lundi 30 mai 2016

Trois souvenirs de ma jeunesse (A. Desplechin, 2015)




Bon film de Arnaud Desplechin, mais qui ne présente guère de dépaysement par rapport à ses autres films (Un conte de Noël, Comment je me suis disputé…, etc.). Dès lors les choses sont simples : qui aimait les précédents aimera celui-là, qui ne les supporte pas, ne supportera pas celui-là.
Desplechin reprend son personnage habituel (Paul Dédalus), toujours incarné à l’âge adulte par Mathieu Almaric, et il se promène ensuite dans les années 80, en suivant les souvenirs de Paul, à l’enfance et à l’adolescence surtout. Desplechin s'amuse à jouer avec des fermetures à l'iris ou avec des split screen démodés pour coller aux souvenirs ou à l'époque.
Un split screen avec Paul, sa sœur et leurs amis.
Certains passages rappellent d’autres films de l’auteur, en particulier toute la partie en Russie qui fait clairement appel à La Sentinelle.

Comme toujours le récit est très ambitieux, très entremêlé, chargé de symboles, de références, de clins d’œil. Et, bien entendu, le style est toujours un peu précieux, un peu prétentieux. Quentin Dolmaire, très bon interprète de Paul lorsqu'il est jeune adulte, rappelle nettement Jean-Pierre Léaud, à la fois chez Truffaut ou dans La Maman et la putain, avec la même façon de s’exprimer, de s’écouter parler, usant d’un même ton pour des considérations triviales ou importantes.
A. Desplechin continue donc d'épaissir son personnage de Paul Dédalus, en reprenant des éléments biographiques entrevus précédemment mais en les déformant un peu et en les aménageant à son histoire (la mort de sa mère par exemple quand il était enfant, due à un cancer dans Comment je me suis disputé, due ici à un suicide). Il le construit donc en multipliant les possibles, comme s’il discutait, à sa façon de réalisateur, les existences de son personnage, de la même façon que son personnage en discute lui-même, en se cherchant, se heurtant, faisant marche à arrière ou se perdant.
L’opposition à sa mère est toujours très dure (mère castratrice qui l’empêche d’exister), la vision du père est aussi très négative : il faut, pour Paul, s’extirper de ses parents, pour pouvoir, ensuite, commencer à vivre.
Dans Trois souvenirs de ma jeunesse, une part importante de la construction de l’identité de Paul tourne autour de sa relation amoureuse avec Esther, quand il est jeune adulte. Il faut bien dire que, pour compliquée qu’elle puisse être, cette relation est bien peu originale (et évoque là aussi La Maman et la putain, un peu comme une variation sur le thème) et elle est assez peu intéressante cinématographiquement. Il faut le talent des deux comédiens et la patte de Desplechin pour parvenir à captiver le spectateur.


Esther, sûre de sa force.
Les références foisonnent comme toujours, aussi bien symboliques (ici de nombreuses allusions aux signes, grecs par exemple ou encore les rituels juifs qui sont inconnus de Paul Dedalus) que cinématographiques.
On voit un extrait du Massacre de Fort Apache de Ford et Hitchcock n’est jamais bien loin (ici l’escapade dans Minsk évoque Le Rideau déchiré et la présentation d’Esther – par l’image que Paul a d’elle adolescent – évoque la présentation de Madeleine dans Vertigo).
Un plan des deux futurs amants, filmés en travelling avec une légère contre-plongée, fait écho au même plan que celui du Conte des chrysanthèmes tardifs de Mizoguchi.


Un très beau plan de nuit chez Mizoguchi,
conduit en un long travelling, en légère contre-plongée.
Chez Desplechin une même position de caméra,
pour un plan au petit jour.

samedi 28 mai 2016

Lettre d'une inconnue (Letter from an Unknown Woman de M. Ophüls, 1948)




Le style sublime d’Ophüls, lumineux, calme, virtuose, fait naître une émotion extraordinaire et dessine le portrait d’une romantique au destin tragique. La maîtrise technique parfaite du réalisateur distille une mélancolie qui accompagne la douleur de la jeune femme et enveloppe la narration d’une beauté sombre extraordinaire.
A la légèreté de Stefan (admirable Louis Jourdan) répond la gravité et le masque tragique de Lisa (Joan Fontaine, déchirante) qui passe de la fascination à la douleur. La lettre reçue fait découvrir à Stefan qu’il vient de perdre ce qu’il ne savait même pas posséder.


La construction habile et rigoureuse, la narration en flash-backs, les choix du réalisateur (il fait une ellipse sur l’étreinte entre les amants, duquel naitra l’enfant), l’inventivité visuelle (le faux voyage en train, le célèbre fondu enchaîné où, au départ du train de Stefan, succède une religieuse qui s’avance, marquant une ellipse temporelle étonnante), tout cela emmène le film vers le sublime et l’émotion, palpable de plus en plus à mesure que la douloureuse histoire se révèle.


Et Ophüls choisit de relier les deux amants : Stefan rend hommage à Lisa, tardivement, comme une rédemption, en allant à ce duel mortel.


vendredi 27 mai 2016

Les Bêtes du Sud sauvage (Beats of the Southern Wild de B. Zeitlin, 2012)




Film pétillant et plein de vie, alors qu'il montre la vie difficile (mais finalement enchantée) d'une zone recluse à l'écart de la société, 
La séquence pré-générique est très belle, il y a du Badlands dans cette façon de filmer, légère et éclatante, avec la voix off en commentaire. Bien sûr la morale est peu simple (mieux vaut notre petite vie simple et précaire mais dans une communauté bien vivante et joyeuse, plutôt que l’anonymat de la ville moderne), mais le ton est enjoué, plaisant, léger et la joie communicative.



La petite Quvenzhané Wallis (qui joue la délicieuse Hushpuppy), 9 ans, est étonnante, touchante et drôle, dans sa naïveté juvénile et fraîche.

La thématique est celle de l'enfant seul dans un monde adulte (sans mère, avec un père mourant, dans une communauté menacée), et les épreuves sont affrontées avec le front haut de la naïveté pragmatique de l'enfant. Mais, en définitive, c'est à la nature elle-même (et à travers elle l'univers) à laquelle se confronte Hushpuppy. Et ses peurs les plus profondes s'incarnent symboliquement dans les aurochs qui dévalent jusqu'à elle. Zeitlin joue des symboles avec lyrisme et parvient à donner à cette histoire simple une hauteur universelle et touchante.



On trouve un étrange écho à Affreux sales et méchants, où une petite fille en bottes, déjà, déambule dans les immondices du bidonville.



mardi 24 mai 2016

Psycho (G. Van Sant, 1998)




Le Psycho de G. Van Sant est un remake au sens le plus strict du terme. Il ne s’agit pas d’un remake simplement inspiré par le film de départ (par exemple Obsession de De Palma qui est un remake de Vertigo), mais d’un film qui reprend séquence par séquence (et quasiment plan par plan) Psychose, le film initial, et qui en garde les dialogues et même la musique. Il s’agit donc, au sens strict, d’un film maniériste, c’est-à-dire « à la manière de ». Le concept de maniérisme étant même poussé jusqu’à son point le plus extrême puisqu’il s’agit de refaire exactement le même film.

Anne Heche...
...reprend le rôle de Janet Leigh

Exactement pas tout à fait. C’est évidemment dans certains détails, qui différencient les deux films, que se situe tout l’intérêt du second.

Tout d’abord G. Van Sant choisit de ne pas reproduire le choc principal d’Hitchcock : la mort de son actrice star au tiers du film. Au-delà de la célébrité du film initial, qui peut avoir vendu la mèche même pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, Van Sant décide de ne pas chercher à choquer le spectateur et à ne pas le laisser désemparé comme Hitchcock l’avait fait. Il choisit donc une actrice peu connue et, même, utilise une star (Viggo Mortensen) mais pour le rôle secondaire de Sam qui non seulement ne meurt pas mais permet d’arrêter Norman Bates. Le spectateur n’est donc pas sidéré comme avec Hitchcock par la mort de Marion : sa star est toujours dans le coup et pourra intervenir plus tard.
Ce choix est très révélateur : Van Sant s’adresse donc à des spectateurs qui ont déjà vu Psychose et pour lesquels, de toute façon, on ne peut reproduire le choc initial de la première vision du film. De même, à l’appui de cette idée, Van Sant sait très bien que les deux personnages de Marion Crane et de Norman Bates sont ancrés dans l’imaginaire du spectateur cinéphile qui ne cessera, inévitablement, de comparer Vince Vaughn et Anne Heche à leurs illustres prédécesseurs, Anthony Perkins et Janet Leigh. On se dit que l’idéal serait de pouvoir voir les deux films simultanément et ainsi goûter son plaisir, comparer, comprendre, rejouer pour soi chaque séquence.

Vince Vaughn...
...reprend le rôle de Norman Bates
Ensuite, malgré tout, Van Sant a modifié quelques séquences.
Il a d’abord tiré parti des évolutions techniques. Dès le plan-séquence d’ouverture, Hitchcock avait dû faire un raccord (habilement masqué mais raccord quand même) pour permettre à la caméra d’entrer dans la chambre où se trouvent Marion et Sam. Van Sant, avec les possibilités du numérique glisse sans problème et balaie les contraintes que subissaient Hitchcock. Autre exemple fameux : lorsque Hitchcock fixe l’œil mort de Marion gisant sur le carrelage de la salle de bain et qu’il s’en écarte lentement, on sait qu’il dût interrompre son plan-séquence par une vue de la douche pour reprendre ensuite le chemin de la caméra car Janet Leigh a bougé et qu’il fallut couper le clignement d’œil au montage. Van Sant s’amuse à faire tourner sur elle-même la caméra tant et plus – figure tournante qui poursuit la vue de la bonde de la baignoire où s’écoule une eau teintée de sang. Il semble ici que Van Sant ait réalisé ce qu’Hitchcock aurait fait s’il avait pu le faire.



Van Sant a également revu le montage des plans de la séquence de la douche, en rajoutant quelques plans, notamment des plans subliminaux (totalement absents chez Hitchcock) d’un ciel nuageux, d’un iris en très gros plan. Il fait de même lors du meurtre d’Arbogast où il insert des vues étranges (une femme nue masquée, un mouton perdu sur une route).
On constate aussi que les séquences les moins virtuoses, celles en classique champ-contre-champ sont très peu modifiées.
Van Sant a donc repris fidèlement la construction d’Hitchcock, se contentant de mettre son grain de sel sur les séquences les plus virtuoses ou les plus frappantes (les deux meurtres et aussi la révélation finale de la mère momifiée).

samedi 21 mai 2016

Memories of Murder (Salinui chueok de J. Bong, 2003)



Memories of murder Bong Joon-ho affiche poster

Original et réjouissant  malgré un arrière-plan sordide , ce film policier est une belle appropriation par le réalisateur d'un genre qui apparaît parfois épuisé et qui est ici dynamisé.
En effet l’intrigue prend appui sur un meurtrier en série qui assassine des jeunes filles. Mais autour de ce thème initial aujourd'hui classique du thriller, Bong Joon-ho vient flirter avec d'autres genres, en particulier la comédie. La grande réussite du film est alors que le film mélange les tons avec aisance (et ce n'est pas facile) en venant distiller des moments drôles au milieu de moments tragiques, en parvenant à entrecroiser des gaffes au milieu d'un décor macabre et d'un environnement social dur. Le ton comique est trouvé au travers de la médiocrité des policiers, de leur fébrilité et de leurs ratés successifs.
Il faut noter que cet humour qui naît des personnages est bien différent de l'humour de beaucoup de films, qui est souvent un humour de calembours, faussement décontracté, et qui est souvent malhabile et sonnant faux. Ici, au contraire, malgré le ton noir qui englobe le film, Bong Joon-ho réussit un mélange très rare et très réussi.

Memories of murder Bong Joon-ho affiche poster

jeudi 19 mai 2016

L'Ecole buissonnière (J.- P. Le Chanois, 1948)




Film agréable et sympathique mais un peu désuet aujourd'hui, surtout parce que sa dénonciation de l’enseignement n’est plus du tout d’actualité.
Dans le sud de la France, un nouvel instituteur arrive dans un petit village et ses méthodes pédagogiques révolutionnent l’école. Les élèves se réconcilient avec la classe mais les gens du village acceptent mal ces nouvelles méthodes d’enseignement et tentent de faire révoquer l’instituteur. Les excellents résultats des élèves en fin d'année lui donneront raison. L’histoire s’inspire de Célestin Freinet et de ses méthodes (liberté d'expression, imprimerie, etc.).
C’est un peu dommage que le film parte d’une vision ancienne caricaturale pour aboutir à une situation tout autant caricaturale (les élus allant se plaindre au conseil municipal que l’instituteur leur a pris leurs enfants car ceux-ci veulent sans cesse aller à l’école !), parce que le ton du film est très bien (décontracté, comme une chronique d’un village isolé) et Bernard Blier est parfait en instituteur pionnier, avec sa bonhommie, sa franchise et, l’air de rien, ses convictions.

Il est amusant de voir que la situation s'est totalement inversée aujourd’hui : les pédagogies prônées dans le film sont devenues le mantra officiel. Il n’est plus question d’exigence, de difficultés, de contraintes, mais il faut proposer uniquement des activités qui parlent aux élèves, il faut faire allégeance à leurs goûts, qu’importe qu’ils ne progressent guère, le tout étant qu’ils s’éveillent, qu’ils se dé-recroquevillent. On est donc passé d’un extrême (qu’il ne faut pas regretter) à un autre. On pourrait faire le même film en montrant, aujourd’hui, un instituteur exigeant, qui tient sa classe et qui fait apprendre. Il serait complètement rejeté et bien vite un inspecteur viendrait voir cette horreur pédagogique.
Là où le film prend position c’est non seulement dans son soutien aux bonnes intentions du nouvel instituteur, mais aussi dans son dénouement : tous les élèves de la classe qui sont en âge passent leur certificat d’étude et tous le décrochent. On touche du doigt la petite tromperie du film et la limite de ces méthodes qui sont aujourd’hui l’âme de la pédagogie moderne : dans la réalité, le niveau des élèves progresse bien peu avec ces méthodes d’enseignement.

La faillite de cette pédagogie est touchée du doigt (pour qui sait se rendre compte) par exemple dans Entre les murs de L. Cantet, où on peut mesurer non pas tant la différence entre les élèves d’avant et ceux d’aujourd’hui (différences beaucoup plus faibles qu’on veut le dire : il n’y a pas tellement pire qu’Albert qui refuse d’aller en cours, détruit les constructions des autres élèves, crache son noyau de pêche dans la classe, etc.) mais surtout la différence entre les enseignants. Dans leur manière d’être on voit que le principe de la transmission est abolie, qu’il ne s’agit pas d’apporter aux élèves quelque chose qui leur est inconnu mais simplement de les inviter à s'exprimer et à s’épanouir.


Le Cercle des poètes disparus reprend cette même idée, c’est-à-dire importer dans un environnement traditionnel et rigoriste un enseignant décalé, qui écoute ses élèves, qui veut les épanouir avant tout. Et là aussi les élèves soutiennent leur professeur quand l’institution le renvoie (même si la dimension tragique du Cercle des poètes est tout à fait absente de L’Ecole buissonnière).

mercredi 18 mai 2016

Une vie difficile (Una vita difficile de D. Risi, 1961)



Une vie difficile Dino Risi Alberto Sordi

Très bonne comédie de Dino Risi, une des meilleurs de la période. Et comme toute bonne comédie italienne, le ton de comédie accompagne un arrière-plan réaliste et dur, bien loin de la fantaisie. Et comme souvent avec Risi l'intelligence du film lui donne sa force : il décrit la vie d'un militant communiste sur 30 ans, et montre comment ses idéaux se sont fracassés au mur de la réalité. Mais jamais le réalisateur ne fait dans la facilité ou la caricature.
D'emblée, sur la première séquence, qui a lieu pendant la résistance, Risi tape juste : il n'est pas facile d'être résistant, surtout quand un lit bien chaud et un bon repas vous retiennent. Cette entrée en matière permet d’égratigner un des grands idéaux de l’après-guerre.
Risi montre comment Silvio (légendaire composition d’Alberto Sordi) refuse de se résigner, comment il s’arcboute sur ses idéaux (alors que la séquence d’ouverture montre à quel point ils peuvent être fragiles). Le film traverse toute une période de l’histoire de l’Italie, et l’évolution des idées de la gauche, qui s’amenuisent alors que le matérialisme triomphe. Le ton du film oscille avec génie entre la bouffonnerie et le pathétique. Et ce sont les sentiments qui sauveront le pauvre Silvio.
Certaines séquences sont extraordinaires, en particulier le repas chez les royalistes ou  encore Silvio, saoul, crachant de dédain sur les voitures qui passent.

Une vie difficile Dino Risi Alberto Sordi

Ce regard politique complexe qui traverse l’Italie sur 30 ans se retrouvera dans Nous nous sommes tant aimés. Belle Italie, qui a eu la chance d’avoir des réalisateurs (alliés à des scénaristes et des acteurs hors de pair) qui ont su brosser avec finesse et acuité leur pays, la vie des gens et la complexité des combats qu’ils ont pu mener !


Une vie difficile Dino Risi Alberto Sordi

samedi 14 mai 2016

Mélodie pour un tueur (Fingers de J. Toback, 1978)




Intéressant polar, porté par un Harvey Keitel qui parvient à construire son personnage – Jimmy Fingers – qui est partagé entre deux mondes, deux aspirations.
Il y a d’un côté la réalité, symbolisée par son père – truand sans grande envergure qui a besoin de son fils pour se dépatouiller de ses affaires crapuleuses , et, d’un autre côté, le rêve : devenir grand pianiste, se produire à Carnegie Hall et suivre en cela les pas de sa mère.
Le film est âpre, articulé autour de Jimmy Fingers et de ses balancements, d’un univers à l’autre, même si quelques séquences sont inutiles (elles cherchent à immerger le héros dans une ambiance mais détournent du nœud de l’histoire).
Jimmy Fingers, solitaire, un peu décalé, constitue un personnage original, avec son radiocassette sans cesse à la main.



De battre mon cœur s’est arrêté, de J. Audiard, est un remake de ce film, avec une action déplacée à Paris en 2005. La trame est un peu différente mais reprend la dualité principale du héros. A noter que, en modernisant son héros (qui ne peut, en 2005, porter à bout de bras un gros radiocassette, il fallut donc l’affubler d’un casque de baladeur), celui-ci perd en décalage et en porte-à-faux avec le monde autour de lui (Jimmy Fingers emmène sa musique partout avec lui   et cela sert de bande originale  et tout le monde l’entend, certains s’en plaignant, d’autres se mettant à danser, etc.). Le héros de Audiard est plus discret et appartient aux deux mondes qu’il côtoie, Jimmy Fingers, lui, apparaît beaucoup plus décalé, ne trouvant jamais sa place dans aucun de ces deux mondes.



vendredi 13 mai 2016

Gatsby le magnifique (Great Gtasby de B. Luhrmann, 2013)




Cette adaptation du roman de Fitzgerald souffre principalement d’une erreur de casting. Non pas au niveau des acteurs, mais du réalisateur. Baz Luhrmann aime les scènes chantées, un peu déjantées, hautes en couleurs, sur des musiques électroniques très rythmées : on comprend que l’histoire, qui permet de mettre en scène des réceptions fastueuses à la belle-époque, lui plaise. Mais l’histoire de Fitzgerald est bien plus que cela et, malgré un bon Di Caprio en Gatsby (en revanche Tobey Maguire ne fait pas un très bon Nick Carraway : dans le roman il est naïf, ici il en devient niais), il ne parvient jamais à émouvoir. On reste bien loin, finalement, de la détresse de Gatsby, mais pour faire passer tout cela à l'écran Luhrmann n'est pas le réalisateur qu'il fallait.
Le film reste donc froid, sans affect, on voit que Luhrmann s’amuse bien dans les séquences de fêtes, mais c’est à peu près tout. On peut toujours dire que Luhrmann fait bien ce qu’il veut et qu’il peut adapter comme bon lui semble un roman. Certes, mais ne retenir du roman qu’un prétexte à filmer des fêtes semble un peu court. La substantifique moelle du roman est traitée avec beaucoup de platitude.

mardi 10 mai 2016

Autopsie d'un meurtre (Anatomy of a Murder de O. Preminger, 1959)



Autopsie d'un meurtre Otto Preminger Affiche Poster

Très bon film de Preminger, qui sous des airs convenus de film de procès, n'en est pas réellement un. En effet, assez vite – et le film est en cela étonnant – on se désintéresse de savoir si le roublard lieutenant Manion (excellent Ben Gazzara) est coupable ou non. C’est toute la machine juridique qui intéresse Preminger.
C’est que plus le film avance, plus il y a d’éléments dévoilés et plus la situation, au lieu de s’éclaircir, devient embrouillée. On ne saurait dire, alors, tout au long du procès, si Manion est coupable. Manion accusé d’avoir tué un propriétaire de bar qui aurait violé sa femme. Et progressivement on n’est plus sûr de rien, ni de l’agression supposée à l’origine du geste de Manion (sa femme, l’aguicheuse et sensuelle Laura, a-t-elle réellement été agressée ? Est-elle bien fidèle ?), ni de la pulsion de Manion (est-ce un mari fou de douleur qui vient venger sa femme ou un calculateur froid et habile ?).

Laura Manion : n'est-elle pas trop aguicheuse et sensuelle pour une femme violée ?
Le procès est alors à la fois une partie d’échec et une partie de cache-cache entre l’avocat (James Stewart, impeccable) et le procureur (Walter C. Scott, retors à souhait). James Stewart est dans un de ses meilleurs rôles (ce qui n’est pas peu dire) pour composer cet avocat désabusé, volontiers cynique, qui sent bien que tout ne colle pas, qui doute de son client et de sa femme, qui s’interroge, mais qui continue de croiser le fer avec le procureur.

Walter C. Scott au premier plan, devant James Stewart et Ben Gazarra, assis
Bien sûr la justice américaine en prend pour son grade : la vérité n’est pas objective, elle est une construction, lente et chaotique, montée pièce par pièce à la fois par l’accusation et la défense, à coups d’envolées verbales, de coups bas, de preuves douteuses, de harcèlement de témoin, d’experts contradictoires. On préfère oublier la morale, on met en avant ce qui nous arrange tout en fermant les yeux sur tel ou tel aspect de l’accusé. Et c’est ainsi que s’établit ce que le procès considérera comme une vérité. Et de cette vérité – qui n’en est pas une – découlera la peine. C’est dans la construction de cette vérité que le film dépasse le genre habituel du film de procès : on se désintéresse de la vérité objective (qui est celle du déroulé réel des faits : c’est à partir de cela qu’il faudrait juger). On ne sait pas, finalement, ce qui s’est réellement passé, les doutes qui ont traversé la salle d’audience ne seront jamais levés – quand bien même le jury rend son verdict – la vérité n’éclatera jamais au grand jour.
A noter une apparition de Duke Ellington (auteur de la bande originale), qui joue au piano avec James Stewart.

James Stewart en duo avec Duke Ellington

lundi 9 mai 2016

Les 55 jours de Pékin (55 days at Peking de N. Ray, 1963)




Grosse superproduction qui reprend l’épisode historique de la révolte des Boxers qui s’attaquent aux délégations étrangères à Pékin en 1900. Celles-ci se regroupent et font front contre un ennemi bien supérieur en nombre tout en attendant des renforts qui n'en finissent pas de ne pas arriver.
Mais l’ensemble est bien décevant : quelques scènes sont spectaculaires (la situation est en fin de compte proche de celle d’Alamo : il est bien évident que cela inspire le cinéma américain) et l'ensemble est distrayant, mais il y a bien peu d’émotion et encore moins de surprises.
Seul David Niven, en diplomate anglais flegmatique et mesuré, est très bien et relève le niveau des autres acteurs – pourtant prestigieux (Charlton Heston, Ava Gardner) – mais bien peu inspirés. Les 55 jours de Pékin a beau être une grosse production, c’est un bien petit film de Nicholas Ray.

vendredi 6 mai 2016

Partie de campagne (J. Renoir, 1936)



Extraordinaire film de J. Renoir, qui distille dans cette adaptation de Maupassant tout son génie.
Sans chercher à réaliser une adaptation littéraire de la nouvelle de Maupassant, Renoir retrouve son esprit : la fraîcheur poétique et pleine de vie, la nature omniprésente qui est comme un cocon qui enveloppe et recueille les sentiments des personnages. La rivière, les herbes, le chant des oiseaux, la fameuse séquence de la balançoire : plus que dans tout autre film peut-être, chaque image est incroyablement  vivante. Le génie de Renoir est là : tout vibre, tout ondule, tout est animé. Avec cette intimité de l'homme et de la nature, Renoir marche dans les traces de son père et, dans de nombreux plans, on retrouve un tableau d'Auguste Renoir (depuis la balançoire jusqu'aux yoles, en passant par le bord de l'eau, etc.).



Le film est prétendument inachevé : il est en fait une quintessence de l’art de Renoir. Les scènes manquantes (la vie à Paris de la famille Dufour) sont superflues et l’ellipse finale ne gêne en rien. Renoir, comme il se doit, tape sur le mode de vie bourgeois (ridiculisant les parents Dufour et le futur gendre) et fait une ode à la pétillance du moment.


La séquence de la balançoire, où Rodolphe et Henry devisent sur les jupons d’Henriette pendant qu’elle se balance est merveilleuse, et la séquence où Henry et Henriette s’allongent dans l’herbe et s’embrassent, sous le chant incitatif du rossignol est éblouissante. On y trouve le gros plan qui, pour Renoir, est la substantifique moelle du cinéma, en ce qu’il crée un lien intime entre le personnage et le spectateur. Ce très gros plan sur les yeux embués d’Henriette est exceptionnel. En un instant la grâce et l'émotion affluent.


jeudi 5 mai 2016

La Part des anges (The Angels' Share de K. Loach, 2012)




Agréable comédie de K. Loach, avec un arrière-plan social cher au réalisateur. Les premières séquences, qui permettent d’introduire plusieurs personnages, sont typiques du cinéma de Loach : c’est un cinéma social, avec une vision presque documentaire. La comédie démarre réellement avec l’introduction du thème du whisky, d’abord un peu incongru, mais qui devient progressivement le cœur du film. Le happy-end a des allures de miracle mais le genre s’y prête bien.
Pourtant sans grande prétention, l’ensemble a cette chaleur que sait mettre Loach dans les portraits qu’il brosse.

mardi 3 mai 2016

L'Invasion des profanateurs de sépultures (Invasion of the Body Snatchers de Don Siegel, 1956)




Très bon film, qui est une des principales dates du cinéma de science-fiction des années 50 et qui bénéficie, il faut bien le dire, d'un scénario exceptionnel. Le traitement par Don Siegel est d'autre part très réussi.
Un médecin, le Docteur Miles, est interné dans un hôpital psychiatrique et il raconte son histoire. Dans la petite ville où il officie, il est interpellé par plusieurs patients qui se plaignent de ne pas reconnaître leurs proches (« ma mère n’est plus ma mère »), comme atteints d'une psychose collective. Peu à peu il comprend que les personnes concernées ont disparu et qu’elles ont été remplacées par des copies extra-terrestres. Au fur et à mesure, de plus en plus de personnes sont ainsi remplacées. Bientôt Miles est le dernier de la petite ville à tenter de résister, quand tous les autres habitants sont devenus des êtres dépersonnalisés, sans émotion. Il lutte et s’enfuit en tentant de trouver de l’aide et interpelle les automobilistes (avec l’exclamation célèbre « you’re the next ! »).
Cette idée d'un envahissement par des extra-terrestres qui prennent l'aspect des humains et les remplacent pendant leur sommeil est une métaphore remarquable et très puissante.
D'une part le monstre n’est plus une abominable créature venue de l’espace mais, tout à coup, c’est un voisin ou le conjoint. Cet envahissement discret et difficile à discerner est un élément déclencheur exceptionnel et donne une vigueur nouvelle au monstre, souvent montré comme un autre identifiable et repoussant. Ici l’autre, l’être le plus proche, sa propre mère, est peut-être un monstre (seul Hitchcock ira plus loin dans Psychose : avec Norman Bates, le monstre est une part de soi-même).
D'autre part le film est une habile critique de la société endormie et déshumanisée : les habitants remplacés par leurs copies n’ont plus ni affects, ni sentiments, ni émotions. Cette métaphore est une incitation à se battre contre la routine de la vie de tous les jours qui endort les personnalités. D’ailleurs c’est pendant leur sommeil que les humains sont remplacés par des copies. Acculés, les héros, qui ont compris qu’ils ne devaient pas dormir, prennent des pilules pour résister au sommeil. Le film, d'ailleurs, a failli s'appeler « Sleep no more », ce qui eût été excellent et bien mieux, en tous les cas, que le titre français, tout à fait ridicule (où sont les sépultures prétendument profanées ?). Il aurait aussi dû s'arrêter quelques scènes plus tôt (ce sont les producteurs qui ont imposé une structure en flash-back, qui atténue beaucoup l’angoisse générée par le film), quand Miles hurle à la caméra son désespéré « vous serez le prochain ».

Miles au spectateur : "You're the next !"