lundi 29 juillet 2019

Pontypool (B. McDonald, 2008)




A partir d’une idée intéressante (sans doute motivée par un faible budget), le film patine, s’enlise et part dans des délires explicatifs qui fatiguent et laissent perplexe.
Le point de départ du film (un animateur radio recueille les témoignages des habitants ou des journalistes) est en effet bien vu : la tension monte avec les descriptions de violences, de hordes de passants incontrôlables et on comprend vite qu’il y a du zombie là-dessous.
Mais  le film s’arrête là. En cherchant à justifier la progression du mal qui contamine et rend zombie, en cherchant à jouer sur la pièce close d’enregistrement de la radio où vont s’enfermer les quelques héros, le film tourne rapidement à vide et finit par devenir déconcertant et, même, sur la fin, quand viennent les explications qui tentent de faire tenir le scénario debout, navrant.


vendredi 26 juillet 2019

Il ne faut pas prêcher dans un film, nous dit Douglas Sirk



Une réflexion de Douglas Sirk (proposée lors d’une interview à Martin Scorsese dans son Voyage à travers le cinéma américain) :


« Ce qui est indirect est plus fort dans bien des cas, parce qu’on laisse l’imagination du public travailler. Et j’ai toujours été persuadé que mon public avait de l’imagination. Autrement il ferait mieux de ne pas aller au cinéma !
Vous savez, il faut laisser des choses non dites. Quand on commence à faire des sermons dans un film, à prêcher ou dès qu’on veut enseigner quelque chose au public, on fait un mauvais film. »


Scorsese associe à juste titre la citation à des extraits de Tout ce que le ciel permet : le happy-end conventionnel ne saurait masquer la critique sociale très forte (annonçant même les ravages de la télévision et la solitude des êtres), très fine (les enfants de Karine, bien loin d’être des révoltés à la James Dean, sont les premiers à exprimer le carcan social) et très philosophique (le film magnifie les valeurs de Thoreau).

Et en ces temps où le cinéma semble parfois relégué à un simple outil de propagande, de nombreux réalisateurs, français notamment, devraient revoir un peu les films de Sirk et se souvenir que le cinéma et son public méritent mieux que de lourds prêches émotionnels (ceux de Costa-Gavras, de Philippe Lioret, etc.).


mercredi 24 juillet 2019

Evil Dead (S. Raimi, 1981)




Ce premier long métrage de Sam Raimi est célèbre dans le monde du film d’horreur. Si le film propose un scénario très conventionnel et sans surprise (un petit groupe d’amis partis en weekend est assailli par des forces du mal), il se veut original dans la forme et dans le rythme.
Le film verse alors volontiers dans l’outrance auto-parodique : son déferlement d’images gore sans queue ni tête (au sens propre comme au sens figuré) est une boucherie grand-guignolesque à peu près permanente qui tente parfois de se prendre au sérieux (quand Ash, en un éclair de lucidité, se sent incapable de tronçonner la tête de sa compagne possédée) mais qui reste le plus souvent dans une ambiance drolatico-foutraque.
On retiendra l’inventivité de la caméra qui s’amuse, tourne dans tous les sens, rase le sol ou les murs et devient volontiers subjective pour figurer le déferlement des forces du mal réveillées.

Evil Dead s’offrira deux suites du même acabit et marquera le genre. On retrouve sa trace, par exemple, dans le Braindead de Peter Jackson, qui mêle lui aussi humour et barbouillage de sang gore.


lundi 22 juillet 2019

L'Homme de Londres (A londoni férfi de B. Tarr, 2007)




Dans un style unique et toujours sans aucun compromis, Bela Tarr envoûte le spectateur en le plongeant dans la nuit d’une petite ville portuaire et en faisant glisser sa caméra, lentement, silencieusement, d’un quai à l’autre, d’une coque de bateau à une tour de guet, dans des plans-séquences éblouissants, à la fois fluides et virtuoses, avec une caméra en apesanteur qui parvient à saisir la pulsion lente du petit port.
Malouin est témoin d’un meurtre et, sans le dire, cherche à mettre la main sur une valise pleine de billets au centre du meurtre. Bela Tarr crée un univers à la Simenon (le film est une adaptation du roman homonyme), empli de mystère, dans un noir et blanc brumeux et où tous les fils de l’intrigue ne seront pas tirés. Toujours très taiseux, le film joue de quelques leitmotivs sonores – quelques paroles ou quelques bruits – qui reviennent et qui résonnent.



L’Homme de Londres, avant dernier film de Bela Tarr, par son style autant que par son humeur sombre où tout s’engloutit, préfigure l’aboutissement que sera Le Cheval de Turin.


jeudi 18 juillet 2019

Les Charognards (The Hunting Party de Don Medford, 1971)




Western assez simple et peu convaincant, porté par une réalisation très conventionnelle et une distribution pourtant prometteuse (Gene Hackman et Oliver Reed) qui n’apporte pas grand-chose à des personnages assez insipides (Calder présenté comme un barbare, aimerait se civiliser un peu, mais cela ne va pas bien loin).
Une similitude croissante entre chasseur et chassé est intéressante, puisque Ruger, en voulant récupérer sa femme, fait des ravages dans les rangs des tueurs et, lorsqu’il comprend que sa femme ne reviendra pas, non seulement il n’interrompt pas son massacre, mais l'accomplit jusqu'au bout. On en arrive alors à cette identité forte entre chasseur et chassé, l’un et l’autre ne valant guère mieux. On retrouve ici une grande ligne de force de L’Appât.
Et, dans cet enlèvement d’une femme qui se transforme peu à peu au contact d’un hors-la-loi, on retrouve aussi, en filigrane, la situation du Fantôme de Cat Dancing.


mardi 16 juillet 2019

Le Choix des armes (A. Corneau, 1981)




Corneau reprend Montand pour un polar assez moyen, moins convaincant en tous les cas que Police Python 357 ou que La Menace. Le film pâtit sans doute du personnage de Mickey, chien fou ingérable, joué par un Depardieu bien décevant. Mais que Depardieu lui-même ne parvienne pas à installer son personnage prouve sans doute que ce type de personnage cinématographique – personnage qui est par essence exagéré et extrême – fonctionne assez mal.
Le chien fou Mickey oblige donc Durieux, le gangster rangé, à repartir au charbon et à régler quelques comptes. L’assagissement final de Mickey ne rattrape guère son comportement durant les trois-quarts du film et les flics (qu’il s’agisse du commissaire ou de l’inspecteur, les deux étant très médiocrement interprétés), frisent le ridicule (Michel Galabru, notamment, apporte bien malgré lui un ton pseudo-comique qui ne convient absolument pas au film). L’ensemble est assez bancal, avec des personnages touchants (ceux joués par Catherine Deneuve ou Richard Anconina) et d’autres, on l’a dit, qui plombent le film.

samedi 13 juillet 2019

The Tree of Life (T. Malick, 2011)




Si c’est avec The Tree of Life que le légendaire (et très secret) Terrence Malick est récompensé par le monde du cinéma (Palme d’or à Cannes), le film est pourtant bien loin de ses meilleurs réalisations.
Le style si particulier de Malick, empli de lyrisme et de poésie, dessinant une nature comme un Eden envoûtant, avec un rythme calme et décalé, à la beauté ensorcelante et s’appuyant sur des acteurs qu’il révèle (Martin Sheen ou Richard Gere) trouve, comme par magie, un équilibre extraordinaire dans ses deux premiers films (La Balade sauvage et Les Moissons du ciel). Ce style, s’il traverse encore La Ligne rouge et s’il s’exprime encore magnifiquement dans Le Nouveau monde, semble ici, dans The Tree of Life, se perdre : ce qui était naturel semble forcé, ce qui était équilibré apparaît bancal et la voix off (qui fait pleinement partie de du style de Malick) devient lénifiante.
Il n’y a plus cette harmonie magique qui créait une alchimie étrange entre un jeune éboueur à l’allure de James Dean et le Gasenhauser de Carl Orff ou entre la plaine rougeoyante et les visages de Brooke Adams et de Sam Shepard. La sauce ne prend pas. L’incroyable fluidité narrative de Badlands n’est plus, l’extraordinaire beauté des Moissons du ciel est remplacée par des images très belles mais qui ne sont plus en mouvement dans le film : ce n’est plus une caméra qui embrasse la plaine.
Malick, malgré tout, garde une ambition esthétique totale, cherche et innove, crée des images et, comme toujours, emplit son film de fulgurances et capte des instants. Mais on regrette les psalmodies lénifiantes de la voix off quand la beauté pure des images emplit le cadre. Lui, l’esthète, devient maniériste : il caricature son propre style, sans parvenir à retrouver cette limpidité poétique de ses débuts.


jeudi 11 juillet 2019

Parasite (Gisaengchung de J. Bong, 2019)




Brillant film de Bong Joon-ho où l'on retrouve des motifs familiers de son univers, traités avec sa virtuosité habituelle.
Parasite mélange les tons et, d'une scène à l’autre, passe du thriller au burlesque ou du drame au Grand-Guignol (ce qu'il fait très bien depuis Memories of Murder). Et le film travaille autour du motif familial cher au réalisateur (comme il le faisait dans The Host avec le même acteur principal, Song Kang-ho, très bien ici encore en père de famille débonnaire).
En suivant les péripéties d’une famille pauvre qui s’immisce dans une famille riche, Bong Joon-ho pose un regard plein de compassion sur ses personnages : on est bien loin du regard dur et acerbe d’Affreux, sales et méchants (1), autre grand film qui traite de la misère. Cette misère est pourtant directement exposée, avec cette famille coincée dans un demi-sous-sol qui regarde les pochtrons du soir pisser au bord de leur soupirail. Mais il n’y a nulle méchanceté chez ces pauvres : la solidarité et l’indulgence règnent dans cette petite famille qui bricole comme elle peut ses petits arrangements. Et lorsqu’il s’agit de commettre quelques délits, le ton humoristique relativise les choses immédiatement.
Les riches en revanche sont décrits avec férocité : si la femme est peinte en  greluche crédule et niaise mais pas bien méchante, le mari est lui d’une morgue méprisante qui ne le quitte pas (avec son expression qu’il reprend souvent de « ne pas franchir la ligne » et son aversion pour les odeurs des pauvres qui le perdra).

On suit avec délectation les stratégies qui permettent à la famille de Ki-taek de s’immiscer dans la maison des Park et le film reprend alors l’amorce de La Servante de Kim Ki-young (où une servante fait progressivement voler en éclat une famille), film matrice de tant de films coréens. On pense aussi à La Cérémonie de Chabrol, au travers de ce rapport bourgeois-valet très marqué (le film souffre d’ailleurs de cette simplification très chabrolienne qui consiste à tirer sur les bourgeois de façon à peu près continue).
On s’amuse alors de la machination assez drôle qui fait entrer toute la famille au service des Park jusqu’à leur jouissance de la maison – que l’on sait temporaire – et au grain de sable attendu qui vient ruiner leur beau projet. C’est dans leur confrontation avec l’ancienne gouvernante et son mari reclus au fin fond du bunker souterrain que Bong Joon-ho est le plus acerbe : ces deux pauvres familles ne montrent aucune solidarité de classe, et c’est ce qui les perdra. Dans le dénouement implacable qui s’annonce, le film évoque alors L’Argent de la vieille : il est écrit que les pauvres ne grimperont pas l’échelle sociale et qu’ils finiront plus bas que terre.
C’est que tout, dans Parasite, est travaillé sur le mode de la verticalité (2). La partition sociale très caricaturale donne au film le ton général d’une fable et Bong Joon-ho renforce ce thème en jouant avec sa caméra, ce qui nous vaut des plans magnifiques, depuis le soupirail d’ouverture filmé comme un cadre dans le cadre, jusqu’aux escaliers qui dégorgent d’eau, en passant par des plans à la grue qui montrent l’enchevêtrement des fils qui courent au travers de la rue, comme une toile d’araignée qui emprisonne les pauvres hères qui courent sous la pluie.
Alors Ki-taek et les siens, une fois passée la conquête de la maison des Park, devront redescendre sur terre, et même sous terre : d’abord lorsqu’ils sont plaqués sous la table basse du salon pendant que les riches jouissent (au propre et au figuré) de leur situation et qu’ils sont témoins du mépris violent de M. Park. Avec l’orage qui les inonde, ensuite, et cette cuvette des WC qui vomit comme un égout. Enfin, lors de la garden-party finale où les riches batifolent entre eux et dont ils sont, de fait, exclus. Il n’y a que Ki-jung, la fille aînée, qui joue trop bien son rôle et parvient à se fondre parmi les riches. Et c’est là, sans doute, qu’il faut chercher les causes de sa mort.

La fin, bien sûr, est très sombre : Ki-taek se retrouve coincé dans cette cave noire et son fils, s’il se permet de rêver un instant, ne pourra probablement jamais communiquer avec lui, ni parvenir à le sortir de sa prison. Finalement, rien ne pourra empêcher les pauvres de rester pauvres dans les bas-quartiers et les riches de rester riches dans leurs belles demeures.
 
Si Parasite trouve son inspiration dans plusieurs films, il s'appuie cependant clairement sur Entre le ciel et l'enfer de Kurosawa, dont il reprend de nombreux motifs, à commencer par le découpage vertical riche/pauvre et cette façon de mélanger les strates sociales. On s’amuse à voir les mille ponts entre ces deux films jusque dans des détails secondaires (comme par exemple l'enfant qui joue aux Indiens et aux cowboys, comme le font les enfants chez Kurosawa). Mais le propos de Kurosawa est beaucoup plus nuancé, en particulier parce qu'il ne déteste pas le riche Gondo, l'industriel au cœur de son film, à l'inverse de Bong Joon-ho qui est lapidaire avec les riches. Mais à ce propos nuancé, répond néanmoins une conclusion aussi sèche que dans Parasite : le rideau de fer final dans la prison scelle la séparation entre ces deux mondes.



________________________________

(1) : Après l’orage terrible qui s’est déversé et a inondé le sous-sol de la famille de Ki-teak, Mme Park, inconsciente de ce qui a pu se produire hors de son petit monde, déclare que la pluie aura fait du bien et reverdi le jardin. Bong Joon-ho, le temps de cette saillie, rejoint le ton caustique d’Affreux, sales et méchants ou des Monstres.

(2) : Le film reprend  en l'orientant différemment  le schéma très simpliste du médiocre Snowpiercer où, dans ce train fonçant à toute allure, tout n’était qu’horizontalité. Les pauvres y étaient entassés en queue de train quand les riches, disposant de places et de loisirs, vivaient luxueusement à l’avant.

lundi 8 juillet 2019

Cinema Paradiso (Nuovo cinema Paradiso de G. Tornatore, 1988)




Ce film célèbre de Giuseppe Tornatore, véritable déclaration d’amour au cinéma emplie de nostalgie, souffre pourtant de bien des longueurs et, plus, généralement, il surligne maladroitement le moindre de ses effets.
Tornatore en rajoute à chaque instant, insistant sur chaque émotion, chaque moment du film, avec une musique de Morricone très envahissante et l’ensemble pèse beaucoup.
Noiret fait du Noiret (il en fait toujours un poil trop), et si le jeune Toto a une jolie fraîcheur, en revanche, devenu jeune homme, il est bien peu convaincant. Et Jacques Perrin, qui lui donne ses traits adultes et qui avait pourtant peu à faire, parvient lui aussi à en faire trop.
C’est tout à fait dommage, l’idée de départ était magnifique et il y a en fait bien peu de films qui nous emmènent dans la cabine du projectionniste, bien peu, aussi, qui nous font vivre les salles de cinéma comme autrefois on les vivait en Italie, lorsque le cinéma était au cœur du village. Et les rires de la salle devant Chaplin, ses pleurs devant Le Mensonge d’une mère sont des moments savoureux.
La première partie (avec Toto enfant qui est initié par Alfredo) est la plus réussie, ensuite, lorsque Toto grandit, le film tombe trop du côté de l’émotion sucrée (avec l’histoire d’amour fade et mièvre).


La fameuse séquence finale, avec un montage des baisers censurés préparé par Alfredo, est très belle, mais, là encore, Tornatore, s’y prend bien mal : il ne cesse d’interrompre la succession des baisers en nous montrant le contre-champ de Salvatore ému aux larmes. Que ne laisse-t-il ces baisers nous envahir, sans revenir à son personnage, de sorte que nous, spectateurs, devenions Salvatore – au lieu de le regarder pleurer –, pour être émerveillés, emportés par cette magie du collage des baisers du cinéma. On voudrait que cette séquence, sans l’interrompre, dure encore et encore.


Marcello Mastroianni et Maria Schell
dans Nuits blanches de L. Visconti

vendredi 5 juillet 2019

Le temps nécessaire pour avoir une bonne culture de cinéma



Nous avons déjà eu l’occasion de discuter d’une liste d’une centaine de films, puis d’une autre d’environ cinq cents, puis d’une autre encore d’un peu plus de deux-cents. En les recoupant (1), on trouve ainsi environ six cent cinquante films.
Cela nous fait donc un ensemble de films très exhaustif, assez exhaustif en tous les cas pour contenir à la fois les films incontournables qui sont une substantifique moelle du cinéma, mais aussi d’autres films remarquables qui ont pu marquer le spectateur, l’émouvoir ou le faire réfléchir, et d’autres encore, moins connus ou plus étranges, mais qui brossent un portrait large du cinéma.
À raison d’un film par semaine – ce qui fait un rythme très sage – il faudrait donc une bonne douzaine d’années pour venir à bout de tous ces films.

Une douzaine d’années pour aiguiser un regard, comprendre un art, le découvrir dans ses multiples aspects, pour l’expérimenter jusque dans des directions ardues, relier les œuvres entre elles, progressivement, et les relier aussi avec les autres œuvres des autres arts (2), cela nous semble un temps nécessaire, peut-être irréductible (3), pour découvrir ses goûts, les cultiver et intégrer ces œuvres à la vie de la pensée.

Le fait est que la culture prend du temps, qu’elle est un travail de l’esprit long et difficile – difficile ne voulant pas dire désagréable – et il est illusoire de penser pouvoir découvrir un art rapidement et facilement, en quelques œuvres clefs – fussent-elles majestueuses. Le cinéma ne déroge pas à la règle et il demande de laisser les œuvres vivre en nous, après qu’elles nous ont brusqués et surpris, après qu’elles nous ont parlé d’autre chose que de nous.

Et l'on ne doute pas qu’il faille bien des années pour avoir lu un peu quelques romans (4), parcouru quelques musées, écouté quelques symphonies, vu quelques opéras et déambulé dans quelques villes historiques chargées d’art.






________________________________

(1) : Si notre liste de 100 films est totalement incluse dans celle de 500 films, la liste de 208 films d’Alain Bergala, en revanche, contient quelques 150 œuvres qui n’y sont pas.
(2) : On pourrait bien entendu tenter un tel panorama dans d’autres arts, pour le plaisir intellectuel de faire le tour des romans, des œuvres architecturales marquantes, des peintures, etc.
(3) : Un cinéphile un tant soit peu passionné peut regarder quelques trois cents films par an. Mais, à ce rythme, il n’est pas certain qu’il puisse expérimenter les films et, surtout, il n’est pas facile d’expérimenter réellement d’autres arts que le cinéma.
(4) : Goethe nous dit (rapporté par J. Eckermann dans ses Conversations avec Goethe) : « Les braves gens ne savent pas ce qu'il en coûte de temps et de peine pour apprendre à lire. J'ai travaillé à cela quatre-vingts ans, et je ne peux pas dire encore que j'y sois arrivé ».


mercredi 3 juillet 2019

Muriel ou le Temps d'un retour (A. Resnais, 1963)




Film austère et complexe, mais virtuose, Muriel est rempli de silences, de non-dits, de personnages qui se cherchent, qui évitent de regarder en face les gouffres de leur passé et le vide de leur existence présente. Et, au cœur du film, Resnais traite avec génie le récit de Bernard, qui exprime le traumatisme qui le taraude.
Quand Hélène et Bernard sont ancrés dans un passé qui les retient, Alphonse, de son côté, semble errer, comme coincé entre un passé lacunaire et un présent dont il semble absent.

Resnais joue à merveille du montage pour construire un décalage permanent entre le son et l’image, ou pour provoquer des ruptures brusques qui donnent une étrangeté et une sensation de malaise. L'autre virtuosité est dans l'utilisation de l'image – plus exactement  dans la double ressource image et son – : c’est par là que Resnais exprime les choses, beaucoup plus que par des lignes de dialogues et c’est en cela que, à l’instar de Bergman par exemple, il utilise à plein l’art cinématographique.

Resnais, avec cette combinaison son-image, crée sans cesse des dissonances, par exemple dans la scène d’introduction du film, qui est comme une expression de l’univers mental d’Hélène, qui est entièrement tournée vers le passé, et, même, vers des parcelles de son passé : Resnais montre autant de courts plans fixes des meubles d’antiquaires de son appartement.
Les images, a contrario, apparaissent en complet décalage lorsque Bernard raconte la torture en Algérie : bien loin de montrer la séance de torture de Muriel, on voit des soldats vaquer ou s’amuser innocemment. C’est un peu comme si la torture n'était pas montrable. Pourtant ces images viennent colorer terriblement le récit, comme si leur puissance tout en décalage rajoutait à la parole. Et Resnais ménage quand même de curieuses résonances entre les paroles et les images : quand Bernard parle de brûlures de cigarettes, on voit des soldats fumer tranquillement. Si Bernard arrive à dire la torture, Resnais, lui, ne la montre pas.
Le titre du film – Le temps d’un retour – exprime sans doute que c’est par ce récit que Bernard peut s’extraire du passé et revenir dans le présent. Il lui faudra néanmoins tuer, un peu plus tard, le bourreau de Muriel.
Muriel, dès lors, n’est pas un film sur la torture, mais bien sur le traumatisme provoqué par la torture du côté du bourreau.




lundi 1 juillet 2019

L'humanité (B. Dumont, 1999)




Bruno Dumont déploie dans L’humanité son style si particulier, fait d’un radicalisme formel rare, d’une grande épure, de peu de dialogues. Il y peint le Nord – comme si souvent chez lui –, mais un Nord froid de l’isolement social et vide de relations humaines inexistantes ou superficielles.
Le film est centré sur un personnage atypique – le lieutenant de police Pharaon de Winter –, bien peu héroïque et qui est en rupture avec l’image de policiers à laquelle nous a habitués aussi bien Hollywood que les polars français (quoi qu'il y ait le côté taiseux qu'ont certains Maigret, mais il n'y a rien de Maigret dans son rapport aux autres ou à son métier) : Pharaon de Winter est un être simple, lent, qui s’exprime de façon incertaine, qui réagit peu, qui laisse les choses glisser sur lui, semble-t-il. En fait Pharaon – là encore à l’opposé du personnage-type tel que l’a façonné Hollywood – est un homme pur, empli d’empathie et de compassion et il recueille toute la douleur du monde que son métier l’amène à croiser. Il l’aspire, la reçoit en lui. Et toutes ces douleurs, tout ce mal des hommes qu’il emmagasine, ressort, par moments, comme lorsqu’il gît, figé dans la boue d’un champ labouré, ou comme lorsqu’il hurle, au passage du TGV. Il y a du Munch dans ce cri libérateur qui vient des profondeurs. Et il y a du Bresson dans ce personnage au jeu minimaliste et aux bras ballants.
Le film, alors, organisé autour de ce personnage étrange, décrit un univers vide et lent, où les rues, la campagne, le bord de mer confinent parfois à l’abstraction, où les relations humaines sont anormales, vaines, dévitalisées ou bien, tout au contraire, pulsionnelles et violentes.



La réussite du film est dans cet équilibre trouvé par Dumont : il fait fi de toutes facéties pour occuper l’écran, revient à une transparence du cadrage et du découpage, s’en remet à ses acteurs auxquels il donne une coloration bressonienne et il ne juge pas ses personnages, ne montrant ni complaisance ni regard implacable à leur égard, mais gardant une distance un peu abstraite avec ce monde froid, inhumain par bien des aspects, avec pour seul relais humain Pharaon de Winter, qui embrasse – au propre comme au figuré – tout le malheur des hommes.