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mercredi 1 novembre 2023

Killers of the Flower Moon (M. Scorsese, 2023)





L’air de rien, du haut de ses quatre-vingts ans, Martin Scorsese a toujours la même vista. Il n’y a certes plus l’énergie folle des Affranchis ou du Loup de Wall Street, mais son long film, construit comme une fresque, a son rythme propre, plus assagi mais qui correspond bien au propos. On retrouve un des thèmes habituels du cinéaste qui, de Casino au Loup de Wall Street, nous dit à nouveau que c’est l’appât du dollar qui dirige le monde. Il montre combien cette avidité peut conduire, comme ici, à des machinations qui s’étalent sur des années et semblent sans limite.
S'appuyant sur un fait divers réel, il construit très bien son idée, épaissit ses personnages, prend le temps d'ellipses ou de non-dits qui ne se révèlent que progressivement.
Si le rôle de Robert De Niro est bien tenu, ce personnage du vieil oncle autour duquel tout gravite, derrière son hypocrisie de façade, est assez simple, surtout pour un acteur de ce calibre. Leonardo Di Caprio tient lui un rôle plus difficile puisque son personnage, mené de bout en bout, est beaucoup plus complexe : derrière ses dehors benêts, ses sentiments le font hésiter et tergiverser. Écrasé par l’oncle et le frère, il ne surnage que trop tard et à grand-peine. Di Caprio joue très bien cette façon qu’a son personnage d’être englouti, de comprendre qu’il lui faut se dépêtrer sans y parvenir.

 



lundi 3 août 2020

Silence (M. Scorsese, 2016)





Martin Scorsese, grand réalisateur de films pulsionnels, mettant si souvent en scène des personnages à l’énergie débordante, avec un trop plein qui se libère typiquement dans la violence (de Taxi Driver aux Affranchis) ou dans une agitation folle et mortifère (de A tombeau ouvert au Loup de Wall Street), semble à chaque fois vouloir pousser plus loin une question lancinante : comment dépenser son trop plein d’énergie ?
Scorsese avait donc atteint une forme d’acmé avec l’impulsif et dopé
Loup de Wall Street, et l’on s’interrogeait sur la suite, s’il allait pouvoir aller plus loin encore. Sur ce point la réponse arrive dès le titre du film : Scorsese n’ira pas plus loin, au contraire. Il n’est plus question d’explosion d’énergie et de débordement, mais bien plus d’introspection.
Dès lors, on comprend que Silence soit un film long et lent, méditatif et sombre, empreint de réflexion sur soi.
Silence est un remake très fidèle du film du même nom de Masahiro Shinoda, datant de 1971, dont il reprend la trame (même si Scorsese commence son film plus tôt dans le récit, avant le départ des deux jésuites pour le Japon) et où la différence fondamentale est en réalité un retournement ontologique : le premier est réalisé par un Japonais (on y voit même un acteur japonais grimé en occidental, ce qui surprend et amuse, Hollywood ayant fait le contraire régulièrement), et le second par un Américain. Dans cette histoire de l’échec de l’implantation du christianisme occidental au Japon, ces deux points de vue opposés, s’ils prennent tout leur sens, se révèlent en réalité en toute fin de film, lorsque Scorsese parvient à glisser un doute dans l’abjuration de Rodrigues. Si l’échec collectif est patent, il sauve ainsi l’âme de Rodrigues.
L’âpreté du film est aussi le silence de Dieu. Face à la douleur, face aux martyrs, face aux injonctions d’abjuration, Dieu ne répond pas : là est le silence. Les prêtres restent désespérément seuls. Mais le sens de la foi c’est de faire avec le silence de Dieu.


Quelques remarques sur cet échec religieux. Il faut dire que l’on reste un peu perplexe sur la démarche des deux jésuites. D’une part comment peut-on espérer convertir une population – quand bien même on est animé de la foi la plus profonde – sans passer la barrière de la langue ? C’est que les prêtres ne parlent pas le japonais et ne se tourneront vers le Japon en tant que langue et culture qu’après leur apostasie. Cela montre, d’une certaine façon, qu’ils ne viennent que pour transmettre leur foi : tout à leur foi et à leur Vérité, ils ne comprennent pas les Japonais. On notera que, dans le film de Shinoda, si les prêtres parlent anglais entre eux, ils parlent japonais aux Japonais.
De la même façon, le bagage historico-religieux des prêtres semble bien léger puisque face au choix terrible du martyre ou de l’apostasie, Garupe et Rodrigues ne sont pas d’accord entre eux, alors qu’il était évident que la circonstance allait se présenter (comme elle s’est présentée partout où des missionnaires ont pu se rendre).
Ils ont à faire face à un pouvoir japonais (représenté par l’Inquisiteur) remarquablement affuté et intelligent, quand bien même il est aussi cruel. Il connaît parfaitement les implications politiques de la religion, à la différence des deux prêtres, qui ne peuvent donc pas comprendre profondément leur rejet.

mercredi 29 juillet 2020

The Irishman (M. Scorsese, 2019)



Immédiatement, on comprend que The Irishman vient clore une série de films, venant à la suite des Affranchis et de Casino, et mettre un troisième volet à une  trilogie magistrale et essentielle dans l’œuvre de Scorsese. Après la jeunesse folle (Les Affranchis), la maturité (Casino) – à chaque fois construit autour d’une trajectoire de grandeur puis de décadence – arrive la vieillesse. Les Wiseguys ont bien vieilli, ils sont assagis. Et, plutôt que de finir comme des ploucs (selon le mot final des Affranchis), ce sont des vieillards en chaise roulante que nous montre Scorsese.
Pour le reste les grands principes restent les mêmes : on retrouve ce monde de mafieux où un claquement de doigt suffit à faire incendier un restaurant ou abattre un homme et où l’on descend sans sourciller, parce qu’ainsi sont les ordres, celui avec qui l’on trinquait hier.
Et l’on voit, assit calmement dans un restaurant, Joe Pesci, le légendaire fou bouillonnant à la voix aussi coupante que ses couteaux, assagi et lent ; Al Pacino aboie mais ne mort pas ; De Niro, lent et bedonnant, boitille et trébuche. Le monde est le même mais le temps a passé. Vient alors le moment tant redouté de l’introspection et du regard sur la vie passé. L’ouverture et la fermeture du film sur le couloir de la maison de retraite, sont, à ce titre, lapidaires.


On regrette un numérique trop voyant, autour du visage d’Al Pacino, et, surtout, avec les yeux beaucoup trop bleus de l’ami De Niro. Il y a là un aspect artificiel gênant pour qui est habitué à l’acteur.
Mais on est aussi heureux de retrouver De Niro dans un grand rôle (depuis Heat en 1995, il n’avait pas fait grand-chose) : il a fallu pour cela qu’il se retrouve face à la caméra de son vieux complice Scorsese. L’un et l’autre, décidément, se seront beaucoup apporté.

Il faut aussi regretter que le film ne soit pas sorti sur les écrans des salles de cinéma : Martin Scorsese, ne parvenant pas à se faire produire par les majors (ce qui est tout à fait sidérant), s'est alors tourné vers Netflix, trop heureux d'accrocher le prestigieux réalisateur à son tableau de chasse. Hollywood, en refusant de produire puis de distribuer de tels réalisateurs, se tire une balle dans la pied et sera bien mal placé pour se plaindre quand Netflix et consorts auront pris des parts de marché et donné de nouvelles habitudes aux spectateurs qu'il sera bien difficile de faire revenir dans les salles de cinéma.


dimanche 27 décembre 2015

Taxi Driver (M. Scorsese, 1976)



Taxi Driver Martin Scorsese Robert de Niro Affiche Poster

Film phare du cinéma américain des années 70, il lance Scorsese aux yeux du monde.
C’est un bon exemple de cinéma moderne vu par le Nouvel Hollywood : Travis Bickle (Robert De Niro, une fois de plus dans une composition hallucinée et mémorable) est un personnage errant, qui parcourt la ville au hasard (dépassant largement le prétexte scénaristique du chauffeur de taxi), qui apparaît de plus en plus déterminé, mais toujours sans but véritable, lui-même ne sachant réellement pour quelle cause il s’entraine. A ce héros perdu répondent les rues de New-York, avec les néons, les cinémas glauques, les bas-fonds. Travis Bickle tente bien de se rapprocher de la face présentable de New York en abordant Betsy, mais rien n’y fait. Betsy qui est par ailleurs soutien du politicien Palantine dont le slogan, à la fois réaliste, caricatural et involontairement sarcastique (« We Are The People »), montre à lui seul combien Travis et, à travers lui, le New York qu’il représente, est délaissé par les politiques (il y a là une dimension politique très bien exprimée). Après des hésitations et des ratées, il se mue en sauveur d’une jeune prostituée.
Travis Bickle semble ainsi intérioriser son impuissance globale à régler les problèmes de New York (qui sont du ressort du politique) et cherche à résoudre un problème particulier, qui est adapté à son échelle (sauver Iris la prostituée).
Scorsese réalise son film comme un cauchemar urbain, son personnage hantant la ville et faisant irruption soudainement, comme une menace latente contre le pouvoir (attentat envisagé contre Palatine) ou contre les trafiquants (attaque finale contre le proxénète).
Le traitement de la violence a beaucoup marqué : c'est un déchaînement soudain et très représenté à l'image (impact des balles sur les corps, doigts explosant sous le choc, sang qui jaillit et barbouille les murs, victimes agonisantes...). Ce type d'irruption brusque de la violence dans le récit est devenu progressivement une tarte à la crème du cinéma. Par exemple Drive, film par ailleurs calme et presque  mélancolique, joue avec des apparitions brusques de scènes très violentes (1).
Le portrait de New York (et, ce faisant, de l’Amérique) est très dur. Scorsese s’approche au plus près des rues, comme s’il cherchait à saisir le cœur palpitant de la ville. Et il n’y reste rien des valeurs fondatrices de l’Amérique, qui sont ici balayées ici par ce personnage solitaire et paumé.

Taxi Driver Martin Scorsese Robert de Niro Affiche Poster

Taxi Driver Martin Scorsese Robert de Niro Affiche Poster
La transformation du personnage au cours du film
Comme dans la plupart des films de Scorsese, certaines séquences sont exceptionnelles. Par exemple lorsque Travis raconte la première fois qu'il a vu Betsy : la scène, commentée en voix off (et la voix ralentit avec l’image), est montrée au ralenti et Betsy passe devant Scorsese lui-même. Scorsese, frôlé par Betsy, n’est plus seulement réalisateur, il est spectateur privilégié (privilégié notamment car lui ne la voit pas en ralenti, il est tout près d’elle, dans la scène).

Martin Scorsese, spectateur de Betsy qui passe devant elle

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(1) : Si l'apparition d'une violence extrême et soudaine est aujourd’hui une tarte à la crème scénaristique, il ne faut pas oublier la grande tarte à la crème technique (les films proposant en général l’une, l'autre ou les deux tartes à la crème en même temps) : l'utilisation systématique et à toutes les sauces de ralentis (utilisation dévoyée des innovations esthétiques de S. Peckinpah).

jeudi 10 septembre 2015

Raging Bull (M. Scorsese, 1980)




Magnifique film de Martin Scorsese (qui n’aime pourtant guère la boxe !) : celui-ci s’appuie sur l’histoire du boxeur de Jake LaMotta pour brosser le portrait d’une rédemption.
La virtuosité de Scorsese est manifeste, depuis ses choix esthétiques (le noir et blanc notamment), ses choix narratifs avec des ellipses, des cuts brusques qui emmènent au cœur des combats, des répétitions (les disputes conjugales articulées autour des soupçons de Jake) ou encore des jeux d’images dont il est coutumier  (depuis le ralenti du générique jusqu’aux combats filmés in situ, en passant par le plan-séquence emmenant LaMotta des vestiaires au ring, lors de son match contre Marcel Cerdan).


La maîtrise de l’image, du rythme, de la musique ou des transitions entre séquences est parfaite. La violence, intrinsèque à tant de films de Scorsese, trouve ici, dans les coups de poing infligés ou dans l’impulsivité destructrice du héros, une nouvelle expression.
La qualité de l’interprétation fascine. Le jeu de Robert De Niro est resté célèbre : il n'a pas hésité à prendre quelques trente kilos pour interpréter un Jake LaMotta vieillissant. Interprétations impeccables, également, de la part de ses compères Joe Pesci (quasi débutant ici) ou encore Frank Vincent, qu’il retrouvera, toujours avec Scorsese aux commandes, dans Les Affranchis ou Casino.


Jake La Motta reste longtemps persuadé que tout se règle à coups de poing, sur le ring et que seuls ses combats comptent. Cet enfermement le condamne et le sort du monde dans lequel il vit, affrontant tous ses proches. C’est ainsi qu’il détruit sciemment le visage d’un adversaire, à propos duquel sa femme avait eu le malheur de dire qu’il était beau gosse, ou bien qu’il se laisse détruire à son tour par Sugar Ray Robinson, ne cherchant plus à esquiver les coups. Ce rapport au corps (l’obsession du poids, la violence des coups qui marquent) est une thématique passionnante qui traverse le film.
Ce n’est qu’après avoir rangé les gants et après avoir tout perdu (sa femme, son club), une fois qu’il est en prison, que Jake LaMotta voit combien il est vain de cogner à tout va : il comprend ce qu’il a perdu et, ensuite, il prend conscience de ce qu’il est et il s’apaise. C’est dans cette autre vie, loin des rings, loin du succès, loin des coups de poing, le corps avachi, qu’il peut recommencer à vivre, lentement, sans être en guerre sans cesse contre le monde entier.


lundi 13 juillet 2015

Les Affranchis (Goodfellas de M. Scorsese, 1990)




Un des meilleurs films de gangster de ces 30 dernières années. Scorsese parvient, dans un genre éculé et dominé par des références envahissantes (Le Parrain), à réaliser un film éblouissant sur la mafia. Mais il faut dire que, même s'il traite du même univers que Coppola, il ne développe pas le même thème : ici ce sont les caïds d'un second rang qui l'intéressent, et non les grands chefs de famille. On suit donc la montée d'un jeune loup aux côtés de ses amis.
Scorsese s'entoure d'un trio d'acteurs extraordinaires. La composition de Ray Liotta est exceptionnelle, dans un ton difficile à trouver puisque son personnage est tout à la fois le héros qui se fait une place dans le milieu mais aussi le témoin-relais qui, le cas échéant, va jusqu'à commenter le film. Joe Pesci compose un Tommy DeVito légendaire (il y a du James Cagney dans cette boule de nerfs sans cesse prête à exploser) et De Niro, toujours fidèle, trouve lui aussi cet équilibre entre amitié et fausseté qui fait le cœur du film et de ce monde de truands.
Le brio de Scorsese éclate sans cesse. Il utilise ou bien des arrêts sur image accompagnés de voix off (magistrale scène d'ouverture avec le corps agonisant dans le coffre, achevé de façon lapidaire et barbare), ou bien de longs plans séquences fluides et jouissifs. On pense par exemple à l'entrée de Henry Hill et de Karen au Copacabana par une porte secondaire, illustration parfaite de la vie facile des affranchis.
Une séquence encore est légendaire, celle où Tommy, au restaurant, semble prêt à exploser simplement parce que Henry lui dit qu'il le trouve drôle (« What's the fuck is so funny about me ? »).

« Funny how ? I mean, funny like I'm a clown ? I amuse you ?  »
La bande originale est enthousiasmante, on sent Scorsese jubiler derrière sa caméra. Il réalise là ce qui est sans doute son meilleur film.
Au milieu de nombreux autres références, Scorsese finit son film par une vision de Henry Hill, désormais caché dans un triste pavillon de banlieue. La réalité de sa vie est bien loin de ses rêves. On voit alors Tommy pointer son revolver vers le spectateur, comme le hors-la-loi de E. Porter, dans Le Vol du grand rapide, quelques quatre-vingt-sept ans plus tôt.


lundi 25 août 2014

Hugo Cabret (M. Scorsese, 2011)




Film très décevant et complètement insipide de Scorsese, qui tranche nettement avec la qualité habituelle de sa filmographie. Il centre son histoire sur un petit garçon et concentre son récit dans une gare : dans les années 30, le petit Hugo y vit et en cherchant les clefs de son passé, il croise notamment la route de Méliès.
Malgré une volonté de créer une ambiance nostalgique et emplie de souvenirs, il n’y a là aucune émotion et l’on suit sans grand intérêt les aventures d’Hugo. Le scénario est très poussif et si Scorsese a cherché à travailler l’image du film, sa couleur, son éclairage, cela reste bien froid.
Il y a malgré tout un hommage à Méliès : Scorsese reconstitue son studio, et on le voit tourner des films, mettre en scène, concevoir des décors. Cette reconstitution est intéressante, mais simplement à titre d’illustration de la période – comme une sorte de docu-fiction –, car il n’y a rien de particulièrement enchanteur dans ces séquences.

mardi 18 février 2014

Casino (M. Scorsese, 1995)




Très grand film de Scorsese dont la virtuosité évidente et la facilité narrative construit un récit truculent, violent, rythmé, avec des acteurs excellents (ce qui n’est pas une surprise de la part de Robert de Niro ou de Joe Pesci – dans un registre très proche de son rôle dans Les Affranchis – mais ce qui l’est davantage de la part de Sharon Stone). On sent Scorsese jubiler derrière la caméra. Il multiplie les points de vue, joue avec le monde qu’il décrit (par exemple le plan séquence raconté par Ace puis Nicky où l'on suit le parcours de l’argent) et promène sa caméra comme on déambule dans les allées d’un casino, à la fois fasciné par tout cet argent brassé et aveuglé par les paillettes et les néons.
Les personnages sont épaissis à la fois par l’interprétation des acteurs et par leurs particularités très fortes (la froideur lucide de Ace ou la violence ingérable de Nicky) rendant le film dense et passionnant.
Une nouvelle fois Scorsese se penche sur la mafia dont il décrit les rouages, mais sans s’attarder sur les têtes dirigeantes ou aristocratiques comme dans Le Parrain (même s’il filme le temps de quelques scènes les parrains baignés dans une lumière quasi divine) préférant décrire le monde des lieutenants.



Ace, qui sait tout de ce monde des casinos, qui anticipe, gère, calcule, Ace à qui tout réussit et qui sera perdu par Ginger, cette prostituée de luxe dont il s’aguiche.



jeudi 9 janvier 2014

A tombeau ouvert (Bringing Out the Dead de M. Scorsese, 1999)




Très bon film de Scorsese qui reprend l’idée de faire déambuler un personnage dans New-York la nuit (après Taxi Driver) et le pousse au bout de lui-même. Nicolas Cage est parfait dans ce rôle : les yeux exorbités, défoncé, camé, incapable de s’arrêter, en mission permanente de sauver le plus de vies possible (et se souvenant de celles qu’il n’a pu sauver), compulsif, il emporte le personnage dans un déséquilibre mental sans cesse borderline. On voit mal qui pourrait interpréter de façon à la fois si naturelle et si exagérée ce burn-out continuel de l’ambulancier, qui va de bas-fonds en bas-fonds, de grabataires en suicidaires, de stridence en stridence, interrompu seulement par quelques moments (dans « l’oasis » ou, ensuite, auprès de Mary, si émouvante), comme hors du temps, où il échappe à ce torrent qui l’emporte et le happe. Et le spectateur avec lui.
Scorsese met sa virtuosité, faite de vitesse, d’hallucinations, de jeux de sons et de couleurs, de symboles chrétiens (Frank est en mission et mille symboles viennent appuyer cette vision qu’il a de son travail), il recrée progressivement un univers, de plus en plus loin de la réalité (s’éloignant alors de Taxi Driver), de plus en plus proche de l’imaginaire délirant de Frank.


jeudi 5 septembre 2013

Bertha Boxcar (Boxcar Bertha de M. Scorsese, 1972)




Très intéressant premier film de Martin Scorsese qui est son premier et son dernier film de commande. Mis le pied à l’étrier par Roger Corman, il doit en subir les contraintes (cahier des charges précis, petit budget) et propose un film très différent de ce qu’il réalisera par la suite.
Il propose un road movie (le seul film de Scorsese avec Alice n'est plus ici qui en soit un), dans les années 30, où un petit groupe étrange, formé autour de Bertha, dévalise des trains et fuit perpétuellement en utilisant essentiellement des wagons à bestiaux. Ce petit groupe, formé d’une jeune femme, d’un noir, d’un juif et d’un communiste syndicaliste, est donc une représentation des différentes minorités de l’Amérique. Le film apparaît alors comme un mélange de Bonnie and Clyde et des Raisins de la colère. Cette dernière thématique est surprenante puisque Scorsese n’est pas du tout un réalisateur qui aborde des thèmes fordiens. En effet il s’intéresse en général à des groupes homogènes, refermés sur eux-mêmes (constitués d’Italiens, de mafieux, etc.), bien loin donc de la question de parvenir à réunir des groupes hétérogènes pour constituer une communauté, comme le fait Ford.
Tout le film est vu à travers les yeux d’enfant de Bertha, qui ne devient adulte que brusquement, dans la dernière séquence, devant Shelly crucifié.


Si le film est imparfait, la séquence finale est exceptionnelle, tout à fait scorsesienne, à la fois dans la virtuosité de sa mise en scène, dans le déferlement de violence et dans l’image christique finale, thème qui parcourt tout l’œuvre de Scorsese.