lundi 30 mars 2015

Barry Lyndon (S. Kubrick, 1975)




Chef-d’œuvre de Kubrick d'une perfection formelle incroyable, Barry Lyndon pousse très loin la tendance de Kubrick à la froideur et à la distance, renforcée par un rythme assez lent et par un choix narratif hors des conventions, avec cette voix off qui annonce les évènements. Ici, suivant un des grands thèmes de Thackeray (le film est adapté d’un de ses romans), Kubrick brosse un portrait lucide et féroce sur la vanité humaine et les conventions sociales.
La beauté visuelle est absolue, chaque plan, chaque cadrage est parfait. On sait les contraintes que Kubrick s'est imposé (aucune autre source de lumière que celle naturelle ou dans le champ) et le résultat est époustouflant.


Le film souffre peut-être de la difficulté d'avoir un personnage principal guère héroïque, peu sympathique et, même, de moins en moins sympathique et de plus en plus esseulé.
Certaines séquences sont éblouissantes, on pense au premier rapprochement de Barry avec la comtesse Lyndon, calmement porté par le trio de Schubert.


samedi 28 mars 2015

La Prisonnière du désert (The Searchers de J. Ford, 1956)



La Prisonnière du désert The Searchers John Ford Affiche Poster


Chef d’œuvre de John Ford, unanimement considéré comme l’un des plus grands westerns (il n’y a guère que un ou deux films d’Anthony Mann, d'Howard Hawks ou de Ford lui-même qui puissent lui contester cette place), c’est un film éblouissant.
Le film raconte la recherche, par Ethan et Martin, de la petite Debbie enlevée par les Indiens. Ford, évidemment, est très à l’aise dans l’alternance des grands paysages et des scènes d’intérieur ; des scènes épiques et des scènes familiales ou traditionnelles. Comme toujours il équilibre parfaitement ses personnages, entre le ton dramatique des uns, celui comique des autres.
Ford dépasse les propres personnages qu’il a lui-même créés : il reprend son acteur fétiche pour incarner un personnage qui n’est plus un héros courageux, altruiste, solide, expérimenté ou valeureux, mais un marginal irascible, qui se bat pour des causes perdues, que la misanthropie rejette hors de la communauté, qui n’est chez lui nulle part, et qui est évidemment raciste : quand il considère que Debbie est « irrécupérable » et qu'elle n'est plus de son sang, il veut la tuer.
Ce personnage est néanmoins très complexe : alors qu'il est solitaire et qu'il ne parvient pas à trouver sa place dans sa famille (il ramène Debbie mais repart aussitôt), il se dévoue totalement à la recherche de sa nièce. Il faut remarquer comment Ford utilise l'espace pour situer Ethan par rapport aux autres personnages : l'extérieur - le désert sans limite - correspond à l'univers d'Ethan ; l'intérieur de la maison est celui de la famille, dont Ethan est exclu. Ford joue tout au long du film sur cette limite entre les deux mondes : le générique est écrit sur le mur d'une maison ; les extérieurs sont flamboyants et les intérieurs sombres ; une porte s'ouvre au début et se referme à la fin.
Cet aboutissement du genre, par le traitement qu’en fait Ford, est une source d'inspiration importante pour de très nombreux réalisateurs. Pour s'en rendre compte, il faut comprendre comment Ford répond aux deux questions fondamentales du film :
                     - Pourquoi Ethan veut-il tuer Debbie ?
                     - Pourquoi, finalement, ne la tue-t-il pas ?
Les traitements des deux réponses proposées par Ford sont à l’opposé l’une de l’autre. Ethan veut tuer Debbie parce qu'elle est « devenue indienne » par sa vie chez les Indiens. Ford évoque cette transformation de Debbie mais sans jamais nous la montrer : à partir de son enlèvement elle reste hors champ (alors qu’elle est au cœur de la quête) pendant plus d’une heure. C'est ainsi que Debbie grandit et se transforme hors de l'écran : le personnage existe en dehors de ce qui nous est montré, elle n’est présente à l’écran que dans la représentation fantasmée d’Ethan. On sait que cette manière de faire (déjà présente dans Printemps tardif, par exemple, où un personnage important n'est jamais montré) ouvre d’énormes perspectives scénaristiques : ce qui est important peut ne pas être montré ; le cinéaste se libère de l'écran.

A l'opposé, la raison pour laquelle Ethan, finalement, ne tue pas Debbie, est montrée grâce à une image - un geste très simple - qui permet d'exprimer un sentiment complexe : lorsqu'il retrouve Debbie, Ethan la soulève comme il l'avait soulevée cinq ans auparavant. Et alors, au-delà de son ressenti raciste, au-delà des transformations subies par Debbie,  Ethan est rattrapé par la réalité, celle de ce contact physique, celle de son amour parental : alors il retrouve Debbie, non pas telle qu’il l’imaginait, une Indienne, mais telle qu’elle est, sa nièce. Debbie est ainsi sauvée par ce geste. C’est l’extraordinaire « Let's go home Debbie ».
Debbie, jeune, soulevée par son oncle
Debbie, à nouveau soulevée par Ethan, quand il la retrouve plusieurs années plus tard
Le génie de Ford s’exprime alors dans le traitement qu'il réserve à ces deux réponses : l'une est hors-champ, l'autre est exclusivement visuelle.
La Prisonnière du désert : scène finale

mercredi 25 mars 2015

Que la bête meure (C. Chabrol, 1969)




Un des meilleurs films de Claude Chabrol. Le père d’un enfant mort dans un accident se met en quête du chauffard (qui a pris la fuite et échappe à l’enquête policière) pour se venger.
L’intelligence du film est que le coupable n’est pas, comme on le rencontre souvent dans ce genre de scénario, un homme aimable et bon qui fait hésiter le père à assouvir sa vengeance, mais c’est un parfait salopard (excellent Jean Yanne). Le père, qui s’était conduit en vengeur froid et déterminé, loin d’être rasséréné par cette découverte, commence à douter, à se perdre. Il découvre alors que la bête qu’il faut tuer n’est plus tant Paul Decourt, le salaud que tout le monde hait, que cette haine qui le ronge, lui, le père désespéré.
Le titre du film (et le sens même du film) est inspiré de la Bible (L’Ecclésiaste 3:19) : « Car le sort des fils de l’homme et celui de la bête sont pour eux un même sort : comme meurt l’un, ainsi meurt l’autre, ils ont tous un même souffle, et la supériorité de l’homme sur la bête est nulle ; car tout est vanité ».
Ainsi, si la mort de l’enfant est inacceptable, il en est de même de celle du chauffard. C’est ce que pressent le père, malgré sa machination froidement ourdie, et qui annonce le final du film.

lundi 23 mars 2015

Sabrina (B. Wilder, 1954)




Honnête comédie de Billy Wilder, mais très en-dessous de ses plus grandes réussites. La situation est on ne peut plus classique, puisqu’elle adopte à la fois le jeu du triangle amoureux et le conte de fées (la fille de chauffeur qui veut devenir princesse). C’est l’occasion pour Wilder de pas mal de gags et de beaucoup de dérision.
Mais le film a plusieurs défauts qui peuvent gêner, défauts surtout liés au casting pourtant prestigieux du trio principal. Audrey Hepburn est dans le rôle de celle qui, de petite fille, devient princesse. Elle rend le scénario un peu tiré par les cheveux : que le personnage extrêmement volage joué par William Holden (très bon par ailleurs) l’ignore toute la première partie du film semble bien étonnant. C’est un conte de fées, certes, mais tout de même. Le ton du film voulait que ce personnage ne soit pas insensible à une fille qui lui tourne autour, bien au contraire.
Et Humphrey Bogart passe mal en homme d’affaires coincé. Quand, dans d’autres rôles, son humour pince-sans-rire fonctionne très bien, il est bien moins efficace quand il s’agit d’un humour de second degré sur le personnage lui-même. Ici, en PDG guindé et coincé, il est un peu ridicule, le personnage (écrasé par l’acteur) a bien du mal à être crédible. Cary Grant, par exemple, sait jouer des personnages ridicules, Bogart bien moins.
Dès lors la sauce prend mal entre les deux hommes et Sabrina : on est bien loin du charme délicieux d'Ariane, qui est articulé lui aussi autour d'une Audrey Hepburn aux allures de petite princesse.

samedi 21 mars 2015

Indiana Jones et la Dernière Croisade (Indiana Jones and the Last Crusade de S. Spielberg, 1989)




Excellent film d’aventures, bondissant, virevoltant et mené de main de maître par Spielberg. Son style est impeccable et très sûr, le rythme est parfait. L’humour, qui si souvent sonne faux dans bien des films d’action, trouve ici un équilibre savoureux, entre les jeux naturels de Harrison Ford et de Sean Connery et cette façon de faire rebondir sans cesse le héros, d’aventure en aventure. On sent Spielberg, qui multiplie les références en tous genres (de Tintin à La Mort aux trousses), jubiler derrière la caméra.
On voit là ce qu’Hollywood, gigantesque machine à fabriquer des films, peut produire de meilleur, avec un gros budget, un réalisateur brillant qui excelle dans le genre et des acteurs prestigieux.
Le film n’est pas exempt de reproches, en premier lieu la passivité du héros (qui, pour l'essentiel, cherche à échapper à mille dangers) et son manque d’épaisseur (Spielberg a souvent bien du mal, dans ses films les plus riches en action, à épaissir ses personnages). Sur cet aspect le film est sans doute inférieur aux chef-d’œuvres du genre (Les Aventures du capitaine Wyatt par exemple). Mais cette manière qu’a le film d’emporter le héros dans un maelström d’aventures permet de masquer cette carence étonnante. Indiana Jones parvient à survivre, et c’est déjà beaucoup !

jeudi 19 mars 2015

Terminator (The Terminator de J. Cameron, 1985)




Ce premier opus de Terminator – qui deviendra progressivement, film après film, une série – est très réussi. Ce qui est intéressant, au-delà d'un film d'action efficace, c’est de voir à quel point le réalisateur croit en son histoire, croit en sa machine. Le film est sec, sans scènes inutiles, sans que Cameron, jamais, ne cherche à étirer son discours. Ce sens du rythme et cette volonté de faire un film qui ne s'arrête jamais est essentiel, surtout quand on sait que, progressivement, film après film, Cameron va étirer ses films, les rendant toujours plus gras et plus sucrés, les assortissant d'une morale et de bons sentiments (que l'on pense à Abyss, puis Titanic, puis Avatar : que sera-ce par la suite ?). Nous voici donc encore épargnés des jolis petits messages sur l’amour ou l’écologie, tout à fait navrants de naïveté qui viendront entacher ses films ultérieurs.
Autre élément significatif (et c’est là une qualité qui s’est faite rare et qui sera perdue lors des suites) : il n’y a aucun humour dans le film. Tout est toujours au premier degré (ce qui est amusant d'ailleurs, tant le film 
sera tourné en dérision, depuis la célèbre réplique « I’ll be back » jusqu'à Schwarzenegger toquant aux portes en demandant « Sarah Connor ? », ) et c’est ce qui fait fonctionner le film.
L’autre bonne idée est évidemment de confier le rôle du méchant à la star, ce qui laisse planer un doute jusqu’à la fin. Si l’on ne donne pas cher de la peau des rôles secondaires (on sait que le pauvre Kyle va dérouiller, de même que tous les flics croisés), le doute sur l’issue finale de la confrontation subsiste intelligemment très longtemps. C’est que Cameron sait faire un film d’actions, même s’il ne peut empêcher d’entacher sa réalisation de pénibles ralentis à la Peckinpah (qui se souvient que la première Sarah Connor est abattue au ralenti ?) et d’une atmosphère très datée. Les années quatre-vingt, prises au sérieux, sont très démodées au cinéma ; même si, il faut le dire, cela confère au film un charme imprévu à l’époque (la musique, les looks des protagonistes…). 

Il est difficile, devant Terminator, de ne pas penser au robot tueur de Mondwest : tout de noir vêtu, impitoyable et inarrêtable, il poursuit sans relâche sa proie. De même que pour le Terminator qu'il faudra successivement brûler, exploser puis écraser, il faudra jeter de l'acide puis brûler ce robot tueur de Mondwest pour en venir à bout. Crichton montre même le monde à travers ses yeux, tout comme le fait Cameron :

La vision du robot tueur de Mondwest
La vision du Terminator


Malgré son énorme succès, le second film de la série part sur d'autres bases et, en ce sens, il est décevant. Alors bien sûr cela reste un bon film d’action, c’est-à-dire une superproduction qui respecte son cahier des charges. Mais le ton n’est plus là, pour deux raisons essentielles.
D’une part ce second film cherche constamment à faire de l’humour. Il y a même plein de blagues, comme s’il fallait remplir de bons mots toute superproduction qui se respecte, comme si on ne pouvait plus assumer une histoire sérieuse. La foi originelle n’est plus là. C’est qu’il faut que le spectateur passe un bon moment, voyez-vous, et quoi de plus plaisant que l’humour ? Alors allons-y à coup de clins d’œil et de « Hasta la vista, baby ».
D’autre part (et cela rejoint le problème de l’humour), Cameron oublie de respecter sa créature. D’emblée il la caricature presque, dans une première séquence où le Terminator finit harnaché comme un rider avec des lunettes de soleil noires récupérées in extremis. C'est une reprise de la première séquence du premier film, mais beaucoup moins sèche et âpre puisqu'elle vient réconforter le spectateur (« Ah ! Voilà le Terminator bien équipé, il va pouvoir passer à l'action »). Ensuite voir le Terminator lever stupidement le pied sur ordre de l’adolescent est tout à fait ridicule (manier les adolescents dans un film est toujours aventureux, pour une question de justesse de ton notamment). L’impitoyable machine n’est plus. Elle ressemble davantage aux robots domestiques de I-robot.
Les effets spéciaux sont cependant exceptionnels (et sont d'ailleurs mis en scène en ayant conscience de leur impact, ce qui n'est plus du tout le cas aujourd’hui).


Terminator James Cameron

Les films suivants de la série méritent peu de commentaires. Il s’agit d’une simple exploitation de filon, comme Hollywood en a l’habitude. La première séquence de Terminator 3, par exemple, pose le cadre : c’est une parodie de l’entrée en matière de Terminator 2 (qui était déjà elle-même une caricature) qui ridiculise absolument le pauvre Terminator et qui est destinée à faire rire le public. On est alors bien loin du ton du premier de la série et en fait, malgré un scénario qui cherche à joindre les deux bouts, cela n’a plus rien à voir.





mardi 17 mars 2015

Le Train (J. Frankenheimer et B. Farrel, 1964)




Bon film d’action, solide, avec de nombreuses scènes qui sont de véritables moments de bravoure. On retrouve un peu l’état d’esprit de La Bataille du rail, où tous les cheminots sont complices pour faire échouer le projet des Allemands d'acheminer vers Berlin les tableaux des grands maîtres impressionnistes. Mais le film s’attache davantage au spectaculaire qu’à ses personnages. Il y a bien peu d’affects et le choix de Lancaster est discutable : s’il est très bien en homme d’action, il fait beaucoup trop américain et il est peu crédible en cheminot français (surtout qu’il croise, au milieu de nombreux acteurs et figurants français, Michel Simon…).
C’est un peu dommage que les personnages ne soient pas davantage épaissis parce que cette idée du cheminot qui n’entend rien à l’art mais qui s’acharne à bloquer un convoi emportant des chefs-d’œuvre impressionnistes est très bonne. D’autant plus que le colonel allemand, d’une tout autre classe sociale, reconnait ces tableaux comme autant de chefs-d’œuvre. Mais l’affrontement entre les deux hommes n’est guère sur ce plan.

dimanche 15 mars 2015

Mammuth (de G. Kervern et B. Délépine, 2010)




Depardieu en gros pépère traversant la campagne sur une antique moto, voilà une image amusante et qui peut interpeller. L'idée de départ n'est pas mauvaise (un ouvrier partant en retraite doit rechercher des preuves de ses emplois passés pour toucher l'intégralité de sa pension de retraite) mais sa mise en œuvre est minimaliste.
Le couple de départ est très caricatural et le road-trip de Serge-Depardieu devient une petite virée sans grande portée, où il y aura peu de rencontres (les scénaristes insistent sur la rencontre avec la nièce, borderline et shootée, qui transformera l'ouvrier caricatural en petit vieux hippie tout aussi caricatural). Les réalisateurs cherchent même à épaissir le propos en évoquant un premier amour brisé qui revient hanter Mammuth, pour finalement s’apaiser, cherchant à évoquer une boucle qui se boucle. Mais s'il faut retenir une image on préférera peut-être la double rencontre sur une plage avec Benoît Poelvoorde qui campe une de ses spécialités (le beauf comico-tragique), le temps de deux courtes séquences amusantes.

samedi 14 mars 2015

American Sniper (C. Eastwood, 2015)



American Sniper Clint Eastwood Poster Affiche

Bon film de guerre d’Eastwood, au style toujours classique et efficace (en particulier les séquences de guerre en Irak où il est très à l’aise). Très clairement – et contrairement à ce que comprennent beaucoup de critiques – ce film n’exalte pas la guerre. Eastwood ne discute jamais de l’objectif de la guerre ou de son bien-fondé (dès lors il ne cherche pas à la justifier) : il y a un conflit et des hommes sont envoyés au front.

Dès les premières séquences, Eastwood est clair sur un point : gagner la guerre nécessite un engagement total, sans limite, inhumain. Il l’illustre par la métaphore du chien de berger : défendre les siens (c’est-à-dire faire le chien de berger), si on suit l’idée jusqu’au bout (ce que fait Kyle), cela signifie tuer des femmes et des enfants s’il le faut. Excellente séquence que ce baptême du feu qui est l’occasion de pousser le curseur le plus loin possible d’emblée. Cela rejoint une idée importante à propos de la guerre mais qui est bannie de notre époque pacifiste (idée déjà abordée dans des films tels que Les Nus et les mortsCote 465 ou Capitaine Conan) : il faut des durs insensibles pour gagner une guerre. Ici ce sera un sniper qui ne tremble pas.


Ensuite, dans les séquences suivantes, Eastwood annonce le fond de l’affaire : en faisant baptiser son sniper Chris Kyle du surnom de « La Légende » – vu ses « exploits » à répétition –, il fait référence directement à L’Homme qui tua Liberty Valance de Ford (et Eastwood connait bien ses classiques, en particulier les westerns de Ford) dont la célèbre morale est un écho à ce que va vivre Kyle : « Quand la légende dépasse la réalité, imprimez la légende ». La réalité – cachée derrière le héros américain – ce sera donc la névrose de Kyle, qui va devoir vivre avec les morts, les bruits des balles qui sifflent ou les cris des hommes blessés. L’inébranlable tireur – la Légende – a une figure humaine, moins sûre d’elle-même que ce que nous dit la belle histoire des héros.
Eastwood aide pourtant Kyle en assimilant l’ennemi à la sauvagerie la plus extrême : les soldats irakiens sont incarnés par un massacreur épouvantable – le Boucher – qui tue avec une perceuse, y compris les civils. Si les méchants sont très méchants, Kyle peut appuyer sur la gâchette avec encore moins d’hésitations et avoir moins de remords ensuite.
Le film, en même temps, peut se lire comme un western moderne : le désert irakien remplace le désert ouest américain, la guerre en Irak remplace les guerres indiennes, et l’irakien est vu comme le cinéma américain présentait les Indiens : ce sont des sauvages qui attaquent. La perceuse a remplacé le scalp.

Mais rien n’y fait : si des soldats durs et sans conscience sont nécessaires pour gagner une guerre, chacun d’eux, sorti du contexte où il se bat pour sauver ses frères d’armes, se retrouve face à sa conscience. Et se marteler à soi-même qu’on a fait son devoir, cela ne suffit pas. Car Kyle n’a pas le choix et il botte en touche avec sa conscience : s'il a tué tous ces gens – y compris des femmes et des enfants – c'était pour sauver des frères d’armes. Cette antienne est sa seule protection face à l’horreur de ce qu’il a fait.

Mais si Eastwood s’intéresse en fait réellement à ce qu’il y a derrière la lunette du sniper, c’est-à-dire l’intérieur bouillonnant de la tête de son infaillible soldat, sa démonstration manque de puissance et les séquences familiales sont beaucoup trop conventionnelles. Ces séquences n'ont pas l'impact qu'elles auraient pu avoir, ne serait-ce qu'en montrant leur opposition avec la vie au front. On est loin d'un traitement comme celui de M. Cimino dans Voyage au bout de l’enfer (film cité par Eastwood), dont le propos principal était de montrer l’impact de la guerre sur la société. Mais il faut dire que, chez Eastwood, Chris Kyle est seul face à sa névrose quand, dans le Voyage, c'est la société dans son intégrité même qui est impactée par la guerre. American Sniper relate ces guerres lointaines où sont envoyés relativement peu d’hommes (Irak, Afghanistan) et qui ont un impact sur l’individu plus que sur l’ensemble de la société comme c’était le cas pour la guerre du Vietnam.

La dernière séquence est le moment qui permet à Eastwood de conclure sa réflexion, dans son dialogue avec John Ford. Il reprend en effet la réflexion de Liberty Valance, articulée autour de quelques questions clefs : qu’est-ce qu’un héros ? l’Histoire a-t-elle besoin de héros, fussent-ils fabriqués de toutes pièces ? Eastwood, en choisissant de montrer des images de télévision, réellement tournées lors des funérailles de Chris Kyle, indique bien que, quoi que l'on pense de Kyle (est-ce qu’il est un héros, ou un simple soldat, ou même un soldat particulièrement lâche parce qu’il tue ses ennemis à distance en restant caché ?), il montre bien que, de doute façon, Chris Kyle est une légende. Il fait aujourd’hui partie de la légende des soldats américains, quelle que soit sa légitimité, quel que soit le personnage derrière l’image, son cercueil est salué par les Américains.

On notera la belle citation de La Prisonnière du désert :



mercredi 11 mars 2015

La Poursuite infernale (My Darling Clementine de J. Ford, 1946)




Formidable western de John Ford, qui installe dans l’imagerie populaire plusieurs personnages mythiques de l’Ouest (Les frères Earp, Doc Holliday) et certaines séquences reprises maintes et maintes fois au cinéma (la fusillade d’O.K. Corral).
La douceur de jeu d’Henry Fonda est légendaire, de même que l’interprétation de Victor Mature ou Walter Brennan.


Mais Ford, non content de construire ainsi le mythe du cinéma, se permet digression sur digression, formant ainsi un ensemble typique : à ses personnages puissants et au cadre éternel (le Monument Valley), se surajoutent de petites histoires parallèles : autant de rencontres ou de moments pris sur le vif, qui émaillent sa narration de détails pittoresques ou drôles et qui font vivre son film. Cet équilibre, typiquement fordien, est extraordinaire. Comme si Ford n’avait pas besoin de rester agrippé à son récit : sa puissance narrative lui permet de retrouver le fil de son histoire très naturellement, sans accroc. Le titre original (My Darling Clementine, délicieux), loin de tout sens épique, montre combien ces moments passés aux côtés de ses personnages, à l’aide d’autant d’histoires parallèles, est importante pour lui.
Et il faut tout le génie de John Ford pour que le film parvienne à alterner ainsi, sans que cela ne heurte la narration, des moments d’actions violentes et tragiques (avec de nombreux morts) et des moments doux et intimistes.


lundi 9 mars 2015

Fast and Furious (The Fast And The Furious de R. Cohen, 2001)



Fast and Furoius Rob Cohen

Ce film est à l’origine d’une série de films parmi les plus rentables de l’histoire. Pourtant on reste sidéré : le film est étonnamment stupide, le scénario est vide de sens, les personnages sont caricaturaux. Les courses de voiture, pour qui aime ce sport, sont filmées de façon tout à fait ridicule.
On a bien des critiques à formuler sur les principales séries qui se répandent dans les cinémas (Harry Potter, Avengers, Star Wars, etc.), mais enfin, au-delà des reproches, chacune a son intérêt, son mérite. Ici rien de tout cela. C'est le blockbuster dans le plus mauvais sens du terme.
On ne saurait donner tort aux producteurs d’exploiter à fond un filon qui rapporte tant, mais on tient là, sans doute, le rapport qualité/succès le plus bas. On peut également s'interroger sur ce que pensent les producteurs du public cible de ce genre de film :



Aux antipodes, pour qui aime les runs en ligne droite en écrasant à fond l’accélérateur (sport fin et intelligent s’il en est), on recommande le quasi-expérimental Macadam à deux voies de Monte Hellman ou encore Point limite zéro de Richard C. Sarafian. Mais, avec ces deux exemples, par rapport à un blockbuster exécrable comme Fast and furious, on est sur une autre planète.

vendredi 6 mars 2015

Full Metal Jacket (S. Kubrick, 1987)




Brillant film de guerre, Full Metal Jacket est articulé en plusieurs parties, nettement découpées. Le génie de Stanley Kubrick éclate dans la première partie, et, même dans la première séquence (la revue des jeunes recrues par l'invraisemblable sergent instructeur Hartman) et, plus encore peut-être, dès la séquence de générique : le passage où les jeunes recrues passent sous la tondeuse du coiffeur pour une coupe à ras. Cette séquence est typiquement kubrickienne, brillante d'intelligence (peut-on mieux représenter par l’image le lavage de cerveau que vont subir ces jeunes hommes ?) et de ton comico-tragique, que viennent relever les mimiques diverses des recrues et la musique légère et rythmée.



Il faut noter, toutefois, que si la première séquence est très puissante visuellement, les suivantes (les reportages puis les scènes de guerre proprement dites), sont beaucoup plus conventionnelles (malgré la virtuosité évidente de leur mise en scène). On regrettera même l'utilisation de ralentis très décevants de la part de Kubrick qui sait si bien les utiliser (dans Orange mécanique par exemple) : ici, ils semblent être une banale concession à la mode actuelle des films d'action qui ne savent pas s’en passer.
Mais le message principal du film porte : Kubrick cherche à comprendre comment un homme lucide et intelligent peut se transformer en machine à tuer, sans plus craindre de mourir, ni d’avoir à donner la mort. Ce que le conditionnement du camp d’entraînement n’avait pas su accomplir, la confrontation aux combats et la mort des camarades l’achèveront.



mercredi 4 mars 2015

Le Parrain (The Godfather de F. F. Coppola, 1972) et Le Parrain 2e partie (The Godfather : Part II de F. F. Coppola, 1974)




Chef-d’œuvre éblouissant de maîtrise, passionnant et inoubliable. Francis Ford Coppola nous abreuve en images qui marquent immédiatement et les scènes légendaires affluent.
La séquence d’ouverture est à ce titre exemplaire : elle annonce et résume le film tout à la fois. Coppola montre de façon alternée le mariage qui se déroule en plein air, au milieu des chants, des danses, des rires. Mais, en même temps, une toute autre cérémonie se déroule : dans le bureau fermé, dont l’accès est filtré, le parrain assoit son autorité, on vient lui faire allégeance. L'obscurité du bureau manifeste, par extension, l'illégalité de ce qui s'y déroule. Coppola fait donc participer le spectateur à une fête et, en même temps, le fait entrer dans les arcanes d’un pouvoir. Il se crée une figure quasi-mythologique : celle d’un chef qui contrôle, depuis l'obscurité de son bureau, une organisation immense et puissante, auquel tout le monde rend des comptes. Cette dualité résume la famille Corleone : elle veut apparaître joviale (une fête est donnée), respectable (Don Corleone a des appuis parmi les hommes politiques, les juges, etc.) mais il s’agit d’un pouvoir impitoyable. Tout cela est exposé de façon limpide, claire et en même temps foisonnante, en introduisant une multitude de personnages qui sont autant de rouages de la machine.

A l’autre extrémité du film, la séquence finale, qui conjugue le baptême de la nièce et les règlements de compte qui assurent la passation de pouvoir, est magistrale. Michael devient parrain dans tous les sens du terme : religieux, familial et criminel.
Et la dernière scène du film reprend la première : on y voit Michael recevoir un baisemain d’allégeance, exactement comme son père le recevait. La porte du bureau se referme : le pouvoir s’y exerce de nouveau, et l’on sait déjà comme Michael sera puissant et impitoyable.

Le film est évidemment porté par des acteurs exceptionnels. On peut d'ailleurs supposer que Coppola s’est fait dépasser par ses acteurs : les personnages sont tellement fascinants qu’on ne les déteste pas autant que le prévoyait Coppola. Marlon Brando marque les esprits, instaure une représentation désormais fixée du chef de famille : tout en retenue, mais en laissant percevoir combien il est implacable et indifférent à autrui dès lors qu’il n’est pas de la famille. Le magnétisme qu’il dégage est aujourd’hui encore intact.
Pourtant malgré Brando et son personnage qui s’est inscrit dans les esprits, le personnage central est bien Michael. Lui qui ne demandait qu’à se tenir à l’écart des affaires se voit contraint par les circonstances, progressivement, de prendre la charge de la famille. Largement tenu à l’écart de la guerre des familles par Sonny, Michael finira par accomplir son destin. C'est de loin le meilleur rôle d'Al Pacino (l’acteur a, par ailleurs, une trop grande tendance à cabotiner).
La scène clef du film (et de l’histoire de la famille Corleone) reste celle de l’hôpital où Michael, par son sang-froid, sauve son père. Celui-ci pleure en découvrant ce qu’a fait son fils, mais ses pleurs recouvrent tout à la fois la certitude d’avoir là son successeur et la douleur de voir son fils plonger dans les affaires impitoyables de la famille : Vito sait le destin qui attend son fils, bien avant Michael lui-même. C’est là que la passation de pouvoir se fait. Ce n’est donc que progressivement que Michael s’endurcit, prend la charge de la famille et la dirige, à contre-cœur, conscient des renoncements que cela implique. Mais il ne peut échapper à son destin. Le mensonge final à Kay en est le symbole : il n’a plus le choix, il est obligé de mentir à celle qu’il aime (ce qui le condamne définitivement à être un homme seul), de la même façon qu’il doit punir les traîtres et tous ceux qui s’opposent à la famille. Ce mensonge, violent et prononcé les yeux dans les yeux signe la conséquence immédiate de sa prise de pouvoir : désormais Michael est un homme seul. Là est son destin. Ce fut celui de son père, c'est ce qu'il voulait éviter à son fils. La solitude du pouvoir, de la décision, du poids des morts. Michael est (et sera encore dans la suite) filmé seul, adossé, fixé dans ses pensées.

Au-delà des deux rôles phares, toute la distribution est parfaite. Coppola est très jeune quand ce scénario lui est proposé, pourtant, il parvient à imposer sa façon de voir aux producteurs : il impose Marlon Brando dans le rôle principal et choisit Al Pacino dans le rôle clef de Michael (James Caan a tenu la corde dans un premier temps pour ce rôle mais il ne faisait pas assez italien – le Sonny qu’il interprétera est de toute façon légendaire).
Coppola décrit une mafia qui pervertit les valeurs de la société américaine (sens de la religion, importance de la famille, respect des traditions, fidélité à la parole donnée, admiration pour les puissants qui ont réussi) pour les mettre au service de la « famille », sans pitié pour toutes les personnes extérieures à cette famille. En plus de la description d’un univers criminel, le regard sur la société américaine est donc virulente.

Le medium cinéma prend, aux Etats-Unis pendant le XXème siècle, une importance considérable. Après la poésie pendant l'Antiquité, la chanson de geste au Moyen Âge, le théâtre au XVIIème siècle ou le roman au XIXème siècle en France, c'est par lui que les mythes et légendes s'écrivent et s'inscrivent dans la mémoire collective.
On tient là, avec Le Parrain (en incluant son éblouissante suite), l'un des plus beaux exemples de cette dimension opératique, funèbre et lyrique et qui dessine, peu à peu, les contours d'une tragédie.


The Godfather Part II Le Parrain II Affiche Poster

Le Parrain II est tout aussi passionnant. Coppola coupe et entremêle son film en deux époques. L’une est un peu datée : c’est celle où l’on voit Michael étendre son empire ; l’autre est hors du temps : les scènes tournées sur l’enfance de Vito Corleone sont éblouissantes. La séquence du meurtre de Fanucci, conduite en un double travelling est exceptionnelle. R. De Niro compose un Don Corleone parfait, rôle d’autant plus difficile que l’interprétation de M. Brando est ancrée dans toutes les mémoires.
Il faut bien entendu  voir et comprendre les films comme un diptyque (la troisième partie, pourtant réussie, ne vaut pas les deux premières).

Robert de Niro Fanucci Le Parrain II

On pourrait s’interroger : comment faire un film sur ce thème après un tel chef-d’œuvre ? En fait Coppola a choisi dans ses films de montrer la tête de la pieuvre (l’aristocratie de la mafia si l'on veut), avec le pouvoir qui s’exerce et les luttes de haut rang. Cela laisse bien des possibilités : dans Les Affranchis ou Casino, M. Scorsese montre les caïds un cran en dessous, et dans Gomorra, de M. Garrone, ou dans Mafioso de A. Lattuada (sorti avant Le Parrain) ce sont les exécutants dont il est surtout question. Ce n’est alors plus la tête de la pieuvre qui est scrutée, mais l’extrémité du tentacule.

La famille Corleone Le Parrain

On notera que, pour les fans, le pèlerinage se fera en Sicile, dans le village de Savoca, à quelques kilomètres de Taormine. On y trouvera, conservés en l'état, le bar Vitelli, où Michael demande la main d'Apollonia à son père, et l'église du village, sur le parvis duquel leur mariage est fêté.


lundi 2 mars 2015

La Nuit du chasseur (The Night of the hunter de C. Laughton, 1955)




L’unique film de C. Laughton est un chef-d’œuvre extraordinaire. En un film il est l’égal des plus grands réalisateurs. Quand on pense que c'est à cause du manque de succès de ce film que Laughton s'est détourné de la réalisation !
La célèbre composition de Robert Mitchum dans le rôle de Powell est inoubliable et permet au film de flirter avec différents genres et sur différents tons.

La Nuit du chasseur est un conte, dont les influences sont multiples.
Le personnage de faux pasteur que le film met en scène rapproche La nuit du chasseur des films noirs, qui présentent souvent, comme ici, des personnages pervers, violents ou manipulateurs. Ici Powell tue et manipule. De même, comme dans beaucoup de films noirs, la plupart des autres personnages sont ambigus : le vrai père, Ben Harper, est un meurtrier mais aussi une victime (ses actes sont expliqués, sinon légitimés, par sa crainte de voir ses enfants réduits à la misère), Willa est une bonne mère mais faible et elle abandonne ses enfants à Powell, Rachel est bonne mais elle est brusque, quant à Powell lui-même, on ignore s’il est réellement fou ou s’il est un meurtrier conscient de ses actes.

L’atmosphère du film, exceptionnelle d'envoûtement, change selon les moments (elle est parfois oppressante et menaçante, parfois douce et calme). Certaines séquences ont un traitement réaliste, d’autres sont expressionnistes. Laughton fait clairement référence à plusieurs chefs-d’œuvre du genre. Son ouverture reprend celle de M. Le Maudit et il continue ensuite de reprendre, par séquences, des atmosphères propres à l’expressionnisme.

Le Cabinet du docteur Caligari de R. Wiene (1920)
L'assassinat de Willa
   
Nosferatu de F. W. Murnau (1922)
Powell à la recherche des enfants
A l’opposé, certains moments sont filmés de façon onirique, merveilleuse, par exemple la fuite des enfants en barque, et font comme une pause dans le récit, une pause douce, calme, scintillante, qui se déroule comme dans un rêve, hors du monde réel.
Laughton propose même des images merveilleuses pour des moments tragiques : par exemple l’extraordinaire vision de Willa noyée, avec ses cheveux qui se confondent avec les algues, dans le miroitement de l'eau.

Willa noyée
Les enfants s'extirpant de la toile tissée par Powell
La fuite en barque
Le film permet une lecture très symbolique, soit à partir du conte, soit, bien sûr, à partir de la Bible. Le film s'ouvre d’ailleurs comme un conte moral : une femme entourée d'enfants lit un passage d’un livre. L’histoire racontée sera donc l’illustration de l’apologue annoncé au départ.
De même, comme dans de nombreux contes, ce sont des enfants orphelins qui sont à la fois les héros et les victimes (on pense à Hansel et Gretel par exemple). Harry Powell apparaît alors comme un ogre ou un loup (il semble être un être irréel - « il ne dort donc jamais ? » dit John -, il chantonne continuellement une ritournelle inquiétante), il gémit quand il se coince les doigts et quand il reçoit un coup de fusil il ressemble à un loup à qui on vient de botter les fesses. Il est aussi comparé à Barbe-bleue, qui tue les femmes qu’il épouse successivement. Enfin Rachel, même si elle est rude, est une bonne fée : elle recueille et protège les enfants contre le loup qui les pourchasse.
On trouve aussi de nombreuses répétitions, dualités et parallèles, qui sont une structure typique du conte  (dans Le petit Poucet ou Boucles d’or) : par exemple, la dualité vrai père/faux père, la maison qui est menaçante d’abord puis qui est un abri, la mère faible/Rachel forte ; et on retrouve, à la fin du film, la même scène d’arrestation de la figure paternelle qu’au tout début ; de même Powell et Harper passent successivement devant le même juge et Powell tente de jouer une seconde fois devant Rachel la scène de ses deux mains entrelacées.
        
Si le film est un conte, il est aussi une parabole religieuse. La moralité lue au début est extrait de la Bible : c’est un avertissement contre les faux prophètes et la parabole des mauvais arbres qui font de mauvais fruits (« on juge l'arbre à ses fruits »). La présence d’un (faux) pasteur met d’emblée la religion au cœur du film. Son jeu avec ses deux mains résume le combat entre le Bien et le Mal et annonce sa lutte contre les enfants (et montre même la victoire des enfants).
Les références à la Bible sont nombreuses et sont explicites : le passage où Rachel leur raconte la fuite en Egypte ou Moïse sauvé des eaux (le parallèle est net avec la barque des enfants qui est découverte par Rachel, comme dans la Bible), de même, la présence multiple de pommes (qui symbolisent pour les chrétiens à la fois le péché, la connaissance et la perte de l’innocence).
Visuellement lorsque Powell plaque John contre le tonneau empli de pommes la référence au sacrifice d’Isaac est claire.

John menacé par Powell
Le sacrifice d'Isaac par Le Caravage (1597)
De même, lors de la fuite en bateau, la Nature accueillante est comme un Eden pour les deux enfants. Rachel, qui les recueille, illustre la bonne version de la foi religieuse : sincérité, compassion, générosité. Elle est bien l’inverse du faux prêcheur Harry Powell.

Ces deux thèmes (conte/Bible) s'articulent autour de l'axe principal du film qui est la dualité Bien/Mal, antithèse que l'on retrouve sans cesse : par exemple dans la lumière (l'opposition noir/blanc, le contre-jour et les ombres, lors des nombreuses scènes nocturnes), dans les deux mains du pasteur (Hate/Love), ou encore dans l’opposition entre Ben Harper et Harry Powell : Harper prend l'apparence du Mal (il vole et commet un double meurtre) pour faire le Bien (sortir ses enfants de la misère) alors que Harry Powell prend l'apparence du Bien pour faire le Mal.

La Nuit du chasseur Robert Mitchum Charles Laughton
Robert Mitchum interprète le terrible pasteur Harry Powell