mercredi 29 janvier 2014

Yoyo (P. Étaix, 1965)




Très bon film de Pierre Étay (sans doute son meilleur) qui rend hommage à la fois au burlesque et au monde du cirque qu’il aime tant.
Toujours décalé, étranger à son propre monde, le millionnaire rappelle ses héros burlesques, en particulier dans l’étonnante première partie du film, entièrement muette. Etaix s’amuse dans la construction savante de gags, ce qui le différencie de Tati (qui était assez en rupture par rapport au burlesque muet sur ce point), Tati dont on sent, ensuite, dans d’autres séquences du film, l’influence. Etaix qui multiplie par ailleurs les clins d’œil, de Chaplin à Fellini.
Le récit est ambitieux, il s’étale sur plusieurs générations et Etaix remet en scène ce personnage mélancolique, doux, maladroit, qui suit le fil de ses rêves et convie le cirque pour retrouver la vie.



Étaix est un des jalons magnifiques de la lignée des acteurs burlesques français, qui commence à Max Linder, devient nonchalant avec Tati, mélancolique avec Étaix, s’énerve avec De Funès, et file jusqu’à Pierre Richard.

lundi 27 janvier 2014

L'Impératrice Yang Kwei-Fei (Yōkihi de K. Mizoguchi, 1955)




Très beau film de Mizoguchi, qui impose sa sérénité et sa composition, au travers d’un déroulement impeccable et soigneux. Pour son premier film en couleurs, Mizoguchi joue avec les teintes, que ce soit pour spécifier le caractère de tel ou tel personnage ou pour illustrer, par une magie douce, certaines scènes, qui sont éblouissantes (l’empereur dans le jardin aux cerisiers en fleurs).
Le film, néanmoins, ne propose pas la même puissance et il est moins riche que les plus grands chefs-d’œuvre de Mizoguchi. Il s’apparente simplement à un double portrait, celui d’une femme, bien sûr, mais aussi celui d’un empire qui part en lambeaux, miné par la colère du peuple et l’arrivisme des ministres et des généraux. Et, comme souvent chez Mizoguchi, les hommes sont coupables et les femmes victimes. Ici l’impératrice est sacrifiée à la colère du peuple, malgré l’empereur aimé qui cherche à la sauver.



samedi 25 janvier 2014

L’Échine du Diable (El espinazo del diablo de G. del Toro, 2001)




L’Échine du Diable, malgré quelques qualités, est assez décevant : on y trouve plusieurs ingrédients typiques de Guillermo del Toro mais la dramaturgie tourne un peu à vide. Et le méchant est vite identifié comme tel (le personnage est d’ailleurs vite fatigant) et, dès lors, se conduit comme un méchant au milieu de tous les autres, gentils mais désemparés.



Situer le film en pleine guerre espagnole est une bonne surprise (les films sur cette période ne sont pas si nombreux et del Toro replongera dans le franquisme avec Le Labyrinthe de Pan) et on retrouve l’intérêt du réalisateur pour l’aspect fantastique (teinté de moments horrifiques), avec cette histoire de fantôme témoin d’un drame passé (mais bien peu mystérieux à dire vrai). L’articulation autour des enfants est aussi une bonne idée mais empreinte d’une naïveté dont le réalisateur ne se départ pas tout au long du film (l’effet sera bien différent dans Le Labyrinthe de Pan).
Comme le scénario est somme toute assez mince (il y a bien peu de surprises et de révélations dans cet orphelinat en huis clos, où le jeune Carlos découvre à peu près tout dès sa première nuit), del Toro est obligé de rajouter des effets, ce qui nuit beaucoup à la fluidité de l’ensemble.

vendredi 24 janvier 2014

Harvey Milk (G. Van Sant, 2008)




On suit sans déplaisir ce biopic réussi de Gus Van Sant (qui lui tenait beaucoup à cœur). On plonge dans les années militantes pour les droits des homosexuels et le combat d’Harvey Milk en Californie. L’ambiance années 70, le bouillonnement militant du quartier, la lente progression électorale, les parallèles avec la vie privée d’Harvey Milk, tout cela est très réussi. La narration joue avec des flash-backs (Harvey Milk s’enregistre après coup et raconte son histoire) mais cela n’a que peu d’intérêts et apparaît plus comme un caprice de Van Sant (veut-il à tout prix une narration en allers-retours dans le temps ?).
On retiendra aussi l’excellente interprétation de Sean Penn, assez loin de ses rôles habituels, qui joue un mélange entre fragilité et force de conviction remarquable.


lundi 20 janvier 2014

E.T. l'extra-terrestre (E.T. the Extra-Terrestrial de S. Spielberg, 1982)





Ce film familial devait être, dans l’esprit de Spielberg, une petite réalisation sans grande prétention. On sait ce qu’il advint : ce fut le plus gros succès du cinéma. Mais il faut dire que, en plus de cocher toutes les cases du cahier des charges du film familial, il est remarquablement réalisé, avec ce talent qu’à Spielberg de parvenir à s’exprimer malgré le corsetage des producteurs. Sa qualité technique est manifeste dans ce film.
Spielberg, avec cette fraîcheur d’enfant qu’il parvient à distiller dans de nombreux films, pose sa caméra à hauteur d’enfant et procède à un double renversement : d’une part les héros sont des enfants et, d’autre part, les extraterrestres sont gentils ; ce sont les hommes (adultes) qui sont méchants. Sans être très fréquent, ce second renversement n’est pas nouveau : on a déjà vu (dans L’Homme de la planète X ou Le Météore de la nuit par exemple) de tel cas où ce sont l’avidité ou le racisme des hommes qui créent le conflit.



L’habileté, ensuite, du scénario est de relier ces deux particularités, et il revient donc aux enfants/adolescents d’aider l’extra-terrestre en perdition. Ce lien enfant/extra-terrestre est bien entendu parfaitement illustré avec Elliot, relié de façon certes télépathique mais surtout poétique à l’extra-terrestre.
Le film joue ensuite de situations charmantes, amusantes, mais aussi touchantes (parfois un peu trop sirupeuse) ou tragiques. La petite marionnette qu’est E.T. est parfaitement réussie : elle s’incarne en un personnage à la fois drôle et touchant.
On s’amusera du parallèle entre E.T. et Jésus : E.T., descendu sur Terre, aide les autres, fait renaître la fleur, souffre, meurt, ressuscite et repart au ciel. Certaines images du film, de même que la célèbre affiche du film, qui reprend La Création d’Adam de Michel-Ange, peuvent d’ailleurs inciter à une telle interprétation théologique du film.





vendredi 17 janvier 2014

Orgie sanglante (Blood Feast de H. G. Lewis, 1963)




Alors que le code Hays sévit encore et que les productions hollywoodiennes sont corsetées par la morale et les bonnes mœurs, Herschell Gordon Lewis, dans une production marginale, se fait plaisir et arrose consciencieusement l’écran d’un sang rouge et liquide. Le film, déjà, montre une violence tout à fait inutile mais aussi complètement vaine.
Orgie sanglante est une série Z quelconque – il est question d’un psychopathe qui remet au goût du jour de prétendues mœurs antiques égyptiennes – mais, malgré ses différents défauts, il plait beaucoup et, à grands coups de sauce tomate et de viscères d’animaux, il donne le coup d'envoi du genre gore, genre qui enfantera une multitude de rejetons et qui fait encore florès.



En ce sens, malgré sa médiocrité et bien qu’il ne soit aujourd’hui considéré que par les cinéphiles décidés à aller dénicher les premières sources d’un genre très particulier, Orgie sanglante constitue une borne négative et triste – mais une borne quand même – en faisant glisser le cinéma d’horreur (qui épargnait jusque-là au spectateur le spectacle des déversements de sang, en les laissant hors-champ) vers la monstration gore.

mercredi 15 janvier 2014

Piranhas (Piranha de J. Dante, 1978)




Film de série B de Joe Dante qui part des Dents de la mer et se construit à mi-chemin entre le remake et le pastiche. Bien loin d’en avoir le budget (ce qui est symbolisé évidemment par les piranhas qui sont tout petits (mais très voraces) comparés au grand requin de Spielberg), le film en reprend les grands axes, avec un certain humour corrosif. Question production, c’est un petit peu Les Dents de la mer pour les pauvres, sous la houlette de Roger Corman. La mise en scène joue d’ailleurs intelligemment de ce budget limité. Mais on comprend mal qu’un petit budget entraîne, de facto, un scénario simpliste. Les personnages en particulier, il est vrai bien mal servis par des acteurs insipides, sont dénués du moindre intérêt et de la moindre profondeur psychologique.
Le film, tout conscient qu’il puisse être de ses limites, reste évidemment bien loin de la qualité de l’original. La fin, cependant, montre bien combien ce film est un versant noir de l'original : on n'imagine pas Hollywood produire à grands frais une conclusion aussi terrifiante.


lundi 13 janvier 2014

Sans toit ni loi (A. Varda, 1985)




Si Sans toit ni loi a survolé la critique (Lion d’or, nombreux Césars), on ne se laisse pourtant guère embarqué par la caméra d’Agnès Varda, qui suit de façon distante et neutre son personnage fâché contre le monde et filmé comme il vient. Que cette position distante soit assumée n’empêche pas la froideur et si cette démarche semble moderne et dépoussiérante, tout cela est assez ennuyeux.
La construction en flash-back ne fait pas mystère de l’issue de ce cheminement sans queue ni tête (et sans foi ni loi) : la succession des étapes et des rencontres mèneront Mona à la mort, isolée et glacée, dans le fossé, au bord de la route. Le propos n’est pas d’expliquer ou de comprendre, mais simplement d’illustrer une suite de moments, certains vains, d’autres plus enlevés (la rencontre avec la platanologue). Sandrine Bonnaire, révélée brillamment par Pialat, promène ici sa moue boudeuse et lointaine tout au long du film et bloque toute relation entre le spectateur et le personnage, qui reste mince et sans intérêt.


Néanmoins on appréciera, dans cette volonté non pas de comprendre mais simplement de passer un temps avec les déshérités ou les marginaux, de ne pas faire un film qui se veut dénonciateur, moralisateur ou bien-pensant, comme c’est si souvent le cas.

samedi 11 janvier 2014

Le Colonel Chabert (Y. Angelo, 1993)




La version de Yves Angelo, bien que constellée de stars, est peu convaincante et très inférieure à celle de René Le Hénaff. On est, comme souvent, beaucoup plus dans le rendu appliqué d’une époque que dans le ressenti d’une atmosphère ou d’un univers. Il y a bien peu d'émotions, donc, dans cette adaptation de Balzac. Gérard Depardieu est un Chabert peu efficace et trop attendu, son œil est trop brillant. Fanny Ardent est déjà oubliée et il n’est guère que Fabrice Luchini qui fasse un très bon maître Derville.

Profitons-en pour remarquer que si Luchini est souvent très bon dans des rôles secondaires, on attend toujours un grand rôle de sa part. Rappelons que c’est au travers de grands rôles qu’un grand acteur peut s'illustrer, on attend donc impatiemment que cet acteur devienne grand.


jeudi 9 janvier 2014

A tombeau ouvert (Bringing Out the Dead de M. Scorsese, 1999)




Très bon film de Scorsese qui reprend l’idée de faire déambuler un personnage dans New-York la nuit (après Taxi Driver) et le pousse au bout de lui-même. Nicolas Cage est parfait dans ce rôle : les yeux exorbités, défoncé, camé, incapable de s’arrêter, en mission permanente de sauver le plus de vies possible (et se souvenant de celles qu’il n’a pu sauver), compulsif, il emporte le personnage dans un déséquilibre mental sans cesse borderline. On voit mal qui pourrait interpréter de façon à la fois si naturelle et si exagérée ce burn-out continuel de l’ambulancier, qui va de bas-fonds en bas-fonds, de grabataires en suicidaires, de stridence en stridence, interrompu seulement par quelques moments (dans « l’oasis » ou, ensuite, auprès de Mary, si émouvante), comme hors du temps, où il échappe à ce torrent qui l’emporte et le happe. Et le spectateur avec lui.
Scorsese met sa virtuosité, faite de vitesse, d’hallucinations, de jeux de sons et de couleurs, de symboles chrétiens (Frank est en mission et mille symboles viennent appuyer cette vision qu’il a de son travail), il recrée progressivement un univers, de plus en plus loin de la réalité (s’éloignant alors de Taxi Driver), de plus en plus proche de l’imaginaire délirant de Frank.


lundi 6 janvier 2014

Le Grand passage (Northwest Passage de K. Vidor, 1940)




Bon film de King Vidor, organisé autour de la personnalité du major Rodgers, incarné par un très bon Spencer Tracy. Au fur et à mesure de l'avancée de sa troupe, le major est sans cesse plus dur et on sent que Vidor aurait pu le pousser plus loin encore avant, dans un dernier moment trop hollywoodien, de le réhabiliter complètement. Ce personnage est un premier revirement dans les idées de Vidor, qui, après des films à la gloire de la communauté (de La Foule à Notre pain quotidien), glisse vers des films plus individualistes. Il ira ainsi jusqu’au Rebelle, où il prendra le parti du génie seul face au peuple.
Le film est très réussi dans son jusqu’au-boutisme (qu’on retrouvera par exemple dans Les Maraudeurs attaquent de Fuller), avec des hommes sans cesse repoussés au-delà de leurs limites physiques et morales.
On notera plusieurs morceaux de bravoure, comme la traversée de marécages, la chaîne humaine en travers de la rivière ou les barques emportées dans la montagne pour contourner l’ennemi (Fizcarraldo de Herzog en proposera une version XXL).
Le film était organisé comme une première partie qu’un deuxième opus devait compléter, mais les producteurs de la MGM en décidèrent autrement.


samedi 4 janvier 2014

La Légende de Gösta Berling (Gösta Berlings saga de M. Stiller, 1924)




Vaste fresque de plus de trois heures, qui emporte dans les campagnes suédoises, passe des chaleurs de l’été aux paysages enneigés, campe des personnages brûlants, ambitieux ou détruits et passant, aussi, de l’humour au tragique, de scène lentes à de grands moments de bravoure, La Légende de Gosta Berling est un sommet du cinéma suédois muet.
Certaines scènes sont remarquables, comme l’incendie ou les traineaux qui filent dans la neige, jusqu’à la chevauchée sur le lac gelé pour échapper aux loups.
Plus que Greta Garbo (qui n’a qu’un petit rôle), c’est Gerda Lundequist qui retient l’attention, au travers du beau personnage de la Commandante.
Suite à ce film, Stiller, mais surtout Greta Garbo, franchiront l’Atlantique pour rejoindre la MGM.


vendredi 3 janvier 2014

Le Deuxième souffle (J. P. Melville, 1966)




Très grand film de Jean-Pierre Melville, qui commence à maîtriser de bout en bout son propre univers. À partir non pas directement des films noirs américains, mais de l’image qu’il en a, Melville construit un monde particulier, immédiatement identifiable. En portant son regard sur le milieu de la pègre, Melville parle d’amitié, de trahison, de solitude, d’honneur. Autant de motifs qui traversent son œuvre et qui sont ici magnifiés.
Les acteurs sont admirables, quand bien même Lino Ventura et Melville ne s’entendent pas du tout (ils se retrouveront pourtant dans L’armée des ombres, chacun ayant conscience de la valeur de l’autre), et marquent de leur empreinte le film. Paul Meurisse, en commissaire lucide sur le milieu de la pègre, est remarquable.



Melville filme de longues séquences sans paroles (bien que le film soit moins taiseux que les polars qui suivront), tout en art du cadrage et du montage, pour peindre un personnage ou filmer une action avec sécheresse. C’est ce mélange de personnages et de silence, de motifs du film noir transposés dans un univers lent et géométrique, qui constituent la matière du film. En le comparant avec les polars français contemporains, ceux de Lautner (Les Tontons flingueurs) ou de Verneuil (Mélodie en sous-sol), on comprend toute la spécificité de l’univers original et unique de Melville.
Si le film est parfaitement maîtrisé et abouti et s’il s’impose comme l’un des plus grands polars français, Melville ira beaucoup plus loin dans ses recherches formelles avec Le Samouraï, où il fera tendre son univers vers l’abstraction.