (où Liliom monte dans un train céleste) même si cela vaut des scènes surprenantes.


Mais, si l’ensemble paraît un peu emprunté, l’incroyable style de Borzage explose, tout à coup, dans deux scènes particulières : lorsque Julie tourne sur le manège aux bras de Liliom (on voudrait, tout comme Julie, que cela ne s’arrête jamais) et, auprès de Liliom étendu, lorsque, éclairée par une bougie, elle lui lit sobrement et doucement la Bible.


mardi 7 janvier 2020

Danse de mort (M. Cravenne, 1948)




Étrange film qui construit un huis-clos oppressant et haineux, et qui repose sur la relation complexe qui s’est nouée entre le mari et la femme.
Edgar et Théa sont mariés depuis vingt-ans : vingt-cinq années de faux-semblants, de mensonges et, peu à peu, de haine vrillée au corps. Edgar, campé par un Eric von Stroheim guindé, rigide et monstrueux, est un capitaine aigri. Il dirige une prison forteresse qui est le symbole parfait de son propre enfermement et, pour sa femme (Denise Vernac), celui de sa condamnation.
Rarement un film aura autant écrasé ses personnages dans un climat de haine tendue que rien ne peut résoudre. Et ce n’est pas la romance entre le prisonnier et leur fille bien esseulée qui adoucit cette ambiance.
Le regard de Kurt (Jean Servais) qui comprend qu’il a affaire à deux monstres, exhausse parfaitement cette relation étrange, malsaine, qui se révèle, en fin de film, plus complexe (et par là-même, plus réaliste) qu’il n’y paraît.



samedi 4 janvier 2020

Creep (C. Smith, 2004)




Film d’horreur sans grande prétention et qui n’emmène pas bien loin le spectateur. Il distille quelques scènes gore, comme le veut l’air du temps, donne de pseudo-pistes explicatives (là aussi très conventionnelles) et fait survivre son héroïne, sans grand frisson pour le spectateur.
Creep joue avec des décors en eux-mêmes oppressants (les couloirs de métros, les bas-fonds des stations désaffectées), mais, de ces décors, il n’en retire guère de terreur, guère de surprises : il se passe ce qui doit se passer, selon les codes du genre, codes épuisés jusqu’à la corde et que le spectateur anticipe instantanément. Nulle « revisite » du genre, nulle innovation, juste le déroulé habituel de la recette. Les fans apprécient (le film a reçu plutôt de bonnes critiques) mais le film d’horreur apparaît ici comme un genre très étriqué avec peu de choses à dire et bien peu d’originalité pour le dire.
Cela dit, d’autres films surferont sur l’idée centrale de Creep (une créature humanoïde un tantinet agressive qui hante un milieu foncièrement inhospitalier) comme The Descent ou Sanctum. Mais là non plus il ne faut pas s’attendre à autre chose que la recette de base du genre.