mardi 30 mai 2023

Au poste ! (Q. Dupieux, 2018)

 



Fidèle à sa manière de faire si particulière, Quentin Dupieux s’amuse à briser les lignes narratives dans tous les sens en partant d’une situation classique (un interrogatoire en forme de huis clos) et en la dynamitant à qui mieux-mieux. Mais si – comme toujours chez Dupieux – il y a de bonnes idées (le mélange du passé et du présent dans les récits du témoin) et de bonnes lignes de dialogues (cette histoire de « c’est pour ça »), l’ensemble est parfois assez poussif, le rythme s’épuisant.
Et puis la fin, il faut bien dire, déçoit : cette pseudo-révélation d’une pièce de théâtre ne convainc guère et semble bien facile. C’est que l’on touche une limite du style de Dupieux : comme il s’affranchit de toutes les contraintes (temporelles, logiques, etc.), que l’absurde prend le dessus, alors tout devient possible et plus rien ne surprend vraiment.

Heureusement, Benoît Poelvoorde, impeccable, distille toujours le même plaisir.

 

vendredi 26 mai 2023

L'importance fondamentale du montage selon Bresson



L’acte fondamental du montage selon Robert Bresson :

« Ce qui est beau au cinéma, ce sont les raccords, c'est par les joints que pénètre la poésie. Il faut qu'une image se transforme au contact d'autres images comme une couleur au contact d'autres couleurs. Un bleu n'est pas le même bleu à côté d'un vert, d'un jaune, d'un rouge. Pas d'art sans transformation.
»

 



mercredi 24 mai 2023

Paramatta, bagne de femmes (Zu Neuen Ufern de D. Sirk, 1937)

 



On retrouve déjà, dans ce film allemand d’avant-guerre, toute la substance des célèbres mélodrames américains de Douglas Sirk (qui signe encore de son nom Detlef Sierck). Le film est construit autour de personnages plus complexes qu’il n’y paraît, personnages qui hésitent, notamment Finsbury, indécis, que l’on pense frivole et cynique mais qui est, en réalité, on ne peut plus sincère. Regard sur la société et ses carcans, le mélodrame, empli de chants (que l’on retrouvera dans La Habanera par exemple), porte une humeur particulière, pleine de tristesse, de nostalgie d’une vie ratée, de sacrifices beaucoup trop grands. Cette beauté particulière, par moment tout à fait magnétique, donne au film une tonalité étrange qui annonce les plus grands films de Sirk.

 


lundi 22 mai 2023

Lettres d'Iwo Jima (Letters from Iwo Jima de C. Eastwood, 2006)





Film décevant en ce qu’il prenait pour idée force d’être le contre-champ du magnifique Mémoires de nos pères et il n’en est que le pâle reflet. Il ne dialogue jamais avec son film miroir, on ne voit pas les mêmes séquences se jouer et être vécues des deux côtés du front. C’est la même grande Histoire (le débarquement et l’attaque sur le mont Suribachi), mais ce ne sont pas les mêmes petites histoires qui s’entremêlent.
C’est dommage, Clint Eastwood tenait là l’occasion d’une fresque immense et riche (peut-être un peu à la façon de La Condition de l’Homme), fort de son honnêteté à raconter le versant japonais. Mais Lettres d’Iwo Jima n’est guère plus qu’un complément qui vient rééquilibrer le propos américano-centré de Mémoires de nos pères.

 


samedi 20 mai 2023

Marie-Antoinette (S. Coppola, 2006)

 



Sofia Coppola dresse un joli portrait de Marie-Antoinette, jeune autrichienne espiègle qui débarque dans le faste guindé et mirifique de la cour du roi.
Elle capte bien la dissonance entre cette jeune adulte parachutée dans un autre univers. Davantage que Marie-Antoinette à la cour du roi, c’est une adolescente projetée dans un monde d’adulte que filme Coppola. Ses idées de mise en scène tout en rupture (la musique moderne, les anachronismes) participent très bien de l'ensemble et lui donne une coloration qui dépasse le simple film historique.

Le plus réussi, peut-être, dans ce portrait, est à la fin, lorsque la réalisatrice capte parfaitement l'instant : on comprend que c’est lorsque le couple Louis XVI-Marie-Antoinette devient enfin capable de dépasser l’écrasement de la fonction – lorsqu’ils deviennent alors réellement, en quelque sortes, roi et reine – qu’il leur faut fuir.



jeudi 18 mai 2023

La Fille des marais (Das Mädchen vom Moorhof de D. Sirk, 1935)

 



Dès son deuxième film, la maîtrise et la sensibilité de Douglas Sirk éclatent à l’écran. Dans ce drame au ressort assez classique, c’est toute l’atmosphère créée par Sirk qui prévaut, avec, peu à peu, ces non-dits qui s’affirment entre les personnages, ces ressentis avec lesquels le film joue parfaitement.
La scène clé – lorsque Helga vient répandre de la cendre sur le poêle, façon pour elle de s’approprier la maison et de manifester son amour pour Karsten – est magnifique : Sirk joue avec élégance de sa caméra en suivant le regard d’Helga, la fait tourner sur elle-même et revenir vers les personnages en suivant leurs ombres conjointes. On tient là toute la virtuosité du réalisateur qui a parfaitement compris comment saisir le spectateur et lui faire ressentir, en même temps que les personnages, ce qu’eux-mêmes comprennent quant à leurs sentiments respectifs.

 


lundi 15 mai 2023

The Gambler (R. Wyatt, 2014)





Remake très quelconque du grand film de Karel Reisz, ce Gambler de Rupert Wyatt passe à côté de son sujet. En modifiant le personnage central, le film s’éloigne totalement d’Axel Freed qui fascinait dans le film de Reisz. Ici il devient un dandy indifférent et insouciant, bien loin de la complexité de son prédécesseur.
Mais il faut dire aussi que le film pâtit de son casting : Mark Wahlberg est beaucoup trop limité pour un rôle aussi fin et complexe. D’ailleurs ce remake met particulièrement en évidence la difficulté d’un jeu d’acteur minimaliste. Mark Wahlberg est tout à fait insipide, sans personnalité, éteint. On mesure l’écart avec James Caan, magnétique, qui donnait à son personnage une personnalité complexe, assaillie de contradictions, à la fois animé de pulsions de vie et déjà vidé et éteint. Ici le personnage joué par Wahlberg est comme dépressif de bout en bout, monolithique et sans épaisseur.

On retient davantage, de ce film, la très bonne composition de John Goodman dans un second rôle.

L’image finale résume beaucoup l’écart entre les deux films : l’un, le plus récent, semblant renoncer à emmener son personnage jusqu’au bout de sa trajectoire quand l’autre, l’original, le laisse après le bord du gouffre, déjà en train de tomber. C’est en effet, dans le remake de Wyatt, une course à perdre haleine jusqu’au petit matin avec un espoir de reconstruire une vie qui s’oppose à l’arrêt sur image fixant le visage de James Caan, le visage violemment balafré, dont le personnage n’en finit pas de tomber.



 

samedi 13 mai 2023

Babylon (D. Chazelle, 2023)





Derrière le rythme qui se veut frénétique et cherche à refléter la frénésie d’Hollywood, Babylon déçoit quelque peu.
Après une première séquence orgiaque (s’appuyant sur le scandale bien connu de Fatty Arbuckle), cette ambitieuse fresque qui se veut vive et rythmée peine pourtant à captiver. Pour ambitieux qu’il puisse être, le film est empli de séquences qui l’alourdissent, le rendant inutilement long et mal équilibré. De sorte que, peu à peu, une fois que l’on a compris où voulait en venir Damien Chazelle, l’ennui nous prend et le film fait progressivement subir ses plus de trois heures.

Il est intéressant de voir que Babylon évoque Chantons sous la pluie à la fois par le thème (le passage du muet au parlant notamment) mais aussi en étant cité directement en fin de film (il redonne le sourire à Manny). Mais cette référence pèse terriblement lourd  et montre l’abîme qui sépare les deux films. En effet, pour ne prendre que cet exemple, les séquences montrant les difficultés de tournage des toutes premières scènes sonorisées sont bien loin d’égaler celles du glorieux aîné.

Il reste quelques moments réussis et notamment la fin pathétique de Jack Conrad, très bien filmée.





jeudi 11 mai 2023

Le Cours de la vie (F. Sochjer, 2023)

 



On est tout de même sidéré, parfois, de la faiblesse indigente des longs-métrages français. D’autant que celui-ci, comme s’il voulait renforcer encore sa médiocrité, tente de cocher toutes les cases de la bien-pensance, et même, plus précisément, de la bien-pensance cinématographique, en accumulant les poncifs, les situations et les caricatures les plus navrantes. On a donc droit à un film qui se déroule au sein d’une école de cinéma et tourne autour de cours donnés par une scénariste à des élèves qui sont, eux aussi, comme il se doit, des caricatures d’étudiants. On frémit à l’idée que le film ne soit pas si caricatural et qu’il se fasse l’écho assez juste de ce qui se déroule dans une telle école…
Pour le reste ni les personnages, ni les situations, ni l’intrigue elle-même n’ont d’intérêt, tout étant lisse, joué d’avance, ne sortant jamais de la caricature. Et, comme un bouquet final, la dernière séquence (la lettre jamais lue qui est jetée à la poubelle pour être ensuite ramassée par un élève et qui finit par être lue en voix off) est absolument ridicule : on devrait en rire tellement tout cela est mauvais, mais on est mal à l’aise devant un cinéma si affligeant et qui se croit pourtant si malin.

 



mardi 9 mai 2023

Godland (Vanskabte Land de Palmason H, 2022)

 



Beau film de Hlynur Pálmasson dont la première partie – l’arrivée d’un pasteur en Islande et sa confrontation avec la nature environnante – est saisissante. On ressent combien les éléments qui se déchaînent – la pluie qui ne cesse pas, le froid, l’immensité plate et morne – frappent le jeune pasteur dans sa chair mais aussi dans sa foi. Il titube et c’est à grand-peine qu’il parvient à poursuivre la route.
La seconde partie, lorsque l’installation est faite et que l’église est en construction, est moins convaincante. Pourtant les relations qui atteignent bientôt un point de non-retour (avec le guide, avec le père des deux filles) forment un sujet bien traité. Mais le contraste avec la première partie, la facilité avec laquelle, finalement, l’église se construit – comme si le combat initial n’était plus tout à fait le sujet – est un peu décevant.

Mais le film reste très beau et l’idée de jouer avec les photos prises par le prêtre – photos qui scandent le film et qui sont le prétexte à de belles séquences de portraits – est magnifique.


 

vendredi 5 mai 2023

Mémoires de nos pères (Flags of Our Fathers de C. Eastwood, 2006)





Magnifique film de Clint Eastwood, qui dépasse largement le film de guerre classique pour se livrer à une réflexion complexe et riche sur l’héroïsme, la guerre, la manière de la percevoir et de la vivre.
Comme souvent, Eastwood mélange différents moments (un temps présent et deux temps du passé, lors des combats) et il entremêle les évènements et les souvenirs qui reviennent comme autant de couches de peinture qui se superposent et donnent une épaisseur aux personnages et, par là même, au récit.

Le film prend pour argument la célèbre photo des marines au sommet du mont Suribachi lors de la prise de l’île d’Iwo Jima, photo à l’histoire étonnante – et qui ne peut que fasciner Eastwood – puisque le photographe Rosenthal (célébré pour ce cliché) capte en réalité le second planté de drapeau, celui sans risque et sans prestige. Dès lors, même ceux qui sont sur la photo ne sont pas forcément si héroïques.

Eastwood se balade entre différents époques, comme il aime à le faire, pour tisser les liens entre passé et présent et réfléchir, avec virtuosité, à ce qu’est un héros et à la réalité de cet héroïsme. Et il met ainsi en évidence progressivement, l’écart, même sincère, entre la substance et l’image : René Gagnon reconnaît qu’il a beau être sur la photo, il n’a pas tiré un coup de feu ni pris de risque. A contrario, John Bradley, beaucoup plus héroïque, a été désigné comme étant sur la photo alors qu’il n’y était pas. Mais il faisait en revanche partie des marines qui ont planté le premier drapeau, dans des conditions beaucoup plus risquées.
On le voit, les choses ne sont pas simples et la réalité elle-même est trompeuse.

Les séquences de guerre proprement dites, avec le débarquement sur l’île et les combats féroces qui s’engagent, sont éblouissantes et renvoient à la célèbre séquence du débarquement de Il faut sauver le soldat Ryan mais de façon plus complexe : la séquence est morcelée et montrée en plusieurs fois. C’est qu’il ne s’agit pas pour Eastwood, comme l’avait fait Spielberg dans son film, de construire une séquence sur laquelle s’appuiera tout le film, mais de suivre à la fois la manière dont la grande Histoire se fait (celle qui mène à la légende des marines plantant le drapeau) et la manière dont les soldats vivent l’évènement qui leur reviendra sans cesse en mémoire.


Eastwood, en revanche, déçoit beaucoup avec le film miroir qu’il tourne en même temps et qui sort dans la foulée – Lettres d’Iwo Jima – : bien loin d’être un contre-champ japonais à la vision américaine, il rate un peu son but et ne dialogue guère avec Mémoires de nos pères.

 




mercredi 3 mai 2023

Le Flambeur (The Gambler de K. Reisz, 1974)

 



Magnifique film de Karel Reisz, centré sur un personnage de looser toujours sur la corde raide, au regard sans cesse perdu au loin, et qui cherche à capter la substance électrique du monde (« le jus de la vie ») au travers de ses paris sans cesse plus risqués et insensés. Pour Axel Freed seul compte le pari en lui-même, la perte d’argent en soi n’ayant aucune importance (par exemple le pari contre de jeunes basketteurs des rues où il risque vingt dollars en ne pouvant empocher que dix pence). Et c’est l’incertitude et la remise en cause totale et incessante qui l’accaparent.
Mais ce joueur compulsif dostoïevskien (le film peut d’ailleurs être vu comme une adaptation du roman de Dostoïevski) est aussi, dans sa face respectable, professeur de littérature et il entreprend ses élèves sur Shakespeare ou Dostoïevski justement. Sa tirade sur le « 2 + 2 = 5 » est à ce titre évocateur de sa certitude de gagner, certitude qui va à l’encontre de toute raison. Il ressent, au cœur de ses paris fous, des instants d’équilibre où il sait qu’il va gagner.
James Caan, magnétique, promène sa grande carcasse dans une New York très bien filmée, entre night-clubs et bars poisseux, où l’on croise de riches juifs, des bookmakers louches ou des hommes de main violents.
Et, bien sûr, peu à peu, Axel se désagrège, les fils de sa vie se rompent et tous ses paris mènent à une autodestruction assumée et recherchée, jusqu’aux séquences finales, qui ne laissent guère d’espoir.
Bien sûr – c’est là le propre, sans doute, de la fiction – Reisz emmène son personnage très loin et l’on se demande un peu comment il a pu survivre jusqu’ici à coup de paris et de mises toujours plus importantes. Mais cette trajectoire, très typique du Nouvel Hollywood, rejoint – en moins planante et moins directe mais tout aussi suicidaire – celle de Kowalski de Vanishing Point et de tant d’autres antihéros dont la vie se résume à avancer toujours plus vite sur une corde raide tendue en travers d’un ravin.
Plus encore que dans le remake insipide de Rupert Wyatt, c’est le personnage d’Howard Ratner dans le très bon Uncut Gems des frères Safdie qui renvoie à Axel Freed et à sa frénésie destructrice.