vendredi 29 janvier 2016

La Mort aux trousses (North by Northwest de A. Hitchcock, 1959)



La Mort aux trousses North by northwest Alfred Hitchcock Affiche Poster

Extraordinaire chef-d’œuvre d’Hitchcock (dans une filmographie qui ne manque pas de chefs d’œuvres), La Mort aux trousses reste aujourd’hui encore un spectacle exceptionnel mêlant aventure, humour, espionnage.
Comme à son habitude Hitchcock a soigné la distribution. C. Grant, très à l’aise, apporte une touche de décontraction, d'ironie, de séduction qui, mêlée à l'intrigue d'espionnage et aux risques courus par son personnage scène après scène, en font un cocktail divertissant très moderne. L’impact de son personnage est immense (il est le père spirituel de James Bond au cinéma et on sait que I. Fleming pensait à lui pour l'incarner au cinéma), de même que celui du méchant joué par J. Mason, un méchant raffiné et cordial, dont le phrasé calme et doux tranche avec celui précipité et ironique de C. Grant.

Cary Grant et Eva Marie Saint dans La Mort aux trousses
Sean Connery en James Bond dans Bons baisers de Russie (T. Young)
Hitchcock s’amuse à plonger un homme ordinaire dans des circonstances extraordinaires pour lui faire subir mille et une péripéties qui l'enfoncent à chaque fois un peu plus, jusqu'à le faire passer pour un meurtrier recherché par toutes les polices du pays.
Hitchcock maîtrise parfaitement ce qu’il fait et dose habilement les informations qu'il donne au spectateur. On découvre, en même temps que Thornhill, les premières péripéties, avant d'en savoir davantage que lui (lors de la réunion à la CIA on apprend qu'il y a un agent secret à protéger à côté duquel Thornhill ne pèse pas lourd ; ou lorsque le spectateur sait la duplicité du personnage d'Eva et voit Thornhill foncer dans le piège qu'elle lui tend). Enfin le héros est remis au même niveau de connaissance que le spectateur (quand on lui demande de jouer le rôle de Kaplan). Hitchcock provoque ainsi, à loisir, des moments de suspense (lorsque le spectateur en sait plus que Thornhill) ou de tension (lorsque, comme Thornhill, le spectateur est dans l'expectative, par exemple lors de la scène de l'avion : on sait qu'il va se passer quelque chose, mais on ne sait pas quoi).
Les séquences cultes abondent, on retiendra évidemment la poursuite en avion (séquence la plus célèbre de l’histoire du cinéma ?) ou le final sur le Mont Rushmore. On sait d’ailleurs que ces deux séquences sont celles qui ont décidé Hitchcock à réaliser le film. Cette idée d’un avion mitrailleur l’amusait beaucoup. Elle est aujourd’hui un bon exemple de son génie : il choisit de créer une scène de tension en inversant tous les codes habituels. Plutôt qu'une scène de nuit, dans un endroit étroit, il présente un lieu plat et immense, écrasé de soleil. Hitchcock, dont la maîtrise totale lui permet de se libérer de toute contrainte et de tout souci de réalisme (la séquence est par essence complètement invraisemblable), filme ce qui lui plaît. Pourquoi donc une attaque par avion ? « Parce que ça donne une scène extraordinaire » nous dit Hitchcock.

La Mort aux trousses North by northwest Alfred Hitchcock James Mason Cary Grant

mercredi 27 janvier 2016

Une définition du baroque par J.- L. Borges



Une définition du baroque par J.- L. Borges (Histoire de l’infamie, 1954) :
« Le baroque est le style qui épuise délibérément (ou tente d’épuiser) toutes ses possibilités, et qui frôle sa propre caricature. […] J’appellerai baroque l'étape finale de tout art lorsqu'il exhibe et dilapide ses moyens. »


Le Triomphe de Saint-Ignace (A. Pozzo, 1691-1694)
Citizen Kane (O. Welles, 1941)

lundi 25 janvier 2016

Le Cuisinier, le voleur, sa femme et son amant (The Cook, the thief his wife & her lover de P. Greenaway, 1989)




Film choc, provocateur à souhait, qui mélange avec allégresse grossièreté, goujaterie, sadisme, abjection, obscénité, jusqu'à une fin éprouvante. Cela dit la séquence d'ouverture indique d'emblée l'absence de retenue du réalisateur : insultes, nudité, excréments, tout y passe. Le film est une reprise du thème classique du triangle amoureux mais sur une forme qui pourrait sembler rabelaisienne, mais qui est en fait organique, malsaine, orgiaque.
Greenaway installe son histoire dans une ambiance baroque, volontiers décalée par rapport au voleur, véritable incarnation du Mal. Il mêle ainsi la beauté et la laideur en ne craignant pas de faire évoluer son terrible voleur dans un cadre fastueux, développant une ambiance totalement décadente. On entre ainsi, par l'image même, dans le registre de la farce grossière et outrée. Greenaway se plaît à relier par une femme les mondes si opposés du voleur (qui, avec sa bande, incite à la débauche, à l'obscénité, à l'insulte) et de l'amant (qui vient tranquillement lire des livres). La caméra glisse, tourne, s'arrête ici sur un plan magnifique de couleur, là sur la crudité de la nudité, puis repart le long des tables. Le film est une grande réussite dans ce mélange improbable de la beauté et de la décadence.

dimanche 24 janvier 2016

Match Point (W. Allen, 2005)




Intéressant film de W. Allen, au ton bien éloigné de ses derniers films (d’ailleurs j’ai constaté que ce film était plutôt apprécié par ceux qui, par ailleurs, n’aiment pas plus que ça W. Allen). Il s’agit d’un drame sans la légèreté ou le second degré habituel du réalisateur.

L’intrigue est une variation basée sur le très bon film de Stevens Une place au soleil. W. Allen transpose l’intrigue, en inverse plusieurs éléments clefs mais l’idée générale reste bien présente (un homme écartelé entre deux femmes qui sont autant de positions sociales).
Allen n’insiste pas sur la société anglaise comme Stevens le fait sur la société américaine. Et il introduit dans son Match Point des réflexions sur la chance, en particulier au travers de la bague jetée à l’eau qui heurte le parapet et retombe à terre. Le spectateur y voit un élément clef (et il a raison) qui risque de perdre Chris (qui, à l’inverse d’Une place au soleil, est allé au bout de son idée de meurtre),  alors que cette bague retrouvée le disculpera définitivement. Dès lors, Chris, pendant de Georges dans le film de Stevens, n’est pas agité par les mêmes cas de conscience, il n’est pas condamné et, au contraire, son crime réussi ayant sauvé la situation, il peut jouir sans entrave du confort social apporté par son mariage.

La bague rebondit sur le parapet...
... scène annoncée en ouverture du film par la balle de tennis
qui heurte le filet avant de retomber.

vendredi 22 janvier 2016

Je veux vivre (I Want To Live ! de R. Wise, 1958)




Bon film de R. Wise qui nous fait suivre le terrible destin de Barbara Graham (extraordinaire Susan Hayward, toute en rébellion, en volonté de s’affirmer, et tout à la fois touchante et désemparée) qui est accusée d’un meurtre qu’elle n’a pas commis. Le film est découpé en différentes séquences (d’intensité variable : celle du procès étant moins passionnante que les autres) qui vont conduire à une séquence finale exceptionnelle.
En effet la longue dernière séquence – celle de l’exécution sans cesse repoussée – est terrible : elle fourmille de détails réalistes et macabres autour des préparatifs de la chambre à gaz (l’exécution prévue se fait par inhalation de cyanure). Wise excelle dans cette description clinique (on retrouve le même souci de description scientifique que dans Le Mystère Andromède) et le supplice (car il s’agit ici, pour Barbara, d’un supplice) apparaît terriblement inhumain. Rien ne sera épargné à la pauvre Barbara, rien ne sera épargné au spectateur. 


La chambre à gaz
Le déroulement de l'exécution est montré avec force détails : des pastilles de cyanure de potassium sont placées sous la chaise du condamné. Le bourreau les laisse tomber dans un compartiment contenant de l’acide sulfurique : le gaz qui se libère – du cyanure d’hydrogène – est mortel.

Les pastilles de cyanure fixées sous la chaise du condamné
Les pastilles de cyanure plongent dans l'acide

Ce faisant le film se veut un réquisitoire contre la peine de mort. Malheureusement la thèse du film est mise à mal parce que – ici comme dans mille autres films qui traitent du sujet – l'auteur pense être convaincant en usant de l'argument d'un innocent qui est condamné à mort. Or il s'agit d'une confusion entre deux problèmes bien différents : celui de l'erreur judiciaire n'ayant rien à voir avec celui de la peine de mort.
La séquence de l’exécution le montre bien : que Barbara soit une innocente victime ou qu'elle soit une meurtrière ne change rien, le châtiment qu'elle subit (être asphyxiée par des gaz mortels !) est inhumain. On voit bien, d'ailleurs, que les policiers et les bourreaux qui officient la traitent avec gentillesse et tentent de l'épauler, non pas parce qu'ils pensent que Barbara est innocente, mais bien parce qu'ils savent l'horreur de ce qui l'attend.
Pourtant il est bien évident que quelque soit le châtiment subi par Barbara il sera terrible puisqu'elle est innocente. Dès lors le film – la thèse – gagnerait en puissance en nous montrant un meurtrier réellement coupable – coupable de crimes terribles même. Car c'est là que la peine de mort peut être réellement contestée : lorsque ce châtiment continue d'apparaître comme véritablement inhumain, quand bien même il est appliqué à ceux qui le méritent.
Il faut remarquer que cette erreur de raisonnement (erreur qui pense accroître la puissance d'une thèse quand elle ne fait que la saper totalement) se retrouve dans d'innombrables films traitant du sujet, depuis L'Etrangleur de la place Rellington de R. Fleisher à La Vie de David Gale de A. Parker en passant par La Ligne verte de F. Darabont, et même jusqu'à l'admirable Invraisemblable vérité de F. Lang (qui brille heureusement par d'autres feux que cette seule approche de la peine de mort).

jeudi 21 janvier 2016

La Rage au ventre (Southpaw de A. Fuqua, 2015)




Film de boxe très quelconque qui propose un scénario sans surprise et qui est même caricatural : on peut anticiper tout le film après quelques minutes seulement.
Si l’interprétation de Jake Gyllenhaal est réussi (et on a maintenant l’habitude de ces transformations physiques qui sont revenues à la mode à Hollywood), elle ne peut sauver le film qui semble déjà vu de nombreuses fois. Une femme de boxeur amoureuse qui meurt, un challenger arrogant et sûr de sa force, un boxeur au fait de sa gloire qui bascule, un entraîneur bourru qui se fait prier, un parcours de rédemption, une victoire finale, etc. Et le film se permet quelques longueurs et vient flirter avec le mélo (mort de la mère, l’enfant retiré au père violent, etc.). Ajoutons à cela une réalisation moderne tout à fait quelconque et une bande originale pénible : voilà un film de boxe oubliable.

mercredi 20 janvier 2016

La Balade sauvage (Badlands de T. Malick, 1973)



La Balade sauvage Badlands Terence Malick Martin Sheen Affiche Poster
  
Exceptionnel premier film de Terrence Malick qui, d'emblée, marque son œuvre par des tendances qu'il exprimera tout au long de ses films.
Le film est empreint d'une très grande liberté de ton, de tempo, de style. La voix off de Holly est légère et mélancolique, elle annonce la grâce de la caméra de Malick. Kit marche au hasard, au rythme sautillant de la petite musique du Gassenhauer de Carl Orff.

Malick part du trivial américain (un camion poubelle, une zone pavillonnaire) et extirpe ses personnages de la société - personnages qui s'excluent de fait, par la violence de Kit -, les ramène à la Nature, pour qu'ils oublient le monde dans un improbable cocon, avant de les abandonner sur Terre, où leurs rêves s'épuisent aussitôt.
Evidemment Malick distille dans son film le lyrisme qui le caractérise tant : la nature est omniprésente, avec des plans de coupe sur des animaux, des branches qui oscillent dans le vent, des nuages qui partent au loin, une ligne d'horizon qui n'en finit pas. Il trouve déjà ce ton méditatif qui le caractérise.
Martin Sheen se révèle en campant Kit - succédané avoué de James Dean - : tout est alors à créer pour interpréter un tel personnage, bien loin des canons des héros américains, bien loin aussi du ton des réalisateurs du Nouvel Hollywood.

La Balade sauvage Badlands Terence Malick Martin Sheen

A l'opposé de tant d'autres cinéastes de la période qui font exploser la violence à l'écran en la montrant tant et plus, chez Malick la violence n'est dure que parce qu'elle est soudaine et banale, mais, que ce soit à l'image ou dans le rythme de sa narration, Malick interrompt à peine sa poésie sensorielle et méditative, juste le temps pour Kit d'abattre un ancien ami ou un policier...

lundi 18 janvier 2016

L'Heure suprême (Seventh Heaven de F. Borzage, 1927)




Ce film extraordinaire est un des plus beaux exemples de la perfection atteinte par le cinéma muet. Le lyrisme éblouissant de Frank Borzage ne connaît guère d’équivalent : il est l’un des plus beaux peintres de l’amour à l’écran, l'un des plus émouvants, sachant distiller une grâce religieuse dans les liens qui unissent le couple.
Chico et Diane se sont rencontrés par hasard, ils s’aiment, et rien ne pourra les séparer, pas même la misère, la guerre ou la mort. De l’incantation faite à Dieu jusqu’au miracle final, cet amour fou, plus fort que tout, emporte par son lyrisme.
Borzage impose Charles Farrell et Janet Gaynor qui deviendront le premier couple mythique du cinéma. À la candeur de Charles Farrell se marie la fragilité de papillon blessé de Janet Gaylord.
Depuis les égouts jusqu’au paradis, les personnages sont élevés, non pas au rang de héros, mais de figures universelles, transcendées par leur amour plus fort que tout. Cet amour dont ils sont si sûrs et qui leur donne peu à peu une si grande force. Et, à la cécité physique, répond le miracle de la vie, de Dieu : Diane sera les yeux de Chico.


Ce lyrisme, un peu naïf, infiniment touchant et émouvant, appuyé par l’image très stylisée de Borzage, par sa mise en scène expressive, par ses jeux de lumière loin de tout réalisme, crée un romantisme absolu et poétique, à la tonalité propre à Borzage.


vendredi 15 janvier 2016

Les Huit salopards (The Hateful Eight de Q. Tarantino, 2016)



Les Huit salopards The Hateful Eight Affiche Poster

Le dernier film de Quentin Tarantino est très décevant. Alors bien sûr Tarantino est un très bon réalisateur : il joue avec sa caméra tout en jubilant derrière l’objectif. Comme à son habitude il fait dialoguer à tout va, en contre-point des explosions de violence et joue avec les références cinéphiles.

Le problème principal, déjà entrevu, est qu’il se caricature lui-même. On pourrait se dire qu’il ne se caricature pas mais qu’il épure son style (un peu comme Melville a épuré son style, depuis Bob le flambeur ou Le Doulos pour arriver au Samouraï par exemple). Mais il se trouve que le style brillant de Tarantino est déjà une caricature et, même, la caricature d’une caricature. En effet il explore la fenêtre stylistique ouverte par Sergio Leone (même si Tarantino multiplie les références et les gimmicks, l’inspiration stylistique majeure est celle du maître italien). Or Sergio Leone est un maniériste : il a repris les principaux thèmes du western et les a exagérés et stylisés (ce faisant Leone a abandonné toute espèce de réflexion de fond pour s’en tenir à la forme). Tarantino refait le même coup : il stylise à l’extrême. Le voilà donc qui caricature Leone qui caricaturait les réalisateurs classiques. Et, maintenant, Tarantino se caricature. Ça commence à faire beaucoup ! On comprend alors pourquoi il tourne en rond et ne se renouvelle pas.
En effet Les Huit salopards pousse à l’extrême cette tendance. C’est un western à huis clos (la première partie est en extérieur mais avec déjà l’enfermement dans une diligence) avec des personnages qui, comme il se doit, passent beaucoup de temps à parler, et qui s’entretuent en des explosions de violence soudaines, barbouillantes de sang.
Il y a un certain retour aux sources (en arrière ?) pour Tarantino à revenir au western, à abandonner ce qu’il avait tenté de faire dans les films précédents (ce qui n’est pas forcément un mal, j’y reviendrai) et à offrir ce mélange (dont il sait le public friand) d’attente et de violence. Le film est d’ailleurs long et assez lent : il nous rappelle que Tarantino ne fait pas des films d’action, mais d’abord des films violents.
Les acteurs jouent des rôles qu’ils connaissent bien. Le personnage joué par Samuel L. Jackson ressemble à son personnage dans Pulp Fiction. Non pas que les personnages soient similaires, mais Jackson les campe de la même manière, avec le même ton sermonnaire. De même Kurt Russel semble condamné à jouer des personnages caricaturaux, qu’il soit dirigé par Carpenter ou Tarantino. Ou encore Tim Roth dont le personnage s’inspire terriblement de celui interprété par Christoph Waltz dans Django unchained (là encore il ne s'agit pas du personnage lui-même mais du jeu de l’acteur).
Tarantino continue de chapitrer comme il le fait si souvent, mais on est loin des récits entremêlés de Pulp Fiction. Ici nulle déstructuration du récit, nul jeu avec le temps qui avance, recule et se croise, il n'y a guère qu'un simple flash-back, qui n'intervient pas par volonté d'éclater le récit mais par simple souci scénaristique de préserver le suspense (même si parler de suspense est un peu exagéré).
L’histoire en elle-même est infiniment secondaire (et l’intrigue, en fait, extrêmement simple). C’est intéressant de voir que Tarantino fait parler ses personnages (c’est rien de le dire) mais qu’il n’en ressort rien : il s’agit simplement de raconter leur histoire, mais sans parvenir à les épaissir. En effet, quand on les voit évoluer sous nos yeux, ils expliquent pourquoi ils en sont là (untel explique pourquoi il vient se venger ou pourquoi il vient sauver un autre, etc.), mais ils ne sont pas transformés par les expériences qu’ils vivent dans le film : ils restent identiques à ce qu’ils étaient à la première minute où on les a vus. C’est pour cela qu’ils sont souvent proches de caricatures et que, malgré tous leurs bavardages, ils restent vides. On sait par exemple que de banales histoires de vengeance (comme ici) peuvent devenir de véritables réflexions. On pense à L’Homme de la plaine, par exemple, où Lockhart vient pour se venger. Mais les choses ne sont pas si simples : les péripéties font douter et hésiter Lockhart, il revient en arrière, puis se raffermit de nouveau. Mais ici Tarantino, comme Leone, abandonne la substance pour le style.
C’est ainsi que, si Tarantino est génial avec sa caméra, il n’a pas grand-chose à dire.

Alors, bien sûr, la renommée incroyable de Tarantino incite à se questionner : il y a forcément plus qu’une caméra, il y a forcément une idée derrière. D’autant plus que, le temps de deux films (Les Huit salopards marque en cela un retour en arrière), Tarantino n’a plus cherché simplement à s’amuser derrière sa caméra pour nous distraire, mais il a aussi voulu faire passer un message, faire presque un film à thèse. Jusqu’à Kill Bill : volume 2 la narration s’embarrassait peu d’un script compliqué, mais ensuite (avec Inglourious Bastards et Django Unchained) Tarantino s’est mué en redresseur de torts et a flatté son public (aux USA le succès de Django doit beaucoup à cette idée d’un noir gunfighter qui vient régler son comptes aux esclavagistes).
Et ainsi, à bien y regarder, on peut peut-être chercher une signification générale dans les films de Tarantino. C’est peut-être l’idée que le cinéma peut tout : dans Kill Bill : volume 1 l’héroïne est insubmersible (elle ne l’est plus du tout dans la seconde partie du diptyque), dans Inglourious Basterds ou Django Unchained c’est l’Histoire elle-même qui est remodelée par le cinéma (au sens strict même dans le premier cité : la pellicule enflammée vient brûler Hitler et ses sbires). Mais malgré tout c’est bien peu de choses, il n’y a guère lieu de crier au génie, tout cela reste très basique. En fait, pour le dire autrement : Tarantino n’a rien à dire mais qu’est-ce qu’il le dit bien !

Mais enfin, on pourrait toujours aborder ce film simplement et ne pas bouder son plaisir. Deux éléments viennent pourtant brider le plaisir.
Le premier élément est que le film est un western. Là où dans Kill Bill : volume 1 Tarantino transposait son style dans le monde contemporain et se libérait ainsi partiellement du style originel de Leone en variant les situations, le voilà qui choisit de revenir au western où cette originalité de transposition disparaît. Dans Les Huit salopards on se croirait vraiment dans l’auberge d’Il était une fois dans l’Ouest, quand Cheyenne y fait irruption les menottes au poignet. Ça sent beaucoup trop le réchauffé.
Le deuxième élément est qu’il faut partager les goûts de Tarantino pour jubiler devant ses films. Or ses goûts sont notamment la culture pop, les séries télé, les références aux séries B violentes et aux mangas. Et, bien entendu, les éclaboussements de sang, les gerbes de sang, les vomissements de sang et toutes ces références au gore (une oreille coupée dans Reservoir Dogs, des clous plantés dans la tête ou le pied ou un crâne en partie tranché dans Kill Bill : volume 1, des scarifications dans Inglourious Basterds, bien des chairs déchiquetées dans Django Unchained, des gerbes de sang vomies ou des têtes explosées dans Les Huit salopards…), gore qui, je n’en doute pas, l’amuse beaucoup. Chacun ses goûts, bien entendu, mais tout cela ne procure pas le même plaisir si on ne goûte qu’à demi ces gerbes de sang, quand bien même on en comprend l’ironie ou l’exagération. On peut aimer voir une tête exploser et le sang gicler, on peut aussi préférer un meurtre filmé par Hawks dans Scarface : Gaffney lance sa boule de bowling, la caméra la suit jusqu'aux quilles qui sont fauchées, une dernière quille tourne sur elle-même une seconde avant de tomber, le tout sur fond sonore de rafales de mitraillettes. Inutile d'en montrer davantage, on sait que Tony Camonte vient d'éliminer un rival.
Le principal danger qui guette les films de Tarantino est d'ailleurs lié à ses goûts justement : c'est que très vite ses films apparaissent datés. C’est déjà le cas pour Pulp Fiction : le film vieillit mal. Il est en effet tellement incarné dans un moment, tellement dans l’air du temps de l'époque de sa création que cela s’en ressent 20 ans plus tard.

Un mot aussi à propos des fameux dialogues chers à Tarantino. Je crois qu'il faut revoir comment certains chefs-d'oeuvre, par exemple chez Mankiewicz (dans Le Limier ou Un américain bien tranquille), jouent des dialogues pour servir une narration ou déclencher des situations. Chez Tarantino ils sont de pure forme (c'est en cela qu'ils font partie de son style). Faire dialoguer pour passer le temps (ce qui est très réussi dans Pulp Fiction par exemple), pour être l'occasion de gimmicks ou de références à la culture pop, ce peut être intéressant, mais on peut aussi trouver cela un peu court. Certes il y a des séquences très dialoguées brillantes (dans Inglourious Basterds par exemple), mais sur l'ensemble des lignes de dialogues, les séquences bavardes restent le plus souvent bien loin de morceaux de bravoure.

mercredi 13 janvier 2016

Le Voleur de bicyclette (Ladri di biciclette de V. de Sica, 1948)



Le Voleur de bicyclette Vittorio De Sica Affiche poster

Un des plus beaux films du néoréalisme italien et l’un des plus touchants du cinéma. De Sica filme l'errance à travers les rues de Rome d'un homme et de son fils, à la recherche d'une bicyclette volée. Les deux acteurs principaux (le père et son fils), non professionnels, sont remarquables.


Le Voleur de bicyclette Vittorio De Sica Affiche

Le miracle du film est que De Sica part d'une situation très simple : un chômeur, parmi des milliers d'autres, a trouvé une place à condition qu'il ait une bicyclette. Mais on lui vole sa bicyclette. Il part alors à la recherche de sa bicyclette, accompagné de son petit garçon.
De Sica parvient à donner une portée universelle à ce drame intime et personnel en filmant non seulement la recherche de l'objet volé, mais, de manière plus profonde, la relation entre Antonio et son fils. En effet, le cœur du film, au-delà de la perte d'un travail à cause d'un vol, c'est que De Sica, merveilleusement, parvient à capter le regard du garçon sur son père. Et ce n’est pas seulement parce qu'il se retrouvera au chômage qu'Antonio est désespéré, c’est aussi parce qu'il est humilié devant son fils.
Antonio est ainsi humilié socialement par l'injustice du vol subi et contre lequel il n'y a rien à faire, mais il est aussi humilié humainement devant son fils. L'émotion profonde du film vient de cette relation entre le père et son fils, et l'accablement qui grandit chez le père, au fur et à mesure de la recherche infructueuse, vient de l'humiliation d'un père d'échouer devant son fils. C'est là que réside l’humanité profonde qui émane du film.
Le petit garçon, en toute fin de film, dans un geste humble et touchant, prend en silence la main de son père.


Le Voleur de bicyclette Vittorio De Sica Affiche

lundi 11 janvier 2016

Les Flics ne dorment pas la nuit (The New Centurions de R. Fleischer, 1972)


Les Flics ne dorment pas la nuit Affiche Poster

Très bon film sur la police, très typé années 70, mais qui est un cran au-dessus de tant d’autres. En effet, au milieu d’autres films importants sur les flics et leur univers c’est sans doute le plus réussi. L'interprétation est excellente, le discours colle au terrain et le personnage principal, Roy Fehler (incarné parfaitement par Stacy Keach) s’enrichit de ce qu’il vit sous nos yeux, perd ses idéaux, parvient à ne pas se perdre lui-même, se construit tant bien que mal.
Evidemment il a moins marqué les esprits que L’Inspecteur Harry ou Serpico mais c’est principalement parce qu'il s'agit d'une "chronique de la vie de tous les jours", qui ne cherche pas à mettre en avant un héros, qu'il s'agisse du sieur Callahan ou de Franck Serpico.
On retrouvera ensuite de nombreux de films sur la police ou sur les bas-fonds d'une ville qui adoptent cette forme de chronique, de déambulation descriptive, de quotidien montré au spectateur. Par exemple il y a quelques années dans L. 627 ou, plus récemment - et dans des styles différents -, dans Polisse de Maïwenn ou dans End of watch de D. Ayer.

Stacy Keach George C. Scott Les Flics ne dorment pas la nuit

samedi 9 janvier 2016

Au nom du peuple italien (In nome del popolo italiano de D. Risi, 1971)



Au nom du peuple italien Dino Risi Gassman Tognazzi Affiche Poster

Très bon film de D. Risi qui tire un terrible bilan de la société dans laquelle il vit.
Au nom du peuple italien montre qu’il faut bien trois éléments pour faire un bon film : un bon scénario, quelqu’un de compétent derrière la caméra et quelqu’un de compétent devant. C’est la clef de la réussite du cinéma italien des années 60-70, et que l’on retrouve ici, avec Age et Scarpelli au script, Risi à la réalisation et le duo d’acteurs Gassman-Tognazzi.
V. Gassman est parfait en homme d'affaires salopard sans scrupule. La séquence où il prend l’auto-stoppeur dans sa Maserati pour lui déverser tout son mépris est délicieuse. On dirait un sketch des Monstres. De même pour la séquence où il veut enfermer sa mère dans un hospice qui est un sketch des Nouveaux monstres.

Au nom du peuple italien Dino Risi Gassman

Le script est très intelligent : Santenocito est un homme d'affaires combinard, imbu, sans scrupule, pollueur, mais, malgré toutes ses magouilles, il est toujours passé au travers du filet de la justice. Mais le voici accusé par le juge Bonifazi (U. Tognazzi) du meurtre d’une call-girl. Or si Santenocito est coupable de mille magouilles, pour le coup il est innocent. Le juge finit par découvrir des preuves de cette innocence. Las, il détruit les preuves et l’inculpe.
Santenocito le salaud est donc condamné pour la seule saloperie qu’il n’aura pas faite. C’était ça ou le laisser libre. Voilà bien le terrible dilemme imposé par Risi. La fin accablante est claire : pour Risi il n’y a pas grand-chose à sauver, c’est toute la société italienne qui est pourrie.

Risi lui-même explique très bien comment la réussite du film est dans l’équilibre de ce qui est dénoncé :
« Le militantisme m’ennuie à mourir. Je ne suis pas un militant et je ne l’ai jamais été. Je ne fais ni des films de droite, ni des films de gauche. Je fais des films qui tentent de décrire ce qu’il y a de pourri dans la société et les comportements humains. En fait, je pense toujours à l’autre versant d’une histoire, à l’autre point de vue. J’essaye de considérer tous les points de vue en même temps et ne pas prendre un seul parti. C’est le contraire du militantisme. Je déteste le moralisme et je préférerais toujours être cruel plutôt que de dire la « bonne » parole ou montrer la « bonne » attitude. La lumière qui part de l’écran pour éclairer le public et lui dire ce qu’il faut penser, ce n’est pas mon truc »
On pense immédiatement à tous ces films qui sont des prêt-à-penser impeccables, qui n’attendent qu’une chose du spectateur : qu’ils avalent le film et en acceptent les idées, sans avoir à réfléchir pour construire une opinion personnelle. De Costa-Gavras à M. Moore, ces cinéastes font malheureusement florès.
Tout au contraire, l’une des clefs de la réussite de la comédie italienne est, comme le dit si bien Risi, l’intelligence et l’honnêteté de son point de vue qui n’épargne personne.

Au nom du peuple italien Dino Risi Tognazzi

jeudi 7 janvier 2016

Autant en emporte le vent (Gone With the Wind de V. Fleming, 1939)




Film immense par son ambition et son impact, Autant en emporte le vent est l’archétype de la superproduction hollywoodienne de studio. Il dépasse bien entendu le simple statut de film pour devenir un élément de la culture d’une époque (le mot culture pris ici au sens large).
L’histoire du film lui-même est évidemment rocambolesque à souhait, le tout étant articulé autour du puissant producteur David O. Selznick qui racheta très rapidement les droits du roman de Margaret Mitchell. À tournage monstre, complexité monstre : on sait George Cukor, Victor Fleming puis Sam Wood ont tour à tour participé à la réalisation, tenue de bout en bout par Selznick.
Tout, ensuite, n’est que démesure : son budget, son casting (Selznick parvenant notamment à débaucher Clark Gable de la MGM et Olivia de Havilland de la Warner), sa durée. On y trouve alors tout ce qui fait le cinéma hollywoodien : les stars, les décors immenses, la musique (célèbre thème de Max Steiner), les couleurs chatoyantes du tout nouveau Technicolor trichrome, etc.
Les personnages – autant que les acteurs – sont immédiatement mythiques, et le film est aujourd’hui l’un des plus célèbres de l’histoire du cinéma et l’un des plus vus. 



Autant en emporte le vent charrie une certaine nostalgie pour les valeurs du Sud, et montre Scarlett O’Hara écartelée entre deux hommes qui sont les deux versants de l’Amérique. Et si Rett Butller qui emporte la mise (grâce au charisme puissant et un peu canaille de Clark Gable), c’est aussi parce que Hasley, l’homme du sud, voit son monde disparaître. Le film, d’ailleurs, fixe aussi certaines représentations : mettant en scène un Sud esclavagiste, il assigne les noirs à une place particulière (la bonne, la nounou gentille et un peu rustre), à première vue sympathique mais bien loin des premiers rôles. Il faudra attendre d’autres films, moins célèbres et donc moins influents (par exemple dans L’Esclave libre de R. Walsh ou dans Le Mirage de la vie de J. Stahl ou dans la version de D. Sirk) pour briser ces représentations. Et le terrible Mandingo de R. Fleischer viendra en 1975 apporter le contre-champ du film épique, virevoltant et haut en couleurs de Fleming.



Le film, pourtant, malgré des scènes célébrissimes, malgré Clark Gable et Vivien Leigh et malgré un souffle épique évident, n’est sans doute pas à la hauteur de sa réputation. C’est l’aura exceptionnelle du film qui lui permet, peut-être, de dépasser son académisme et de passer les années sans trop d’encombre.


mercredi 6 janvier 2016

Guerre et paix (War and Peace de K. Vidor, 1956)




Le film et vraiment très hollywoodien, il fait très studio. Il se veut ample et lyrique mais il reste trop lisse et vide. Quelques séquences sont réussies et ont un certain souffle (la retraite de Russie) mais il est sidérant de ne pas parvenir à épaissir réellement ne serait-ce qu’un personnage (excepté Koutouzov peut-être) en ayant comme point de départ le foisonnant du roman de Tolstoï.
L’une des compositions les plus fades de Henry Fonda, rejoint en cela par la plupart des autres acteurs. Certes Audrey Hepburn est toute pimpante en Natasha, mais ça ne fait pas tout.