samedi 31 mai 2014

Nous avons gagné ce soir (The Set-Up de R. Wise, 1949)




Nous avons gagné ce soir est un exceptionnel film noir sur le monde de la boxe. Robert Wise filme en temps réel ce dernier combat de Bill « Stocker » Thompson, boxeur raté, dont l’entraîneur négocie le match : Stocker va devoir se coucher. Stocker va pour se battre, alors que sa femme, qui ne veut pas qu’il entre le ring, l’attend, à quelques pas de là, dans son hôtel. Alors Bill décide, pour exister une dernière fois, de refuser la combine. Mais s’il regagne ainsi son orgueil, il va devoir payer sa désobéissance.

Dans son complet veston élimé, Stocker marche vers la salle
de boxe comme d'aucuns vont au travail

Techniquement le film est un chef-d’œuvre et le spectateur est bientôt happé par le film, avec plusieurs séquences parfaites, à commencer par le match de boxe lui-même, au montage serré, avec l’insertion de plans de spectateurs hurlant de plus en plus à mesure que le combat avance.
Le film est célèbre en terme de montage : il est l’un des tout premiers (avec La Corde de Hitchcock, sorti la même année) pour lequel la durée du film respecte à la minute près la durée de l’action. Bien plus qu’un simple jeu intellectuel, cette disposition met le spectateur au cœur de l’événement, en direct si l’on veut, avec des rappels réguliers du temps (horloge filmée, réveil). Et comme Wise ne se contente pas d’un simple match mais qu’il s’attarde sur l’avant-match, sur les hésitations de Stocker,  sur d’autres boxeurs autour de lui, c’est une véritable immersion dans le monde de la boxe, dans ces soirées où plusieurs matchs se succèdent.

Robert Ryan est magistral dans le rôle de Stocker. En plus d’avoir été champion de boxe à l’université, il porte sur lui le destin tragique typique des personnages du film noir (un peu comme Robert Mitchum). Il intériorise toute la détresse du personnage, condamné d’avance par son coach, et condamné, finalement, par la pègre.

Il faut remarquer que deux des meilleurs films de boxe (celui-ci et Fat City) sont centrés sur des boxeurs ratés, qui n’ont plus d’illusions. Sans doute la boxe est une belle métaphore de la réussite par l’effort (comme on le voit dans Marqué par la haine ou même Rocky) mais c'est une métaphore plus puissante encore des espoirs déchus et de ce qu’une vie peut être violente et détruire un homme.


jeudi 29 mai 2014

Le Train sifflera trois fois (High Noon de F. Zinnemann, 1952)




Bon western, mais qui est très surcoté (ce n'est pas non plus un western exceptionnel qui revisite le genre). Mais il est bien emmené par son intrigue resserrée et en temps réel, portée par le sobre et merveilleux Gary Cooper dans le rôle du shérif esseulé.

L'image célèbre de Gary Copper, en shérif qui cherche de l'aide
C'est sans verve, sans éclaboussure, mais avec une grande sévérité, que Zinnemann attaque la société américaine : Will Kane va chercher de l'aide jusqu'à l'église – cœur vivant de la communauté américaine – sans jamais en trouver. Il restera donc seul pour affronter ceux qui viennent se venger. Il n'y aura que sa femme pour lui venir en aide. 
Le film cherche à dépasser le manichéisme un peu facile (Miller et ses  sbires sont de bien grands méchants, mais les paroissiens ne sont guère solidaires ou héroïques) et c'est donc un film sur la lâcheté de la collectivité, mais sur l'honneur, aussi, de celui qui ne se dérobe pas et fait face.
Zinnemann s'attarde sur le personnage de Will Kane, qui sent, au fur et à mesure que le temps s'écoule, l'étau fatal de la solitude se resserrer sur lui. La célèbre musique lancinante rajoute une touche d'angoisse très réussie. On remarquera la fin rondement filmée : manifestement le duel final n'est pas ce qui intéresse le réalisateur.
Zinnemann conclut son film sur un geste final méprisant de Kane qui jette son étoile à terre et part sans un regard en arrière. Voilà une fin rare et osée à Hollywood.

On notera que Le Train sifflera trois fois, du fait de son immense succès, inspirera d'autres films : l'excellent 3 h 10 pour Yuma, le très bon Quatre étranges cavaliers ou le plus classique Dernier Train de Gun Hill.

Will Kane, désespérément seul...

mardi 27 mai 2014

Le Zinzin d'Hollywood (The Errand Boy de J. Lewis, 1961)




Amusant délire de J. Lewis qui s’est attaché à trouver un scénario qui le laisserait libre d’enchaîner de nombreux gags et cascades sans se soucier de coordonner l’ensemble. Sur ce point c’est réussi, le maladroit Morty Tashman est livré à lui-même et commet gaffe sur gaffe. L’ensemble est forcément contrasté, certains gags étant convenus et attendus, d’autres plus réussis.
On s’amusera aussi de la très bonne idée de situer l’action dans les studios d’Hollywood eux-mêmes, ce qui donne un relief supplémentaire au film et offre une vision drôle et grinçante de l’envers du décor.

lundi 26 mai 2014

La Chevauchée fantastique (Stagecoach de J. Ford, 1939)




Premier film fondateur de John Ford, qui met en place des personnages et des séquences qui s’installent dans le western comme autant de classiques.
Les personnages seront des archétypes (le hors-la-loi, la prostituée, le joueur professionnel tricheur, le banquier, le médecin) qui seront mille fois repris à partir de ces bases. Bien plus que leur simple dénomination, c’est le caractère associé à chacun qui est figé pour longtemps : c’est ainsi que le médecin est alcoolique, que la prostituée est aussi une femme au grand cœur (elle se soucie de la femme enceinte) alors  que, tout au contraire, le banquier est indifférent au monde, il se contente de s’accrocher à sa sacoche si précieuse. Ford utilise le principe classique d'enfermer tout son petit monde dans un endroit clos (et même très petit : une diligence) et de laisser se tisser les relations et les tensions.


De même Ford fait entrer dans la légende le Monument Valley : il filme pour la première fois ce paysage grandiose, devenu une image mondiale et infinie du western. Il présente la Nature comme un tout englobant, dans lequel évoluent les personnages mais qu’ils ne peuvent dépasser. Les images des Indiens apparaissant au sommet de la colline avant d’attaquer appartiennent aussi à la légende du cinéma. L’attaque, extrêmement spectaculaire, à coups de chevaux au grand galop, d’Indiens hurlants et de trompette de cavalerie est exceptionnelle et virtuose. Ford, qui expliquait avec un à-propos plein d’humour que si les Indiens abattaient les chevaux alors le film s’arrêtait, prolonge le plaisir en rallongeant la séquence. Les technologies d’alors offrent peu d’alternatives pour filmer une telle séquence : les caméras sont embarquées sur des autos qui foncent pour devancer les chevaux. Le résultat est fabuleux.

Ford manie avec virtuosité l’alternance des extérieurs et des intérieurs, mais aussi les petites histoires pittoresques si typiques qui peuplent son œuvre. Il prend le temps de faire vivre sous nos yeux son petit monde (il fait accoucher la femme de l’officier), d’épaissir la psychologie de chacun qui dépasse la simple description rapide. Cette alternance de grands moments épiques avec des scènes intimistes est à la fois typique du réalisateur et très difficile à manier. Mais pas pour Ford qui jouera toujours avec facilité de cette alternance.


John Wayne tient là ses galons de star (il avait déjà un premier rôle, mais resté sans suite, dans la très bonne Piste des géants de R. Walsh).

Ford complétera au fur et à mesure de ses films – en particulier avec La Poursuite infernale – cette mise en place du genre, mais on tient là un film majeur qui pose les jalons du western et définit des séquences classiques et inoubliables. La Chevauchée fantastique marque alors un regain formidable du genre qui ne se démentira pas pendant 20 ans.


samedi 24 mai 2014

En quatrième vitesse (Kiss me deadly de R. Aldrich, 1955)




Kiss me deadly (1) est un film éblouissant, un des plus grands joyaux du film noir qui illustre remarquablement le mot de Goethe quand il dit que « tout ce qui est parfait dans son genre transcende ce genre pour devenir quelque chose d'autre, d'incomparable »Si Robert Aldrich a plusieurs excellents films à son actif, il tient là son chef-d’œuvre.
Tout n’est que surprise, brio, énergie, noirceur, décalage. Le film propose un mélange incroyable de paranoïa, d’enquête, d’impasses, de personnages secondaires hauts en couleur, autour d’une violence parfois extrême (une torture à mort notamment), mais avec beaucoup d’intelligence (les multiples références au poème par exemple) et une bande originale surprenante et déroutante. Mike Hammer, le héros des romans de M. Spillane, devient un parfait anti-héros, imbu, indifférent, immoral. Il se confond parfaitement avec ceux qu’il poursuit.


L’ouverture éblouissante est à juste titre très célèbre : une femme en robe de chambre, pieds nus, court sur la route, à perdre haleine, en plein nuit. Et, après sa rencontre avec Mike Hammer, le générique défile à l'envers.


Et le final est époustouflant, il dépasse les dénouements habituels du genre (point de microfilms ici, point de liasses de billets, point de bijoux) puisque, le film s’étant attaché à recréer une boîte de Pandore, il ne reste plus qu’à l’ouvrir…





________________________________

(1) : On s'interroge : pourquoi un tel titre français ? La traduction naturelle en « Baiser mortel » eût été parfaite.


mercredi 21 mai 2014

Mad Max 2 : Le Défi (The Road Warrior de G. Miller, 1981)




Film d’action culte, Mad Max 2 (dont on déplorera, une fois encore, la traduction du titre français) est le plus réussi des trois épisodes des années 80 (suivra un nouvel opus en 2015, Mad Max : Fury Road, très bon).
La réussite du film est la construction d’un univers post-apocalyptique convaincant, dans un monde de l’après-pétrole, où l’on se fait la guerre pour le moindre litre d’essence. Dans un monde dévasté, désertique et à l’abandon, l’animalité reprend ses droits (règne ici la loi du plus fort dans toute sa caricature violente) et Miller jette sur les routes des hordes de barbares sauvages et enragés qui assaillent tous ceux qu’ils croisent.
Le script pourrait être celui d’un western spaghetti et Mel Gibson compose un personnage qui est une version moderne (post-moderne même) du cow-boy solitaire et aventurier – équivalent de l’homme sans nom des westerns de Sergio Leone – et qui chevauche, en guise de monture, un V8 boosté au nitrométhane.



Si le film peut apparaître kitsch et s’il trahit l’influence de son époque par son aspect punk débridé, il reste un bon divertissement, dont l’univers post-apocalyptique, mélange de métal, de rage, de hurlement de moteurs, d’essence et de fureur, constitue une référence.

mardi 20 mai 2014

Scarface (H. Hawks, 1932)




Film fondateur, Scarface met en scène plusieurs éléments qui sont devenus des grands fondamentaux du film noir. Avec une virtuosité teintée d’idées brillantes (notamment la manière détournée de filmer la violence), Howard Hawks déroule ce qui deviendra un grand classique : la montée d’un petit truand pour prendre le pouvoir d’un des gangs de la pègre.

Le film de gangsters était alors très en vogue, avec en particulier L’Ennemi public de W. Wellman ou Le Petit César de M. LeRoy, ou encore Les Fantastiques années vingt de R. Walsh en fin de décennie. Pourtant Hawks eut beaucoup d’ennuis avec la censure et il dut donner des gages de moralité, notamment en intégrant des séquences avec le procureur condamnant clairement les agissements des gangsters (d’où le sous-titre « honte de la nation »).
Hawks, tout en maîtrise, au milieu d'un récit linéaire ponctué de nombreuses scènes d'action, se permet d’intégrer un personnage clairement humoristique (Angelo), de faire des pauses dans son récit, d’épaissir considérablement la psychologie de Tony Camonte en développant une relation quasi-incestueuse avec sa sœur. Et puis, il faut bien le dire, le cinéma américain n’a pas son pareil pour montrer des poursuites en voitures toutes sirènes hurlantes, des rafales de mitraillettes tirées d’une fenêtre, des exécutions sommaires dans des bars clandestins.

C’est dans la mise en scène des séquences les plus violentes (avec de nombreux règlements de compte) que le génie de Hawks éclate. La séquence d’ouverture (magistral plan-séquence qui aboutit au meurtre de Big Louis) est superbe : la caméra glisse et joue avec les ombres, dans le calme tranquille du meurtrier sifflotant. De même lorsque Tony et ses hommes déboulent au bowling : le meurtre de Gaffney est évoqué superbement par la quille de bowling qui tourne sur elle-même et s’abat.


Au bowling, Gaffney (Boris Karloff) s'apprête à jouer...
... c'est la chute de la dernière quille qui symbolise sa mort.
De même encore lors du massacre de la saint Valentin, ce sont des ombres portées sur le mur qui sont criblées de balles.


Les ombres de la bande rivale bientôt criblées de balles.
B. De Palma s'en souviendra quand il réalisera son extravagant remake où, à l'opposé de Hawks, il cherchera, à chaque explosion de violence, à montrer un bain de sang de façon toujours plus sanglante. On trouve de telles idées de mise en scène chez d’autres réalisateurs (par exemple Association criminelle de J. H. Lewis) mais la variété et la multitude des représentations de la violence est ici époustouflante.



lundi 19 mai 2014

Casablanca (M. Curtiz, 1942)





L’un des films les plus légendaires du cinéma qui n’est certes pas exempt de défauts. On peut s’attarder sur la légèreté du traitement historique, la sensation de décor hollywoodien dès lors que l’on sort du Rick’s Café, le manque d’évolution du personnage central d’Ilsa. Certes, mais disant cela on n’a rien dit.
On pourrait se concentrer, sinon, sur le culte voué à Bogart, s’incarnant au travers de Rick, dans son pragmatisme apparent qu’il finit par briser.


Mais retenons plutôt le mot d’Umberto Eco à son propos : « Deux clichés nous font rire, cent clichés nous émeuvent, parce que nous sentons que ces clichés se parlent entre eux ».
Alors la figure mythique de Rick, un peu vouté dans son smoking blanc, le halo ouaté autour du visage de Ingrid Bergman, la rencontre à Paris, les gouttes de pluie sur la lettre d’adieu sur le quai de la gare, le « Play it again, Sam! » et le légendaire morceau de piano, la scène finale de sacrifice à l’aéroport, etc. : en un sens c’est tout le cinéma américain, avec ses grands défauts et ses merveilleuses qualités, qui est donné à voir à l’écran avec Casablanca.


samedi 17 mai 2014

Loulou (Die Büchse der Pandora de G. W. Pabst, 1929)




Chef-d’œuvre extraordinaire de Pabst, qui parvient à lier dans son film le réalisme et l’expressionnisme, son film glissant, au fur et à mesure que la mort se resserre autour de son personnage, vers un clair-obscur de plus en plus menaçant. Il en ressort une peinture sociale complexe de Pabst et l’on passe de fêtes bourgeoises traitées de façon réaliste, à un Londres sombre, brumeux, gothique, expressionniste. Pabst, en cherchant à obtenir un jeu particulier d’acteurs, fit retourner maintes fois certaines scènes (ce qui était très rare à l’époque et ce qui plut beaucoup à Louise Brooks).

L'expressionnisme des dernières séquences
Loulou, femme légère et entretenue – qui est comme une lumière à laquelle viennent se brûler les ailes tous les hommes qui la croisent –, tout à fait consciente de cette attirance irrépressible qu’elle exerce sur les hommes, intrigue et manipule. Elle est ainsi une incarnation de Pandore, créée par les Dieux pour se venger des hommes, et à laquelle fait allusion le titre original (titre d'une pièce de F. Wedekind, dont le film est une adaptation). Mais ce jeu se retournera contre elle : elle ne peut que mourir, au contact de ces hommes qui ne parviennent pas à l’aimer. Le film est ainsi une espèce de danse de mort avec au centre, l’extraordinaire Loulou.

L'irrésistible Louise Brooks, au look éternel
Le tournage faillit se faire avec Marlène Dietrich, mais Louise Brooks, voulue par Pabst contre l’avis de plusieurs de ses collaborateurs, devint alors la première actrice américaine à tourner en Europe. Son interprétation est exceptionnelle : sa grande beauté, la sensualité naïve qui se dégage de son corps, la fameuse coiffure cernant le visage, tout cela contribue à faire de Loulou l’incarnation de l’innocence féminine pure, extrêmement attirante, irrésistible. De sorte que Louise Brooks, avec son jeu très moderne (elle ne surjoue pas comme dans le muet d’alors, son visage reste impassible et c’est dans le scintillement changeant de son regard qu’il faut lire ses sentiments) irradie complètement le film.
Il faut remarquer que le personnage de Loulou – femme libérée et manipulatrice – est beaucoup moins scandaleux aujourd’hui qu’à l’époque du film (film qui eut bien des démêlés avec la censure).


mercredi 14 mai 2014

Les Sept Samouraïs (Shichinin no samurai de A. Kurosawa, 1954)




Très célèbre film de Akira Kurosawa (et rendu encore plus célèbre au travers de son adaptation hollywoodienne) qui correspond, après la guerre, à une renaissance du chambara. Mais celui-ci, avant d’être un film d’action efficace et épique, propose un portrait social de villageois et d’individus, les samouraïs.
Ces samouraïs qui viennent en aide aux villageois, ne sont pas montrés outrageusement héroïques (bien qu’ils le soient) par Kurosawa, qui n’en rajoute pas sur les scènes d’action. Sur les trois heures de film, seule la dernière est consacrée à l’attaque par les bandits. Mais à la parcimonie des combats répond ou bien leur beauté esthétique ou bien leur frénésie, Kurosawa menant sa caméra avec virtuosité.


Le cinéaste distille un fond idéaliste manifeste puisque, derrière le prétexte de la protection de villageois par des samouraïs, il n’hésite pas à insérer des éléments anticonformistes (et sans doute peu probables historiquement), notamment au travers de Kikuchiyo, samouraï bien peu orthodoxe.

On remarquera, esthétiquement, les premiers ralentis qui viennent ponctuer des scènes d’action magnifiques. Quand on sait que ce mode de représentation est aujourd’hui dans les standards des films d’action, on comprend la considérable influence esthétique du film (grâce à des réalisateurs qui serviront de relais, en particulier S. Peckinpah). De même, l'introduction dans le récit des samouraïs (en particulier le chef Shimada) se fait par des scènes d’action détachées de l’histoire principale et qui permettent immédiatement de définir chacun d'eux. Cette manière d'introduire les personnages deviendra un passage obligé de très nombreux films d’action et fera l’objet de bien des ouvertures de films.


mardi 13 mai 2014

La Furie du désir (Ruby Gentry de K. Vidor, 1952)




Film reconnu de King Vidor mais qui a assez mal vieilli. Jennifer Jones exprimait peut-être la sensuelle torride dans les années 50, mais, qu’il s’agisse de ce film ou de Duel au soleil (où l’actrice a, peu ou prou, le même rôle scénaristique), elle surjoue de façon assez pénible. C'est un peu dommage, le film reposant en grande partie sur le désir qu'elle est censée provoquer.
L'histoire raconte en effet l’irrépressible désir entre Ruby (Jennifer Jones) et Boake (Charlton Heston), leurs heurts, leurs réconciliations, leurs vengeances. Ruby finit par ruiner Boake, celui-ci veut la tuer mais ils finissent enlacés.
Reste une belle critique du puritanisme social et des commérages dans une petite ville et un final dans les marécages très réussi.

jeudi 8 mai 2014

Les Temps modernes (Modern Times de C. Chaplin, 1936)




Éblouissant chef-d’œuvre de Chaplin, Les Temps modernes est aussi un de ses plus célèbres films. Comme dans ses autres longs métrages, Chaplin manie avec un génie inégalé l’émotion qu’il fait naître chez le spectateur : on passe, d’une seconde à l’autre, du rire aux larmes, avec facilité, simplicité et une évidence, même, qui n’appartient qu’à Chaplin.
Plusieurs séquences sont légendaires, en particulier celle du travail à la chaîne (séquence inspirée de À nous la liberté de R. Clair), lorsque Charlot est avalé par la machine ou qu’il doit tester la machine à manger les repas, avant de céder à une crise de nerfs.

Le travail à la chaîne
La machine testée par Charlot
L’art comique de Chaplin est parfait, que ce soit dans la profondeur du sujet (la mécanisation de la société et l’outrance de la recherche du rendement par exemple), dans l'enchaînement des gags, dans ses pitreries nées de son expressivité ou encore de la répétition des événements (ses retours incessants en prison).

On voit que Chaplin hésite : le parlant est là mais que faire ? Son film est sonorisé mais encore sans réelles paroles (le son est d’ailleurs source de nombreux gags). Les paroles sont confinées à des onomatopées dures et agressives (par exemple les ordres du directeur). Charlot, lui, évidemment ne parle jamais. Mais on entend sa voix, à la toute fin du film et Chaplin règle l’affaire en le faisant chanter, en grommelot, une célèbre reprise de Je cherche après Titine.
On a là un rare exemple de génie du muet conscient de mieux s’exprimer sans parole. Et, dans Le Dictateur, quand enfin il parlera (mais ce ne sera pas le personnage de Charlot), Chaplin ira jusqu’à un long monologue bien peu inventif et très convenu (bien loin des subtilités du muet).
Comme souvent, l’individu Charlot passe à travers les mailles du filet de la société (ici une société dure et mécanisée) et se fraie un chemin jusqu’à la victoire finale de l’amour.


dimanche 4 mai 2014

La Rivière rouge (Red River de H. Hawks, 1948)




Extraordinaire western de Howard Hawks qui illustre ici, comme Ford à la même période, un mythe fondateur des Etats-Unis.
L’éleveur Tom Dunson, accompagné de son fils adoptif Matt Garth et d’une horde de cowboys, doit accompagner son troupeau de dix mille bêtes – troupeau qu'il constitue depuis quinze ans à la force du poignet – du Texas au Missouri. Mais la dureté de Tom conduit Matt à s’opposer à lui et provoque des dissensions au sein du convoi.
Hawks, dans des images amples, filme la Nature, englobante, celle qui contient les hommes et les bêtes, au travers de longues séquences montrant la masse en mouvement et les larges paysages en noir et blanc (incroyablement, la couleur, absente ici et qui enchantera tant de westerns, ne manque pas). Il nous offre alors des images incroyables du gigantesque troupeau en mouvement, jusqu’au quotidien des cow-boys et des tensions dans le groupe (et dans le troupeau lui-même, qui s’affole au moindre bruit la nuit, avec la séquence étonnante de panique).
Hawks alterne les plans secs et vifs (attaque initiale des Indiens), amples, calmes ou épiques (vue du troupeau, traversée de la rivière) et lyriques (avec le personnage féminin de Tess).
Le personnage de Tom (John Wayne, parfait), très dur, antipathique et cruel est très novateur pour l’époque (où les héros ont encore une perfection très hollywoodienne). Son personnage devient même, au fur et à mesure du film, de plus en plus impitoyable (allant jusqu’à la tyrannie, exprimée au travers de sa phrase « la loi c’est moi »), de plus en plus buté. Mais ces excès sont complètement justifiés dans le film : il faut un personnage hors-norme et excessif, pour entreprendre ce voyage invraisemblable et le mener jusqu’au bout. D’ailleurs bien des convoyeurs veulent faire demi-tour, seul Tom s’entête.
Le caractère presque pathologique de Tom est exploité dans le film sous la forme d’une confrontation père-fils, avec Matt (excellent premier rôle de Montgomery Clift, avec déjà son jeu tout en intériorité) qui se révolte contre la dureté de son père adoptif. Seul le personnage féminin de Tess empêche le mort de Tom (qui était prévue à la fin du script initial) : son très fort caractère, son côté « adulte » par rapport à Tom et Matt leur permet de révéler la complexité de leur relation, faite d’estime, par-delà leurs oppositions. Ce changement de fin, voulu par Hawks, était contesté par le scénariste Borden Chase, qui signait là son premier script (avant de devenir une des grandes plumes du western – travaillant pour A. Mann notamment).

Tom (John Wayne) et Matt (Montgomery Clift)

Ce western parvient à relier dans le même temps l’aspect à la fois ample et pittoresque des films de Ford (avec d’excellents et importants seconds rôles) et une dramaturgie que l’on retrouvera surtout chez Anthony Mann (avec un personnage principal névrosé). Ce double aspect est très rare dans le western (on le retrouve, par exemple, dans 
La Prisonnière du désert).

Notons que Hawks, qui compilait alors succès après succès (il venait de réaliser l’excellent Grand Sommeil), a décidé de produire seul ce film. Devant l’énormité et la complexité de la tâche (il faut dire qu’il s’agit d’un tournage monstre), il ne renouvellera jamais cette expérience d’autonomie totale vis-à-vis des grandes maisons de production.

Ce film peut servir de test intéressant : qui n’aime pas ce film, très certainement, n’aime pas les westerns. Et, peut-être même, de façon plus radicale : qui n’aime pas ce film n’aime pas le cinéma ?


vendredi 2 mai 2014

La Passion de Jeanne d'Arc (C. T. Dreyer, 1928)




Éblouissant film de Dreyer, très original sur le plan du style. On sait que Dreyer voulait son film parlant mais qu’il dut y renoncer pour des raisons techniques. Dès lors cette multitude de cadrages en gros plans avait un tout autre objectif que celui d’une prise de position purement artistique. Mais, quoi qu’il en soit, cette façon de filmer avec autant de gros plans de visages, tronçonnant sans cesse les corps des juges dont on ne verra d’eux, au mieux, que les bustes, ces travelling où la caméra monte et descend pour suivre les lignes des têtes, cette insistance sur le visage de Jeanne, ces champs-contre-champs permanents entre Jeanne et les juges qui la harcèlent, ce jeu de contre-plongée permanente pour mieux rehausser les juges et rabaisser Jeanne, ces cadrages débullés qui créent une géométrie abstraite, tout cela crée une esthétique à peu près unique, qui tend à l’abstraction et qui détache peu à peu le récit de la réalité sur laquelle il s’appuie (retracer le jugement de Jeanne d’Arc à partir des écrits de l’époque).


L’esthétique très dépouillée (les murs sont blancs, les décors minimalistes) rend plus moderne encore ces visages en très gros plans dont on contemple les pliures de la peau, les pincements des lèvres et, sur le visage rond de Jeanne, les larmes qui coulent. Enfermée dans ces pièces abstraites aux murs vierges, Jeanne n’a aucune extériorité vers laquelle se tourner, la seule échappatoire se trouve à l’intérieur d’elle-même, dans sa foi.
Et de cette esthétique si radicale et singulière naît une très grande émotion. Le visage doloriste de Jeanne, qui figure l’humanité souffrante, visage à la fois humble et rustique, touche par sa douleur sans cesse exprimée. Jeanne est perdue face à ces juges retors qui guettent chaque mot qu’elle dira pour mieux la coincer dans une contradiction théologique, juges infiniment et petitement humains, face à une Jeanne emportée et qui n’est déjà plus de ce monde.


Dans la dernière partie, où l’on sort de cette prison blanche et abstraite pour aller jusqu’au bûcher, Dreyer multiplie des plans audacieux, quasi expérimentaux, jusqu’à l’émeute finale qui vient entériner ce que le film a suggéré : Jeanne d’Arc, ici, n’est ni une combattante, ni une représentante du peuple de France insoumis face aux Anglais, elle est une sainte martyre.