lundi 27 mai 2013

Nanouk l'Esquimau (Nanook of the North de R. Flaherty, 1922)




Ce très célèbre documentaire de Robert Flaherty plonge le spectateur dans la vie des Inuits et on les voit chasser le phoque, pêcher dangereusement, être ensevelis sous le blizzard avec leurs chiens ou se retrouver au creux de leur igloo. Flaherty s’est immergé plusieurs mois aux côtés des Inuits, partageant leur quotidien (il a même construit avec eux un igloo-studio de cinéma où il développait ses pellicules au fur et à mesure). Et s’il filme avec attention mille et une tranches de vie, il s’attarde longuement sur la nature qui englobe et dépasse la vie de ces hommes qui se débattent dans ces contrées inhospitalières, nature dont la beauté explose à l’écran bien souvent.
Flaherty, bien loin de simplement poser sa caméra, construit son documentaire, sans chercher à avoir un regard qui se voudrait objectif. Mais il a bien conscience que, de toute façon, il n’y a pas d’objectivité possible : le simple fait de choisir un cadrage, de placer dans le champ un élément ou de préférer le laisser hors-champ est tout à fait subjectif. Et il sait aussi que le simple fait d’être présent modifie le comportement du sujet filmé (les personnes présentes, les animaux). Cet aspect est notamment au cœur de la question travaillée par Jean Rouch et Edgar Morin dans Chronique d’un été. On sait que Raymond Depardon a pu s’essayer à cette objectivité (par exemple dans Délits flagrants) mais Flaherty, lui, tranche directement et réalise des travellings, des gros plans ou des contre-plongées et il joue du montage pour construire l’histoire qu’il raconte.


Bien loin de la pure réalité documentaire, Flaherty reconstitue donc sous nos yeux la vie ancestrale des Inuits (occultant certains aspects modernes). Le film est alors construit en une succession de saynètes, qui montrent successivement des moments de bravoure, des moments familiaux et intimes mais aussi tant de petits riens du quotidien, sur lesquels il porte une attention touchante ou drôle. L’amour que porte Flaherty pour les Inuits en général et pour Nanouk en particulier transparaît nettement. On est donc bien loin des documentaires prétendument objectifs, ici, au contraire Flaherty assume complètement de jouer avec la réalité pour montrer sa version de la vie de Nanouk et des siens.



samedi 25 mai 2013

Les Aventures de Robin des bois (The Adventures of Robin Hood de M. Curtiz, 1938)




Les très célèbres Aventures de Robin des bois sont l’archétype du film d’aventures à la sauce hollywoodienne, avec un rythme virevoltant, des couleurs chatoyantes, un héros héroïque, des méchants terriblement vils, des combats, des amours, des trahisons, une belle morale.
Errol Flynn est magnifique, il incarne cette vélocité sereine et pleine d’allant et il grave dans les mémoires ce personnage de Robin des bois.


Curtiz sait jouer de ses vastes décors, il fait sans cesse repartir le film vers un nouveau moment de bravoure, à grands coups de jeux de caméra qui mettent en valeur les combats et offre, en final, un mémorable duel, dont il n’hésite pas à filmer les gigantesques ombres chinoises.
On sait combien Spielberg s’inspirera de Curtiz, non seulement dans sa mise en scène spectaculaire qui ne s’essouffle jamais, mais aussi dans sa gestion des grosses superproductions de studios.

jeudi 23 mai 2013

Réflexions sur le cinéma



Les quelques articles ci-dessous proposent des réflexions, des pistes d'analyse, des éléments de théories, des interviews, des citations ou des commentaires très personnels sur le cinéma.


- Réflexions générales sur le cinéma :
- La liste de 208 films d'Alain Bergala
- La neutralité : le secret du cinéma
- La représentation de l'histoire de l'Amérique au cinéma
- Le cinéma moderne est né dans une île
- Le cinéma restera-t-il un art majeur ?

- Le Dogme95
- L'effet Kouléchov appliqué au spectateur
- Le film de boxe
- Le film : une œuvre d'art ou un produit industriel ?


- Éléments d'analyse de films : 
- Image-action et image-temps (2) : précisions sur la  classification de Deleuze
- Le cinéma n'est pas une langue
- Le montage : la naissance du sens et de l'émotion
- Le montage interdit
- Le spectateur et l'identification
- Les théories du montage de S. M. Eisenstein


- Citations et aphorismes : 

- Il ne faut pas prêcher dans un film, nous dit Douglas Sirk
- L'autobiographie selon Woody Allen
- Le cinéma selon Jacques Tati
- Le cinéma selon Paul Valéry
- Le cinéma se rapproche de la musique nous dit Bresson
-
Le cinéma-vérité du cinéma soviétique
- Le réalisme selon Fellini
Les reflets du réel selon Douglas Sirk
- L'idéalisation de Jacques Demy
- L'importance du montage selon Bresson
- Pour Bresson, le cinéma est une écriture

- Pour Ingmar Bergman, le cinéma touche l'âme
- Pour Jean Renoir, le cinéma doit s'approcher de la vérité des hommes
- Une définition de l'art de J. von Sternberg
Une définition du baroque par J.- L. Borges
- Une fonction du cinéma selon A. Bazin
- Un principe fondamental d'Alfred Hitchcock
- Trakovski : l'artiste et l'
œuvre


mercredi 22 mai 2013

Braindead (P. Jackson, 1992)




Le sous-genre gore a cet avantage, parmi les films d’horreur, de pouvoir étaler du sanguinolent plein l’écran sans avoir à le justifier. De la même façon la comédie (tout du moins la mauvaise) peut, elle aussi, étaler ses bourdes et ses slapsticks sans se soucier de les amener de façon bien travaillée. Braindead étant un film qui relève des deux catégories, on ne s’étonnera guère d’y trouver une orgie de sang et de démembrements complètement dénuée de sens et qui, si elle ne se prend pas au sérieux (on sent l’esprit potache derrière la caméra), tourne complètement à vide.
On peut évidemment gloser et chercher une quelconque signification derrière tout ça (en disant que le film est une expression un peu outrancière d’un fils qui a du mal à couper le cordon ombilical), mais ce déferlement de zombies, de bras coupés, de hachoirs fichés dans les crânes, de masques en caoutchoucs énucléés et autre passage à la moulinette est tout à fait lassant et n’amusera que les ados, public cible de ce type de films.



lundi 20 mai 2013

Bresson et le cœur du cœur du cinéma



Une réflexion de Robert Bresson sur la substance de ce qui doit être filmé :

« Ne pas tourner pour illustrer une thèse, ou pour montrer des hommes et des femmes arrêtés à leur aspect extérieur, mais pour découvrir la matière dont ils sont faits. Atteindre ce « cœur du cœur » qui ne se laisse prendre ni par la poésie, ni par la philosophie, ni par la dramaturgie ». 

samedi 18 mai 2013

L'Enfance d'Ivan (Иваново детство de A. Tarkovski, 1962)




Dès son premier film Andreï Tarkovski développe un style incroyablement mature, avec un formalisme extrême, dévoué à l’esthétisme et au symbolisme, un rythme lent, des mouvements de caméra très travaillés. Autant d’éléments que l’on retrouvera chez lui films après films.
Son écriture très symbolique et métaphorique structure le film autour de deux lignes de force. D’une part la Nature, avec les éléments qui la composent et qui constituent une présence puissante et englobante. Tarkovski insiste sur cette matérialité environnante, avec une « foi dans la matière » qui, là aussi, sera un motif qu’il retravaillera inlassablement. Cette Nature, mélange d’eau et de de terre constitue la terre maternelle, celle de la Russie. D’autre part L’Enfance d’Ivan est un film sur l’innocence – ou plutôt la perte d’innocence – qui est symbolisée par Ivan, l’enfant jeté dans la guerre. Cette perte de l’innocence, nous dit Tarkovski, conduit inévitablement à la mort.



Union soviétique oblige, Tarkovski filme la victoire des Russes sur les armées allemandes, mais, dans ce film de guerre, on ne verra ni combat ni ennemi, simplement, autour de plans éblouissants, des visages, des pierres, du bois, de l’eau. Dans le noir et blanc épuré de l’image, tout prend une dimension presque fantastique, le cauchemar devient poétique.



L’absurdité de la guerre est dite dans cet enfant soldat, avec sa blondeur d’ange et ce caractère si dur et cassant. Ivan, l’enfant qui rêve de sa mère (sublime plan vertical du puits) ou de jeux sur la plage, broyé par ce monde de cauchemar, ne pourra survivre.

mercredi 15 mai 2013

Elephant (G. Van Sant, 2003)




Très bon film de Gus Van Sant qui met en images une tuerie dans une université américaine (il s’appuie sur celle, célèbre, de Columbine aux Etats-Unis en 1999). L’idée de « mise en images » est importante puisque le récit suit complètement la mise en scène : il n’y a pas de narration claire et académique, mais un entrelacs de séquences qui se répètent, se croisent, ralentissent, se tournent autour. Le film est en réalité axé sur plusieurs plans-séquences, dont certains virtuoses, qui sont autant d’errance ou de moments quotidiens d’une parfaite banalité et qui sont même souvent coupés dans les films parce qu’on n’y apprend rien qui fasse avancer le récit. On voit ainsi tel ou tel étudiant aller d’une salle de cours à une autre et traverser plusieurs couloirs et différents halls, croiser d’autres étudiants. Une mise en scène classique aurait sans doute fait l’ellipse du déplacement de l’étudiant. Chez Van Sant ce banal est le cœur du film (et le cœur, il faut bien dire, de la vie quotidienne, remplie de moments vides et répétitifs). Gus Van Sant touche ici aux limites de la représentation surtout d’un acte aussi violent et – c’est ainsi qu’il est abordé – sans explication. Il ne s’agit donc pas de raconter clairement une histoire, ni de montrer de façon explicite, ni de fouiller des rapports humains, ni de proposer des explications, mais simplement d’évoquer le déchaînement d’une violence, soudaine, imprévisible, sans retenue, au milieu de la banalité d’un jour semblable à tous les autres.



Les longs plans séquences sont une reprise directe de Elephant, de Alan Clarke – film qui inspirera le titre à Gus Van Sant – où, là aussi, les tueurs arpentent de longs corridors.
On sait, en outre, que Van Sant est influencé par le cinéma de Chantal Akerman, et il faut dire qu’on voit, dans Elephant, cette confusion entre la banalité quotidienne et l’horreur, comme par exemple dans Jeanne Dielman de Akerman. On retrouve ainsi une structure commune aux deux réalisateurs, avec de longue répétitions de gestes ou de moments du quotidien (l’épluchage de pommes de terre chez Akerman, de longues traversées de couloirs chez Van Sant). Mais Van Sant, à la différence d’Akerman, glisse une dimension poétique indéniable dans son film, en le rattachant à une dimension cosmique : Van Sant filme ainsi des signes annonciateurs du déchaînement de la violence dans des nuages qui s’amoncellent ou un orage qui éclate.



Le mélange entre cette poésie douce, cette forme étrange et virtuose, ce récit éclaté et emmêlé, cette banalité sur laquelle le récit s’attarde et le surgissement soudain de la violence donne une étrange dimension hypnotique au film.

lundi 13 mai 2013

Alexandre Nevski (Александр Невский de S. M. Eisenstein, 1938)




Film de commande voulu par Staline (de même que plusieurs autres chefs-d’œuvre d’Eisenstein) et destiné à exalter la puissance patriotique, Alexandre Nevski met en scène un prince du XIIIème siècle qui repousse les cavaliers teutoniques. Le parallèle avec l’URSS menacée par la montée du nazisme est tout à fait clair (les bannières teutoniques, par exemple, sont floquées de l’aigle allemand).



Le film est marqué par la légendaire bataille sur le lac gelé où le souffle épique du film a gardé toute sa force. Mais on sent bien qu’Eisenstein d’une part est peu à l’aise avec le parlant (certaines scènes sont assez quelconques, celles précisément où il s’agit de dialogues qui apparaissent assez statiques) et, d’autre part, est obligé de renoncer (au moins en partie) à des montages trop complexes ou intellectuels, exigence du régime soviétique oblige. La dernière demi-heure, en revanche, est exceptionnelle : la beauté plastique des plans de cavaliers qui chargent sur le lac crée un extraordinaire souffle épique.


samedi 11 mai 2013

Rendez-vous (The Shop Around the Corner de E. Lubitsch, 1940)




Délicieuse comédie de Lubitsch, qui sort de ses schémas habituels (où tout se déroule dans un univers de luxe, de beaux appartements et de grands hôtels) pour se concentrer sur une petite boutique avec les salariés qui y travaillent.
Il y a beaucoup de tendresse dans la découverte par Alfred que la correspondante avec laquelle il a de si beaux échanges épistolaires n’est autre que sa collègue, avec laquelle il se dispute toute la journée. La simplicité de l’intrigue, mais aussi sa très grande modernité (de plus en plus moderne, même, si l’on se prend à remplacer les échanges épistolaires par des mails et si l’on considère le développement de cette façon de faire connaissance) lui donnent tout son charme.



Mais le film, en plus de ce ton doux et comique, lorgne du côté de la comédie humaine en abordant de plein fouet les problèmes de chômage qui guettent les salariés ou des tours de vis du patron vis à vis d’eux. Cette dimension supplémentaire, traitée avec une grande facilité par Lubitsch, donne au film une très grande force. Le dosage et l’assemblage de tant d’éléments contradictoires créent une harmonie magique qui porte le film. Tant de comédies (à commencer par celles de Lubitsch lui-même, par exemple Ninotchka, tourné juste avant) semblent bien ternes ou limitées face à la plénitude de Rendez-vous.



vendredi 10 mai 2013

Mimic (G. del Toro, 1997)




Guillermo del Toro repart sur une idée d’insectes (comme dans Cronos, son premier film) et développe une version bien banale du film catastrophe avec invasion d’insectes géants à la clef. Si le film évoque les premiers films de monstres des années 50 (Them!...), il lorgne aussi du côté d’Alien avec des cafards géants qui se relèvent progressivement.
Mais les personnages sont désespérément lisses et creux, hormis, peut-être, l’enfant qui apporte une petite touche (très légère) de conte.
C’est en oubliant les tendances grand-guignol d’Hollywood et en renforçant son aspect à la fois fantastique et merveilleux que Guillermo del Toro sera plus à l'aise.

mercredi 8 mai 2013

Sherlock Junior (Sherlock, Jr. de B. Keaton, 1924)




Chef-d’œuvre du muet, Sherlock Junior, sur un format assez court, offre une nouvelle fois toute l’étendue du génie de Buster Keaton. Au-delà de ses légendaires cascades – présentes ici mais moins nombreuses que dans d’autres films – c’est la fameuse séquence rêvée qui montre l’inventivité fabuleuse du réalisateur. Le projectionniste s’endort, son double se lève et pénètre dans le film qu’il projette. Et c’est là qu’il va pouvoir devenir le détective qu’il ne parvient pas à être dans la vie, triompher des malins et sauver la belle de leurs griffes. Idée géniale et propice à une multitude de gags, qui peuvent en plus faire intervenir – prétexte du rêve aidant – les trucages façon Méliès.



Ce double fond du film – ce parallèle entre vie éveillée et vie rêvée – donne une dimension à la fois comique et poétique au film. Car c’est bien là que se situe le génie des plus grands comiques : dépasser le comique pur – celui des fabuleuses courses-poursuites et des slapsticks – pour toucher à l’émotion, avec, ici, le parallèle doux, poétique, drôle et émouvant de la séquence finale.



lundi 6 mai 2013

Les Bas-fonds (J. Renoir, 1936)




Jean Renoir transpose dans le Paris des années 30 une pièce de Gorki et en fait un manifeste largement influencé par le Front populaire. Renoir adapte Gorki et met partout sa vision cinématographique : il en ressort une œuvre hybride, à mi-chemin entre la pièce russe et des thèmes alors chers au réalisateur : un regard naturaliste sur la vie sordide de la cave de l’usurier, une opposition de classes – quand bien même le baron est désargenté –, un meurtre final justifié (comme dans Le Crime de Monsieur Lange).
Par petites touches, comme il le fait si bien, avec une inventivité de caméra permanente, en insérant des respirations pour sortir de la cave sordide où l’action se déroule (la séquence au bord du canal), Renoir compose un film qui ne vieillit pas, qui garde son charme avec cette image qui vibre et s’anime sous nos yeux.


Et il s’appuie parfaitement sur Jouvet et Gabin (il s’agit de l’unique affiche partagée par les deux acteurs) qui sont parfaits, bien que dans des registres complètement différents (cette différence de jeux éclate à l’écran).

samedi 4 mai 2013

Le Limier (Sleuth de J.L. Mankiewicz, 1972)




Joseph Mankiewicz adapte avec brio une pièce de théâtre, jouant avec les paroles et une mise en scène sophistiquée, le film tient en haleine jusqu’au bout, laissant le spectateur désemparé pour ce qui est d’anticiper le dénouement.
Au milieu de tous ces automates – qui constitue un arrière-plan étonnant et très réussi – le film est organisé avec des rouages bien précis et fonctionne comme un film à énigme.
Tout n’est que manipulation et faux-semblant, assurées par deux acteurs parfaits, chacun dans son registre, parfaitement complémentaires et qui font évoluer leurs personnages en résonance, l’un perdant de sa superbe au fur et à mesure que l’autre reprend pied. C’est ainsi que le film est articulé en deux parties, l’une où c’est Wyke qui mène la danse, la seconde où c’est au tour de Tindle de mystifier le mystificateur. Mais Mankiewicz est le premier mystificateur puisqu’il insère dans le générique des noms fictifs, pour ne pas risquer que le spectateur se doute de quelque chose. Un regard social simple fonctionne comme ressort de ce duel de personnages: d’un côté l’aristocrate, de l’autre le fils d’immigré coiffeur. On notera la mise en abyme intéressante puisque Laurence Olivier, appuyé par son immense prestige, incarne l’acteur de théâtre shakespearien par excellence, quand Mickael Caine, de son côté, n’est pas encore un acteur de premier rôle.


Cet exercice de style, à la fois labyrinthe intellectuel et verbal, termine avec maestria l’œuvre immense de Mankiewicz.