vendredi 30 septembre 2022

La Belle époque (N. Bedos, 2019)





Alors que l’on pouvait craindre une comédie pataude et moraliste, Nicolas Bedos propose au contraire un film assez réjouissant, qui arrive à tenir debout, jouant le difficile équilibre – vu le sujet proposé – entre le regard sur le monde d’avant et sur celui d’aujourd’hui.
Le film, en fait, consistera à sauver ses deux personnages principaux (Marianne et Victor, dont le couple bat de l'aile) pour les faire correspondre le mieux possible à leur temps : pour Marianne (Fanny Ardant) il s’agit de se détacher de la superficialité du monde d’aujourd’hui, quand, pour Victor (Daniel Auteuil), il s’agira de se raccommoder avec le présent en cessant pour un moment de se plonger dans le passé qu’il regrette. Le regard qu’ils portent sur leur âge (ils ont la soixantaine) est très intéressant. À cette intrigue principale, se rajoutent les tribulations d’un second couple, plus jeune et qui intéresse beaucoup moins. Ces deux autres personnages permettent surtout au réalisateur de faire retomber tout son petit monde sur ses pieds en fin de film.

Mais La Belle époque dégage une douce odeur de nostalgie – ce qui peut surprendre vu le pedigree de Nicolas Bedos – sans excès mais avec un parfum de regret évident : c’est au travers de ce voyage dans le passé que tous les personnages se rééquilibrent. Dès lors, si le message porté par le film n’est guère surprenant, il est amené avec suffisamment de distance et d’humour pour éviter toute lourdeur.

Le scénario, enfin, avec cette entreprise qui propose de reconstituer des époques à la demande de ses clients et d'y intégrer des acteurs, est très bien vu : en proposant un décor et des situations que le client sait factices mais qui l'emportent pour un moment dans un ailleurs qu'il désire, le procédé est une magnifique mise en abyme du cinéma. En effet tout y est faux mais les émotions sont bien réelles.

 



mercredi 28 septembre 2022

La Légion noire (Black Legion de A. Mayo, 1937)

 



Dans l’un des premiers films à aborder de plein fouet le problème du Ku Klux Klan, Archie Mayo caricature quelque peu le propos mais il tient sa dénonciation jusqu’au bout, avec son personnage qui est bientôt aliéné et finit par commettre l’irréparable. Le discours est un peu facile (l'ouvrier rate une bonne place et c'est un immigré polonais qui est promu à sa place) mais il est virulent : la violence se déchaîne et s’étend peu à peu.
Si le film dénonce le KKK, il le fait avec un pas de côté en parlant de légion noire (et non blanche) et en affublant ses sbires d’une sinistre cagoule floquée d’une tête de mort, costume qui évoque celui du KKK mais qui en diffère quelque peu. Il faudra attendre quelques années pour que les choses soient dites encore plus clairement (notamment dans Storm Warning en 1951).
De même ce sont ici des immigrés européens qui sont frappés de plein fouet, le film n'abordant pas la violence du KKK contre les Noirs.
Humphrey Bogart, pas encore star, tient le haut de l’affiche. Il joue très bien l’ouvrir déchu qui veut se venger et qui est ensuite pris dans un engrenage de violences. Sa rédemption finale – Hollywood oblige – vient moraliser le film et sauver quelque peu le personnage.




lundi 26 septembre 2022

Le Monstre des temps perdus (The Beast from 20,000 Fathoms de E. Lourié, 1953)

 



Le Français Eugène Lourié, perdu à Hollywood le temps d'un film (il reviendra épauler Sacha Guitry par la suite), réalise ici un film dont la principale qualité – au moment de sa sortie – résidait dans ses effets spéciaux. C'est dire à quel point Le Monstre des temps perdus a bien du mal aujourd’hui à accrocher le spectateur, tant ses trucages sont difficiles à regarder au premier degré.
Pourtant, à l’époque, sous l’égide de Ray Harryhausen, ils étaient une véritable attraction et eurent une grande influence. Mais c’est là qu’on s’aperçoit qu’un film qui oublie de proposer un scénario quelque peu construit, de mettre en scène des personnages avec une certaine épaisseur et qui ne prend pas la peine de montrer autre chose que du spectaculaire ne peut guère vieillir.

Aujourd’hui, devant l’indigence du film lui-même, il ne reste rien d’autre qu’un nanar. Pourtant d’autres films de la période, avec des effets spéciaux tout aussi datés, restent remarquables, fascinants et intelligents (Planète interdite, Le Météore de la nuit, Les Survivants de l'infini, etc.). Mais ils ont d’autres cordes à leur arc qu’un dinosaure qui dévaste maladroitement une ville en carton…
Il faut noter
toutefois que le film a une grande importance en ce qu'il lança la vogue des films fantastiques où des monstres géants attaquent à tout-va. Et, notamment, le fameux Godzilla de Honda 
  qui, à son tour, aura une influence énorme  s'inspire directement de ce film.




samedi 24 septembre 2022

One + One (J.- L. Godard, 1968)

 



Godard, bloqué aux USA, réalise un métrage entre fiction et documentaire. Si les saynètes politiques qu’il intercale entre deux répétitions des Stones reflètent le climat de l’époque, elles donnent aussi l’indigence de la pensée politique de Jean-Luc Godard, en particulier dans cette fin des années soixante (La Chinoise, tourné l’année précédente, avait donné le ton).
En revanche, la manière dont Godard a saisi les Rolling Stones en pleine période créatrice est étonnante. On voit le groupe travailler, inventer, se perdre (Brian Jones est là sans être là), à la fois fusionnel (les improvisations des uns et des autres se répondent et une architecture prend forme) et individualiste (plusieurs membres du groupe jouent dans leurs box, sans les autres). On comprend que la création – ici celle de Sympathy for the Devil, un des grands hymnes du groupe – est un processus impalpable, qui procède d’une alchimie étrange, qui file dans une direction ou une autre sans que l’on sache où tout cela aboutira. Une idée est là (un rythme, quelques paroles, un riff), et puis, finalement, peu à peu, la chanson prend forme, des directions sont prises et tout se met en place.
Les longs plans-séquences de Godard qui promène sa caméra dans le studio captent comme rarement cette vibration créatrice d’un groupe et rendent One + One – pour peu que l’on fasse abstraction de la lourdeur politique des différentes séquences de fiction entremêlées – tout à fait fascinant.

 




vendredi 23 septembre 2022

La Cible parfaite (The Fearmakers de J. Tourneur, 1958)

 



Remarquable film de Jacques Tourneur (1), autour d’un sujet de société fondamental et rarement traité. Le cinéma américain, avec cette prescience formidable, a régulièrement traité de sujets rapidement devenus centraux (les médias dans Le Gouffre aux chimères, l’illusion de la célébrité dans Une femme qui s’affiche, etc.). Ici ce sont les instituts de sondage et leur subversion par les politiques qui sont au cœur du film.
Le film, en plus, a l’intelligence de prendre un héros troublé, qui revient de la guerre, éreinté et au bord de la rupture. Dana Andrews, avec son jeu mutique mais habité, construit parfaitement ce personnage de Alan Eaton. Son retour dans la société est alors d’autant plus éprouvant qu’il découvre les basses manœuvres qui subvertissent son travail initial et les manipulations tous azimuts qui se répandent dans la société au profit des politiques.
Est-ce Alan qui devient fou ou bien la société autour de lui qui devient folle ? Si l’on ajoute que les manipulations des sondages provoquent savamment la peur, on mesure combien les propos du film n’ont rien perdu de leur pertinence...



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(1) : Le titre traduit La Cible parfaite est tout à fait ridicule et l'on préfère le titre original, qu'il eût été si simple de traduire par « Les Marchands de peur ».