lundi 28 octobre 2013

Le Samouraï (J. P. Melville, 1967)




Avec Le Samouraï, Jean-Pierre Melville atteint un point culminant de sa manière de filmer : il a créé son propre univers, en associant des images issues du polar noir américain (le personnage en imperméable, chapeau et gants) avec des images géométriques, vides, froides, comme abstraites. C’est cette association, complètement anachronique (en 1967 personne ne se promène dans les rues de Paris affublé comme Delon), qui donne au style Melville toute sa puissance. Emmenant au bout les principes qu’il ébauche depuis Le Doulos, et en élevant chacun des motifs qui le caractérisent au rang de totem, Melville arrive à mélanger une approche réaliste (les lieux précis de Paris) avec une géométrie radicale et quasi abstraite. Il semble bien que Melville ne pourra pas pousser au-delà son système de représentation emmené ici jusqu’à l’épure (il parviendra, non pas à aller plus loin encore dans la radicalité abstraite de son système, mais à en offrir une variation sublime dans Le Cercle rouge).



Derrière le style, le système de Melville est en place : il s’agit de professionnels (tueurs ici, braqueurs ou flics ailleurs), d’amitié et de trahisons, mais aussi de solitude, de vies creuses et déjà achevées.
Jef Costello, le samouraï, campé par un Delon magnétique au jeu minimaliste, n’est plus qu’une silhouette détachée du monde réel qui l’entoure et dont la substance disparaît derrière les signes extérieurs de genre. Il est un avatar de ces films noirs des années 40 ou 50, transformé par l’imaginaire de Melville et transposé dans un univers qui n’est pas le sien.



L’impact de ce film est immense aujourd’hui encore et participe à la légende de Melville : de Tarantino (Reservoir Dogs) à Mickael Mann (Heat, Collateral) en passant par Jarmusch (Ghost Dog) ou encore John Woo (The Killer) ou Scorsese, on ne compte plus les réalisateurs qui revendiquent la filiation avec le maître français.

samedi 26 octobre 2013

La Foule (The Crowd de K. Vidor, 1928)




Très bon film de King Vidor, qui propose un héros bien loin des modèles habituels d’Hollywood. En effet, même s’il ne doute pas qu’il aura sa chance et qu’il pourra la saisir, John Sims est un looser et il ne s’élève jamais au-dessus de sa condition d’employé de base. Même son ami lourdeau Bert progresse pas à pas dans l’entreprise. On suit alors la trajectoire d’un homme ordinaire, dans des tracas et des inquiétudes qu’évitent les héros des films. Mais le malheur frappe John et sa petite famille, il passe alors d’un job à l’autre mais cela ne mène à rien. Il n’a même pas le courage de se suicider.
Bien loin des standards habituels, Vidor donne donc une version particulièrement acide du rêve américain : rien ne permettra à John de s’extraire de la foule des anonymes et de se particulariser.



La fin du film pose problème puisque Vidor propose un happy end un peu artificiel qui contraste avec la fin tragique vers laquelle se dirigeait le film (mais Vidor a tourné plusieurs fins et celle proposée finalement n’est pas la plus sombre). Mais même cette fin ne permet pas plus que ça d'espérer des jours heureux pour le couple.



On ne saurait trouver plus d’écart dans une œuvre entre ce film et Le Rebelle, qui viendrait quelques vingt ans plus tard, dans lequel Vidor, tout au contraire, magnifie la réalisation personnelle et le génie individuel.

jeudi 24 octobre 2013

Le Dernier face à face (Faccia a faccia de S. Sollima, 1967)




Intéressant western de Sergio Sollima, qui est un des plus remarquables du western italien. En effet, au-delà du style, de la violence sèche ou de l’ambiance, typiques du genre, c’est le travail sur les personnages qui est intéressant.
Le film démarre en faisant des deux personnages principaux des stéréotypes : Brett Fletcher (Gian Maria Volonte) est un professeur qui vient soigner sa santé au Texas ; l’autre, Beauregard Bennet (Tomas Milian) est un desperado présenté comme une bête sauvage. Mais, progressivement, les personnages vont venir contredire ces stéréotypes : Fletcher découvre le plaisir des armes, il s’aguerrit, se raffermit et prend goût à la vie de hors-la-loi. Dans le même temps, on découvre que Bennet n’est pas un fauve lâché en liberté. Quand Bennet est arrêté (par le chasseur de prime Siringo qui s’était introduit dans sa bande) Fletcher reprend les rênes et dévoile ses ambitions. C’est ainsi que, au cours du film, Fletcher, s’il a bien un cerveau, n’a pas de cœur. Et la réflexion porte : au milieu de gens pauvres et peu capables, le plus intelligent peut faire son trou, mais, sans morale ni sensibilité, il peut aussi devenir pire que tout. Les personnages se croisent donc, progressivement : on découvre un hors-la-loi de plus en plus humain et proche des petites gens de sa condition alors que Fletcher est de plus en plus impitoyable. Siringo, lui aussi, aura droit à sa rédemption : puisque de traître ultime, il montrera une compréhension qu’on n’attendait pas de lui – en comprenant que Bennet n’est pas celui qu’il semblait être.



Le film montre aussi un humour parfois grinçant : si la bande de hors-la-loi montée par Bennet se nomme La Horde sauvage, la véritable Horde sauvage, celle qui tue sans foi ni loi et sans pitié pour les femmes ou les enfants, c’est la troupe de mercenaires qui accompagne Siringo et qui déferle sur le campement de Bennet. Ce motif sera d’ailleurs repris par Sergio Leone dans Mon nom est personne.
Et le film permet, en outre, de voir Tomas Millian et Gian Maria Volonte – deux acteurs cultes mais qui ne s’entendaient guère – ferrailler.

On notera aussi que le dessinateur Yves Swolfs, fidèle à ses inspirations venues du western italien pour sa série Durango (dont le personnage principal s'inpire du Grand silence de Corbucci), donne à son personnage Amos l'apparence de Tomas Milian dans Le Dernier face à face.


lundi 21 octobre 2013

Le Monde, la Chair et le Diable (The World, The Flesh and the Devil de R. MacDougall, 1959)




Le Monde, la chair et le diable, est un des premiers films d’anticipation, qui aura une longue descendance (il inspirera, par exemple, Le Survivant). Il poursuit la lignée des films de monstres typiques des années 50, où divers monstres, nés de radiations nucléaires envahissent la ville (typiquement : Des monstres attaquent la ville), mais en les traitant dans une forme radicale puisqu’ici c’est toute l’humanité qui a disparu sous le coup d’un nuage radioactif (exit les monstres et exit l’humanité aussi). C’est donc le premier film apocalyptique, qui ne filme pas directement l’apocalypse, mais ses conséquences immédiates.
Toute l’humanité disparait ou presque puisqu’il ne survit qu’un seul homme (protégé malgré lui en étant coincé au fond de sa mine), ce qui nous vaut de belles images de Harry Belafonte parcourant un New-York déserté. Avec un rythme lent, jouant sur le mystère et la désolation plus que sur le spectaculaire, ces séquences sont réussies.


Le film ensuite, patauge un peu, en introduisant un deuxième personnage, puis un troisième et en oubliant un peu la disparition de l’humanité pour se recentrer sur des passions ou des jalousies qui semblent un peu hors de propos. Le sujet n’est pas inintéressant (il en ressort d’ailleurs qu’il n’est nul besoin d’une société pour que le mal resurgisse : deux hommes et une femme, cela suffit) mais le discours antiraciste ancre le film dans une époque que la première partie du film semblait dépasser.

vendredi 18 octobre 2013

Le cinéma comique : la petite forme et la grande forme de l'image-action



G. Deleuze (dans L'Image-mouvement, 1983) décrit deux constructions de séquences qui produisent des effets comiques. Il s’agit de séquences travaillées qui amènent des gags de façon fine et qui dépassent le rire déclenché par un simple gag, par exemple un geste malencontreux ou maladroit.
La séquence typique du cinéma comique, explique-t-il, c’est lorsqu’une action donnée devient drôle parce qu’elle évoque une situation très différente de celle qui a lieu.
Par exemple dans Charlot et le masque de fer, quand sa femme annonce qu’elle ne reviendra pas tant qu’il boira, on voit le personnage de dos être secoué comme par des sanglots. Puis il se retourne et on le voit en train de secouer un shaker : il est en réalité en train de se préparer un cocktail. 




Chaplin fera bien souvent naître le même effet comique, par exemple lorsque Charlot mange avec raffinement sa chaussure dans La Ruée vers l'or : son comportement appelle à une situation très différente de la réalité, de là l'effet comique.
Dans ce type de gag, le comique vient de ce qu’une même action renvoie à deux situations très différentes. C’est là la principale manière de faire rire, largement utilisée dans le cinéma comique, avec par exemple Chaplin ou Lubitsch (on pense à To Be or Not to Be) en virtuoses. Deleuze nomme ces séquences, où c’est l’action qui détermine une situation, la petite forme de l’image-action.

Mais, nous dit Deleuze, Buster Keaton ne procède pas ainsi. Chez lui tout part d’une situation (un décor, une machine) qui va provoquer une ou plusieurs actions (ou des cascades d’actions qui rebondissent) qui seront drôles au sein de ce décor, au travers de cette machine. C’est ainsi que procède Keaton dans la plupart de ses films où ses cascades improbables et acrobatiques sont restées célèbres (par exemple celle de la chute d’eau dans Les Lois de l’hospitalité).


Ce schéma est donc l’opposé du précédent. Deleuze nomme cette séquence, où c’est une situation donnée qui détermine l’action, la grande forme de l’image-action.

mercredi 16 octobre 2013

La Porte s'ouvre (No Way Out de J. L. Mankiewicz, 1950)




Film mineur de Mankiewicz, qui vaut sans doute pour la dénonciation du racisme qu’il propose. Mais le scénario s’appuie sur un personnage haineux (Ray Biddle, joué par un Richard Widmark dans un rôle qu'il maîtrise bien) hautement caricatural. Dès lors le déroulement du film offre peu de surprise et semble bien décevant pour un réalisateur du calibre de Mankiewicz.
La fin est cependant réussie avec les pleurs de rage de Biddle qui sont une belle conclusion.


lundi 14 octobre 2013

La Vengeance aux deux visages (One-Eyed Jacks de M. Brando, 1961)




Pour son unique réalisation, Marlon Brando propose un western réussi et original. Si la trame semble d’abord classique (un desperado trahi par son ami ne vit plus que pour se venger), le film glisse ensuite vers un rythme lent assez rare pour un western (ce qui fait ressortir les rares moments d’action : par exemple lors de la célèbre séquence du fouet) et il s’attarde sur des paysages surprenants : ainsi de longues séquences contemplatives sur la plage dans le bruit des rouleaux.


Le héros lui-même, campé par un Brando assez sobre (mais qui prend plaisir à se filmer), détonne : on est bien loin des héros de western. On sent ici les prémices de l’homme sans nom de Sergio Leone (ou de Blondin dans Le Bon, la Brute et le Truand), avec la même impassibilité, le même poncho. Et Brando est parfaitement secondé par des acteurs remarquables, en particulier Karl Malden, qui construit très bien ce hors-la-loi repenti devenu respectable mais à qui il reste encore des comptes à régler. Le sheriff Little Bill, campé par Gene Hackman dans Impitoyable, lui devra beaucoup. L’affrontement complexe de ces deux personnages épaissit remarquablement le film. On sent aussi l’influence de ce film dans Pat Garrett et Billy le Kid où Peckinpah reprend la séquence de l’évasion dans la prison.


Ainsi, malgré quelques longueurs (la trop longue séquence de la fiesta par exemple), ce western original est une belle réussite.


samedi 12 octobre 2013

Soleil vert (Soylent Green de R. Fleischer, 1973)




Très bon film d’anticipation de Richard Fleischer qui, comparé à d’autres films semblables, a moins vieilli et reste passionnant. Il démarre avec un générique fameux qui résume en deux minutes une histoire de l’Amérique : partant de photos d’époque, Fleischer évoque les grands espaces franchis lors de la conquête de l’Ouest, puis le développement des villes, jusqu’au manque d’espace et l’entassement (de voitures, de logements), le tout renforcé par les split-screens qui se multiplient à l’écran et montrent le passage d'une expansion à un surdécoupage de l'espace. Le film convoque donc un des grands thèmes du cinéma américains (la Frontière) pour montrer que, une fois l’espace franchi, une fois la côte Ouest atteinte, inévitablement, le manque de nouveaux espaces conduit à un entassement, à une surpopulation et, ensuite, fatalement, à un manque de nourriture. Le film exprime donc une inquiétude qui est consubstantielle de l’esprit américain. Soleil vert fait ainsi habilement le lien entre un motif traditionnel du cinéma et un sujet d’actualité.
Fleischer a le bon goût de ne pas décrire un futur si différent du monde actuel et en ayant peu recours à des effets spéciaux, ce qui vaut au film, pour ce qui est des décors ou des costumes, d’avoir bien moins vieilli que bon nombre des films similaires de la période.
Le film reprend une structure sociale héritée de Metropolis, où les riches sont épargnés des soucis : ici ils vivent dans de grands espaces et se nourrissent normalement (on mesure l’habileté de Fleischer à montrer comme extraordinaire ce qui, pour le spectateur moyen, est tout à fait normal : un morceau de viande, une cuillère de confiture) quand les pauvres sont entassés jusque dans les cages d’escaliers et doivent se nourrir de « soylent green » (mal traduit en « soleil vert », de ce qui signifie plutôt une « pousse de soja verte ») dont la découverte de la composition est le nœud de l’intrigue.



Le cinéma du Nouvel Hollywood est passé par là et a changé le  paradigme du héros. Loin d’être fidèle à ses glorieux prédécesseurs (incarnés typiquement à Hollywood par Gary Cooper ou John Wayne), le héros, interprété par Charlton Heston qui reprendra plusieurs fois des rôles similaires dans des films d’anticipation, n’est pas celui qui est le plus fort, mais il est celui qui cherche à savoir (on retrouvera ce même principe par exemple dans Rollerball ou L’Âge de cristal). On notera que la fin est ouverte : la connaissance étant acquise, le héros ne sait qu’en faire. Il clame la nouvelle mais on ne sait pas comment la population recevra l’information.
On retiendra bien sûr, entre autres séquences, la très émouvante et très célèbre scène de la mort de Sol, qui appartenait au monde « d’avant » et qui parle du monde d’aujourd’hui comme d’un paradis perdu.



jeudi 10 octobre 2013

La Charge héroïque (She Wore a Yellow Ribbon de J. Ford, 1949)




Ce magnifique film est le deuxième volet des trois films de John Ford consacrés à la cavalerie. Il fait immédiatement suite au Massacre de Fort Apache, et se situe dans la foulée, peut-être quelques semaines après la mort de Custer, lorsque les tribus indiennes cherchent à se regrouper pour faire face à l’armée.
Il y a pourtant un gap temporel étrange puisque le personnage principal, incarné par John Wayne comme dans Fort Apache, et qui est une continuation du prometteur Kirby York, n’est plus un jeune soldat à l’avenir devant lui, mais il est au seuil de la retraite. Il y a donc, au niveau du personnage principal, un saut d’une trentaine d’années. Il avait l’avenir devant lui dans le film précédent, il est maintenant un homme du passé. On notera la performance de John Wayne puisque les deux films sont réalisés à un an d’écart et qu’il semble avoir pris trente ans dans le second.


La Charge héroïque est donc un film sur le temps qui a passé, sur cette génération qui part (avec un pendant chez les Indiens), génération qui ne parvient plus à tenir la nouvelle et qui, avant de partir, cherche à éviter la guerre. Ce temps qui passe est magnifiquement représenté par l’image fameuse de Brittles sur la tombe de sa femme.



Le film est magnifique avec des motifs fordiens une nouvelle fois travaillés par le réalisateur, que ce soit dans sa description si emplie de pittoresque dans la vie du fort ou dans la teinte nostalgique qu’il sait donner. À partir de ce film charnière, les grands personnages de Ford, depuis Ethan Edwards dans La Prisonnière du désert à Tom Doniphon dans Liberty Valance, seront tournés vers le passé.


mardi 8 octobre 2013

Le Vent (The Wind de V. Sjöström, 1928)




Film admirable, où tout tourne autour du vent du titre, qui souffle à rendre fou dans ce pays perdu.
Ce vent commence par écraser le film, et Letty (magnifique Lillian Gish), qui débarque dans ce pays infernal, désespère et se recroqueville. Elle se marie avec le cowboy Lige – qui l’aime mais qu’elle n’aime pas – et tout n’est qu’un enfer. Sjöström filme avec une virtuosité exceptionnelle ce vent qui s’immisce et qui agite tout, sans cesse, comme une oppression démultipliée qui déferle à chaque instant. Puissance métaphysique qui impose un affrontement continuel. Cette hostilité du vent s’exprime génialement dans le cadavre de Wirt que Letty veut enfouir dans le sable et qui est sans cesse découvert. Au-delà de ce déchaînement physique de la Nature, le vent peut être vu comme ces hommes tentés qui tournent autour de Letty, comme une menace latente. On notera que cette idée est appuyée sur l'affiche originelle (où le nom de Sjöström est américanisé en Seastrom).


Et puis, progressivement, par la grâce de jeux de regards, à coups de champs-contre-champs progressifs qui montrent comment Letty, peu à peu, se tourne vers son mari, l’âme du film change et le vent souffle différemment dans la vie de Letty.
La façon dont Sjöström exprime cette progression du regard de Letty sur Lige – cet amour naissant – est remarquable. Dans un premier temps jamais Letty ne regardait Lige directement, si ce n’est pour lui répondre. Et puis, progressivement, Letty commence à le regarder, par-dessus son épaule, et, quand elle est ramenée chez eux par un ami, elle le regarde partir au loin.
On notera que la fin est imposée par les producteurs, alors que Sjöström avait prévu une fin avec Letty errant, folle, dans le désert…
C’est ainsi que, en 1928, alors que le cinéma parlant commençait à tout emporter sur son passage, le cinéma muet, bien loin d’être en déclin, produisait des chefs-d’œuvre immenses.

lundi 7 octobre 2013

Le Plus sauvage d'entre tous (Hud de M. Ritt, 1963)




Évocation d’une opposition père/fils, Le Plus sauvage d’entre tous s’accroche à la personnalité sanguine de Hud (très bon Paul Newman) comme détonateur du fossé entre la génération du père et celle du fils.
Mais le film est assez décevant, l’opposition entre les deux est frontale et assez simple, même si le scénario tente de complexifier les choses avec un autre fils disparu, celui que le père aimait. Mais cela reste sans grande surprise.
Par ailleurs le scénario ne nous aide pas : si l’on comprend que le père soit attaché à son ranch et qu’il refuse d’arnaquer les éleveurs de la région en vendant des bêtes malades, on comprend mal que, une fois les bêtes abattues par nécessité vétérinaire, il refuse de creuser la terre pour y trouver du pétrole. La fatalité s’étant abattue sur le ranch, il n’y a plus guère d’objections à se tourner vers des forages. Pour le coup la colère du fils – perpétuelle colère, comme faisant partie de lui-même – devient tout à fait justifiée.


samedi 5 octobre 2013

Star Wars, épisode I : La Menace fantôme (Star Wars: Episode I – The Phantom Menace de G. Lucas, 1999)




Seize ans plus tard, George Lucas reprend son enfant chéri Star Wars et lance une prélogie, avec des moyens financiers colossaux et des effets-spéciaux de pointe (deux éléments qui l’avaient bridés lors du tournage du premier film). Las, malgré un succès colossal (lié à la fois à l’attente des nombreux fans et aux gigantesques opérations de promotion), la déception est énorme.
En effet, au-delà d’une réalisation sans imagination (on se dit que, phagocyté par Star Wars, Lucas ne retrouvera plus jamais sa verve créatrice du début), le film patauge complètement en cherchant à joindre les deux bouts, entre l’héritage de l’univers de la série et un cahier des charges exigeant.
C’est que le film doit, tout à la fois, respecter l’univers de Star Wars et être un film familial. Par familial il faut entendre que le film n’est plus seulement destiné aux adolescents (comme c’était le cas lors du premier film), mais il cherche aussi à plaire aux enfants. Sur ces deux points, le film est un échec.

Tout d’abord, si Lucas a construit un univers cohérent dans les premiers épisodes, il a, semble-t-il, oublié à quel point un tel univers est fragile mais essentiel. En effet un univers de science-fiction, lorsqu’il est construit de toute pièce comme ici, doit jongler toujours avec un certain nombre d’éléments scientifiquement limites mais qui sont considérés comme acquis pour qui veut entrer dans le film. Par exemple, dans l’univers de La Guerre des étoiles, il est convenu que les vaisseaux vont plus vite que la lumière. De même il est convenu qu’une Force est ressentie et maîtrisée par les Jedi, et qu’elle leur permet, entre autres choses, de contrôler certains esprits, de ressentir un équilibre ou une dissonance dans la Nature, de bouger des objets, etc. Cette Force est décrite comme une religion par ces détracteurs qui, ne la ressentant pas, n’y « croient » pas.  Et cet univers fait évidemment partie du charme des films.
Ici Lucas brise toute cohérence en n’hésitant pas à définir scientifiquement cette Force en lui donnant une existence concrète au travers de l’invention des midi-chloriens, qui sont des micro-organismes symbiotiques. Définir scientifiquement cette Force (en dosant le taux de midi-chloriens pour détecter les futurs Jedi) détruit les conventions mises en place dès le début de la saga. D’un enseignement de vieux sages qui « sentent » les choses, on passe à une prise de sang pour calculer le taux de midi-chloriens ! Lucas cherche ensuite à joindre les deux bouts (celui de la religion et celui de la science) en évoquant l’idée qu’Anakin Skywalker est conçu par les midi-chloriens et qu’il est « l’Elu ». Bien entendu tout cela est ridicule, on se demande quelle mouche à bien pu piquer les scénaristes.

La volonté de conquérir de nouveaux publics jeunes est sans doute à l’origine de l’existence du personnage de Jar-Jar Bink. Ce personnage laisse pantois. Sa création est celle d'un réalisateur qui ne sent pas son film et qui ne parvient pas à trouver le dosage entre l'action et l'humour. Lucas avait, il est vrai, une pépite dans les trois premiers épisodes : il s’agit du personnage de Han Solo (vrai héros attachant de la saga, bien plus que Luke), dans lequel Harrison Ford projette ce mélange délicieux de décontraction et d'aventure. Marque de Harrison Ford (mais non création, il y a bien des acteurs qui ont su avant lui mélanger ainsi la décontraction et l'aventure), suivant une recette qu'il appliquera avec bonheur dans les Indiana Jones. Dans les premiers épisodes il y avait bien les échanges entre C3-PO et R2D2 qui amenaient une variante burlesque, mais c'est surtout Han Solo qui s'en chargeait. Or ici point de Han Solo et les personnages sont tous extrêmement sérieux. Dès lors le scénariste s'est trouvé face à un problème : comment insuffler une dose d'humour dans le film ? Lucas & Co n'ont rien trouvé de mieux que d'inventer un personnage uniquement comique, burlesque, gaffeur, ce qui confine au ridicule à côté des autres personnages qui sont, eux, on ne peut plus sérieux. Dès lors le ton du film se perd, l'équilibre entre action/humour/tragique n'est pas trouvé. Non, Han Solo ne tire pas la langue quand il est contrarié. Ce n’est pas la peine de déployer des effets numériques à tout va pour créer un tel personnage. Bien sûr ce personnage est une bénédiction pour élargir le public. Les premiers Stars Wars étaient des films d'adolescents, ici on cherche à accrocher les enfants en sus.



À ces deux faillites – détruire un univers et ne pas trouver le juste ton – se rajoutent diverses aberrations scénaristiques. Et remarquons que le morceau de bravoure du film – la séquence célèbre de course de podracers –, si elle est tout à fait spectaculaire, peine à se justifier. Elle est en fait complètement déconnectée du reste du scénario et prend une importance énorme alors que c'est une séquence absolument secondaire dans l’intrigue. Cette course est traitée comme une séquence finale alors qu'elle n'est qu'un élément secondaire. Et, même, la séquence finale est très en-dessous (d'ailleurs on l'oublie très vite, on se tire dessus à droite à gauche, rien d'éblouissant). On pensait que ce type d'erreur scénaristique n'avait plus cours dans ce genre de productions où le spectaculaire est un fonds de commerce bien rodé.

Le retour de la saga Star Wars s’accompagne donc d’une destruction en règle de ce qui faisait la substance même des premiers épisodes : un univers propre qui happe le spectateur et un équilibre entre l’action et l’humour, le tout combiné offrant un spectacle plaisant. Rien de tout cela ici : le film apparaît comme un space opera banal, un peu grotesque, qui exhibe des signes de la saga Star Wars comme autant de gimmicks mais sans que le charme n’opère.



vendredi 4 octobre 2013

Café de Paris (Y. Mirande, G. Lacombe, 1938)




Yves Mirande et Georges Lacombe nous plongent dans un Paris bourgeois d’avant-guerre, à la fois foisonnant et veule, agité et moribond. Les nombreux personnages qui viennent se côtoyer dans ce café lors du réveillon sont l’occasion d’une attaque en règle contre ce Paris insouciant qui ne sait pas qu’il va mourir.
Le film, jusqu’alors un peu confus, démarre réellement avec le meurtre de Lambert, qui , en lançant une enquête policière, est l’occasion de faire craquer le vernis social. Cette seconde partie du film est très réussie.