jeudi 31 juillet 2014

Sueurs froides (Vertigo de A. Hitchcock, 1958)




Ce chef-d’œuvre est l’un des films les plus fascinants du cinéma et aussi l’un des plus perturbants.
Hitchcock parvient à nous faire entrer dans la tête de John « Scottie » Ferguson dont on découvre, au fur et à mesure du film, la névrose. L’intelligence d’Hitchcock est de couper le film en deux : après la mort de Madeleine (du moins ce qui apparaît comme tel), le spectateur est dans l’expectative. Que va-t-il bien pouvoir se passer maintenant, avec Scottie à demi-catatonique dans son hôpital et Madeleine qui n’est plus ? Et c’est alors, évidemment, que l’aspect terrible du film commence : Scottie, dans un premier temps, croit voir Madeleine partout, puis, dans un second temps, il va tenter de la faire revivre. Il croise Judy, qui ressemble étonnamment à Madeleine et il cherche alors à la façonner à l’image de Madeleine. Et Judy, éprise de Scottie, se laisse faire.


La première vision de Madeleine par Scottie 
Scottie croit retrouver Madeleine en retournant
dans le restaurant où il l'a vue pour la première fois...
On a ici une forme de nécrophilie qui fait réfléchir : Scottie n’aime pas Judy, il aime Madeleine au travers de Judy. Bien sûr la machination ourdie contre Scottie complexifie l’affaire, mais l’aspect psychanalytique est très puissant, dans cette volonté d’un homme de retrouver une personne disparue, en faisant adopter par une autre femme (du moins le croit-il) la même coupe de cheveux ou les mêmes vêtements que celle qu’il aimait.
Hitchcock, tout en maîtrise, s’offre le luxe de dévoiler la clef de son énigme une demi-heure avant la fin (contre l’avis de nombreux collaborateurs, comme c’est souvent le cas pour ses décisions radicales). Mais loin de briser le suspense, le film en est encore plus passionnant : le spectateur qui en sait plus que Scottie le voit s’enfoncer dans sa névrose. Jusqu’à ce que, comme souvent chez Hitchcock, un détail ne vienne tout révéler (ici le pendentif).


Le pendentif de Madeleine, que Scottie retrouve sur Judy.
Comme pour beaucoup d'autres films d'Hitchcock, Vertigo a influencé de nombreux réalisateurs et on en retrouve de nombreuses allusions dans beaucoup de films, depuis le remake (Obsession par B. De Palma) jusqu'à des scènes qui y font clairement références, par exemple dans Un conte de Noël de A. Desplechin.

Une scène clef de Vertigo(Madeleine devant le tableau de Carlotta)

Dans Un conte de Noël on retrouve la même scène,
qui est même signée par un plan sur un pendentif.

lundi 28 juillet 2014

Umberto D. (V. De Sica, 1952)




Ce film éblouissant, grand chef-d'oeuvre du néoréalisme, est l'un des plus touchants et des plus universels du cinéma.
Une fois encore De Sica peint ce qui semble être une errance, une course vers le vide d'un pauvre homme, à qui il ne reste plus rien, si ce n'est un petit chien, qui l'accompagne et, finalement sans doute, le sauve.


La séquence finale – la tentation du suicide auprès du train – est exceptionnelle à la fois par sa simplicité et par sa puissance : De Sica parvient à toucher le fond de l'âme humaine en quelques plans.


samedi 26 juillet 2014

Le Dernier train de Gun Hill (Last Train From Gun Hill de J. Sturges, 1959)




Western assez classique dont le scénario trouve sa source dans des thèmes abordés par Le Train sifflera trois fois et déjà repris dans 3h10 pour Yuma : un homme seul doit mener un bandit devant la justice, mais il est menacé par sa bande et personne ne viendra l'épauler.
La réalisation est solide, les amateurs s'y retrouveront. Mais l'ensemble est trop conventionnel, K. Douglas et A. Quinn incarnant avec efficacité des personnages malheureusement trop peu originaux.

jeudi 24 juillet 2014

The Big Lebowski (J. et E. Coen, 1998)




Amusant film des frères Coen, qui brille par un ton potache, complètement décalé et parfois proche de l’absurde. Le film n'a que peu marché à sa sortie et ce n'est que progressivement qu'il a acquis une certaine notoriété.
Les frères Coen montrent leur grand éclectisme, après le très bon Fargo, thriller noir froid et glacé, où tout semble figé. Ici c’est tout l’opposé : la comédie frôle le burlesque, on rit des tentatives grotesques d’enlèvement, d’extorsion ; on sent les réalisateurs rire derrière leur caméra lors des séquences au bowling.

La fine équipe au bowling (The Dude, Donny et Walter)

L’intrigue, totalement décousue, prend appui sur un quiproquo qui est le prétexte à une visite disjonctée dans les différentes strates sociales de Los Angeles. A leur façon les frères Coen reprennent le genre immense du polar et le marie avec l'autre genre immense de la comédie américaine (enfin, genre qui fut immense, aujourd’hui il est largement dévoyé), secouent le tout comme dans un shaker et l’utilisent pour brosser un portrait au vitriol de l’Amérique. Mais, si la critique est dure, on sent combien les frère Coen aiment leur « Dude » Lebowski.
Même si la morale du film est un peu vaine, se sont les personnages qui frappent le plus. Le Duc, incarné par un Jeff Bridges remarquable (mais on sait depuis longtemps son talent), est truculent – c’est une espèce de hippie tardif qui se promène en robe de chambre et cherche à rester peinard dans sa petite vie – et, au-delà, Walter mais aussi d'autres personnages secondaires hauts en couleur enrichissent largement le film.

Jeff Lebowski fait ses courses...

mardi 22 juillet 2014

De rouille et d'os (J. Audiard, 2012)




Le principe du film semble être une accumulation d'événements  – dont certains exceptionnels et tout à fait improbables – qui mènent la trame et, en même temps, parviennent à la perdre.
En vrac on a : Ali, personnage principal sans grande conscience, qui fait ce qu’il peut avec son fils et qui provoquera le licenciement de sa sœur qui l’accueille ; Ali toujours qui s’engage dans des combats de boxe clandestins ; Stéphanie qui dresse des orques et y perd ses deux jambes puis tente de réapprendre à vivre avec deux prothèses ; Sam, fils d’Ali, qui manque de se noyer dans l’eau d’un lac gelé ; son père qui se brise la main pour le sauver.
Il n’y a guère de liant dans toute cette accumulation hétéroclite et on ne sait pas trop où veut en venir Audiard. Est-ce un regard social (Ali qui rame, qui trouve un petit boulot, qui fait licencier sa sœur) ? Un regard sur le drame de Stéphanie qui perd ses jambes et se retrouve avec deux prothèses ? Audiard est-il intéressé par les combats de boxe, violents et destructeurs ? Il y avait sans doute un parallèle intéressant et complémentaire qui se dessinait entre la destruction du corps par la boxe et les prothèses de Stéphanie, avec la fascination d’Ali pour les prothèses : Crash n’était plus très loin.  Et que dire du dernier rebondissement, lorsque le fils d’Ali disparaît sous la glace, qui entraîne une réconciliation artificielle et tardive ?
De ce fatras il ne ressort rien réellement, l’émotion est téléguidée, avec Stéphanie sans ses jambes à l’hôpital, puis la sœur licenciée et enfin la peur d’Ali pour son fils.
La perte de 2 jambes plus le frère qui fait licencier par mégarde sa sœur plus le fils presque noyé ! Ouf ! L’ensemble, souvent outrancier et qui part dans tous les sens, est finalement bien décevant.

dimanche 20 juillet 2014

Baisers volés (F. Truffaut, 1968)




Truffaut reprend son personnage fétiche Antoine Doinel (porté par son acteur emblématique) et il lui fait subir une série d’initiations qui le conduiront, finalement, au mariage.
Le film est délicieux, Jean-Pierre Léaud est au summum de son expression détachée et un peu naïve, les seconds rôles sont savoureux (Michael Lonsdale et Delphine Seyrig en particulier).

Antoine Doinel, Antoine Doinel, Antoine Doinel, etc.
Antoine Doinel est chassé de l’armée, il découvre alors la vie (enfin surtout les femmes) au travers de petits boulots qui se succèdent, comme une sorte d’initiation vers l’âge adulte. Il y rencontre un mentor (Monsieur Henry qui, après lui avoir fait une filouterie, l’engage comme détective) et, tout en étant amoureux de Christine, file au bordel et s’éprend de Madame Tabard.  Le film part un peu dans tous les sens : c’est un peu une éducation sentimentale et en même temps presqu'un film à sketchs.
On notera que toutes les expériences que vit Antoine Doinel tournent peu ou prou autour des femmes, depuis l’adjudant qui nous fournit une explication lumineuse sur le déminage (« le déminage, c’est comme les gonzesses. Faut y aller doucement. Une fille vous lui mettez pas directement la main au cul. Non, vous lui tournez autour. Eh bien les mines antichars, c’est pareil. Faut tourner autour ») jusqu’à l’initiation concrète (si l’on peut dire) par Fabienne.

Antoine Doinel, bientôt initié par Fabienne Tabard
Truffaut joue avec le schéma œdipien. Quand Antoine annonce à son patron qu’il a couché avec Fabienne, Monsieur Henry meurt dans une crise cardiaque : successivement Antoine épouse symboliquement sa mère et tue son père. Dans le film cela équivaut à un passage vers l’âge adulte : Antoine a franchi un cap, il peut aller coucher avec des prostituées (pour lui-même et non plus seulement pour les autres), il pourra bientôt se marier.


mardi 15 juillet 2014

Coups de feu dans la Sierra (Ride the Hide Country de S. Peckinpah, 1962)




Très bon western de Peckinpah qui nous épargne la mise en scène qui sera sa signature par la suite (celle de la violence-esthétisée-ralentie) et qui construit une trame intelligente autour de plusieurs personnages. Les thèmes chers au réalisateurs sont en revanche bien présents : les deux héros sont vieux, dépassés, ils ne sont plus autant capables qu'auparavant. Ils évoquent avec nostalgie le temps d'avant et, très clairement, ils n'appartiennent déjà plus au monde autour d'eux.
Autre élément marquant du film : l’évolution des rapports entre ces personnages principaux qui se retrouvent, se perdent, se trahissent, se sauvent. Ces liens complexes épaississent en retour les personnages qui offrent une vision d'abord désenchantée puis bientôt désabusée du monde. On a déjà là un premier jet de la relation à distance mais très marquante entre Pike et Deke dans La Horde sauvage.
Peckinpah offre ainsi deux beaux derniers rôles aux stars vieillissantes du cinéma Joel McCrea et Randolph Scott.


Randolph Scott et Joel McCrea

dimanche 13 juillet 2014

Universal Soldier (R. Emmerich, 1992)




Film d’action bête et bien calibré, typique du début des années 90, orchestré par un réalisateur adepte de la chose et articulé autour d'une première star à gros biscotos, épaulée par une seconde star à biscotos encore plus gros.
Le scénario sert juste à permettre à l'un et à l'autre de se battre à qui mieux-mieux. Tout cela n'a aucun intérêt, on est dans l'exploitation d'un filon alors très en vogue, celui des acteurs bodybuildés et adeptes des arts martiaux. Comme il se doit, les deux puncheurs sont parmi les invités de Stallone qui rassemble tout son petit monde dans les Expendables.
Comme tant d’autres films du sieur Van Damme, on imagine sans peine ce que pensent les producteurs du public qui ira voir ce film :


samedi 12 juillet 2014

Abyss (The Abyss de J. Cameron, 1989)




Solide film d’action de James Cameron qui met en place un univers hautement angoissant (à quelques trois cents mètres de profondeur, dans une station de forage précaire) qu’il utilise parfaitement pour faire progresser son intrigue (avec la tempête, le risque nucléaire, les défaillances humaines, la plongée dans la fosse, l’intervention des extra-terrestres). Plusieurs séquences de bravoure sont très réussies. Et le film, commencé comme un thriller angoissant, glisse avec beaucoup d’habileté vers la science-fiction.



Il est regrettable que Cameron cède à un penchant écolo-gentillet – qu’on retrouvera décuplé dans Avatar – et qui donne au film un caractère de fable très mièvre (qu’on juge de la puissance novatrice de la morale : les extra-terrestres épargnent les hommes malgré les atrocités commises parce que, par ailleurs, les hommes sont capables d’amour…). Le film n’échappe donc pas à une fin convenue et particulièrement sucrée.

Malgré ces réserves, Abyss se regarde sans déplaisir et, si le film jouit maintenant d’une bonne réputation, il fut de façon surprenante, un échec commercial à sa sortie.
Cameron apparaît ici en pionnier des effets spéciaux numériques (de même que, là aussi, dans Avatar) : il est un des premiers à utiliser les effets spéciaux, révolutionnaires pour l’époque, pour donner forme à la créature émergeant de l’eau.



jeudi 10 juillet 2014

Independance Day (R. Emmerich, 1996)




Ce blockbuster de science-fiction ne se contente pas d'exploiter tous les ingrédients habituels du genre  (héros de l’US Air Force, aliens dégoulinants de tentacules, savant fou hirsute, intello à lunettes qui a bien du mal à se faire entendre, Maison-Blanche balayée par des rayons lasers, etc.), il se permet de rajouter les poncifs éprouvants du patriotisme le plus sirupeux : le président des Etats-Unis himself, après un joli discours, prend les commandes d’un F16 pour aller bouter l’alien hors les murs. Et, côté face, la première dame sauve des décombres les pauvres survivants ensevelis.
Dès lors il faudrait proposer au spectateur une table de montage, pour qu’il puisse couper les séquences trop sucrées et trop pleines de bons sentiments. Et encore, il ne se retrouverait que face à un film de SF quelconque, jouant uniquement la carte de la surenchère des effets spéciaux pour séduire.



mercredi 9 juillet 2014

Les Trois font la paire (S. Guitry, 1957)




Amusant film de Sacha Guitry, même s'il n'est pas l'un de ses meilleurs. La mise en abyme du cinéma est délectable (Darry Cowl répétant sans cesse au commissaire (Michel Simon) qu'il devrait s'essayer au cinéma). Le jeu des triplés est un peu téléphoné, même si Guitry s'en amuse. On retrouve les principaux types de personnages des films noirs (amant, femme fatale, policiers, petite frappe, etc.) et le film tire un bon parti de cette idée d’avoir une photo du meurtrier – photo qui épate à juste titre le commissaire – sans que cela ne permette de déterminer aisément le coupable.

Le commissaire, qui se fait embobiner par la belle Titine

lundi 7 juillet 2014

Bienvenue chez les ch'tis (D. Boon, 2008)




Comédie honnête et sans autre prétention que celle de faire rire. Le scénario est simple, il est l’occasion de plusieurs situations amusantes et de caricatures brossées rapidement, mais sans jamais glisser dans le loufoque stupide. Le film est plutôt plaisant mais qu’il ait eu un tel succès surprend.
Le jeu comique tourne autour d’une ou deux idées reprises tout au long du film (l’opposition entre le Nord et le Sud, les difficultés de compréhension du ch’ti par Philippe Abrams fraîchement débarqué).
Le film est un bon exemple de la comédie actuelle française, qui est globalement en bien piteux état. Il n’y a ici rien de sophistiqué, rien de délicieux, on est dans le gag simple sans finesse.

vendredi 4 juillet 2014

The Thing (J. Carpenter, 1982)




Très bon film de John Carpenter, qui propose un mélange détonnant de science-fiction et d'horreur. En reprenant la trame du film de Howard Hawks La Chose d’un autre monde, Carpenter utilise le huit-clos pour y développer de façon spectaculaire sa « chose » qui vient envahir la petite station de scientifiques perdue dans le désert glacé. Le film de Hawks montrait peu cette chose et se contentait de développer les réactions de défense des scientifiques. Ici Carpenter se plaît à montrer l'horreur de sa chose, à grands coups d'effets spéciaux : on est dans l'apothéose des effets spéciaux non numériques.


La froideur grise et glacée de la station renforce la menace terrible qui pèse sur les scientifiques, qui sont décimés par une chose à la fois omniprésente et indiscernable. En proposant un extra-terrestre capable de prendre forme humaine, le film reprend ainsi une idée classique du cinéma de science-fiction et largement développée par exemple dans L'Invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel ou Le météore de la nuit de J. Arnold. Le ressort principal du suspense devient alors, au fur et à mesure de l'avancée du film, la même interrogation décisive pour chaque personnage (« mon interlocuteur est-il humain ? ») que pour le spectateur (« qui est humain, qui est la chose ? »).


On notera que, à la fin du film, il importe peu de savoir lequel des deux survivants est la chose et lequel est bien humain (quand bien même on peut gloser sur les différents indices laissés par le film, par exemple sur la présence ou non du nuage de condensation lors de la respiration), puisque, pour Carpenter, il est manifeste que la chose a gagné. 


mercredi 2 juillet 2014

Mulholland Drive (D. Lynch, 2001)




Chef-d’œuvre de David Lynch, Mulholland Drive est l’expression de la phénoménale puissance créatrice de son réalisateur et de sa capacité à provoquer une expérience sensitive : le mélange est continuel entre le rêve et la réalité, et les acquis du récit sont sans cesse remis en cause.
Au sortir de la première vision, on peut très bien en rester aux images et à l’ambiance délivrée par le film sans y avoir compris grand-chose et en rester là. Le film, déjà, est exceptionnel, tant l’image – expression ici utilisée comme un tout englobant la bande sonore, étrange et lourde – est puissante, happante et profonde.
Une seconde vision (et d’autres encore !) montrera combien ces images sont habitées par des significations, cachées, complexes, discutables, mais qui les enrichissent de façon fascinante. Aussi, le symbole de cette clef bleue qui parcourt le récit incite à se pencher un peu plus sur une signification, quand bien même Lynch ne délivre pas de clef de compréhension qui permette d’être certain d’avoir saisi le sens ultime et définitif.


On peut proposer une lecture de ce film (une parmi tant d’autres), mais qui, pour nous, parvienne à associer sensation et compréhension. Lynch situe son récit à Los Angeles, au cœur du rêve hollywoodien : le récit s’articule (ou semble s’articuler) autour de personnages qui font partie de la machine à rêves (actrices pleines d’espoirs, stars, réalisateurs, producteurs, etc.). Lynch joue ainsi avec le monde du cinéma – ce monde où le vrai et le faux s’entremêlent – et ponctue son film d’endormissements et de réveils.
Le film démarre au tiers du film : après un fondu au noir, on retrouve Diane en train de dormir, puis elle est réveillée parce qu’on frappe à sa porte (et juste après qu’un étrange cow-boy lui a dit qu’il était temps de se réveiller). Là commence l’entrée du film dans la réalité (réalité qui inclura quelques flash-backs, dont le meurtre commandité de Camilla). Tout ce qui précède n’est sans doute qu’un rêve, la séquence pré-générique montrant d’ailleurs l’endormissement, avec une caméra qui se promène sur un lit défait et qui zoome sur un oreiller rose, oreiller sur lequel Diane se réveille après presque deux heures de film.


A partir de ce moment, tous les personnages ou les situations de la première partie – le rêve – se retrouvent, mais assemblés différemment, tels les pièces d’un puzzle, sous un autre jour – la réalité de Diane –  et permettent une autre compréhension.
Diane (la Betty du rêve) qui ne se remet pas de la fin de son histoire avec Camilla (la Rita du rêve), Diane qui dépendait de Camilla pour avoir de petits rôles, qui n’accepte pas qu’elle se marie et dont elle commandite le meurtre ; meurtre qui a eu lieu, très certainement, comme l’indique la clef bleue sur sa table basse. Diane, ravagée de douleur et de chagrin, qui a une crise d’hallucination et qui se suicide.
A l’exception du suicide qui survient après son réveil, tous ces éléments qui hantent Diane sont à l’origine du rêve qu'elle vient de faire. Ils sont travaillés par son inconscient lorsqu’elle rêve, et sortis de leur contexte, mélangés, comme un rêve assemble des personnages, des situations, des événements et réorganise le tout, de façon étrange et insolite. Tel personnage change de statut, tel autre, aimé, devient haï, tel fantasme prend corps (la transformation de Rita en Betty, avec une perruque blonde, qui renvoie à Vertigo, à la fois à l’image et dans la signification), etc.


Lynch s’appuie sur un très bon duo d’actrices, le visage de Laura Harring étant d’ailleurs exceptionnel en ce qu’il évoque maintes beautés d’Hollywood, de Rita Hayworth (avec Gilda qui est cité) à Ava Gardner. Lynch joue avec sa caméra, anticipant les mouvements des personnages, déstabilisant son image, proposant des gros plans extravagants, des tensions soudaines et puissantes, des personnages insolites qui font irruption, des ré-associations qui perturbent ; il joue sans cesse avec le vrai et le faux, depuis les séquences de répétitions de Betty jusqu’au théâtre Silencio où rien, finalement, n’est joué en direct.


Comme d’autres films dont les images imprègnent avant qu’on puisse en saisir le sens (de 2001 à Black Coal), il faut voir, revoir (et revoir encore !) le film.
Mais il ne s’agit pas d’une vision rendue indispensable pour bien comprendre un scénario bien ficelé, il s’agit d’associer les émotions nées des images avec le sens qu’elles peuvent contenir.
Cette association d’images puissantes avec un récit indéterminé, sans cesse en décalage et en remise en cause permanente, fait de Mulholland Drive un film inépuisable.