lundi 30 septembre 2019

Shaun of the Dead (E. Wright, 2004)





Les zombies ayant investi les écrans à partir de la fin des années 60, il est tout à fait logique que, progressivement, ils soient absorbés par la machinerie commerciale. La comédie étant l’un des genres majeurs et qui phagocyte peu à peu, hélas, tous les autres genres (est-il encore possible d’avoir un film d’actions sans bons mots destinés à faire rire le public ?), il était tout à fait prévisible que, après le film gore ou le film d’horreur (on pense à Evil Dead ou Braindead dans les années 80 et 90), la comédie se tourne vers les zombies. Et, bien sûr, ce n’est pas la comédie noble et savoureuse, digne descendante d’une prestigieuse lignée (on voit mal Lubitsch jouer avec des zombies), mais, comme de bien entendu, c’est la comédie lourde et vide, emplie de personnages caricaturaux et idiots, qui va vampiriser les films de zombies. Shaun of the dead est de cette veine, avec, donc, des zombies qu’il s’agit de dégommer à qui mieux-mieux, entre deux blagues oiseuses.

On a cette désagréable impression que l’industrie cinématographique agit comme la maladie du film qui tue d’abord avant de permettre aux morts de se relever en zombies hagards : elle s’empare d’un genre (ici le film de zombies, qui vaut ce qui vaut, mais enfin qui a ses codes, ses significations, son regard sur la société américaine) et le zombifie en le soumettant à la moulinette de la comédie qui, comme un virus terrible, crétinise, lisse, affadit, rend consommable (dans le sens qu’il propose un spectacle familial tranquillement divertissant) un genre qui, ontologiquement, se veut dérangeant.


vendredi 27 septembre 2019

Avengers: Endgame (A. et J. Russo, 2019)




Cet ultime opus des Avengers ne déçoit pas : il est bien aussi faible, ridicule et ennuyeux que prévu. Que le temps du premier Iron Man (sans doute l'épisode le plus réussi de la franchise) semble loin !
Ici le numérique et l’ambition industrielle pure (faire un maximum d’argent) se sont alliés pour offrir un spectacle formaté, qui n’oublie rien des ingrédients qui font la bonne planche à billets. Les ralentis, la fausse émotion, les coups de théâtre qui n’en sont pas, les combats qui ne sont que des bouillies d’images, l’humour lourd et incongru, tout a été rassemblé une dernière fois pour offrir ce gros hamburger indigeste et dégoulinant de sauce lourde et grasse.
Essayant de se prémunir de toute naïveté, on se prend à espérer que le titre du film ne mente pas et que cette aventure soit en effet la dernière…



mercredi 25 septembre 2019

The King of Marvin Gardens (B. Rafelson, 1972)




Suivant un tempo tantôt un peu hasardeux et tantôt très maîtrisé, The King of Marvin Gardens déploie une étrange atmosphère, dépressive et abandonnée, assez typique de Bob Rafelson (et assez typique, aussi, de la période du Nouvel Hollywood). Et, progressivement, le réalisateur semble délaisser son histoire pour se centrer sur les personnages. Il se rapproche alors peu à peu des deux frères et les scrute au plus près.
David veut croire au rêve de son frère Jason, frère combinard, qui passe d’une embrouille à l’autre et croit sans cesse pouvoir se refaire dans un nouveau plan. David, qui réinterprète sa vie dans ses lentes émissions de radio, voudrait maîtriser ce destin et cherche à retrouver une complicité (complicité ancienne qu’il s’invente volontiers) avec son frère.
Le titre du film vient de la version américaine du Monopoly, qui met en scène différentes rues d’Atlantic City, Marvin Gardens étant la rue la plus chère du jeu, juste à côté de la case prison (en français le titre aurait pu être « le roi de la rue de la Paix »). Il faut noter qu’une faute d’orthographe émaille ce nom de rue, et, en réalité, il s’agit de la rue Marven Gardens. En insistant sur cette erreur, Bob Rafelson trouve ici une manière supplémentaire de mettre en scène les illusions de Jason.


Jack Nicholson est ici dans un rôle rare (et pas facile), en frère bien élevé, propre sur lui avec ses lunettes, loin de l’autre personnage central, magouilleur et sur la corde raide, qui oscille sans cesse entre exaltation et déception, et parfaitement tenu par Bruce Dern.

vendredi 20 septembre 2019

Once Upon a Time in... Hollywood (Q. Tarantino, 2019)



Once Upon a Time in… Hollywood réussit le paradoxe d’être à la fois assez original pour un film de Quentin Tarantino et tout à fait typique de son style. En effet, des quatre motifs qui habitent souvent ses films, Once Upon a Time en contient deux jusqu’à plus soif et fait presque disparaître les deux autres.
Le premier motif sur lequel il se concentre est cette façon de raconter, assez lente et calme, avec peu d’actions, en se concentrant sur le trivial. Le film, alors, suit cette linéarité tranquille (qui confine parfois, au détour d’une séquence trop longue, à l’ennui) en accompagnant ses personnages, dans des moments qui ne sont pas décisifs (ou à peine), rallongés, où Tarantino se plait à côtoyer ses personnages. Ce travers célèbre rejoint par exemple les discussions sans fin, classiques du réalisateur, avec une narration qui ralentit terriblement et où Tarantino s’en remet à son talent de metteur en scène ou à l’humour pour faire passer le temps.
Second motif très présent : le cinéma de Tarantino reste résolument post-moderne, avec une intertextualité permanente, des citations, des jeux entre le cinéma et lui, entre les personnages et les acteurs, entre son style et celui qu’il cite. On notera par exemple l’amusant dénigrement du cinéma italien dont les westerns ont eu tant d’influence sur Tarantino lui-même. A ce titre, le choix de Di Caprio pour interpréter cet acteur qui devient progressivement has-been peut surprendre : il y a là un double fond qu’aurait pu travailler Tarantino en choisissant un acteur devenu has-been (ou en passe de le devenir) plutôt qu’une super star qui, quoi qu’elle fasse, ne sera jamais has-been (Di Caprio appartenant à cette catégorie dont l’incroyable notoriété protège ad vitam aeternam de ce risque).

En revanche, Tarantino, qui aime tant éclater sa narration (il joue souvent de coupures brusques, de flash-backs, il se plaît à croiser ses histoires, etc.), livre ici un récit assez linéaire qui accompagne le rythme tranquille du film. Il se permet simplement quelques ellipses, pas toujours bien senties.
Le dernier grand motif du réalisateur – la violence soudaine et crue qui finit toujours par jaillir – est ici presqu’absent : Tarantino conserve malgré tout un moment où  la violence explose, mais en le confinant à un final traité sur un mode exclusivement humoristique. On est loin des éclatements de sang de Reservoir Dogs ou de Kill Bill, sans doute parce que, le titre le dit bien, Tarantino nous livre sa version personnelle d’Hollywood, celle d’un conte, rêvé et doux et qui a le charme un peu proustien du souvenir. Nulle violence au premier degré n'y a sa place. A tel point que la violence ensanglantée et sordide qui a réellement sévi lors de l’assassinat de Sharon Tate est rejetée hors du film. Avec un certain cynisme d'ailleurs puisqu'elle est remplacée par une séquence comique.

Notons aussi que c’est un retour au premier plan pour Brad Pitt dont la plastique mise à mal ces derniers temps est redorée dans un rôle qui le met beaucoup en valeur. Cela dit le personnage joué par Leonardo di Caprio est beaucoup plus intéressant que celui de Brad Pitt. C’est peut-être là le regret du film : on aurait aimé que Tarantino cesse un peu le parallèle entre les deux et se concentre sur Rick Dalton, le personnage le plus épais, le plus complexe et, finalement, celui qui évolue le plus au cours de l’histoire : voilà un personnage d'acteur qui ne sait plus trop ce qu’il vaut, boit trop, s’en repent, fait ce qu’il peut, pleure plusieurs fois, se reprend à nouveau et, finalement, incarne violemment et métaphoriquement le personnage même qui l’a rendu célèbre, en carbonisant virilement l'un des agresseurs.


mercredi 18 septembre 2019

Woody et les robots (Sleeper de W. Allen, 1973)




Dans la droite ligne de ses premiers films (Prends l’oseille et tire-toi, Bananas et les sketchs de Tout ce que vous avez voulu savoir…), Woody Allen s’envole dans le futur et s’en donne à cœur joie : jouant sur le registre du gag et du burlesque parlant (les Marx Brothers sont sa source éternelle), il s’amuse à commenter les travers de son époque, avec, comme toujours, beaucoup d’imagination et de liberté.
C’est que Woody Allen, en bon gagman et dans cette veine comique où il n’a peur de rien, multiplie les idées, les situations et les réparties. Si on trouve déjà le fil rouge de ce qui sera le cœur de ses grands films ultérieurs (les complaintes du quadra juif intello new-yorkais), on s’amuse à ces délires de ses débuts, un peu foutraques et kitchs, mais vifs et d’une liberté cinématographique étonnante. Et c’est dans ce peu connu Sleeper (1) que Diane Keaton fait son apparition à ses côtés (2), commençant à mettre en place le contre-point féminin de l’éternel personnage masculin que campera bientôt Woody Allen.





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(1) : On notera la bêtise étonnante du titre français. Mais il montre combien Woody Allen acteur se confond – déjà – avec ses personnages.

(2) : Elle est déjà partenaire de Woody Allen dans Tombe les filles et tais-toi, qui lui aussi annonce, de façon encore forcée et caricaturale, les Annie Hall et autres Manhattan qui viendront quelques années plus tard, mais c’est alors Herbert Ross qui est à la réalisation.


lundi 16 septembre 2019

My Blueberry Nights (Wong Kar-wai, 2007)




Wong Kar-wai filme un road-movie étrange, qu’il lance après une longue première partie centrée sur le bar de Jeremy.
My Blueberry Nights reprend les principaux motifs du road-movie : bien plus que la destination finale, ce sont les rencontres faites en chemin qui sont décisives et le chemin parcouru ramène au point de départ (on retrouve cette trajectoire circulaire du Magicien d'Oz ou de Apportez-moi la tête d'Alfredo Garcia). Dès lors c'est le cheminement intérieur qui est la substance du road-movie : ici Elizabeth met des mois pour revenir à son point de départ et contempler sans tristesse l'appartement à louer de son ancien amant. Elle peut alors traverser la route et revenir dans le bar de Jeremy.
Et si la route se prend à deux, ici les choses sont un peu différentes (Jeremy ne bouge pas de son bar), mais Elizabeth lui écrit et il devient ainsi le compagnon de voyage, confident muet sur lequel se reposer.


Elizabeth devient alors témoin du monde, elle côtoie les tragédies humaines, s’apaisant à mesure qu’elle s’ouvre aux autres.
Si ce premier film américain recèle peut-être moins le charme secret de ses films hong-kongais, il distille une étrange douceur triste, avec cette patte typique du réalisateur, moins styliste ou maniériste que dans d’autres films, mais toujours capable de donner à ses images à la beauté fulgurante une forte émotion, mêlant la tristesse et la douceur, l’illusion et le désespoir. Wong Kar-wai reprend d’ailleurs – sous certains angles – des éléments entrevus dans Happy Together. Et l’on retrouve, comme si souvent chez lui, des personnages qui attendent, comme des spectateurs qui suivent la marche du monde sans y prendre part.


Enfin, si la musique est moins prenante que dans d'autres films du réalisateur, on notera le délicieux arrangement à l'harmonica du fameux Yumeji’s Theme, venu tout droit de In the Mood for Love et dont on retrouve la douceur suave avec plaisir.


samedi 14 septembre 2019

Blindness (F. Meirelles, 2008)




Le film démarre comme un film d’épidémie, mais, très vite, s’en écarte et vient monter en épingle une situation à la fois ridicule, improbable et inintéressante. Ce qui n’est pas si facile. Tout cela est navrant.
En introduisant un personnage qui voit, au milieu des aveugles enfermés dans un sanatorium désaffecté, Fernando Meirelles semble lancer, un peu faussement, l’air de rien, un gloubi-boulga de réflexions pseudo-philosophiques. Et l’on découvre que le vernis de la civilisation est mince et que la barbarie n’est jamais bien loin. Certes. Grande idée novatrice. C’est dire s’il n’y a rien à tirer de ce film ridicule au prêchi-prêcha sous-jacent affligeant.


vendredi 13 septembre 2019

La Maison de bambou (House of Bamboo de S. Fuller, 1955)




Très bon polar de Samuel Fuller, teinté d’exotisme, de lumière et de séquences d’action rythmées (avec ce hold-up au pas de courses).
Le film noir des années 40 est revisité dans une teinte plus exotique, plus colorée, mais en gardant beaucoup d’éléments du genre. C’est ainsi que, l’air de rien, Fuller surprend et emmène le film noir loin du film noir.
Si le film se met en place progressivement, c’est évidemment la confrontation de Sandy Dawson (Robert Ryan, excellent, comme toujours) et Eddie Spannier (Robert Stack, très bon) qui porte le film : la place que laisse Sandy à Eddie, les concessions qu’il lui fait, la façon dont il évince son second pour lui, cela tout en doutant malgré tout de son intégrité. On a là un rapport complexe entre deux individus tout aussi complexes.


Les scènes finales (sur la roue) évoquent un peu Le Troisième homme, mais un Troisième homme comme tourné en plein jour et qui ne finit pas au fin fond des égouts mais en pleine fête foraine, en haut d’une tour.
On notera l’intéressant jeu de Robert Stack (avec sa dégaine renfrognée et désinvolte de bad boy mutique), que l’on retrouvera presque intact chez le Mickey Rourke de L’Année du dragon.


mardi 10 septembre 2019

Bohemian Rhapsody (B. Singer, 2018)




Biopic décevant et sans grand intérêt sur le groupe Queen, et plus particulièrement sur Freddie Mercury. Le film reste mou, sans originalité stylistique ou narrative, sans grande saveur, ce qui est quand même une performance quand on sait que le monde du rock est, par essence, un monde d’excès.
Le film raconte assez peu la vie du groupe et celle du chanteur, montrant quelques moments clefs mais rien de l’univers qui fut le leur et rien de la déferlante que constitue l’arrivée du succès (déferlante souvent accompagnée de sexe et de drogue, qui forment avec la musique rock un triptyque bien connu). On voit bien quelques moments, mais on ne ressent rien de ce qui les anime. Les excès de Freddie Mercury, sa maladie sont racontés quasiment en ellipse, comme avec une fausse pudeur : ce parti pris qui cache sous le tapis tout ce qui nuit à la légende confine à l'hagiographie.

Le réalisateur semble se concentrer sur ce qu’il pense être des moments forts : la reconstitution de concerts. Mais il y a maldonne : reconstituer scrupuleusement un moment historique (qui plus est, largement filmé, comme le fameux concert à Wembley) n’est jamais une grande performance cinématographique.
De même, on a pu gloser sur la performance de Rami Malek qui incarne Freddie Mercury mais, là aussi, être un bon imitateur n’est pas ce qu’on attend d’un acteur, qui est d’abord un créateur. Les grands rôles du cinéma sont des compositions créés de toute pièce, ce ne sont jamais des imitations, fussent-elles réussies.
Dès lors on trouvera bien peu de moments passionnants dans ce film assez plat, peut-être destiné aux fans qui seront émus de voir évoluer leur groupe favori. Mais dire d’un film qu’il est réservé aux fans montre bien, là aussi, sa faiblesse cinématographique.

vendredi 6 septembre 2019

Reservoir Dogs (Q. Tarantino, 1992)




Si ce premier film de Quentin Tarantino rencontra un bon succès, il faut dire que son style – style qu’il déploiera davantage encore dans ses films suivants – est déjà très marqué : la caméra va et vient, tantôt s’éloignant, tantôt se rapprochant au plus près des personnages ; on sent le plaisir du manieur de caméra derrière ces effets, un plaisir pur à jouer avec ses personnages et sa narration. On sent de même la puissance visuelle du réalisateur, capable de capter une énergie en un plan, de faire pulser tout à coup la tension et la violence dans son image.
L’éclatement de la narration est aussi un élément fort du film puisqu’il démarre alors que la scène classiquement centrale (le hold-up) est achevée et le film fonctionne ensuite avec une succession de flash-backs qui viennent progressivement éclairer certains aspects de l’histoire. C'est une narration qui se permet aussi des ellipses spectaculaires (le hold-up, malgré les retours en arrière, ne sera finalement jamais montré). Tarantino s’inspire beaucoup du polar hongkongais de Ringo Lam City on fire : il en reprend la séquence finale et travaille son film à partir de celle-ci. Et Reservoir Dogs a la bonne idée d’emmener au bout la fameuse scène de l’impasse mexicaine où tout le monde se met en joue (présente dans City on Fire, mais sans que personne ne tire).

On trouve aussi dans Reservoir Dogs les deux principaux éléments de style qui ne quitteront guère Tarantino : d’une part le goût pour les discussions sans grand intérêt, dans des scènes qu’il étire volontiers. Ici on parle de Madonna, là on parle de cheese burgers (dans Pulp Fiction) ou on prend son temps pour raconter avec force détail une histoire bien secondaire (Les Huit salopards). Si d’aucuns ont pu dire que, comme par magie, il parvenait à parler de rien sans ennuyer, il y a là un bémol certain : cette manie de Tarantino garantit au contraire de trouver des moments d’ennui – plus ou moins longs, plus ou moins lourds – dans chacun de ses films. Ces moments sont comme un élastique que le réalisateur étire : avec peu de choses le temps s’allonge.
Seconde manie tout aussi nette : son goût pour la violence explosive, pour le barbouillage de sang, pour le gore. Ici Mr Orange baigne volontiers dans son sang, Mr Blonde joue de son rasoir pour torturer un policier en musique et la violence bruyante et crue emplit l’écran.
Ces deux éléments indissociables du réalisateur provoquent ainsi ce malentendu du spectateur : les films de Tarantino sont toujours violents, mais ils ne sont pas toujours des films d’action.


Cela dit Reservoir Dogs est une réussite : il revisite à sa façon le polar, jouant avec les codes (le flash-back est un élément classique du polar, mais sans aller jusqu’à éclater la narration comme ici), le dotant d’une énergie éruptive qui déboule sans crier gare. Et Tarantino, passionné et talentueux, place délibérément son film dans le registre outrancier qu’il affectionne.


mercredi 4 septembre 2019

Une Séparation (Djodāï-yé Nāder az Simin de A. Farhadi, 2011)




Très bon film de Asghar Farhadi, qui, après une première demi-heure un peu moins prenante – le temps que les choses se mettent en place –, enserre le spectateur dans une mécanique implacable dont les multiples ressorts se dévoilent peu à peu. C’est que, à partir de l’incident déclencheur, l’histoire est à multiples rebondissements (rebondissements parfois un peu forcés, certes) et ce n’est que progressivement que l’on se rend compte de tout ce qui s’est joué dans les quelques scènes d’apparence simples du début.
Et cet incident (tragique au demeurant) de la vie de tous les jours, sert à Farhadi de révélateur du fonctionnement des hommes, chacun enfermé dans un système (d’honneur, de religion) qui l’emprisonne.
Le spectateur, qui ne souhaite rien d’autre que la situation se décante, se focalise successivement sur différents personnages, de façon très habile et prend partie, tour à tour, pour les différents protagonistes, chacun étant légitimement lésé. Mais, pour lésés qu’ils puissent être, et à leur franchise supposée de départ, fait place, progressivement, le mensonge (sauf de la part du plus vindicatif des protagonistes, belle habileté, encore, du scénario).
Farhadi nous plonge au cœur de la société iranienne, nous faisant scruter au plus près les ressorts sociaux – les différences de classe sont un violent détonateur de la situation – mais aussi religieux – la place de la femme complexifiant considérablement les rapports humains. Et la fin est admirable de sobriété.



lundi 2 septembre 2019

Les Désemparés (The Reckless Moment de M. Ophüls, 1949)




Ce petit film noir de Max Ophüls surprend : succédant à Lettre d’une inconnue – magnifique chef-d’œuvre –, on ne retrouve dans Les Désemparés à peu près rien des thèmes favoris du réalisateur et assez peu de son style.
L’originalité du film est dans le personnage de Martin Donnelly (très bon James Mason), maître-chanteur qui s’éprend de sa victime et qui cherche rapidement à se racheter.
On retrouve néanmoins quelques fulgurances de style, comme de beaux plans séquences, à la fois fluides, naturels et très aboutis (lors de l’arrivée de Donnelly par exemple, avec la caméra qui tourne progressivement autour de James Mason au fur et à mesure qu’il se déplace dans la pièce pour fermer les différentes portes).
Il faudra le retour de Ophüls en France – qui a lieu dès 1950 – pour que, retrouvant à la fois ses thèmes favoris (en particulier ce mélange de gravité et de frivolité qu’il a travaillé tant de fois dans ses films) et son style éblouissant, il réalise une série de très grands films.