lundi 30 novembre 2015

Fanny et Alexandre (Fanny och Alexander de I. Bergman, 1982)




Film somme de Bergman, chatoyant, complexe et fascinant.
Fanny et Alexandre s’ouvre et se ferme sur une fête autour d’une multitude de personnages, avec, entre ces deux moments, des naissances, des décès, des désillusions, des espoirs, de la magie, des fantômes et la mort qui rôde, marquant le temps qui passe.
Le réalisateur (qui semble inviter le spectateur à la fête de Noël de la première partie du film) remplit son film de tout ce qui l’a nourri et de tout ce qui a nourri son cinéma. C’est ainsi que de nombreux personnages évoquent la propre famille de Bergman (ainsi Carl, maniaco-dépressif, qui rappelle l’oncle du réalisateur), et, de même, ces fêtes, ces liens complexes avec le théâtre ou encore le rigorisme du pasteur : toutes ces évocations viennent des propres souvenirs du réalisateur.
Bergman épaissit de nombreux personnages qui en sont tous à un moment de leur vie, qui correspondent à une manière de la mener. L’un avance sans une question, un autre se désespère, un autre encore (la grand-mère) regarde avec la nostalgie de l’âge cette famille qui se transforme sous ses yeux.
Mais, au-delà d'une biographie, Bergman dépose dans son film les sensations de l’enfance (on remarquera que, malgré le titre, c’est bien Alexandre qui est au centre du film, le personnage de Fanny n’étant guère travaillé). Le film montre en effet combien l’enfance est écartelée entre des moments de chaleur et de douceur et d’autres moments de dureté et de terreur.

Bergman commence par immerger le spectateur dans un univers chatoyant et familial. C’est un hymne au théâtre, qu’il s’agisse de celui de la famille Ekdahl ou de celui d’Alexandre, théâtre rêvé de l’enfance, sur lequel s’ouvre le film. Et Bergman recrée l’enfance, il en récrée des moments, des sensations fugaces, celles d’une solitude dans la pénombre d’une chambre, celles du rêve face aux marionnettes ou face à la lanterne magique, celles de la chaleur de la famille, celles du cauchemar face aux fantômes qui rôdent ou face au monde glacé de l’évêque. Évêque qui n’aura de cesse de tenter de détruire la part d’enfant d'Alexandre pour le confronter à une réalité violente et rude.


Ce monde de l’enfance court jusqu’à la mort du père d’Alexandre, en pleine répétition de Hamlet. Ensuite sa mère tourne le dos au monde du théâtre pour épouser la vie dure de l’évêque, monde glacial et sans concession. Mais le monde de faux-semblants et de comédie du théâtre vaut tellement mieux que la réalité froide et dure de Vergerus.

Dans cette lutte entre le monde de l’innocence et celui des adultes, Vergerus sera détruit à la fois par la volonté d’Alexandre et par le monde chatoyant de magie d’Izak Jacobi et d’Ismaël, personnage étrange et ambigu, à la frontière entre les mondes (à la frontière du réel et de l’imaginaire, de la bonté et du mal). Mais il restera de Vergerus, comme du père d’Alexandre, un fantôme qui continuera de le hanter, comme la marque indélébile de son impitoyable dureté.


samedi 28 novembre 2015

007 Spectre (S. Mendes, 2015)



007 Spectre Affiche Poster

Après plus de cinquante ans d’existence, voici donc le dernier avatar de la saga. James Bond a bien changé et, même s’il a des fibres communes avec le 007 de Ian Fleming, Terence Young et de Sean Connery, certaines révolutions ont eu lieu, au fil du temps d’une part, mais surtout dans les quatre derniers films, tous avec Daniel Craig.
La première révolution est sans doute la plus importante. Il se trouve que le ton des films a maintenant complètement changé. Les premiers opus – qui ont fondé le mythe – sont marqués par ce sourire en coin du héros, sa décontraction naturelle. Sourire en coin de l’agent secret, mais aussi sourire en coin du réalisateur. On sait d’ailleurs que l’esprit général des films de la saga prend ses origines dans La Mort aux trousses. Fleming lui-même, emballé par le charme élégant et décontracté de Cary Grant, le souhaitait comme acteur pour interpréter 007. Or ce ton décontracté, celui de Cary Grant et de Hitchcock, qui se retrouve donc chez Sean Connery et Terence Young, s’il n’a pas complètement disparu est désormais l’apanage du seul héros. En effet Sam Mendes, s’il semble s’amuser encore dans la splendide séquence pré-générique qui ouvre Spectre, change ensuite de perspective : on sent bien que le ton n’est plus à la rigolade. Et il n’y a plus que Daniel Craig pour introduire une distanciation, un humour. Par exemple la séquence de torture très éprouvante (et scénaristiquement gratuite) est complètement à côté de cette décontraction : on sait bien que Goldfinger menace de découper 007 au laser mais n’y parvient pas. Ici pas de problème, ce cher Bond se fait perforer le crâne à la perceuse médicale. De même dans Casino Royale la séance de torture était on ne peut plus réaliste. Mais plus que de choisir de faire souffrir ou non Bond, plus que de choisir de laisser hors champ ou non telle ou telle scène (avec la séquence de perceuse de Spectre, on se croirait dans Marathon Man et sa séance de torture dentaire), c’est le changement de ton qui est ici mis en évidence : on n’est plus là pour rigoler.
Or il se trouve que, au contraire, James Bond, par essence, est là en toute décontraction. Et c’est une question de ton du film en entier, ce n’est pas seulement quelques bons mots qui font le ton d’un film. Ce revirement est très récent : sans tomber dans l’excès de la période de Roger Moore, les films mettant en scène Pierce Brosnan étaient aux aussi décontractés (par exemple dans Demain ne meurt jamais Bond est menacé de tortures terrifiantes mais il ne les subira pas).
Et ce changement de ton, on va le voir, a des conséquences très importantes.

En effet la deuxième révolution est un avatar de la première : comme on n’est plus là pour rigoler, le film cherche à être plus crédible, à montrer un 007 plus professionnel. Plus crédible, entendons-nous bien, cela ne signifie pas plus réaliste : l’enchaînement des péripéties et des dangers fait partie de l’univers fabuleux du cinéma. Mais on commence à voir la face obscure de l’agent secret – celui qui fait le sale boulot et prend des coups – alors que le 007 du début quittait peu son smoking, même au cœur de l’action. On note, par exemple, la disparition de scènes extravagantes. Lorsque la série reprend du poil de la bête, avec GoldenEye (opus discutable mais qui a relancé la machine commerciale qu’est 007), James Bond saute dans le vide dans la séquence pré-générique pour rattraper un avion sans pilote. Scène irréaliste, beaucoup trop exagérée pour être honnête. Mais au moins le réalisateur est clair : ce que vous allez voir, c’est un James Bond. Dans Casino Royale rien de tout ça : la première séquence est celle où James Bond tue pour les deux premières fois avec un maximum de réalisme. Et la fameuse séquence de course-poursuite qui ouvre ensuite le film est proposée sur le mode « énorme mais crédible ». Voilà ce que promet le nouveau 007.
On remarque aussi qu’il y a moins de gadgets dans les épisodes les plus récents. S’il y a eu une volonté (louable) de les réduire depuis l’époque des joujoux de Roger Moore, leur principe procédait d’un pay in-pay off sympa qui était une marque de fabrique du personnage. Casino Royale, en guise de gadget, nous gratifie d’un défibrillateur. On n’est vraiment pas là pour rigoler.

Autre évolution – mais c’est une évolution plus progressive (les épisodes avec Pierce Brosnan l’annonçaient) – : la réalisation est devenue trépidante, avec des scènes d’action hachées, typiques du montage numérique. C’est certainement une simple actualisation des films, une modernisation : désormais les films d’action à grands budgets suivent tous ce modèle. Mais c’est un problème : on s’aperçoit que si les premiers James Bond marquaient la mémoire collective, c’est aujourd’hui James Bond qui est influencé par d’autres franchises, et les films qui le mettent en scène prennent le style d’autres héros. Il y a là un dévoiement de l’héritage cinématographique de James Bond. En effet le rythme et la mise en scène de l’action rapprochent dangereusement les derniers James Bond d’autres films d’action et d’espionnage, en particulier la saga Jason Bourne (La Mémoire dans la peau…). Si James Bond garde une apparence james bondienne (des gadgets, des costumes, de la séduction…) l’armature du personnage et du monde qui l’entoure doit beaucoup à Jason Bourne. Et la référence à Jason Bourne vaut pour les films mais aussi pour les romans de Robert Ludlum : son héros est un agent secret ultra-pro, ultra-réaliste, bien loin des facéties de James Bond chez Fleming. James Bond, films après films, s’en rapproche. 

Dernière évolution très importante (qui accompagne et explique ce changement de ton) : le 007 de Sam Mendes (réalisateur des deux derniers films) est un héros très sombre. 007, désormais, agit d’abord par vengeance et par haine. C’est une conséquence de ce qu’a cherché à faire Mendes, qui a voulu épaissir son personnage, parler de ses débuts professionnels, de son enfance, de ses drames passés. Du coup, les ennemis de Bond deviennent plus personnels : Skyfall n’est qu’une vendetta contre M (qui apparaît comme une mère de substitution pour Bond) et Spectre est un mélange très confus entre une organisation criminelle à visée mondiale et une autre vendetta, celle-ci dirigée contre Bond lui-même. C’est bien là que le bât blesse : James Bond, qui est le parangon des sauveurs de l’humanité, ne cherche plus qu’à se dépêtrer de petites vendettas personnelles (que M meure ou non, cela ne change pas la face du monde, cela risque juste de rendre Bond triste. Hum, c’est bien petit, tout cela). Que Oberhauser, dans Spectre, soit déterminé à tuer Bond parce qu’il a commencé à ruiner son organisation en éliminant plusieurs de ses acolytes on peut le comprendre, mais qu’il soit aussi son « demi-frère adoptif » (Bond ayant été adopté par le père d’Oberhauser !?), on entre dans le délire scénaristique qui mélange tout.
Mais il y a plus grave à vouloir ainsi humaniser 007. Dans le roman Casino Royale, Mathis, ami de James Bond, lui dit « Entourez-vous d’êtres humains, mon cher James. Il est plus facile de se battre pour eux que pour des principes. Mais… ne me décevez pas en devenant humain vous-même. Nous perdrions une merveilleuse machine. »
Dès lors Fleming épargnera à son héros, dans les romans suivants, toute introspection, toute morale. Et les premiers films ont lancé le personnage sur ce modèle. Il tue ou voit se faire tuer sans émotion. C’est ainsi que s’est construit le personnage au cinéma.
Et chercher à épaissir le personnage, à l’ancrer dans un vécu, à l’humaniser, cela est certainement louable mais n'est guère possible. En effet, reprendre le personnage de James Bond impose de supporter non pas seulement l’héritage qu’a 007 lui-même, mais l'héritage qu’a le spectateur à propos de 007. Et 007 est ainsi fait, cinématographiquement, qu’il est très difficile de le changer à ce point. Ou alors c’est au risque de perdre le détachement légendaire qui fait tout le plaisir de James Bond. Un James Bond trop humain devient inévitablement tragique. Et il se rapproche alors d’autres héros de cinéma qui sont, aux aussi et dès leur création, des personnages vengeurs, ou qui se tournent vers leur passé. C’est ainsi que Bond se rapproche décidément beaucoup trop de Jason Bourne.


vendredi 27 novembre 2015

Comme un torrent (Some Came Running de V. Minnelli, 1958)


Comme un torrent Some came running Vicente Minnelli Affiche Poster

Film éblouissant de Vincente Minelli, qui explore la société américaine avec une finesse rare et une densité exceptionnelle. Minnelli dresse un portrait de l'Amérique, avec ses réussites, ses ratés, ses tares, ses tentatives, ses demi-mesures. On voit les personnages exister sous nos yeux, douter, s’affirmer, regretter, avancer, mourir.
Bien sûr les acteurs sont formidables, Shirley McLaine en tête, et son face à face avec l’Amérique honnête et propre sur elle – lorsque son personnage de fille facile et perdue rencontre l’institutrice – est extraordinaire. Et Minnelli n’oublie pas l’humour : faire chanter ensemble Frank Sinatra, Dean Martin et Shirley McLaine le temps de massacrer une chanson dans un bar est délicieux.

On a beau jeu de critiquer la toute-puissance hollywoodienne, il n’empêche que, des studios californiens, sortent sur l’Amérique des regards sans concession, au vitriol parfois, mais avec beaucoup de finesse et d'intelligence, bien loin d’un quelconque manichéisme. De sorte que, au travers de ses films, l’Amérique n’a besoin de personne pour être lucide sur elle-même.

Et on sait que bien des films sont incapables d’épaissir ne serait-ce qu’un personnage, quand, dans le même temps, Minnelli brosse quatre, cinq, six portraits, les affine, les confronte, les fait évoluer sous nos yeux. Il y a tant de films qui durent deux heures et qui nous montrent si peu de choses, nous font côtoyer si peu de personnages et nous amènent à si peu de réflexions ! Comme un torrent est un modèle magistral de ce qu’un film peut construire et apporter, aussi bien intellectuellement qu'émotionnellement.
Bob Rafelson reprendra les grandes lignes dramatiques du film dans Cinq pièces faciles, mais avec une forme très éloignée de Minelli et du classicisme hollywoodien.

Franck Sinatra et Dean Martin

mercredi 25 novembre 2015

Il était une fois dans l'Ouest (C'era una volta il West de S. Leone, 1968)




Magistral western, très célèbre, qui constitue l’apothéose du western italien (et il est en même temps très au-dessus de l’immense majorité de ces westerns).
Bien sûr, formellement, le film est exceptionnel. Résumant son film à l'exacerbation d'un style, Sergio Leone s'en donne à cœur joie : sa caméra déforme, grossit, exagère, attend, recule, tourne autour. Leone insiste et ne craint pas d’en rajouter en forçant le trait avec plaisir : il étire les séquences (la célèbre séquence d’ouverture avec les trognes des tueurs qui attendent le train) et son style maniériste confine volontiers à la caricature (et à l’humour également, même s’il est moins présent que dans Le Bon, la Brute et le Truand). Et Leone cite ses sources, aussi bien dans la distribution (au-delà de Henry Fonda, Jack Elam, par exemple, fait une apparition légendaire) que dans plusieurs séquences (hommage à John Ford, à L'Homme aux colts d'or, au Train sifflera trois fois). Ennio Morricone signe la bande originale que l'on sait et le film est jouissif.


L'utilisation de Henry Fonda en grand méchant est géniale : Fonda est un des acteurs qui, tout au long de sa carrière, aura incarné par excellence le bon, le valeureux, l'humble qui se bat par nécessité ou pour réparer une injustice, que ce soit chez Ford (My Darling Clementine), chez Lang (J'a le droit de vivre) ou Lumet (Douze hommes en colère). Son image, déjà écornée dans le western de E. Dmytryk L'Homme aux colts d'or, est ici détournée et utilisée pour le personnage de Franck, qui est l'archétype du tueur, diamétralement opposé à l'image qu'il a chez le spectateur américain. Son calme, son phrasé doux et son jeu intériorisé font merveille.
Bien entendu il n’y a pas de sens profond à tirer de ce film (ni à aucun des westerns de Leone) : il s’agit d’une histoire de vengeance très simple. Les personnages et les situations sont évidemment caricaturaux. Il s'agit donc, sur ce point, d'un net retour en arrière par rapport à l'aboutissement des westerns américains classiques (ceux de Ford, Mann ou Hawks). Mais là n’est pas l’enjeu et il ne faut pas bouder son plaisir.

Le problème est que le western ne se relèvera pas de cette simplification du fond. Le filon italien sera exploité jusqu'à plus soif – le style de Sergio Leone sera copié mille fois – puis le western sera enterré (par quelques réalisateurs tels que S. Peckinpah ou R. Altman) et, ensuite, le western restera moribond.
Et, malheureusement, le succès des films de Leone est tel qu’il occulte complètement le western d’avant : aujourd’hui ce genre est d’abord connu au travers de ces films "spaghettis" et on oublie les chefs-d’œuvre qui les ont précédés. Bien souvent la connaissance de ce genre se fait par les westerns italiens (ce qui laisse penser que le genre n'a jamais eu grand chose à dire), alors qu’ils ne sont qu'une évolution (caricaturale) d’un genre beaucoup plus ancien et très riche.



mardi 24 novembre 2015

Thérèse (A. Cavalier, 1986)




Très beau film d’Alain Cavalier, Thérèse est un film sur la grâce, mais non pas sur un instant de grâce, comme on peut le voir chez Rosselini ou Dreyer, mais sur la grâce en action, sans cesse, comme moteur d’une vie. Thérèse est amoureuse de Jésus, voilà tout. Et Cavalier saisit cet amour dans le visage de Thérèse, avec cette façon qu’il a d’irriguer les mille et un gestes du quotidien, pourtant monotones et fastidieux. Cavalier montre très bien comment cet amour total, merveilleuse traduction d’une foi absolue, porte Thérèse, jusqu’à la souffrance et bientôt, malade, aux portes de la mort.
La sobriété du décor (souvent une simple toile peinte au fond avec quelques meubles pour composer une salle à manger ou une chambre), la discrétion de la mise en scène, la douceur de la photo accompagnent le silence des carmélites et leur propension à la souffrance.
Catherine Mouchet est lumineuse : elle est cette enfante amoureuse, illuminée de l’intérieur et toute emplie de grâce.


lundi 23 novembre 2015

La guerre est déclarée (V. Donzelli, 2011)




Film dur sur un drame difficile (une tumeur est détectée chez un bébé). Mais le film traite de cette situation avec beaucoup de sobriété et de retenue : les jeunes parents se battent avec leurs petites armes (dont l'humour, avec une scène très poignante, où ils énumèrent, de façon crescendo, leur peur que l'opération ne réussisse pas) et le couple, bringuebalé d'annonces médicales en traitements incertains, fait ce qu'il peut pour survivre.
On regrette un peu la réduction du combat au seul couple alors que d'autres personnages (la famille, les amis) apparaissent rapidement (les films sur ce thème ne cherchent guère à élargir le nombre de personnages : ils sont souvent un regard uniquement sur un duo ou un trio de personnages) et les ellipses en voix off sont un peu inutiles en fin de film, mais l'ensemble est très touchant.

dimanche 22 novembre 2015

THX 1138 (G. Lucas, 1971)



TXH 1138 George Lucas Affiche Poster

On aura bien du mal à retrouver dans ce film quasi-expérimental des gènes communs avec les futurs films de George Lucas (à quelques petits détails ou associations d'idées près).
Dans un futur (peut-être post-apocalyptique) où les humains vivent sous terre, ils ne sont plus que des numéros et leurs vies, jusqu’à leurs sentiments, sont contrôlées. L’un d’eux (le numéro THX 1138 – un très bon Robert Duvall) se rebiffe. Il accédera, dans une belle image finale, à la surface.

THX 1138 Robert Duvall George Lucas

Bien sûr l’histoire en elle-même est très simple, mais elle n’empêche pas Lucas de s’exprimer. Son talent se voit ici bien plus que dans Star Wars (où il se voit bien peu il faut dire). En effet le film est presque conceptuel, et c’est par un gros travail sur l’image et sur le son que Lucas nous fait entrer dans cet univers quasi abstrait, avec des décors minimalistes, des repères parfois totalement absents (très bonne idée que cette « prison » absolument blanche, comme un non-monde, un non-endroit).
Il est tout à fait dommage que, immergé (et submergé) dans son univers stars warsien, Lucas ait oublié ainsi ses premières recherches formelles. 

On retrouve cet univers (une humanité enterrée ou avec un contrôle chimique des émotions) dans de nombreux films de science-fiction (depuis Matrix jusqu'à L'Armée des douze singes de T. Gilliam en passant par Equilibrium de K. Wimmer).

THX 1138 Robert Duvall

vendredi 20 novembre 2015

Le spectateur et l'identification



A proprement parler, on distingue une identification primaire et une identification secondaire.

L'identification primaire correspond au dispositif cinématographique lui-même, c'est-à-dire le contrat qui lie le spectateur au film : on accepte que la caméra soit notre œil et de voir la scène à travers la caméra. Il s’agit donc de l’identification avec le regard de la caméra, incontournable dès lors que l’on est assis devant un écran.


L’identification secondaire correspond à l’identification du spectateur pour tel ou tel personnage. Elle correspond aux affects ou à l’empathie que l’on peut ressentir envers tel ou tel personnage (lorsque l’on prend pour soi ce qui arrive aux autres). Elle est donc plus fluctuante et dépend du rapport de chaque spectateur avec la fiction proposée.
Néanmoins, certains éléments ont tendance à entraîner une identification. Ces éléments tiennent aux personnages, bien entendu, mais aussi aux situations rencontrées par ces personnages (par exemple, dans un film à énigme, on s’identifiera à la personne qui cherche la clef de cette énigme – ou qui cherche l’assassin – et qui est une figure déléguée du spectateur dans la fiction).

Cette identification est aisée et flirte avec l’objectivité dans le cas des films où le héros est indubitablement positif, charmeur ou insubmersible (disons de La Mort aux trousses aux films de superhéros). De même pour tous les films peuplés de personnages qui sont des stéréotypes facilement identifiables (le gentil, le courageux, l'intègre ; d’autant plus s’ils sont opposés à un salaud, un cynique, etc.).

Dans La Mort aux trousses, le spectateur s’identifie à Thornhill à la fois parce qu’il est le héros du film, parce qu'il est un homme ordinaire, parce qu'il est charmeur, décontracté, élégant et parce qu'il est interprété par Cary Grant.
La présence de la star est importante : Hitchcock l’a très bien dit, le spectateur se soucie davantage du sort d’une vedette que de celui d’un inconnu : « Je suis pour la vedette. Si vous placez une inconnue sur des rails, quand le train arrive, le public dira : tiens cette femme va être écrasée. Si vous placez une vedette bien connue dans la même situation, le public hurlera : c'est atroce ! arrêtez ce train ! sauvez-là ! faites quelque chose! Dans Fenêtre sur cour, Grace Kelly pénètre dans la chambre du tueur et fouille dans les tiroirs. On montre le propriétaire de la chambre qui monte l'escalier. Puis on revient à l'héroïne qui fouille et le public a envie de dire : fais attention : quelqu'un monte ! Si l'héroïne est sympathique, alors l'émotion est doublée. »
On le voit, l’identification peut être dirigée par le metteur en scène qui peut jouer avec le spectateur. Hitchcock, qui se vantait de pouvoir faire de la « direction de spectateur », l’avait très bien compris et il manipule à tout va dans ses films. On tient là le traquenard de Psychose : dans la première partie du film, Hitchcock centre complètement l'action sur Marion avant de la tuer brutalement. Le spectateur est alors complètement désarçonné : à qui se raccrocher ? Et quand Hitchcock remet en piste un second personnage (Arbogast) à travers lequel on suit l’enquête, il le tue à son tour tout aussi violemment.

On remarquera d'ailleurs que, lorsqu’un personnage est en position centrale dans le film, il sera difficile pour le spectateur de ne pas s’identifier à lui, quand bien même le personnage n’est pas sympathique. C’est le cas dans L’ombre d’un doute, où l’oncle Charlie (Joseph Cotten) est un tueur de veuves ; ou encore dans Elle, où Michèle (Isabelle Huppert) est égoïste, méchante, jalouse, brutale, etc.


Mais les choses peuvent être plus complexes qu’il n’y paraît lorsque le film propose des personnages multiples ou qui ne sont pas stéréotypés ou si facilement catalogués.
D’une part il semble bien qu’on ne s’identifie pas à un personnage parce qu’on le trouve sympathique mais, bien au contraire, c’est parce qu’on s’identifie à lui qu’on le trouve sympathique. Il y a là une inversion fine du rapport de cause à effet qui peut échapper de prime abord. Mais cela montre que l’identification ne se fait pas forcément vers quelqu’un de sympathique. On sait d’ailleurs que l’on peut s’identifier et prendre fait et cause pour un personnage que, dans la réalité, on détesterait ou qui serait infréquentable.
D’autre part, pendant la projection, le spectateur « cherche » à s’identifier à un personnage. Et c’est ainsi que le spectateur, bien souvent, s’identifie tour à tour à différents personnages, pour de multiples raisons. L’identification « tourne », au cours du film, s’accrochant successivement à tel ou tel personnage, pour des raisons intimes et pas forcément bien définies. Ce peut être pour une manière de parler, pour un regard, pour une dégaine générale. On sait que le regard battu de Bogart avait ses fans, ou que le bad guy a ses aficionados.

Dernière remarque : on peut revoir un film et ne pas s’identifier aux mêmes personnages que précédemment. Le cas du Cercle des poètes disparus est éclairant : outre le fait qu’il est un film qui propose plusieurs personnages adolescents auxquels on peut s'identifier,  si on voit le film à l’adolescence et qu’on le revoit ensuite à l’âge adulte, on peut se sentir plus proche d’un adolescent pour lequel on n'avait pas eu une grande empathie à la première vision. Il est alors très intéressant de réfléchir à ce « changement » de personnage et de le mettre en regard de notre propre personnalité, à nous spectateur.


jeudi 19 novembre 2015

L'Arme fatale (Lethal Weapon de R. Donner, 1987)




A partir d’une trame très classique (un duo de flics mal assortis qui se bat contre un grand méchant et ses sbires), Donner réalise un bon film d’action, rythmé et empreint d’une bonne dose d’humour. Comme de nombreux buddy movie, le film, par ailleurs assez typique des standards américains des années 80, doit beaucoup aux deux interprètes Mel Gibson et Danny Glover, qui prennent un plaisir évident et communicatif à jouer.
Le scénario est sans aucune surprise mais le film reste divertissant. 

Bien entendu, suite à l'énorme succès du film, les producteurs se sont empressés de proposer plusieurs suites, toutes plus pâles, faiblardes et artificielles les unes que les autres.

mercredi 18 novembre 2015

Le Fond de l'air est rouge (C. Marker, 1977)




Le film est essentiellement constitué par la mise en scène de documents d’archives mais, du fait du choix du montage, de commentaires en voix off et d’une bande sonore, on est loin d’un simple travail d’historien. C’est en réalité un travail de militant qui se veut un hymne à la révolte, à l’insoumission.
Le bandeau final dédie le film aux « cameramen, preneurs de son, témoins et militants » qui se battent contre les « Pouvoirs qui nous voudraient sans mémoire ». On apprécierait que, fort du recul supplémentaire depuis la réalisation du film, concernant d’une part le communisme (voir les diatribes de Castro ou de Georges Marchais laisse songeur quand on sait ce qu’il en fut réellement des régimes mis en place…) et, d’autre part, le socialisme en France (voir l’interview, par exemple, de Mitterrand – maintenant que l’on sait ce que furent ses mandats présidentiels), on souhaiterait que le témoin ou que le militant d’aujourd’hui ait un peu de mémoire. La mémoire (en tant que souvenirs mais aussi en tant que connaissances des choses passées), politiquement, étant ce qui préside à la naissance d’une pensée construite.

mardi 17 novembre 2015

Le Mystère Andromède (The Andromeda Strain de R. Wise, 1971)




Intéressant film de R. Wise, sur un scénario de Michael Crichton. Wise prend plaisir à détailler avec une minutie scientifique les étapes de la recherche des différents scientifiques, au  fin fond de ces pré-laboratoires P4. Même si certains aspects ont bien changé (tout film scientifique des années 70 a, de fait, pris un sacré coup de vieux), l'ensemble reste très intéressant à suivre.
Wise est fidèle au roman, et, finalement, la variété Andromède choisit de nous laisser tranquille. La science semble ici bien impuissante (celle des années 70 en tous les cas) face aux menaces distillées par le film.

dimanche 15 novembre 2015

Pandora (A. Lewin, 1951)



Très beau film de A. Lewin, exquis et raffiné, et qui plonge le spectateur dans une atmosphère étrange, à la fois onirique, baroque, fantastique et tragique.
Le film entremêle plusieurs mythes et légendes (celle de Pandora, bien sûr, et celle du Hollandais volant) et multiplie les références (à l’Antiquité, au surréalisme, etc.).
Les couleurs explosent, les plans sont sophistiqués, Lewin affiche son style avec sérénité : la beauté plastique du film emporte tout (le chef opérateur J. Cardiff a travaillé auparavant avec M. Powell et E. Pressburger : on a là des gênes communs entre ces images somptueuses).



"La mesure d'un amour c'est ce qu'on est prêt à sacrifier pour lui". Pandora fait le malheur des hommes : Reggie et le matador n’y survivent pas. Elle s'éprend du mystérieux Van der Zee, seul sur son yacht ancré dans la baie. Et c'est là qu'elle se met à vivre (elle qui n'était pas émue par le suicide d'un amoureux éconduit) et cette brève existence est immanquablement tragique.

L’interprétation est sublime. Ava Gardner est une déesse grecque quand elle déambule sur la plage, elle est alors l’incarnation des statues disséminées sur le sable.
James Mason, comme toujours, est remarquable et son élégance classique, son phrasé calme incarnent parfaitement la souffrance de cet homme condamné à errer éternellement. C’est lui qui permet au film d’émouvoir, de dépasser l’aboutissement esthétique.

La narration est complexe (un flash-back, puis un flash-back dans le flash-back), elle est portée par le témoin Geoffrey Fielding qui observe et raconte depuis son appartement précieux et raffiné. C'est un regard à la fois extérieur à la narration et proche du spectateur qui accompagne Pandora et Van der Zee. Assurément l'un des plus beaux films du Cinéma.



dimanche 8 novembre 2015

M le maudit (Eine Stadt sucht einen Mörder de F. Lang, 1931)




Chef-d’œuvre de F. Lang, M Le Maudit reste aujourd’hui encore d’une puissance visuelle et intellectuelle étonnante. Le cinéma de F. Lang est décidément un instrument bien aiguisé pour disséquer une société et les rapports entre individus.
S’éloignant progressivement de l’expressionnisme, Lang offre un récit réaliste tendu et implacable. Il utilise, en outre, à la perfection le son (installant des ambiances, jouant avec le hors-champ, montrant même la propagation autonome des cris de la mère dans la première séquence), montrant au passage qu’il fait partie des quelques-uns à avoir réalisé des chefs d’œuvre muets et parlants.
La première séquence, célébrissime, est une perfection : le jeu des enfants en ronde au centre de la petite cour, la mère blanchisseuse qui attend vainement sa petite fille et dont les appels résonnent dans la cage d’escalier déserte, l’ingénuité de la petite Elsie, l’ombre sinistre sur le kiosque, le sifflotement du meurtrier, le ballon qui roule et s’envole dans le silence. Autant de symboles que Lang utilisera tout au long du fil et viendront servir sa mise en scène pour évoquer plutôt que montrer.
De même, le montage parallèle montrant les actions conjointes de la police et de la pègre, puis la recherche du meurtrier et son procès, voilà autant de séquences parfaites et fascinantes.
Lang fouille la société allemande et s’appuie sur deux mondes qui s’opposent, la police et la pègre, et qui, pourtant, face à la folie du meurtrier, se rejoignent pour l’éradiquer.
Le visage à la fois quelconque et fascinant de Peter Lorre, avec sa face ronde et ses yeux globuleux, incarne de façon inoubliable le terrible meurtrier.
Et, en choisissant un meurtrier quelconque, qui pourrait être n’importe qui, mais qui subit des pulsions qu’il ne parvient pas à réfréner, Lang explore son thème de prédilection : celui de la culpabilité, inhérente à chacun et qui enferme les individus dans leur destin.


Les films américains de Lang fouilleront encore ce thème de la culpabilité, mais déjà, en montrant ce meurtrier d’enfant, esclave de ses propres instincts, Lang d’une certaine façon, tire un trait sur l’humanité. On sait par exemple que, aux Etats-Unis, dès Furie, le premier film qu’il fera après avoir émigré, Lang reprendra ce regard féroce et impitoyable sur la société et sur l’individu.


vendredi 6 novembre 2015

Elysium (N. Blomkamp, 2013)




Film très décevant. Après la bonne surprise de District 9Neil Blomkamp propose ici un film de science-fiction bien conventionnel, au déroulement sans surprise, sans âme, sans idées et sans rupture avec les articulations habituelles du genre (à l’inverse de ce qu’il avait proposé dans son premier film). Il reprend ainsi la vielle partition articulée (qui apparaît ici bien éculée) entre une caste supérieure ultra-privilégiée (et forcément méchante) et le peuple pauvre laissé à lui-même, sans espoir. Cette idée classique est héritée des films d’anticipation des années 70, films qui ont eux-mêmes hérité cette partition de Fritz Lang et de son Metropolis.
Las, à l’opposé de son premier film, on a l’impression d’avoir vu cent fois cette histoire, il ne s’agit ici que de faire un blockbuster de plus, assorti de quelques stars (Matt Damon, Jodie Foster) et de gros moyens.


jeudi 5 novembre 2015

Pour la peau d'un flic (A. Delon, 1981)



Alain Delon Pour la peau d'un flic Affiche

Le film est tout à fait quelconque. Il se veut rapide, incisif, mais rien ne va vraiment. Tout semble précipité, trop rapide : les dialogues, les réactions, les mimiques, le montage maladroit, etc. Et, surtout, Delon, en se précipitant dans ce rôle de flic viril, fait du Belmondo (et qu’il en ait conscience en ironisant à ce sujet dans les dialogues ne résout pas le problème). Or c’est dans la lenteur et le hiératisme qu’il est le meilleur. Certes il y a la vitalité de Tancrède dans le Guépard, mais, avant, il incarne un Rocco parfait. Et c’est surtout dans des jeux minimalistes que Delon est le meilleur.
Dans Pour la peau d’un flic, Delon, qui est réalisateur, lance une seconde partie de carrière où il incarnera des « flics de choc » décidant en cela d’abandonner ce qui fait sa force - qui est en fait son jeu en retenue - pour devenir un acteur quelconque, qui surjoue, qui en fait trop. C’est un peu la difficulté de Delon : dès qu’il joue un peu il en fait trop. Il est en revanche génial dans le minimalisme, ce que Melville avait très bien senti. Le mettre à l’image suffit, nul besoin d’en faire des tonnes.
Mais ici Delon se met en scène : il en fait des tonnes, précisément, il se précipite. Dès lors le film pâtit d’un rythme précipité mais faux, auquel on n’adhère pas du tout.
Reste l'excellent thème du film (Bensonhurst Blues interprété par O. Benton) dont on regrette qu'il agrémente un tel film...