vendredi 30 décembre 2016

Les genres au cinéma : une définition




Suzanne Liandrat-Guigues (Le western, in CinémAction N°68, 1993) propose, en filigrane de son article, une définition de ce qu’est un genre au cinéma (son article traite du cas du western, mais sa réflexion est évidemment applicable à tous les genres) :

« Un genre est tout d’abord une collection d’œuvres, un corpus jamais fermé qui n’a pas non plus d’origine fermement assignable. Les œuvres qui ont précédé l’émergence du genre western ne constituent une origine que dans une visée rétrospective. Dans le moment où elles apparaissaient, elles ont pu tout aussi bien nouer des alliances avec d’autres catégories de films que ceux qu’on allait appeler « westerns ». Le corpus, tout en se construisant, ne cesse de tracer des voies en direction d’autres corpus (policier, science-fiction, film historique ou à costumes).
[…]
Ainsi se constituent des stéréotypes car la répétition est indissociable du genre, qui repose sur l’instauration d’un système d’attente. En même temps la répétition appelle la variation comme l’écrit un critique de l’époque du muet : « Presque dès le début du film, ce qui va arriver est évident, mais après tout un film de ce genre crée toujours chez le spectateur une attente, car il paraît incroyable qu’aucune idée nouvelle n’ait été glissée quelque part ». La variation espérée est donc elle-même constitutive du genre alors qu’elle repose sur des clichés fortement établis.
[…]
Il faut donc s’interroger sur les jeux de forces qui s’exercent et engendrent les transformations. Que celles-ci visent à faire absorber par le dispositif des éléments nouveaux et jusque-là étrangers au genre ou qu’elles libèrent des éléments anciens qui migreront vers d’autres genres ou disparaîtront, les transformations sont de nature historique.
[…]
Ce que, dans une perspective historique, on se plait à envisager comme les composants d’un système clos, échappant à toute diachronie, en réalité ne cesse de circuler d’un genre à l’autre. A ce mouvement, de vitesse et d’amplitude variées, on oppose la permanence d’une appellation générique (western), mais ce mot recouvre des réalisations différentes à chaque moment de l’histoire du genre. »


mercredi 28 décembre 2016

L’Étrange affaire Angelica (O estranho caso de Angelica de M. de Oliveira, 2010)




Très beau film de de Oliveira, au rythme lent, mais très raffiné et charnel. Le film dispense autour de lui une espèce d’impassibilité, un peu austère, mais très poétique. Au travers de l’histoire de ce photographe à la fois fasciné par les paysans qui travaillent à l’ancienne et par Angelica, cette jeune mariée morte qui lui sourit, de Oliveira joue d’un récit intemporel (relent réussi de la genèse ancienne du scénario : on ne saurait dire, par moment l’époque à laquelle se déroule son histoire) pour filmer la mort et la disparition d’un monde.
La photographie est splendide (avec un jeu de contraste et une lumière magique) et cette évocation d’un monde qui passe et disparaît est très réussie.
On pense à Peter Ibbetson, de par cet amour soudain qui vrille le photographe et se poursuit par-delà la mort, et bien sûr, à L’Aventure de Mme Muir, avec son spectre amoureux et cette étrangeté un peu fantastique qui imprègne le film.


lundi 26 décembre 2016

L'autobiographie selon Woody Allen



Woody Allen nous donne quelques pistes pour expliquer sa tendance à avoir filmé souvent les mêmes situations ou les mêmes personnages :

« Presque tout mon cinéma est autobiographique : exagéré mais vrai. Je ne suis pas social. Je ne reçois pas grand-chose du reste du monde. J’aimerais sortir de là, mais je ne peux pas. »


samedi 24 décembre 2016

La grande syntagmatique de C. Metz




Cherchant à étudier la structure narrative d’un film (c’est-à-dire l’ordonnancement des grandes unités d’un film), Christian Metz a proposé (dans ses Essais sur la signification du cinéma, 1968) une typologie des différentes séquences narratives au cinéma. Un peu comme une grammaire du cinéma si l’on veut (si ce n’est qu’une telle grammaire n’est pas normative comme pour une langue, mais qu'elle est uniquement analytique et constatée).
Bien sûr le travail de Metz est à la fois incomplet, imprécis et peu aisé à utiliser (il le reconnaît lui-même), mais, pour l’amateur, il reste un canevas de base utile qui permet d’organiser les réflexions.

1. C. Metz distingue tout d’abord la scène, qui constitue une unité, ressentie comme « concrète » et qui est analogue, nous dit-il, à ce que nous offre la vie ou le théâtre (un lieu, un moment, une petite action particulière et ramassée). S’il y a des coupures (successions de plusieurs plans), ce sont des coupures de caméra mais non diégétiques.

2. Vient ensuite la séquence, qui est pour Metz une unité plus complexe où l’action « saute » des moments inutiles (les moments sautés sont sans importance pour l’histoire) et sur lesquels le réalisateur passe. Contrairement à la scène il n’y a donc plus de coïncidence entre temps filmique et temps diégétique.
On peut, à loisir, distinguer la séquence ordinaire (avec des ellipses sur le banal d’une action qui est supprimé) ou la séquence à épisodes (où certains épisodes de l’action sont supprimés, suivant un choix narratif du réalisateur).

Ensuite, C. Metz précise : on a affaire à une suite de plans qui marchent ensemble, qui réagissent les uns sur les autres. Il les appelle des syntagmes.
Il distingue alors différents types de syntagmes. Avec tout d’abord les syntagmes non chronologiques :

3. Il décrit alors le syntagme parallèle, où, au montage, alternent des motifs qui reviennent par alternance. Par exemple : scènes de vie des riches/scènes de vie des pauvres ; images de calme/images d’agitation. Ces images ne sont pas prises dans une même action.

4. le syntagme en accolade : on voit plusieurs exemples indépendants d’un même motif (Metz parle de signifiants redondants). Par exemple le froid, exprimé par des images successives qui sont autant d’allusions illustrant le froid.

Viennent ensuite les syntagmes chronologiques. Là il distingue :

5. Le syntagme de simultanéité : c’est le syntagme descriptif, où l’on voit une suite d’images qui décrivent un lieu. Par exemple : une maison et son jardin, qui coexistent. Metz prend aussi l’exemple d’un troupeau de moutons en marche : vues des moutons, du berger, du chien, etc.

6. le syntagme alterné qui définit des consécutions (et donc bien une chronologie) : images de poursuivants/images des poursuivis ; deux joueurs de tennis où chacun est cadré au moment où la balle est à lui, etc. L’action est commune d’une image à l’autre (à la différence du syntagme parallèle) et le syntagme maintient donc rapprochés différents rameaux de la narration.

7. Il dissocie enfin les plans autonomes (les gros plans, les inserts) qui sont constitués d’un plan unique. Cette catégorie est, de son propre aveu, un peu fourre-tout.
On remarquera que, pour Metz, le plan-séquence est à ranger dans les scènes plus que dans les plans autonomes.


Sa typologie est intéressante principalement pour le cinéma narratif, autrement dit pour les films dont les segments ont entre eux une relation de type temporel (succession chronologique ou simultanéité) ou de type causal (tel élément est une cause, tel autre en est une conséquence, etc.).
Mais, dès que le cinéma n’est plus réellement narratif (cinéma à propos duquel A. Robbe-Grillet a inventé opportunément le terme de dysnarratif), cette typologie n’est plus guère pertinente ou, à tout le moins, très incomplète.


mercredi 21 décembre 2016

Quai des Orfèvres (H.- G. Clouzot, 1947)




Excellent film d’atmosphère de Clouzot, qui s’appuie sur une imprégnation sociale forte de chaque lieu où il promène ses personnages (les coulisses d’un théâtre, les locaux de la PJ, etc.) et sur des comédiens exceptionnels (quelle partition de Jouvet !). Cet attachement du réalisateur à recréer des ambiances et, par-là même, à faire du film une étude de mœurs, met presqu’au second plan la résolution de l’énigme policière. D’ailleurs le scénario est habile : la focalisation n’est pas fixe, et l’on épouse tantôt le regard de Maurice (excellent Bernard Blier), tantôt celui de sa femme ou de l’amie de sa femme, tantôt celle de l’inspecteur Antoine (Jouvet). Ces changements de focalisation dédramatisent l’opposition policier-coupable, et accentuent le bain social réaliste du film. Il n’y a guère que le regard du meurtrier que, en fait, le film n’épouse pas.
C’est que Clouzot ne nous invite pas à choisir entre le(s) présumé(s) coupable(s) et le policier, tous ont une part de sympathie et d’humanité qui les rend proches du spectateur, malgré leurs travers. De même, malgré un cynisme et une noirceur indéniable, Clouzot laisse quelques espoirs au spectateur (l’amour triomphe, sans que l’on ressente une artificielle happy-end).
Les deux seuls personnages qui, manifestement, n’ont pas la sympathie du réalisateur, sont finalement la victime… et le coupable !
On tient là un des chefs-d’œuvre incontestables du film noir à la française.



samedi 17 décembre 2016

L'Ouragan de la vengeance (Ride in the Whirlwind de M. Hellman, 1965)




Intéressant western de Monte Hellman, qui part dans des directions étonnantes pour le genre. Ici il s’agit d’une confusion où des cow-boys sont pris pour des hors-la-loi et sont poursuivis par la milice locale. Bien loin des figures hollywoodiennes, Hellman filme au plus près ces personnages communs, bien loin de tout héroïsme ou surpuissance (tout juste y a-t-il un sacrifice final). Les personnages, par cet aspect banal, sont intéressants.
On sent dans ce western la tentation de Monte Hellman, tentation qu’il exprimera bien davantage encore dans The Shooting, de dépouiller le western de ses codes habituels (en cela il s’inscrit complètement dans la revisite du genre de la fin des années soixante).



jeudi 15 décembre 2016

Les Vikings (The Vikings de R. Fleischer, 1958)




Très bon film d’action de Richard Fleisher, qui propose une version hollywoodienne des vikings, avec ce que cela suppose de kitsch ou de traits brossés à la va-vite, mais aussi avec les qualités inhérentes : l’ensemble est très bien emmené, distrayant, avec ce qu’il faut d’orgies, de batailles, de drakkars, de châteaux assiégés, de félons et de guerriers valeureux qui se battent pour les beaux yeux de la belle. Kirk Douglas fait un Einar balafré et haineux mémorable.


mardi 13 décembre 2016

Une définition de l'art de J. von Sternberg


Une définition de l'art, par J. von Sternberg :

« L’ombre, c’est la lumière, et la lumière, c’est la clarté. L’ombre cache, la lumière révèle. Savoir ce qu’il faut révéler et ce qu’il faut cacher, et à quel degré, c’est la définition de l’art. » 


dimanche 11 décembre 2016

Winter Sleep (N. B. Ceylan, 2014)




Si Nuri Bilge Ceylan a rencontré un grand succès critique avec ce film (palme d’or à Cannes) et si on y retrouve plusieurs des grandes qualités du réalisateur (facilité à construire pas à pas un univers qui s’épaissit lentement, jeu des ambiances chaudes et froides, esthétisme puissant des images), l’ensemble est moins réussi qu’Il était une fois en Anatolie.
En effet, si Ceylan pose calmement ses quelques personnages et cherche à les révéler au spectateur d’abord, à eux-mêmes ensuite, il n’y parvient qu’à demi. La lente exposition est très réussie, on voit poindre plusieurs questions (dont une qui semble principale, articulée autour de Aydin : comment vivre aisé au milieu de gens pauvres ?), mais ces questions n’aboutiront guère. Ceylan semblera oublier plusieurs pistes de cette ouverture et Aydin, cœur du film et personnage suffisamment puissant et complexe sur lequel le récit repose, reste effleuré : le Aydin de la fin du film n’est guère différent de celui du début. Il s’avoue simplement, malgré sa distance un peu cynique, sa dépendance, complexe mais effective, à sa femme. Mais ce retour chez lui a lieu sans qu’il ait véritablement traversé d’expérience humaine (au contraire de sa femme, avec la scène étonnante mais un peu vaine où elle offre de l’argent aux pauvres locataires).
On reste bien loin des révélations progressives d’Il était une fois… qui rattachaient progressivement les personnages à des genres humains tristes et affectés mais infiniment universels.

Reste une image splendide et un rythme patient et discret, qui permet de construire peu à peu les personnages et les rapports humains, en les attachant à un univers typé et exotique (pour des spectateurs occidentaux). Reste aussi cet écho magnifique des personnages aux paysages de Cappadoce, au froid ou à la chaleur, au blanc de la neige ou à la clarté jaune de l’âtre ou de la lampe de bureau.


vendredi 9 décembre 2016

Ève (All About Eve de J. L. Mankiewicz, 1950)




Film presqu’entièrement basé sur des flash-backs (on retrouve là une technique narrative chère au réalisateur), Ève est un splendide chef-d’œuvre.
Mankiewicz brosse un portrait grinçant de l’arrivisme dans le monde du spectacle, entre l'ego des acteurs et la cupidité des producteurs. Il s’appuie sur une magnifique Bette Davis, qui trouve là un de ses rôles phares, et sur des seconds rôles parfaits (Georges Stevens notamment). Anne Baxter, quant à elle, dans le rôle d’Ève, est une parfaite incarnation de l’ingénue en fait prédatrice.
La narration est d’une maîtrise totale, organisée autour de 7 flash-backs répartis entre 3 narrateurs.
La réflexion sur l’acteur et son double (Ève est le double de Margot, et la remplace progressivement, jusqu’à devenir star à son tour) est finement analysée, autant par l’adoration réelle d’Ève pour Margot (adoration qui ne l’empêchera pas de la manipuler) que par le regard de Margot sur sa propre vieillesse.


Le film, pourtant, distille moins d’affect que d’autres chefs-d’œuvre de Mankiewicz : il n’a pas le charme de La Comtesse aux pieds nus (où Mankiewicz reprendra son regard critique sur le monde du spectacle), ni le romantisme triste de Mme Muir. Eve est beaucoup plus froid et, même s’il est éclatant de brio, semble plus artificiel et technique.


Le film reste d’une importance capitale dans le cinéma, ne serait-ce que par son influence. Opening Night ou encore Tout sur ma mère reprennent plusieurs des thèmes majeurs du film et s'y réfèrent directement.


mercredi 7 décembre 2016

Les Quatre Cents Coups (F. Truffaut, 1959)




Film plein de charme, Les Quatre Cents Coups, s’il fait partie des films qui lancent la nouvelle vague, est moins radical dans sa forme que chez Godard (A bout de souffle notamment). Truffaut donne une forme de chronique, tantôt touchante et naïve et tantôt lourde de sens, à ces quelques jours de la vie d’Antoine, coincé entre ses parents (Antoine, très clairement, aime sa mère qui, de son côté, lui manifeste bien peu son amour maternel) et son instituteur. Le réalisateur joue avec les symboles : celui d’une école qui échoue à sociabiliser l’enfant, d’une ville qui l’accueille et le nourrit, d’une incapacité à s’exprimer (il écrit sur les murs de la salle de classe, vole une machine à écrire, etc.), d’un appartement familial qui l’emprisonne. Tout s’organise autour de cette relation enfant-mère-ville. Où la mère d’Antoine, elle aussi, fait l’école buissonnière en allant retrouver son amant dans les rues de Paris…
Et le film saisit merveilleusement ces improvisations d’enfant, ce milieu familial un peu bancal, avec Paris qui l’englobe comme un tout.

Jean-Pierre Léaud, dans la première apparition de son célèbre personnage, est formidable. Il montre déjà ce mélange de détachement et de spontanéité qui fera son succès. L’interrogatoire par la psychologue, en fin de film, est superbe, révélateur et très drôle.


On remarquera aussi la fin délibérément ouverte et qui annonce, d’une certaine façon, la suite des aventures de Doinel : échappé du centre de redressement, il arrive sur la plage, auprès des vagues, et la caméra saisit son regard interdit. Arrêt sur image et générique : le jeune adolescent qui recouvre sa liberté n’exprime pas une joie simple, mais une expression plus complexe que prévu et ambiguë (et qui oblige à ressentir autrement les épisodes qui précèdent).


lundi 5 décembre 2016

Préparez vos mouchoirs (B. Blier, 1978)




Amusante comédie cynique qui doit beaucoup au duo Depardieu-Dewaere qui s'en donne à cœur joie. Les deux compères sont tout à la fois acteurs et spectateurs des situations qu'ils rencontrent et que Bertrand Blier n'hésite pas à emmener au bout d'elles-mêmes (Solange qui veut un enfant finit par être comblée par un adolescent).
Le film aborde de façon drôle mais très désabusée l’échec du rapport homme-femme. Certaines séquences sont très réussies (Dewaere et sa collection de polars et de disques de Mozart, ses réparties avec Depardieu) d’autres sont insolites ou provocantes, tout à fait dans le style de Blier.



samedi 3 décembre 2016

Les reflets du réel, selon D. Sirk



Une citation de Douglas Sirk, très éclairante sur son œuvre (et sur combien d'autres ?) :


« On ne peut pas atteindre ou toucher le réel. On en voit juste les reflets. »


vendredi 2 décembre 2016

L’idéalisation de J. Demy



Une position simple, claire et très belle de Jacques Demy sur le cinéma :

« Je préfère idéaliser le réel, sinon pourquoi aller au cinéma ? »