mercredi 30 janvier 2019

Thirst, ceci est mon sang (Bakjwi de C. Park, 2009)




Intéressant film de Park Chan-wook, qui se lance dans une histoire de vampires pleine de contrastes. Même si, après une belle première partie (l’infection, la résurrection), le film s’épuise un peu et distille moins d’énergie, il repart de plus belle à partir du meurtre de Kang-woo. Thirst, alors, mêle parfaitement drame, horreur et humour et il emmène jusqu’au bout son couple infernal.
Le personnage de Sang-Hyeon, prêtre qui devient peu à peu un vampire, est remarquable : lui qui voulait faire le bien lutte contre ce qu’il découvre de lui-même (il doit boire du sang frais), contre son amour pour Tae-Ju (qui l’empoisonne tout autant que le virus), contre Tae-Ju elle-même qui, vampirisée à son tour, tue à tort et à travers.
Le film est évidemment aussi un remake – gore et horrifique – de Thérèse Raquin : les scènes de l’assassinat du mari gênant ou celles où il revient hanter le couple sont délicieuses de drame ironique, de même la mère paralytique, qui sait mais ne peut pas dire ce qu’elle sait. Thérèse Raquin n’ayant guère eu d’adaptation réussie, on peut se demander si on ne tient pas là, au détour de certaines séquences, ce qui se rapproche le mieux de l’esprit du roman de Zola (notamment les amants obnubilés par le mort et qui le voient partout).



Si le film n’a évidemment pas la même pulsion d’énergie folle que Old Boy, la puissance visuelle de Park s’exprime par fulgurances et Thirst reste à la fois dérangeant, happant et étrange.

lundi 28 janvier 2019

Hostel (E. Roth, 2006)




Parmi les différents genres, le film d'horreur gore est un des plus récents : apparu dans les années 60 (autour des films de H. G. Lewis), il a fallu la disparition du code Hays (remplacé par un système de classification qui ne censure pas les films) pour qu’il se développe.
Le genre, alors, semble être allé vers toujours davantage de violence, d’horreur et de sang montré. Si bien des films ont cherché à prendre une distance comique avec l’horreur (Braindead par exemple) ou s’ils ont su retenir un peu leurs coups en s’intégrant dans d’autres genres (on pense à Seven, thriller noir qui intègre quelques images gore), d’autres, en revanche, jouent le gore plein cadre et filment tant et plus l’horreur, avec un premier degré patent et une volonté de réalisme éprouvante. De Cannibal Holocaust à Saw, le genre fait florès sur cette ligne.
Avec une focale qui insiste sur l’horreur crue, l’image, si elle peut ravir les aficionados, devient alors à peu près insoutenable. C’est d’ailleurs là une idée d’un film comme Hostel : tester les limites du spectateur. On sait, bien sûr, que c’est pour de faux, mais enfin, le cerveau est ainsi fait qu’il faut être bien armé pour encaisser de telles images.
Hostel propose donc un scénario très simple, qui est le prétexte à un déluge de scènes plus abominables les unes que les autres, articulées autour de quelques jeunes hommes kidnappés et torturés à des fins commerciales.

Bien entendu, l’image outrancière pose problème : que reste-t-il derrière le choc des images, que nous raconte d’autre le film ? Bien peu de choses malheureusement. Au-delà de ces images malsaines, le sujet lui-même est malsain : il montre la Slovaquie comme un bourbier épouvantable et glauque, empli de gangs, de policiers corrompus et de prostituées rabatteuses, autour d’une mafia de trafiquants d’horreur sans foi ni loi, où même les enfants participent au terrifiant business.
Et le bourreau est un citoyen lambda qui réalise, le plus simplement du monde, une petite passion, un petit fantasme ou un petit divertissement (un peu cher sans doute, mais enfin, on parle entre gens aisés). Il faut comprendre, sans doute, que sous ses dehors d’honnête homme propre sur lui, le citoyen lambda, dans ce beau pays qu’est la Slovaquie, a des pulsions ultraviolentes qu’il satisfait : leur vie banale est ainsi rehaussée de divertissements hauts en couleur.

En parallèle, le film livre un petit couplet anti-américain conventionnel (les victimes les plus chères étant les Américains, voilà le citoyen américain devenu produit de luxe). Comme si ce marché de la torture était une exagération du commerce libéral. Le prétexte à toutes ces tortures est donc un sujet à la fois anti-libéral et anti-américain, qui montre que, sous des dehors outranciers, le film est somme toute bien classique et que, derrière l’image, il n’y a pas beaucoup d’idées. Comme si une monstration éprouvante et hyperréaliste pouvait servir de support à une réflexion.
Hostel devient en fait un film purement pornographique, non pas tant dans l’obscénité de ses images, mais parce qu’il fonctionne selon le même principe qu’un film pornographique à savoir un scénario minimaliste qui sert de prétexte à l’enchaînement de rapports sexuels montrés sous toutes les coutures (et qui constituent, bien entendu, le cœur du film). De la même façon dans Hostel : le scénario n’est là que pour justifier de filmer plein cadre des scènes de torture.

On notera aussi que, par rapport aux films mettant en scène les psychopathes (de Halloween au Silence des agneaux) le point de vue a changé : ce n’est plus le psychopathe qui intéresse le réalisateur (qu'il s'agisse de Mike Myers ou d'Hannibal Lecter)  mais ce sont les crimes eux-mêmes qu'il veut montrer, tant qu’à faire. Dans Saw, par exemple, la présence du tueur sur lequel s’arrête un moment le film est juste là pour justifier – bien stupidement – ses crimes épouvantables, qui sont l’occasion d’une déferlante d’images d’horreur.

On ne saurait trop regretter que le cinéma, grand art de l’image, en arrive à cette volonté de montrer toujours plus d’images choquantes. On tient peut-être là l’évolution d’une tendance, commencée il y a cinquante ans, et qui donne à l’image d’horreur toujours plus de place dans le cadre, jusqu’à un aboutissement peut-être inéluctable dont Hostel est une des expressions (avec une tripotée d’autres films du même acabit) : il n’y a plus que l’horreur dans le cadre. Sous de faux prétextes scénaristiques, le film n’existe que pour montrer ces images limites.

vendredi 25 janvier 2019

Calmos (B. Blier, 1976)




Après la frénésie des Valseuses, Calmos apparaît comme un ras-le-bol vociféré qui part dans un délire rarement vu au cinéma (les protagonistes finissant dans un gigantesque vagin...).
Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort s'en donnent à cœur joie dans leur misogynie exaspérée (leur rencontre dans la rue est très drôle puisque l'un et l'autre se lâchent sur une passante infortunée).
Bien entendu un tel film est une incongruité qui serait tout à fait inimaginable aujourd’hui (on imagine la tête du producteur devant un tel scénario). Et c'est peut-être là que réside la principale qualité du film : le droit au n'importe quoi, à l'excès (les deux compères transformés en étalon dans une usine à coïts), au foutraque (une armée de femmes en manque, chars à l'appui).



Si on reconnaît bien là la liberté de ton de Blier (Les Valseuses pulvérisait déjà la bien-pensance), il parviendra dans bien d’autres films – et avec beaucoup plus d'à-propos mais sans doute moins de folie douce – à cette liberté de ton qui lui permet de dresser, film après film, un portrait au vitriol de la société.

mercredi 23 janvier 2019

Le Brio (Y. Attal, 2017)




Film très quelconque qui peine à surprendre et qui ne sort pas des bons sentiments les plus convenus.
Le film, en fait, part de clichés cinématographiques (les personnages caricaturaux, la représentation de la banlieue ou des lieux de connaissances réservés aux beaux quartiers, etc.) pour, en fin de compte, arriver à d’autres clichés (Neïla a triomphé dans ce monde qui la rejetait, elle est devenue avocate) en passant par les grands clichés de la comédie de la réconciliation (deux personnes que tout oppose se rapprochent et s’apprivoisent). On part donc de clichés pour arriver à des clichés en passant par des clichés. Ça fait beaucoup.
Pour le dire autrement : le film n’est construit qu’avec des stéréotypes, que ce soit dans la caractérisation des personnages ou dans leurs trajectoires, on ne peut plus conventionnelles et attendues.
Notons que le cliché, au cinéma, peut être tout à fait porteur. The Truman Show part de clichés que Peter Weir s’ingéniera à déconstruire (la ville de Truman vous rappelle un feuilleton télé ? Mais vous êtes dans un feuilleton télé !). Hitchcock joue avec les clichés dans La Mort aux trousses en construisant sa scène de l’avion en prenant point par point le contre-pied des clichés du genre. Ou, puisqu’il s’agit ici d’une comédie de réconciliation, il y a bien des films dont on sait pertinemment où ils vont (qui ne sortent donc pas des grands clichés qui fondent le genre), mais qui, malgré cela, restent jouissifs : dans Une sacrée vérité ou La Dame du vendredi, c’est justement la façon dont les personnages emprunteront le chemin qui les conduira à se réconcilier que le spectateur vient voir.
Mais ici, on sait très bien où le film va nous emmener, le chemin emprunté semble avoir déjà été labouré mille fois et on s’ennuie ferme devant Neïla qui finit par se faire à la personnalité misanthrope et raciste de Mazard, Neïla qui est écartelée entre son petit ami (insignifiant) et ses études, Neïla qui s’habitue aux lieux de connaissances, Neïla qui affermit ses armes oratoires, etc. Le film ne nous épargne rien, même pas son coup de mou lorsqu’elle veut renoncer mais qu’elle est sauvée in extremis par le petit ami qui vient lui rappeler que, quand même, tous ces sacrifices ne doivent pas avoir été vains.
Le film réussit même à passer à côté de ce qui aurait pu constituer autant de morceaux de bravoure : on ne verra à peu près rien de ces fameux concours d’éloquence, si ce n’est la première étape, parfaitement ratée par Neïla.
On ne peut non plus parler longuement des acteurs très quelconques eux aussi, même si à dire vrai ils n'y peuvent pas grand chose : il est bien difficile, avec des personnages aussi anémiques, de les épaissir par une quelconque composition (Daniel Auteuil, notamment, est complètement sous employé).

On regrette aussi qu’un film qui a le bon goût de s’amuser avec Schopenhauer n’aille pas un peu plus loin et ne cherche pas à bousculer un peu les choses, protégé, justement, par cet art rhétorique de Schopenhauer.
On peut imaginer un Brio qui ne fonctionne pas, c’est-à-dire que la réconciliation ne se fait pas, que Neïla s’en retourne dans sa cité, que l’écart est trop grand entre ses codes à elle et ses codes à lui. Las, bien au contraire : nul besoin de rhétorique, nul besoin d’un style, nul besoin de rien du tout en fait, pour dire ce que Yvan Attal a à nous dire. La trajectoire de son film ne dévie pas d’un pouce de la bien-pensance la plus ennuyeuse, s’appliquant à cocher toutes les cases qui construisent un film propre sur lui et qui n’a, de par le fait même, à peu près rien à dire.
La première fin – Neïla qui vient prendre la défense de Mazard – tout autant que la seconde – Neïla devenue avocate en remontre à un jeune délinquant et c’est elle qui transmet – sont, l’une et l’autre, tout à fait navrantes.

Le film s’amuse, en introduction, à citer Jacques Brel, qui assimile fort justement la bêtise à une fainéantise intellectuelle. Il faut peut-être y voir une mise en abyme du film, parfaitement fainéant, tant sur le plan des idées convenues que de la réalisation plan-plan.

lundi 21 janvier 2019

Une nuit à l'opéra (A Night at the Opera de S. Wood, 1935)




Très bon film des Marx Brothers, qui vire rapidement à la folie joyeuse et échevelée. Chacun des frères, dans son genre (Groucho infiniment bavard, Harpo muet), s’en donne à cœur joie. L’argument du film est évidemment bien mince mais participe de l’absurde des situations et des relations entre les personnages. Sam Wood orchestre parfaitement cette partition déchainée.
Plusieurs scènes sont restées très célèbres (la signature du contrat, la cabine trop petite où tout le monde se bouscule) jusqu’à la séquence finale, extraordinaire délire qui bondit et rebondit sans cesse.



vendredi 18 janvier 2019

Votez McKay (The Candidate de M. Ritchie, 1972)




Très intéressant film politique  – sous-genre très en vogue dans les années 70 (on pense aux films de A. Pakula, où l'on retrouvera Robert Redford) – qui s'appuie sur une campagne électorale fictive.
L'idée de départ est très bonne : Michael Ritchie lance l’idéaliste Bill McKay (Robert Redford) dans un combat perdu d’avance. Avec ses belles idées pour l’environnement, pour l’aide aux pauvres ou aux femmes seules, McKay se lance un peu naïvement dans la campagne, affrontant l’expérimenté et cynique sénateur sortant, animal politique infranchissable (la séquence du feu de forêt est excellente).



Tout l’intérêt est de suivre à la fois la mobilisation croissante – avec les salles d’abord vides qui se remplissent peu à peu  – en parallèle de la dérive lente et plus ou moins consciente de McKay, qui, pour grappiller des voix et n’être pas ridiculisé, doit devenir réellement candidat, c’est-à-dire mettre de l’eau dans son vin, d'abord un peu puis de plus en plus. Les dessous de la campagne électorale sont alors disséqués, avec les clips de campagne qui éludent tel ou tel sujet ou les suggestions sur la façon de répondre à des questions piégeuses. Et McKay perd sa liberté de ton, devient plus tendu, plus anxieux d’un faux pas, davantage crispé à mesure que la machinerie politique fait son œuvre, jusqu’à la superficialité décisive du débat télévisé où il apparaît – transformé en candidat médiatique – aux antipodes du fringant idéaliste qu’il était.
L’interrogation finale résume à elle seule la désillusion d’une Amérique qui, en pleine présidence Nixon, ne croit plus aux politiques.

Le film constitue aussi un contre-champ à La Dernière fanfare de J. Ford, où Skeffington, le vieux routier de la politique, sûr d’être réélu, finissait par être battu.

mercredi 16 janvier 2019

Rampage : Hors de contrôle (Rampage de B. Peyton, 2018)




Stéréotype du film fast-food qui se consomme comme un Big Mac : à la fois sans grande saveur mais avec une sensation de trop plein immédiate. Le film contient tous les ingrédients conventionnels du blockbuster bête et méchant : des gentils très gentils et plein de bons sentiments, des méchants très méchants d’une avidité féroce, à la tête d'une grosse entreprise de haute technologie qui est prête à voir détruire le monde pourvu qu’elle gagne de l’argent, des militaires qui « ne se rendent pas compte », un héros bodybuildé au grand cœur, le tout dans une enfilade de scènes d’action face à de gros monstres numériques qui attaquent la ville. Et le film, commencé comme un film de science-fiction, finit en film catastrophe avec gratte-ciel abattu et quartier dévasté.
Les scénaristes se sont inspirés du jeu vidéo du même nom mais mieux vaut ne pas s’attarder sur les incohérences scénaristiques, ni sur l’exploitation de sillons mille fois labourés. Les gros monstres s’inspirent, eux, vaguement, l’un de King-Kong, l’autre de Godzilla et le dernier du loup-garou (admettons).

On notera que, se destinant à l'international, Rampage doit se plier au diktat des exigences du public lambda : si le héros est donc on ne peut plus américain – bodybuildé comme il se doit, belle âme, et qui résout les problèmes par l'action , en revanche le sens général du film (les propriétaires-actionnaires avides ne voient pas plus loin que leurs profits) est lui d'une connotation anti-américaine, conformément au monde qui est plutôt anti-américain depuis quelques années maintenant (disons depuis les années Bush junior). Rampage offre donc ce paradoxe qu'ont de nombreux blockbusters américains : il donne des preuves d'américanité (ici le héros) et, en même temps, donne des gages d'anti-américanisme.

Rampage n’a, par ailleurs, pas grand intérêt, mais il est un bon exemple du niveau moyen des blockbusters des années 2010, au budget délirant (plus de 100 millions de dollars). Et force est d’admettre que ce niveau moyen est tout de même bas, très bas : ce cinéma, qui adopte toujours plus les standards internationaux (et qui est donc, finalement, de moins en moins américanisé), propose un divertissement d’une bêtise et d’une anémie étonnantes.

lundi 14 janvier 2019

La Rage du tigre (Xin du bi dao de C. Chang, 1971)




Important film de chanbara, La Rage du tigre vient clore la trilogie du « Sabreur Manchot » de Chang Cheh. Ici, loin de tout réalisme, les personnages bondissent dans tous les sens, charcutent à tout va et barbouillent de sang les arbres et les murs en découpant gaillardement corps et membres.


Si le film, après un premier combat initial, ralentit ensuite, c’est pour mieux accélérer sur la fin avec une légendaire bataille rangée entre le sabreur manchot et une multitude d’ennemis qui seront tous passés à la moulinette du sabre qui coupe et tranche tant et plus.
L’esthétique est criarde (et totalement irréaliste) et l’histoire assez simple (basée sur une humiliation qui sera consommée au travers d’une revanche qui se veut chevaleresque) mais le film aura une forte influence. En sampler glouton, Tarantino y fera mille allusions dans ses Kill Bill, et Tsui Hark (dans The Blade ou Il était une fois en chine) ou encore Ang Lee (Tigre et Dragon) s’inspirent de ce film d’arts martiaux exubérant.


vendredi 11 janvier 2019

L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford (The Assassination of Jesse James by the Coward Robert Ford de A. Dominik, 2007)




Western assez décevant qui semble bien ambitieux (acteurs stars, volonté de filmer avec une esthétique particulière, reprise d’un personnage légendaire déjà traité au cinéma de nombreuses fois dans des films célèbres) mais qui tourne à peu près à vide.
S’appuyant sur une lumière magnifique, Dominik construit un film lent, très épuré et même élégiaque par moment. L’image est proche du noir et blanc, les espaces sont souvent vides, les intérieurs peu meublés. Les personnages (Jesse James notamment) semblent seuls. Le film prend en fait le contre-pied du film fondateur de King (Le Brigand bien-aimé), tout en chatoyance et en action (Brad Pitt reprenant d’ailleurs l’aspect de dandy de Tyrone Power). Mais l’humeur poétique recherchée n’y est pas, la lenteur est trop appuyée, elle n’est qu’un ralentissement ennuyeux. Andrew Dominik n’est pas Terrence Malick et filmer la nature, quand bien même la lumière est splendide, ne suffit pas à atteindre une poésie si difficile à saisir.
Le film est donc une lente avancée vers l’assassinat de Jesse James (le titre l’annonce clairement) et Jesse noue une relation avec les frères Ford, qui sont là pour le tuer, en étant filmé comme s’il savait parfaitement ce qui allait se passer. Dès lors la mort rôde bien avant que la balle soit tirée : le spectateur attend la balle.
Cette séquence intervient alors non pas comme une rupture violente qui achève tout à coup la vie de Jesse (comme dans les films précédents sur le héros hors-la-loi), mais elle est une destinée tragique qui s’accomplit. La séquence est construite selon le canon du genre (le film de King), et on ne saurait dire si Dominik cherche à filmer la fin de Jesse James ou s’il propose une reprise épurée du film de King. Cette fin s’étire dans le temps et Jesse semble fatigué, psychologiquement usé après un lent déclin. Il sent parfaitement la mort venir et met en scène cette mort : il place ses armes bien soigneusement puis donne une occasion aux frères Ford de le tuer (il veut épousseter un tableau). Jesse voit l’arme pointée et se laisse abattre.



mercredi 9 janvier 2019

Le Loup-garou de Londres (An American Werewolf in London de J. Landis, 1981)




Fameux film de John Landis, dont l’une des originalités est de parvenir à relier des traditions cinématographiques différentes concernant les monstres, puisque le loup-garou – qui est un monstre de la campagne, des forêts et des landes – est projeté ici dans un univers urbain. Le film s’ouvre avec une première partie dans les landes, séquence ponctuée par la terrible attaque sur les deux jeunes gens, et le reste du film est à Londres, où le mal va progressivement s’emparer de David.



Landis, ensuite, utilise parfaitement les images mentales pour montrer la contamination progressive, à coups de flashs, d’hallucinations, de cauchemars (l’attaque délirante, comme une séquence de Buñuel ravagée, où des monstres nazis attaquent des bourgeois !) et, surtout, avec la réapparition régulière de Jack, son ami mort déchiqueté.
Le film passe ainsi de deux jeunes gens innocents (présentés comme deux gentils moutons dans la lande), à la prise de conscience, par le survivant infecté, du mal qui le ronge. Landis se fait plaisir question gore et maquillage, et la célèbre scène de la transformation en loup-garou, filmée comme un clou du spectacle, est très réussie. Si, techniquement, elle est bien sûr aujourd’hui dépassée par les effets numériques, elle n’a pas vieilli et reste efficace et spectaculaire.



On notera aussi comment Landis reprend, en les modifiant, des images et des motifs classiques du genre : par exemple en introduisant une infirmière (en lieu et place de la prostituée, personnage typique du genre, depuis Jack l’éventreur et ses nombreux avatars cinématographiques) ou en faisant surgir le loup-garou dans un cinéma qui projette un film pornographique, allusion là aussi au milieu urbain sombre.

lundi 7 janvier 2019

Une sale histoire (J. Eustache, 1977)




Étrange film de Jean Eustache, construit à partir de deux séquences similaires qui se répètent (le film est coupé en deux). On voit tout d’abord un personnage (Mickaël Lonsdale, accueilli par Jean Douchet) qui raconte une histoire de voyeurisme particulièrement glauque devant un parterre de femmes. Puis, dans la foulée, la même séquence est montrée à nouveau et si elle est présentée de façon réaliste (il ne s’agit plus d’un acteur à proprement parler, mais c’est Jean Eustache lui-même qui reçoit son ami Jean Noël Pick), c’est le même récit qui recommence, au mot près. Situé dans un salon, avec des femmes manifestement lettrées et attentives, le récit prend évidemment une coloration sadique.
L’articulation des deux récits donne une allure étrange au film, du fait de l’inversion logique du procédé puisque la version « interprétée » (avec Lonsdale en narrateur) est placée avant la version « documentaire » (avec Eustache et Pick).



Le parti-pris du film est donc de filmer un personnage qui raconte une historie et de ne pas filmer cette histoire. Certes l’histoire est glauque mais il eut été facile, techniquement, de filmer cette histoire de voyeurisme dans les toilettes d’un bar. Mais Eustache s’en remet à ses narrateurs, comme si cette sale histoire était racontable, évocable mais irreprésentable à l’image. Il est vrai que l’histoire en elle-même est dérangeante puisque mêlant le voyeurisme le plus obscène et le plus malheureux (le personnage parle volontiers de son aliénation et de son obsession) au déballement sans fard et sans gêne de cette histoire devant des femmes.
Bien entendu Eustache sait parfaitement que son histoire sent le soufre (il en jouera lors de sa promotion) et qu’il joue en équilibriste sur une ligne de crête étroite (des propos provocateurs racontés de façon calme et précieuse par un acteur savoureux).
Et le film est plus fin qu’il n’y paraît puisqu’il s'ingénie à pointer une ligne de fracture entre l’homme et la femme (le voyeurisme, l’exhibitionnisme) tout en montrant que les femmes qui sont rassemblées autour du narrateur accueillent très bien ce récit pour le moins scabreux et au parfum de scandale (puisqu'il s'agit au bout du compte de résumer une femme à son sexe).



vendredi 4 janvier 2019

Cadavres exquis (Cadaveri eccellenti de F. Rosi, 1971)




Cadavres exquis commence par une étrange et très belle première séquence, à la portée quasiment métaphysique, avec ce parallèle entre les momies de la crypte de Palerme et le visage de vieillard de Charles Vanel. Mais le film, ensuite, suit un déroulement classique chez Francesco Rosi (adepte des films-dossiers qui sont souvent autant de réquisitoires) dont l’issue est (trop) rapidement anticipée : l’inspecteur Rogas (impeccable Lino Ventura, impavide et tenace) met le doigt dans une affaire qui le dépasse. Il cherche à remonter le fil de son enquête mais la face sombre du pouvoir lui échappe, il fait fi des avertissements reçus ici et là par différents supérieurs et il ne sent que trop tard la menace qui pèse sur lui.
Mais Rogas apparaît assez naïf : face à des juges qui se font assassiner, il continue de croire à un pouvoir propre sur lui et, s’il veut faire triompher la justice, il ne se rend pas compte de la réalité qui gangrène les arcanes du pouvoir où tout est corrompu. L’intégrité et la puissance de Ventura n’y feront rien.



Le film apparaît alors comme un réquisitoire très pessimiste contre le pouvoir (et au didactisme trop appuyé), qui laisse assez peu d’espoir pour l’Italie. La collusion entre les différents partis, la Mafia et les hauts magistrats semble accoucher d’un organe de pouvoir impalpable, coupé du peuple (il faut voir les palais occupés par ces sombres personnages), puissant et impitoyable.
On prend plaisir, en revanche, au casting étonnant qui réunit Lino Ventura, Charles Vanel mais aussi Fernando Rey ou Max Von Sydow.



mercredi 2 janvier 2019

Le Bagarreur du Tennessee (Tennessee's Partner de A. Dwan, 1955)




Superbe western d’Allan Dwan, aux couleurs chatoyantes, centré sur une histoire d’amitié et porté par un John Payne incroyablement charismatique en joueur professionnel élégant et cynique.
Le film déroule une très belle histoire d’amitié puisque deux hommes que tout sépare se retrouvent fortement liés (l’un sauve la vie à l’autre). Et Tennessee, jusqu’alors désabusé, retrouvera une certaine foi en l’amitié. Il faut dire que Cowpoke (Ronald Reagan, dans un registre très monolithique, mais c’est son personnage qui veut ça) est un personnage bien incongru dans un western : naïf, profondément gentil, plein de bons sentiments, il se fait rouler par la belle qu’il croit s’être trouvé. Et il faut la lucidité de Tennessee pour le dépêtrer de l’affaire.



Et cette histoire d’amitié, belle et tragique, est racontée avec charme et élégance par Dwan, qui colore magnifiquement les intérieurs, choisit des costumes splendides, installe une touche de tendresse et propose ainsi un western de toute beauté, à la fois riche, simple et doucement mélancolique.