dimanche 30 novembre 2014

La Vie d'un honnête homme (S. Guitry, 1953)




Très bon film de Sacha Guitry, dont le propos est indissociable de la performance de Michel Simon, truculent.
Bien entendu Guitry s’amuse à forcer le trait de ses personnages en partant de deux frères que tout oppose. On retrouve donc ce classique thème du double (voir par exemple Copie conforme de Dréville) qui est le prétexte pour Guitry d'approfondir un peu le sujet, tout en gardant le même ton savoureux habituel.


Son frère jumeau que personne ne connait étant mort sous ses yeux, Albert a maintenant la chance de pouvoir devenir quelqu’un d’autre et de repartir de zéro du point de vue moral.
La scène de l’enterrement est savoureuse : Albert assiste à son propre enterrement (!) et c’est l’occasion pour lui de voir s’étaler toute l’hypocrisie sociale qui l’entourait.
Pouvoir recommencer sa vie est une variation du moment où George Bailey, dans La vie est belle, voit ce qu’aurait été le monde s’il n’avait pas vécu. Ici Albert, mécontent de sa vie, de ce qu’il est pour les autres, tout en conservant le même statut social, a la chance de pouvoir tout recommencer, en vivant autrement avec ses proches, en gérant ses entreprises différemment. La morale est étonnante puisqu’en réalité Albert est bien effectivement le mari de sa femme et il gère ses propres entreprises, son propre argent.


Le film, parfois teinté d’amertume, évoque Dostoïevski quand il fait dire à Fiodor Karamazov : « Quand je vais vers les gens, il me semble que je suis le plus vil de tous, et que tout le monde me prend pour un bouffon ; alors je me dis : « faisons le bouffon, je ne crains pas votre opinion, car vous êtes tous, jusqu’au dernier, plus vils que moi ! ». Voilà pourquoi je suis bouffon, par honte, éminent père, par honte. Ce n’est que par timidité que je fais le crâne. Car si j’étais sûr, en entrant, que tous m’accueillent comme un être sympathique et raisonnable, Dieu, que je serais bon ! ».

vendredi 28 novembre 2014

Zombie (Dawn of the Dead de G. Romero, 1978)




L'exploitation de filons se poursuit pour George Romero après sa très bonne Nuit des morts-vivants. Hélas les qualités du premier film semblent déjà bien loin. Il déroule son procédé (des humains qui doivent s’extirper de bandes de zombies avides de les dévorer) sans beaucoup de talent ou d’originalité. Ici il part d’une terre envahie par les zombies avec seuls quelques humains qui cherchent à survivre. Ils se barricadent dans un centre commercial et tentent de résister.
La principale idée du film est néanmoins assez brillante : c’est celle de répandre des zombies dans un centre commercial. C’est une dénonciation de la surconsommation certes un peu facile mais efficace visuellement.

Les zombies errants dans le centre commercial
C’est en effet une image forte de voir les zombies errer lentement, sans but, les bras ballants, alors que la musique se répand, que les fontaines du centre commercial jaillissent, que les publicités illuminent les boutiques. Pour le reste le film est assez décevant et, surtout, sans aucune surprise.

mercredi 26 novembre 2014

Les Amants crucifiés (Chikamatsu monogatari de K. Mizoguchi, 1954)




Ce chef-d’œuvre de Mizoguchi nous emmène, une nouvelle fois, dans un Japon féodal qui nous est en tout point étranger. On tient là le dernier des quatre chefs-d’œuvre que Mizoguchi a réalisés, coup sur coup, en deux années.
Et, comme pour les plus grandes œuvres, cette singularité (un autre temps, un autre lieu, d’autres mœurs, d’autres rapports entre les gens) est balayée et le film touche et émeut par son universalisme.
Le chemin tragique des deux amants, qui vient marcher sur les plates-bandes rigides de cette société d’un autre temps, est à la fois un hymne à la liberté et une destinée que leur amour rend inévitable. Mais cet amour est tel que le carcan de la société devient illusoire et secondaire : la sérénité finale affichée par Mohei et Osan est bouleversante.


Ce film est un exemple de ce que l’art peut s’adresser à nous, spectateurs, qu’il s’agisse de l’expression ultime d’une culture identique à la nôtre ou en tout point différente. On touche alors du doigt, dans cet universalisme étourdissant, la réelle transgression de l’art : il s’agit non pas de transgresser les règles ou les habitudes d’une culture, mais bien de parvenir à s’adresser à un Autre, lointain et étranger. C’est en cela que Mizoguchi est un artiste infiniment transgressif et Les Amants crucifiés une œuvre infiniment bouleversante.

mardi 25 novembre 2014

Plus dure sera la chute (The Harder They Fall de M. Robson, 1956)




Honnête film sur le monde de la boxe. Le journaliste Eddie Willis (Humphrey Bogart) est engagé par le truand Nick Benko (très bon Rod Steiger) pour promouvoir un boxeur géant mais très mauvais. Les matchs sont truqués les uns après les autres pour permettre au poulain de gravir les échelons un à un afin de gagner un maximum d'argent.
Le film ne révèle guère de surprise, on suit la combine, la tentative de résistance de Eddie Willis, l'avidité impitoyable de Benko. La fin est très hollywoodienne. C’est la dernière apparition de Bogart, dans un rôle somme toute oubliable.

samedi 22 novembre 2014

Interstellar (C. Nolan, 2014)



Interstellar Christopher Nolan Affiche Poster

Le long film de Christopher Nolan est à demi-réussi (ou à demi-raté, c’est selon) et Interstellar vient confirmer à la fois les qualités et les défauts du réalisateur.
La première partie, toute en action et en interrogation, est la plus réussie. Nolan est à l’aise, le vaisseau décolle et s’en va explorer l’inconnu. La séquence sur la planète océan Miller est très réussie. Mais on sait Nolan à l’aise avec l’action pure, il le confirme ici.
En revanche quelques scènes sont navrantes en fin de film : on est désolé de voir un réalisateur si coté être contraint de faire quelques scènes imposées par les producteurs. La fin est hollywoodienne dans le sens navrant du terme. Mais là n’est pas le plus gênant dans le film.
En effet c’est dans la dernière partie que Nolan montre ses limites. A partir du moment où Cooper entre dans le trou noir, Nolan se perd. Certes son trou noir est très visuel, mais ce qui s’y passe n’est qu’un scénario qui cherche à retomber tant bien que mal sur ses pieds. Et on sent que les scénaristes ont tiré sur la corde pour que l’ensemble reste vaguement plausible. Nolan s’écarte du film d’action et a des visées bien plus hautes. On sent la tentation kubrickienne et c’est là que le bât blesse : Nolan est un bon réalisateur mais ce n’est pas un faiseur d’images. Inception, déjà, titillait par son scénario mais pas par l’image (il y avait la place, pourtant dans ce jeu entre rêve et réalité). Ici aussi Nolan laisse seul le scénario s’exprimer et s’emberlificoter. On sent Nolan influencé par Kubrick (c’était déjà le cas dans Inception), mais cela se résume à quelques clins d’œil et il ne parvient pas à élever son film vers une vraie réflexion. Et c’est principalement parce que Nolan ne parvient pas à utiliser autre chose que son scénario. En effet c’est par l’image que Kubrick suggère, trouble, interpelle. Qu’on se souvienne de la dernière partie de 2001 (film évidemment matrice de Interstellar), « Jupiter ou les confins de l’infini » qui est uniquement visuelle : ce n’est pas le scénario qui questionne, c’est l’image elle-même. Kubrick parvient à montrer ce qui s’exprime difficilement dans le scénario, c’est bien là la clef de plusieurs de ses films et sur laquelle échoue Nolan. On pense aussi à Solaris, où Tarkovski, à l'opposé de toute action, utilise le trouble des images pour explorer les méandres de son histoire. Nolan aime les histoires complexes ou étonnantes (qu’on se souvienne de Memento) mais il les raconte simplement et il peine à « mettre en images » autre chose qu'une narration.
Nolan devrait se cantonner à la narration pure des films d’action, là où il est très bon (sa série de Batman est très réussie). Mais il n’a pas le quelque chose en plus qui en fait un grand créateur d’images.

lundi 17 novembre 2014

Rendez-vous avec la peur (Night of the Demon de J. Tourneur, 1957)



Rendez-vous avec la peur Night of the Demon Jacques Tourneur poster Affiche

Ce film est très réussi (il est même à bien des égards exceptionnel) mais voilà qui est bien dommage : à quelques scènes près – les scènes où un monstre gigantesque apparaît, scènes imposées stupidement par les producteurs contre l’avis de Tourneur qui s’est résigné – le film était parfait.
Tout à fait dans la veine d’autres films de J. Tourneur, Rendez-vous avec la peur aurait dû suggérer, laisser le doute, sans jamais trancher. Ce film présente la confrontation du savant John Holden (très bon Dana Andrews, comme toujours) avec les forces irrationnelles et démonologiques, incarnées par l’inquiétant et troublant Docteur Karswell. On voit les certitudes tranquilles du savant (et avec lui celles du spectateur) s’effriter et le doute s’installer au fur et à mesure du film.

L'inquiétant Docteur Karswell
Mais il faut faire l’effort, intellectuel, d’ôter l’apparition du monstre de son esprit (ou de considérer que le monstre n’est qu’une vision métaphorique). On aurait alors un film remarquable, sans cesse louvoyant entre le rationnel et l’irrationnel. Mais là, évidemment, avec ce gros monstre qui vient remuer sa langue de caoutchouc en gros plan on ne peut que soupirer…
La force de Tourneur (qui a compris très tôt qu’il valait mieux suggérer plutôt que montrer) est balayée par les apparitions du monstre. C’est un bel exemple de sabotage d’un film en quelques scènes.

Rendez-vous avec la peur Night of the Demon Jacques Tourneur

samedi 15 novembre 2014

Mondwest (Westworld de M. Crichton, 1973)




Intéressant film de science-fiction qui met en scène une originale révolte des robots. Le scénario est intelligent et permet de mettre en scène des images étranges ou insolites (notamment le mélange des trois époques romaines, médiévales et du Far West), même si le film ne semble pas aller aussi loin qu'il le pourrait dans l'exploitation de son idée.

On retrouve plusieurs thèmes intéressants et qui prêtent à réflexion. Tout d'abord la manière dont les visiteurs – qui représentent le nec plus ultra de la civilisation – sont invités à faire ce qui leur plaît dans le parc est une belle mise en abyme de la façon dont la civilisation contraint la nature humaine. En effet la civilisation est définie en creux comme une répression des instincts. Les visiteurs sont donc incités dans le parc à se lâcher, c'est-à-dire à tuer (des robots), à coucher à droite et à gauche (avec des robots) dans des orgies romaines, etc.
Ensuite le parc lui-même est une allégorie du cinéma (et les visiteurs sont alors des spectateurs) : on sait que tout est pour de faux, on sait que ceux qui sont tués sont des robots, tout n'est que simulation et le visiteur (de même que le spectateur) paye pour cela. On rejoint alors le premier thème : le spectateur, au cinéma, vient éprouver ce qu'il ne peut éprouver dans la vraie vie, en s'identifiant avec tel aventurier ou tel héros. Cette mise en abyme est très réussie.
Enfin les limites de la civilisation et du rêve auquel elle fait accéder sont abordées : les robots se dérèglent et le beau parc d'attraction se transforme en un piège mortel.
On retrouve alors la trame de plusieurs romans de M. Crichton (par exemple Jurassic Park) qui, dans un premier temps nous fait découvrir un nouveau monde (que Crichton met en place grâce à une belle trouvaille scénaristique), avant de laisser la situation dégénérer. 

Yul Brynner est parfait en robot tueur. Il préfigure de façon étonnante Terminator, qui en sera une version plus élaborée des années 90 et qui s'en inspirera clairement.

Yul Brynner en robot tueur qui se dérègle complètement.

vendredi 14 novembre 2014

Parfum de femme (Profumo di donna de D. Risi, 1974)




Très beau film italien, emporté par la partition éblouissante de Vittorio Gassmann, acteur prodigieux. Il donne à son personnage – et au film même – un relief détonnant, avec cette infirmité qui n’en semble plus une et cette façon de se ruer dans la vie tout autour de lui. Le personnage de Ciccio, témoin et relais du spectateur (on retrouve un peu, d’une certaine façon, le personnage témoin de Roberto, dans Le Fanfaron) est à la fois éberlué et dépassé par Fausto, avec son regard vide, sa main gantée de noir et son rire carnassier qui dévore tout autour de lui.


La terrible solitude de Fausto et son profond désespoir finissent par ressortir et le film, comme souvent dans cette période magique du cinéma italien, mélange la drôlerie, la méchanceté, la joie, la tristesse et l’émotion, jusqu’à l’excès, qui fait ressortir la réalité tragique de l’histoire.


jeudi 13 novembre 2014

L'Enfer est à lui (White Heat de R. Walsh, 1949)




Extraordinaire film, qui met en scène un des premiers vrais psychopathes, poursuivant le chemin tracé par Richard Widmark dans Le Carrefour de la mort de H. Hathaway, mais en donnant à ce personnage une place centrale. Le film commence comme un polar des années 30, ceux dans lesquels le même James Cagney a posé les bases de son rôle typique de gangster, avec R. Walsh déjà, par exemple dans Les Fantastiques années 20, ou avec W. Wellmann dans L’ennemi public. Mais très vite le film transcende le genre en apportant une touche délirante, déviante, névrosée, qui entraîne tout le film.
Ce prototype de méchant au centre du film dépasse largement le gangster, ouvre une porte nouvelle dans le cinéma de genre. Le personnage de psychopathe a depuis été décliné mille fois, jusqu’à devenir une tarte à la crème du méchant. Mais ces psychopathes n’ont souvent plus aucune substance, ces personnages ne justifient en rien leurs actes : ils sont psychopathes, voilà tout. Rien de tout cela dans L'Enfer est à lui, où c’est la relation de Cody Jarrett à sa mère qui l’entraîne dans sa névrose.
Quand on voit Joe Pesci dans ses rôles déjantés de mafieux bouillonnant et incontrôlable dans Les Affranchis ou Casino, on pense à ce taré de Cody Jarrett. La célèbre image finale est l’aboutissement parfait du film. Comme le dit très bien J. Lourcelles « les valeurs héroïques (courage, ténacité, audace, ascendant sur les femmes) ont toutes évolué négativement vers la monstruosité ».

L’un des tout meilleurs Walsh, assurément, qui vient conclure en apothéose un genre et en annoncer un nouveau.


dimanche 9 novembre 2014

Je suis un aventurier (The Far Country de A. Mann, 1954)



 Je suis un aventurier Anthony Mann Poster Affiche

Exceptionnel western, un des plus aboutis, des plus exotiques, des plus parfaits. Anthony Mann reprend James Stewart comme interprète principal, s’entoure de solides seconds rôles et déroule un récit foisonnant, riche, complexe, qui emmène très loin les réflexions sur les valeurs américaines.
Un des intérêts du film est que le personnage principal, Jeff Webster, n’a à peu près aucune des qualités des héros conventionnels du western : il est certes courageux, mais il est furieusement individualiste (et même égocentrique), il se désintéresse complètement de la communauté et on sent un lourd passé derrière lui. Et c’est l’évolution de ce personnage qui est fascinant dans ce film, au fur et à mesure de son itinéraire. Son parcours le conduit à croiser un vieil homme, Ben, avec lequel, malgré sa misanthropie, il se lie d’amitié, mais aussi plusieurs femmes qui iront jusqu’à se sacrifier pour lui et jusqu'au marshal Gannon qui incarne, à sa façon et à son avantage, la loi. C’est ainsi que Mann, malgré la figure têtue et égoïste de Jeff, fait vivre une communauté sous nos yeux, truculente et picaresque, riche de mille détails, de mille « gueules » du cinéma ; communauté qui, forcément, entraînera Jeff à interagir avec elle.

Jack Elam, John McIntire et James Stewart
La splendeur plastique du western est fidèle à A. Mann qui nous entraîne aux confins des régions civilisées, à travers des fleuves, des glaciers, des étendues grises où règnent les loups.
J. Lourcelles, dans son Dictionnaire du cinéma, en fait un commentaire long et remarquable. Il explique comment, dans le film, se mêlent plusieurs histoires :
« Une histoire individuelle, celle du héros, incarné par James Stewart dont le passé lourd de secrets, le rapport à la violence, la solitude, et une sorte de sauvagerie volontaire prolongent une méditation sur ces thèmes, menée de longue main par l’auteur. Une histoire collective où une bande de chercheurs d’or et de citoyens ordinaires veulent fonder une vraie ville, appuyée sur des valeurs universelles et sur des institutions séculaires. La rencontre, l’entrelacement, la fusion de ces deux histoires en suscitent une troisième, qui est l’essentiel du film. Au cours d’un itinéraire rectiligne et passionnant, Jeff Webster (James Stewart) découvre chez lui un sens des responsabilités, une solidarité avec certains de ses semblables, notions que jusqu’à présent il avait fuies. Il fait cette découverte avec surprise, presque à regret, à la fin du récit avec un début d’acquiescement. […] A travers ce personnage, Anthony Mann exprime la nécessité d’unir pragmatisme et morale. Et c’est paradoxalement parce qu’il était un pragmatisme imparfait que Jeff a compris la nécessité absolue de la morale. Après tout, s’il ne s’était pas embarrassé du vieux Ben, s’il n’avait aucun ami, son plan aurait réussi. Autre originalité : c’est le thème de la vengeance (où réapparait l’habituelle obstination des héros d’Anthony Mann) qui introduit ici le thème de la solidarité. »

Il est fascinant de constater à quel point le western, genre pourtant en apparence très conventionnel, bourré de codes, qui a parfois des relents enfantins (« les cowboys contre les Indiens »), est devenu capable de s’enrichir jusqu’à proposer des réflexions vastes et poussées sur la société ou les individus et la place respective de l’un ou l’autre, tout en se mariant à un récit d’aventures exceptionnel et foisonnant. Peu de films sont aussi complexes, et amènent autant de réflexions.

On ne peut que regretter, alors, la lente agonie que subira le genre, à partir des années 60, genre à la fois vidé de sa substance (par le western italien) puis progressivement enterré (par les westerns du Nouvel Hollywood, qui abordent de plein fouet les non-dits de l'histoire de l'Amérique) avant de ne vivoter qu'au travers d'une production maigrichonne. Il ne se fait plus guère de grands westerns, le genre est devenu presque réservé à une élite de cinéphiles (encore que le retour de Tarantino dans le genre lui soit bénéfique) et un film comme Impitoyable apparaît alors pour ce qu’il est : une exception à cette triste règle.

Je suis un aventurier Anthony Mann James Stewart

samedi 8 novembre 2014

Dressé pour tuer (White Dog de S. Fuller, 1982)



Dressé pour tuer White dog Samuel Fuller Affiche Poster

Très intéressant film de Samuel Fuller, même s'il manque d'ambition dans sa forme. On sait que Fuller est adepte d'un style direct ou âpre, mais on a l'impression ici de voir un médiocre film de série B daté, (actrice principale quelconque, ambiance qui laisse le spectateur trop en dehors de l'action). Pourtant le propos est particulièrement riche, sur un sujet difficile à traiter.

En effet le film aborde le thème archi-rebattu du racisme. Le personnage principal (si l'on veut) est un chien qui a été dressé pour attaquer les Noirs. Le chien est donc devenu raciste : il déchaîne sa violence dès qu'il voit un Noir mais il est par ailleurs adorable avec la jeune maîtresse (blanche) qui l'a recueilli. La position de Fuller est donc clair : on ne naît pas raciste, on le devient.
Dès lors – et c'est à cela que s'emploie le film – on doit pouvoir dé-construire ce qui a été construit. Keys, un dresseur (noir), décide de le rééduquer. Il y parvient dans un sens, puisque, à force d'abnégation, il se fait accepter par le chien. Mais il n'y a plus que lui et sa jeune maîtresse qui sont épargnés par la violence du chien : celui-ci se rue sur le premier blanc qu'il croise.
Serge Daney qui explique très bien que, une fois le problème du racisme réglé, il reste celui de la violence :
« Fuller ne croit pas plus au déconditionnement qu'un psychanalyste croit en une cure de quelques jours. Le scénario est bon mais il manque de temps. Même guéri, le chien ne le serait pas de sa violence mais du caractère raciste de celle-ci. Il faut lui apprendre à ne plus procéder par généralisation et le seul moyen pour y parvenir et de lui apprendre le caractère « singulier » de chaque être humain. Un par un. Et pour ce qui est de capter la singularité des êtres, Fuller, « individualiste forcené », n'a pas son pareil. Le chien a appris à aimer Julie, qui l'a sauvé, puis Keys qui l'a « apprivoisé ». Le chien aime deux êtres au monde = le monde humain est réduit à deux êtres. Restent les autres, le groupe encore plus grand – Blancs et Noirs – de ceux qu'il ne connaît pas. Le chien ne réussira pas à accéder au concept d'« espèce humaine ». Il est passé d'une mauvaise généralisation (le racisme) à l'incapacité à généraliser. »

Autre très bonne idée de Fuller : lorsque le vrai propriétaire du chien vient le réclamer, on va enfin découvrir le salopard qui l'a dressé avec une telle haine raciste. Surprise : c'est un papy rondouillard et tranquille, qui vient avec ses deux gentilles petites-filles...

mercredi 5 novembre 2014

La Ruée vers l'or (The Gold Rush, de C. Chaplin, 1925)



La Ruée vers l'or Charlie Chaplin Poster Affiche

Chef-d’œuvre absolu de Chaplin, La Ruée vers l’or est un film éblouissant.
Enfin indépendant financièrement, Chaplin investit sans limite : grand nombre de figurants (en particulier dans la scène d’ouverture), trucages complexes (cabane qui oscille), tournage très long à deux caméras, etc. Le scénario prend appui sur l’épisode historique de la recherche d’or au Canada en 1898, et plusieurs épisodes sont inspirés d’histoires réelles. Cela dit le scénario laisse assez vite la recherche de l’or de côté : les leitmotivs de Charlot sont la survie puis la romance avec Georgia (il vend d’ailleurs son matériel de prospection après une demi-heure de film).
Mais Chaplin tient là la substance de son film : il parvient à faire rire à partir de situations dramatiques. La scène où Charlot et son compagnon d’infortune en sont réduits à manger leur chaussure est en soi absolument tragique mais elle déclenche pourtant un rire universel. Il faut dire que le génie burlesque de Chaplin est irrésistible.

La Ruée vers l'or Charlie Chaplin

La Ruée vers l’or est la plus belle illustration de la capacité incroyable de Chaplin de passer d’un ton à l’autre : du rire le plus universel à l’émotion la plus forte en un instant, comme par un coup de baguette magique. On sait qu’allier ces deux tons est très difficile, ici le va-et-vient est permanent. En un instant, en un regard, on rit et puis on est ému. Le personnage de Charlot, évidemment, est en lui-même le catalyseur de ces émotions, puisqu’il ressent sans cesse beaucoup d’affects et passe, en une seconde, de la tristesse à l’exaltation.
Il y a pourtant bien des moments purement dramatiques : par exemple la violence de Black Larsen qui tue des policiers, la solitude de Chaplin en arrivant dans le saloon ou encore sa tristesse quand Georgia l’ignore ou bien lorsqu'elle se moque de lui.
Dès lors Charlot, personnage très sensible, passe sans cesse de la tristesse à l’exaltation,  du désespoir au rêve et les scènes légendaires s’accumulent (la cabane qui oscille au bord du ravin, Charlot qui est pris pour un poulet, etc.) emportant le spectateur qui suit Charlot et passe, comme lui, du rire aux larmes.
Et le film est merveilleusement poétique : l’extraordinaire Danse des petits pains est un moment rêvé par Charlot, lorsqu’il s’endort en attendant ses invitées qui ne viennent pas.

La Ruée vers l'or Charlie Chaplin

mardi 4 novembre 2014

Marathon Man (J. Schlesinger, 1976)




Bon thriller de Shlesinger qui, l’air de rien flirte avec l’horreur (celle des Nazis, celle d’une séance de torture). Levy se trouve embrigadé, malgré lui, par son frère qui est agent secret, dans une histoire complexe qui le dépasse complètement. Il ne sait à qui se fier (et le spectateur non plus) et découvre, progressivement, le terrible enjeu.
Laurence Oliver est remarquable et terrifiant en ancien Nazi (et la séance de torture qu'il inflige au pauvre Levy est mémorable), Dustin Hoffman est parfait dans le rôle d’un innocent qui cherche à s’extraire d’une situation qui l’engloutit progressivement.

Laurence Olivier terrifiant en Dr. Szell

dimanche 2 novembre 2014

Gravity (A. Cuarón, 2013)




Le film a ses réussites et ses faiblesses. La faiblesse est celle de son scénario qui tient en quelques lignes et ne génère aucun suspense et bien peu de surprises. Passée la séquence (réussie) de la collision on sait bien que le but de la manœuvre est de sauver le Dr Stone et que cela prendra tout le film.

En revanche, au rayon des bonnes surprises, le film a la volonté de proposer de belles images, pas seulement réalistes, mais aussi parfois en cherchant à être davantage féériques. L’apesanteur incite à la lenteur, au tournoiement, à la beauté calme et on sent le réalisateur tenté d’en profiter (il ne peut pas complètement se faire plaisir, il s’agit de faire un film hollywoodien tout de même). Alors bien sûr ces images n’ont pas d’autre signification qu’une certaine beauté et il en manque un peu pour que le film soit réellement émotionnel, mais enfin ces images nous immergent par moments, et, ponctuellement, viennent changer le ton (assez sombre parfois) du film. C’est sur cet aspect que le film est le plus réussi.