samedi 30 septembre 2017

Cendres et Diamant (Popiół i diament de A. Wajda, 1958)




Film brillant et stylisé, Cendres et diamant exprime toute la vista visuelle de son réalisateur. Au-delà du parcours de Maciek, c’est cette exaltation de l’image qui frappe.
Au travers de l’itinéraire de Maciek, coincé dans des luttes qui le dépassent (entre nationalistes et communistes), Wajda filme les tourments de  la Pologne au sortir de la guerre. Des idéalismes déçus, des meurtres, des ruines, une lassitude pour tout ces déchirements mais aussi l’amour, l’espoir, une page à tourner et quelque chose à reconstruire, Wajda filme ces tourbillons, à grands coups d’images chocs, de jeux de lumière, de sensations qui font vibrer l’image.


jeudi 28 septembre 2017

Spleepy Hollow (T. Burton, 1999)




Très bon film de Tim Burton, qui construit une trame passionnante à l’intérieur de son univers si caractéristique. La poursuite du Cavalier sans tête (dont les apparitions sont détonantes à l’écran) est l’occasion pour le détective Ichabod Crane de résoudre ses propres démons ; Crane, avec son approche scientifique et rationnelle, qui a le tort de ne pas croire à ce cavalier qui sème la terreur.
Mélangeant l’inspiration des films de la Hammer et ses propres inspirations, faites d’un mélange de noirceur et d’ironie, Tim Burton réinvente un style gothique très personnel. Sleepy Hollow est ainsi, sans doute, le film le plus abouti de Burton, dont la fulgurance se marie parfaitement avec la noirceur des décors, l’arbre tortueux et saignant, les décollations soudaines du cavalier faisant irruption et, enfin, le teint blême de Johnny Depp, excellent.


mardi 26 septembre 2017

Chinatown (R. Polanski, 1974)




Très célèbre et reconnu outre-Atlantique, bien plus qu'en Europe, ce très bon film de Roman Polanski s’inspire des films noirs d’antan et cherche son propre style à partir de cet héritage immense. L’intrigue est prenante, dans cette Californie sans eau où quelque chose se passe.
Jack Nicholson est épatant en privé perdu qui cherche longtemps (et qui se cherche, par la même occasion, épuisé qu’il est par sa vie de privé minable). Difficile de ne pas en faire, au moins dans la première partie du film, le double du cinéaste qui cherche sa voie parmi les codes du film noir : Jack Gittes a bien peu de flair (très bonne idée que celle de lui entailler le nez comme pour mieux signifier cette incapacité), qui piétine, s’empêtre et tourne en rond un bon moment.
Et tout semble un peu vaporeux, le temps s’étire étrangement, les responsables restent fantomatiques et mal identifiés. Et les fils, lentement, de façon impalpable, mènent vers Chinatown, où tout s’achève.


dimanche 24 septembre 2017

Le western et le récit des origines



Les historiens considèrent souvent que la conquête de l’Ouest (The American Frontier en anglais) s’est achevée à la fin du XIXème siècle, période précise de la naissance du cinéma (la première projection publique des frères Lumière a lieu à la fin de l’année 1895). Cette simultanéité est remarquable et a une conséquence importante : à peine l’Histoire était-elle achevée, qu’il y avait un moyen d’expression pour en rendre compte. C’est ainsi que le cinéma, aussitôt, a entrepris de raconter la conquête de l’Ouest. Mais, inévitablement, cette mise en récit de l’Histoire l’a transformée (on ne peut raconter l’Histoire sans, ce faisant, la transformer) et, aussitôt, l’a installée au rang de mythe. Ce mythe devient celui des origines de la Nation américaine, depuis l’arrivée des premiers colons jusqu’à l’établissement des villes sur la côte Ouest.
C’est ainsi que le cinéma devient le porteur du récit des origines (1).


La Piste des géants (R. Walsh, 1930)
L’écart devient rapidement important entre la réalité historique des événements et leur version cinématographique.
À cet égard le déménagement des producteurs vers la côte Ouest est décisive : les premiers films prenaient pour décor naturel un environnement assez boisé, voire forestier mais le nouvel environnement de l’Ouest – le désert – va rapidement devenir emblématique. De même, la volonté de montrer des films spectaculaires et surtout « américains » (pour concurrencer les importations françaises de Gaumont et Pathé) va entraîner une domination de plus en plus importante des westerns à thématique de guerres indiennes sur fond de désert.

Dans le même temps, et cela malgré la perte de véracité historique, le cinéma, parce qu’il est un média de masse répandu à travers tout le pays, est investi d’une mission civilisatrice : celle d’éduquer le peuple, en particulier les immigrés, pour leur raconter le roman de la nation.
Comme ces premiers moments de l’histoire de la Nation sont principalement des récits de convois qui s’avancent à travers les plaines et bravent mille dangers, ou bien de pionniers qui tentent de fonder des communautés ou encore de combats contre les Indiens, on comprend que c’est le genre du western qui a pris en charge ce récit des origines.

Le western devient ainsi beaucoup plus qu’un genre parmi d’autres, il devient celui qui définit l’américanité. La question, dès lors, qui taraude le western, peut se résumer à celle-ci : qu’est-ce qu’être américain ? Et les réponses qui s’accumulent, à mesure que le genre se codifie, définissent progressivement ce qu’est un américain.

Les réponses, bien entendu, sont multiples, et elles ont une portée aussi bien collective qu’individuelle.
L’aspect collectif s’exprime dans le western au travers de la confrontation à la frontière, mot pris dans le sens d’un espace de confrontation, où les colons blancs affrontent la Nature. Il s’agit ici de la nature sauvage, de la wilderness, qui comprend le désert, les montagnes, la chaleur, le manque d’eau, les serpents, mais aussi les Indiens, qui sont inclus comme des éléments dangereux de cette Nature. Et la mission des colons – mission d’ordre Divin, telle qu’exprimée dans la Destinée Manifeste – est de civiliser cette nature sauvage.
La nation naît de cette confrontation : les communautés se fondent et les peuples s’unissent. De nombreux films montrent les Blancs, les Noirs, les émigrés polonais, chinois ou italiens, lutter ensemble et vaincre la nature. C’est le cas dans Le Cheval de fer ou La Piste des Mohawks de J. Ford.
Ainsi, pendant une cinquantaine d’années, le western raconte comment l’Amérique est née de cette prise de possession de la nature sauvage. Bien sûr cela justifie en passant le massacre des Indiens, la destruction de leurs moyens de subsistance (les bisons) et la préemption de leurs territoires.

Au niveau individuel, deux grandes images s’opposent : celle du pionnier qui s’installe et s’attache à une terre et celle du personnage sans cesse en mouvement, qui, au contraire, n’a aucune attache.
Les westerns regorgent de l’un ou l’autre de ces personnages : avec d’un côté le fermier, depuis le père de famille qui cultive sa petite parcelle jusqu’au grand propriétaire terrien qui possède toutes les collines environnantes, qui correspond à cet attachement au terroir. Et de l’autre côté ces personnages solitaires, qui ne se fixent jamais, qui sont éclaireurs, gunfighters ou prospecteurs et qui regardent sans cesse vers l’horizon.
Certains films expriment parfaitement cette dualité : L'Homme des vallées perdues par exemple (avec le personnage de Shane qui vient prêter main forte à une famille de fermiers), L’Homme qui n’a pas d’étoile (Dempsay Rae qui refuse de laisser les prairies être clôturées), Je suis un aventurier (avec Jeff Webster qui aspire, un jour à se fixer), ou La Ruée vers l’Ouest (avec Yancey qui se marie avec une femme qui n’aspire qu’à se fixer mais qui en est lui-même bien incapable) expriment les difficultés pour concilier les deux univers.


L'Homme des vallées perdues (G. Stevens, 1953)
Ces idées, déclinées de mille manières, constituent le cœur du western durant un demi-siècle. Puis, à partir des années cinquante, la réalité historique vient cogner à la porte du mythe : sous les influences multiples et successives des mouvements des droits civiques puis de la guerre du Vietnam, plusieurs westerns commencent à considérer les Indiens non plus comme des éléments de la nature mais comme un peuple qui était là avant les colons blancs. Le western lève un coin du voile : l’émergence de la nation s’est faite avec le massacre des Indiens.
D. Daves (La Flèche brisée), A. Mann (La Porte du diable), puis A. De Toth (La Rivière de nos amours) ou J. Ford (Les Cheyennes) brisent peu à peu les codes du western et donnent une part de plus en plus importante aux Indiens : il devient clair que l’on ne peut plus, désormais, simplement traiter l’Indien comme un sauvage hurlant et agressif. La conquête de l’Ouest s’est faite en massacrant les Indiens et en volant leurs terres : désormais on ne peut plus le cacher. Le western révisionniste, ensuite, à partir des années  soixante-dix, oblige le genre à changer d’angle : de Little Big Man à Danse avec les loups en passant par Soldat bleu, la réhabilitation des Indiens se fait dans la dénonciation de l’extermination dont ils furent victimes.
La légitimation par la Destinée manifeste ne vaut plus : dans Little Big Man, le Dieu évoqué est celui des Indiens, non pas le Père des Chrétiens, mais le Grand-père, celui qui était là avant.
Le western devient très conscient de ce retournement : J. Ford lui-même, qui a tant participé à la codification du genre (il est l’un de ceux qui a le mieux filmé le déferlement de hordes d’Indiens qui attaquent la diligence), exprime parfaitement la constitution du mythe, au détriment de la réalité, dans L’Homme qui tua Liberty Valance : la réalité n’est pas ce que vous croyez avoir vu, nous dit-il, et cette réalité n’est pas forcément belle à voir.

C’est ainsi que le western ne peut plus, aujourd’hui, développer des idées anciennes avec une fausse naïveté. Les westerns qui continuent de traiter les Indiens comme dans les années quarante ou qui continuent de jouer naïvement avec les images mythologiques apparaissent à la fois anachroniques et superficiels. Qu’il s’agisse de L’Or de MacKenna ou du plus récent Appaloosa, on est ici dans l’utilisation de vieilles recettes qui ne peuvent plus fonctionner. Si Appaloosa évoque Warlock, il en est une version bien pâlichonne et considérablement appauvrie et vidée de son sens.
Si des westerns peuvent encore être réalisés, c’est soit en tenant compte de réalités historiques que l’on ne peut plus faire semblant de ne pas connaître, soit en enlevant tout sens au film. C’est cette seconde voie qui a été exploitée par le western italien : en se concentrant sur la forme, en simplifiant considérablement le genre et en le dispensant de toute réflexion, il a permis une revitalisation spectaculaire du genre. Cette italianisation du genre a permis, en retour, à Hollywood de produire des westerns tout en évitant de se frotter aux cadavres dans le placard (Les Huit salopards, la version récente des Sept mercenaires). Mais cette revitalisation n’est que superficielle : rares sont désormais les westerns innovants ou qui proposent d’aller plus loin encore dans ce rapport à l’Histoire (mais ils existent et peuvent être excellents : par exemple Impitoyable de C. Eastwood, qui est une éblouissante revisite du genre, ou Dead Man de J. Jarmusch, très innovant).

La Prisonnière du désert (J. Ford, 1956)
On notera que, à partir des années soixante-dix, les images véhiculées par le western ont pu être réutilisées. Dans Easy Rider, non seulement la moto apparaît comme le remplaçant moderne du cheval d’antan, mais les protagonistes viennent sur les lieux mêmes du western (le Monument Valley). Ce faisant, ces marginaux viennent y chercher une légitimation en venant sur les lieux mêmes du récit des origines. C’est une manière de proclamer « moi aussi je suis américain, je n’ai pas à être rejeté ». De même pour Thelma et Louise, où les héroïnes s’enfoncent toujours plus avant dans le désert.


Thelma et Louise (R. Scott, 1991)



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(1) : Pour plus de précisions, on consultera avec profit les ouvrages ou les articles souvent remarquables de J.- L. Leutrat ou de H. Mayer, spécialistes français du western.


vendredi 22 septembre 2017

Les Liaisons dangereuses (Dangerous Liaisons de S. Frears, 1988)




Sans être exceptionnel, Les Liaisons dangereuses est une adaptation intéressante, avec des interprètes remarquables (ce qui est primordial ici pour des personnages si marquants).  On notera cependant que si John Malkovich est particulièrement reptilien en Valmont et qu'il joue parfaitement le passage, au cours du récit, de la fausseté à la sincérité, il manque peut-être un peu de charme pour rendre crédible le fait qu'elles lui succombent toutes. Quoiqu'il en soit l'interprétation est plus marquante que dans le Valmont de Milos Forman, sorti peu de temps après.
Mais Les Liaisons dangereuses fait partie de ces œuvres qu’il est difficile de détacher de leur source d’inspiration : on regardera donc le film en guettant tel ou tel personnage du roman, ou en scrutant avec attention tel ou tel passage qui nous aura particulièrement plu dans le roman.
On appréciera ainsi Valmont appuyé sur les fesses de Cécile de Volanges pour écrire une de ses lettres à Madame de Tourvel, on trouvera plus quelconque le traitement de la rupture entre Valmont et la même Madame de Tourvel, rupture actée dans le roman autour de l’extraordinaire cynisme froid du « ce n’est pas ma faute ».


mercredi 20 septembre 2017

Halloween : La Nuit des masques (J. Carpenter, 1978)




Film culte incontournable parmi les films d’horreur des années 70 (au milieu des quelques autres de George Roméro, Tobe Hooper, William Friedkin ou Wes Craven). Son succès popularise à Hollywood le sous-genre du slasher movie (genre né en Italie autour des films de Bava ou Argento).
John Carpenter met en place un personnage (Mike Myers), une image choc (le masque de Mike) et une musique entêtante qui fera florès. Il s’appuie sur un prologue exceptionnel qui propose à la fois ce qui sera la séquence archétypale du slasher hollywoodien (le meurtrier, en caméra subjective, qui rôde autour de la maison, parcourt les pièces et tue au couteau) tout en la personnalisant parfaitement avec la révélation du meurtrier enfant.
C’est ainsi que Carpenter continue de travailler l'un de ses motifs favoris (la présence du Mal, à la fois inexplicable et impossible à éradiquer) qu’il libère dans une americana bientôt ensanglantée et tailladée.
Le film contient aussi une part d’irréalité et de fantastique (installée d’emblée par la révélation du visage d’ange du garçon-tueur) qui confère une aura particulière au film.



Entre les nombreux remakes, suites ou simples films qui exploiteront le filon, il faut noter le très bon remake de R. Zombie qui parvient à saisir l’humeur du film de Carpenter.

mardi 19 septembre 2017

Le Réveil de la sorcière rouge (Wake of the Red Witch de E. Ludwig, 1948)




Le Réveil de la sorcière rouge embarque le spectateur dans un récit maritime à coup de baraterie, de chasseurs de perles, de fêtes indigènes ou de combats sous-marins contre une pieuvre géante (!). Mais, au-delà de ces éléments qui tiennent du plus pur récit d’aventures exotiques, le film s’enrichit de la relation complexe entre Ralls et Sideneye, dont on découvre progressivement que leur affrontement ne vient pas de leur soif d’or comme on le croit au départ, mais de leur passion pour une même femme, la belle Angelica (Gail Russell), contrainte d’épouser celui qu’elle n’aime pas. C’est cette passion commune qui rend leur opposition si complexe (complexité qui se manifeste notamment avec la réaction de Sideneye en fin de film).
John Wayne est remarquable dans ce rôle ambigu et complexe, et il se coule parfaitement dans ce film bien éloigné des réalisations prestigieuses qui l’accaparent à l’époque (sous la direction de J. Ford ou H. Hawks notamment).
La fin est remarquable, aussi bien les séquences de plongée, que le réveil de la Sorcière (excellent titre de film) ou que les images finales, à la fois surréalistes et poétiques.


dimanche 17 septembre 2017

La Ronde de l'aube (The Tarnished Angels de D. Sirk, 1957)




Très bon film de Douglas Sirk, La Ronde de l’aube est un mélodrame sombre et  tragique qui tranche avec beaucoup d’autres films du réalisateur. En effet, bien qu’il reprenne trois des acteurs qui formaient le quatuor d’Écrit sur du vent, réalisé deux ans plus tôt (Rock Hudson, Jack Stark et Dorothy Malone), le film ne distille pas du tout la même atmosphère. Bien loin du baroque haut en couleur, le noir et blanc est âpre et le ton très sombre et désespéré. On reconnaît parfaitement le ton de Faulkner (le film est une adaptation d’un de ses romans), avec des personnages à la dérive, chacun pris par des passions dévastatrices ou des démons dont ils ne s’extrairont pas. C’est l’Amérique de la Grande Dépression, emplis d’êtres perdus, torturés et désespérés (on pense aux Désaxés de Huston).
Les acteurs sont remarquables, en particulier Jack Stark qui interprète Roger, qui évolue dans un autre univers, sans rien voir autour de lui et qui sacrifie sa vie à une passion folle qui le condamne. Et il n’est que la mort de Roger – dans un sacrifice qui est un demi-suicide – qui puisse libérer Laverne. L’oraison funèbre prononcée par Burke est exceptionnelle.


On remarquera l’allusion nette de Sirk au paradis perdu, de même que dans nombre de ses films : ici Laverne lit Mon Ántonia de Willa Carther, qui évoque les champs de son enfance. Cette évocation (semblable à celle de Twain ou Thoreau dans d'autres de ses films) dispense Sirk de montrer à l'image ce paradis de l'enfance (comme il le fait dans Écrit sur du vent). Et, ici, ce paradis perdu ne sera jamais retrouvé (alors qu’il l’est, par exemple, à la fin de Tout ce que le ciel permet).


vendredi 15 septembre 2017

La Ville abandonnée (Yellow Sky de W. Wellman, 1948)




Western très réussi de William Wellman, qui vaut d'abord pour sa première demi-heure, très réussie, son ton général très sombre (on parlera volontiers de western noir à propos de ce style, qui imprègne aussi L’Étrange incident par exemple) et la virtuosité de nombreux plans, inventifs ou saisissants.
Wellmann réussit en effet parfaitement son entrée en matière : un braquage rapide d’une banque et une course-poursuite qui s’engage, de façon très classique. On est surpris de voir Gregory Peck en chef des bandits (il est toujours discutable dans ces rôles à contre-emploi, un peu comme dans Duel au soleil). On voit, ensuite, la bande s’enfoncer en plein désert alors que le shérif et ses sbires laissent le soin au soleil de punir les hors-la-loi.


Cette traversée du désert est remarquablement bien filmée, avec une détresse progressive, des chevaux qui trébuchent et s’enfoncent dans les croûtes de sel, des gourdes qui se vident et des solidarités qui disparaissent. Ces scènes écrasées de soleil rappellent la séquence finale des Rapaces.

La nuit, éclairée par la Lune, s'étend sur le désert de sel

La croûte de sel se craquellent sous les sabots des chevaux

La suite du film, avec l’arrivée dans l’ancienne ville minière, la fièvre de l’or et le jeu du chat et de la souris avec Constance (Anne Baxter et Gregory Peck qui se tournent autour : on a très vite une petite idée de la fin du film), est moins originale mais Wellman fait montre d'une étonnante vista, en proposant de nombreux images remarquables, originales ou inventives. La photo est très sèche et les ruines délabrées de la ville, la clarté blafarde de la Lune ou encore la chaleur qui écrase tout sont très bien rendus.
Et le duel final est remarquable : montré hors-champ on ne voit, depuis l’intérieur sombre du saloon abandonné, que la lumière des coups de feu échangés.

Extraordinaire vue subjective, prise depuis l'intérieur
du canon d'une carabine

Très beau plan de nuit, avec les violents contrastes de la Lune


mercredi 13 septembre 2017

Guêpier pour trois abeilles (The Honey Pot de J. L. Mankiewicz, 1967)




Film plutôt plaisant de Mankiewicz, mais qui est bien loin de ses plus grandes réussites. On retrouve son goût pour les adaptations de pièces de théâtre (on pense au Limier, ou à Jules César). Si le pitch est amusant, le scénario sacrément alambiqué rend le dénouement, avec ses multiples coups de théâtre, assez improbable. Mais le coup porte : le spectacle de la vie, dans toute sa futilité superficielle et théâtrale, est clairement dénoncé par le réalisateur.
Restent les bons rôles de Rex Harrison et de Cliff Robertson et le plaisir de Mankiewicz à filmer cet étonnant palais empli de femmes avides.



lundi 11 septembre 2017

La Flèche brisée (Broken Arrow de D. Daves, 1950)




Important western de Delmer Daves, La Flèche brisée est l’un des premiers westerns à changer de point de vue vis-à-vis des Indiens, en les considérant non pas comme de simples éléments agressifs de la Nature, mais en s’intéressant à eux, en évoquant leurs manières d’être et de penser et en proposant, même, une possibilité de liens d’amour entre Blanc et Indien.
Soyons précis : il y a eu de nombreux films abordant la vie des Indiens – les Indian pictures –, mais c’était aux premiers temps du cinéma, avant même que le genre western ne se soit réellement dégagé et avant que le public ne devienne friand de désert et de guerres indiennes.
Mais, faisant suite aux westerns classiques, La Flèche brisée, avec La Porte du Diable d’Anthony Mann notamment, est l’un des premiers à sortir des codes du genre, codes alors bien installés. Il annonce par là même les westerns révisionnistes, qui passeront par Les Cheyennes de J. Ford pour aboutir à Little Big Man d’A. Penn.

S’appuyant sur des faits historiques (Tom Jeffords fut effectivement un interlocuteur privilégié de Cochise et contribua à mettre fin aux guerres indiennes), Daves filme avec une sobriété et un classicisme de bon aloi. Conscient de ses prises de position non conventionnelles, il propose quelques jeux de mises en scène qui prennent à revers les habitudes du genre. C'est le cas lors de l'embuscade finale, où, à l'opposé de ce qui se fait habituellement (les Indiens dominants et embusqués) ce sont les Apaches qui sont en contre-plongée et les Blancs qui font corps avec la Nature pour se camoufler parmi les rochers.


Il s’intéresse avec sincérité aux coutumes indiennes et nous les fait partager (notamment les interdits et obligations lorsque Jeffords courtise la fille de Cochise). Mais on regrette peut-être que, voulant charger son film de signification, il recoure trop aux archétypes ou aux symboles. Par exemple le colonel Berall – qui veut exterminer les Apaches – devient l’archétype du Blanc haineux, Sonseeahray – qui meurt à la fin – symbolise, elle, l’absurdité de ces guerres, etc. Le courrier même, dont le transport est le premier enjeu de la paix, n’est qu’un symbole, il n’a aucune importance en lui-même (on ne saura jamais le contenu de ces lettres transportées si courageusement). Et c’est le cas bien sûr de la flèche brisée elle-même, symbole de la fin de la guerre, et que Dave filme avec force. Ce recours incessant aux archétypes et aux symboles rend le film un peu monobloc et lui enlève une certaine finesse. Mais sentant sans doute l’originalité risquée de son propos, Daves le veut simple et clair, d’où cette lourdeur démonstrative.


Très intelligemment, Daves fait progresser son propos : il montre d’abord le territoire des Indiens (duquel les Blancs sont chassés et tués) et celui des Blancs (duquel les Indiens sont exclus) comme irrémédiablement séparés. Jeffords passe de l’un à l’autre sans que l’on puisse les raccorder (c’est un écran noir qui marque la coupure). Ensuite Daves montre le long trajet de Jeffords qui va d’un territoire à l’autre. Enfin, on voit les Blancs et les Indiens se croiser dans les montagnes. Ce partage progressif des territoires marque le rapprochement progressif des peuples, tel qu’exprimé par Daves.
On soulignera cependant que le propos final de Daves (la vie en harmonie et sur le même territoire des Blancs et des Indiens) ne se réalisera jamais. En effet les Indiens finiront rapidement parqués dans une réserve et les Blancs pourront s’approprier leurs terres et les « civiliser » comme bon leur semble.


jeudi 7 septembre 2017

Gerry (G. Van Sant, 2002)




Film très dépouillé de Gus Van Sant qui fait s’enfoncer dans la nature (qui devient progressivement un désert) deux adolescents. Il n’y a guère d’autre objectif que de s’écarter, de façon obstinée, de la société et d’aller toujours plus loin, plus profond, de façon plus isolée. Bien vite on ne s’interroge plus guère quant à l’issue tragique du film.
Plus qu’une narration structurée, le film est donc une quête perdue, une recherche d’absolu. Mais on n’est guère subjugué par l’image, d’autant plus que le film n’est pas très original. Depuis Stroheim et le final des Rapaces, toute quête jusqu’au-boutiste conduit en effet à un dépouillement de l’image et emmène ses personnages dans le désert (dans celui, blanc et salé de la Vallée de la Mort, c’est encore mieux). Ainsi, après Stroheim, on a vu Antonioni (Zabriskie Point), Monte Hellman (The Shooting) ou Philippe Garrel (La Cicatrice intérieure).
Van Sant distille son style habituel (longs travellings, flash-backs mentaux, images accélérées, bruits très présents, etc.) mais sans parvenir à nous immerger complètement ni à nous faire partager le cheminement des deux Gerry.



mardi 5 septembre 2017

La dernière star de cinéma




A l’heure où l’on est envahi par le qualificatif de « star », que l’on applique à tout va, il nous semble pourtant qu’il n’y en ait plus qu’une seule qui soit encore de ce monde : Kirk Douglas (1).


Qu’il y ait quantité d’acteurs renommés, dont la notoriété envahit le monde, c’est évident. Qu’il y en ait d’excellents parmi ceux-là, sans aucun doute. Mais ils n’ont rien à voir avec les stars de cinéma, dans le sens premier du mot, avant qu’il soit utilisé à qui mieux-mieux et à toutes les sauces.
Et, pour aller plus loin, on peut poser l’hypothèse qu’il n’existe plus de nouvelles stars, depuis cinquante ans maintenant. Depuis la mort de Marylin Monroe (ou peut-être la retraite de Brigitte Bardot), c’en est fini de ces étoiles qui brillaient au firmament.


On peut bien entendu discuter cette proposition. C’est ainsi que quelques grandes stars pourraient prétendre à entrer dans cette catégorie aujourd’hui disparue des Dieux de l’Olympe. On pense, en France, à Alain Delon. Il est vrai que son prestige est immense sauf, paradoxalement, aux Etats-Unis. Mais les stars sont presque exclusivement hollywoodiennes (Brigitte Bardot, à la renommée internationale, étant peut-être la seule réelle exception).
Clint Eastwood est sans doute aussi un acteur mythique, notamment au travers du personnage qu’il a incarné et qui l’a révélé (l’homme sans nom ou Blondin dans les westerns de Sergio Leone) et qui a impacté incroyablement et durablement l’imaginaire collectif. Ce d’autant plus que Clint Eastwood, en tant que réalisateur, a pu remettre en scène ce personnage, sous d’autres aspects (de Pale Rider à Impitoyable), contribuant ainsi à entretenir cette légende. Son personnage de Dirty Harry appartient lui aussi à la légende, même si Eastwood fut longtemps honni des critiques (et non des spectateurs) pour ce rôle.
Ces deux exemples sont d’autant plus intéressants que leur renommée ne doit rien aux majors américaines alors que les stars sont bien souvent de purs produits des studios.

Les stars, dans ce sens ancien, sont des Dieux de l’Olympe, des mythes vivants. Il faut bien comprendre, en ces temps actuels de profusion médiatique, que, avant les années 60 et la généralisation de la télévision dans les foyers, les principales images qui attisaient l'imaginaire étaient celles, rares et chères, du cinéma. Dès lors les plus grands acteurs de cinéma sont devenus l’incarnation de ces personnages de rêve.


Le show-biz se réduisait alors à quelques magazines et surtout à quelques images d’actualité, diffusées au sein même des cinémas. Ces stars étaient donc au firmament parce qu’elles étaient seules à habiter l’imaginaire. Et l’industrie du cinéma ne s’y trompait pas en organisant autour de ces étoiles immenses toute la puissance de leur industrie. Par exemple en construisant un film autour d’un acteur ou d’un duo. On ne compte plus, alors, le  nombre de stars que les studios ont tenté d’imposer, parfois avec réussite, parfois sans que la sauce ne prenne entre l’acteur et le public. C’est que, au-delà d’une intention des studios, au-delà des moyens mis en œuvre pour mettre en avant un acteur, il faut aussi que cet acteur ait un petit quelque chose qui le fasse coïncider avec le public.


Purs produits des studios hollywoodiens, Greta Garbo, Marlene Dietrich, Ava Gardner, Audrey Hepburn, Gary Cooper, John Wayne ou Humphrey Bogart occupaient une place qui n’a pas d’égal de nos jours. Surtout maintenant que la présence médiatique est si envahissante et que le cinéma n’a plus le monopole de la création des stars. Après le cinéma il y eut des stars dans le monde du rock, puis venant de la télé puis dans le sport, etc. On trouve aujourd’hui mille chanteurs ou mille sportifs qui sont eux aussi des « stars ».

C’est ainsi que, même si plusieurs acteurs ont encore un prestige immense (on pense à Robert de Niro ou Jack Nicholson par exemple), leur renommée et leur place dans l’imaginaire collectif ne sont rien en regard de la « mise en légende » de Marlene Dietrich ou de Gary Cooper, qui au-delà de leur renommée, sont aujourd’hui des mythes. A l'heure de cet article, Kirk Douglas est le dernier de ces mythes à vivre encore.




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(1) : On pense aussi à Olivia de Havilland mais, à la différence de Kirk Douglas, elle est aujourd’hui oubliée.


dimanche 3 septembre 2017

Les Cheyennes (Cheyenne autumn de J. Ford, 1964)




Ce dernier western de John Ford montre bien l’immense chemin parcouru par le réalisateur au cours de sa carrière. Alors que dans ses premiers films (Le Cheval de fer ou Stagecoach un peu plus tard) les Indiens ne sont que des sauvages, des éléments de la nature hostile qui dévalent en hurlant les collines pour attaquer la diligence ou les convois de pionniers, il prend ici fait et cause pour les Indiens, les place au cœur du film et montre les trahisons, les délaissements et la lâcheté qu’ils doivent subir de la part des Blancs. Montré comme un peuple noble subissant injustice et humiliation, Ford exprime ce que les westerns classiques ont occulté : la conquête de l’Ouest, la confrontation à une nature sauvage et, par là-même, la constitution de la nation, se sont faits au détriment d’un peuple légitime qui a été décimé.
Ford revisite ainsi le mythe de l’Ouest tel qu’il a été présenté pendant cinquante ans par une multitude de westerns. L'Indien est décrit comme une victime et non plus comme une menace. Certes Ford n’est pas le premier à changer de point de vue sur les Indiens (on pense à La Porte du Diable ou à La Flèche brisée) mais le film est important puisque Ford lui-même a beaucoup contribué à assimiler des Indiens à des sauvages hurlants.
Une scène résume parfaitement le propos du réalisateur, lorsque le sergent Wichowsky, dans le cadre serré et sombre d’une tente, refuse devant son capitaine de resigner pour continuer à se battre dans l’armée si c’est pour se battre comme un Cosaque. Il explique que, en Pologne, les Cosaques tuent les Polonais juste parce qu’ils sont Polonais et que maintenant l’armée tue des Indiens juste parce qu’ils sont des Indiens.
Ford, comme souvent, magnifie les paysages, dans un rythme lent qui crée une harmonie splendide entre ce peuple noble et vieillissant et la nature immense. Ce faisant il réhabilite les Indiens sur leur territoire (de nombreuses séquences se déroulent au cœur du Monument Valley).


Fidèle à lui-même Ford est très à l’aise avec des scènes intimes ou des personnages pittoresques. Il s’amuse d’ailleurs avec une séquence où il revisite les personnages de Wyatt Earp et de Wild Bill Hicock, dont il confie les rôles à des guests stars truculentes (James Stewart et Arthur Kennedy), et leur fait rejouer, sur un ton de comédie ironique, des scènes classiques.


Le film rejoint ainsi L’Homme qui tua Liberty Valance, précédent western de Ford, en ce qu’il revisite les mythes et légendes de l’Ouest, mythes et légendes que Ford a lui-même contribué à fonder au cinéma.
Après ces différentes dates, il devient difficile pour Hollywood de réaliser des westerns selon les schémas classiques (le gunfighter en héros invulnérable, les pionniers se faisant attaquer par des sauvages, etc.). De tels westerns seront réalisés, mais en Italie, et en délaissant délibérément toute complexité.
Et, plus encore qu’une remise en cause du schéma classique, le western ouvre alors une porte que les Américains ne sont pas encore prêts à regarder en face : le massacre des Indiens, indissociable de la fondation de l’Amérique (Michael Cimino ira encore plus loin avec La Porte du paradis, en évoquant les massacres d’immigrés européens par les gros propriétaires terriens). Quoi qu’il en soit le western a mis le pied dans un engrenage qui lui donne un poids énorme qui le brise en partie. Ce genre, qui a contribué à mettre en image un roman national, a commencé de mettre en lumière une réalité qu’il a longtemps voulu taire : l’Amérique n’est pas propre sur elle, elle a des cadavres immenses et encombrants cachés dans le placard.
On a peut-être là une des explications de l’extinction progressive du genre (même si le genre n’est certes pas tout à fait éteint, le nombre de production s’est considérablement réduit depuis une quarantaine d’années) : exit le beau récit épique ou le héros magnifique, le western confronte désormais le spectateur avec des réalités historiques dérangeantes.
Cette tendance sera renforcée dans les années qui suivront avec plusieurs films qui continueront de dynamiter les récits sur les origines de la nation (Little Big Man, Buffalo Bill et les Indiens, John McCabe, etc.).