mercredi 31 mars 2021

Passeport pour Pimlico (Passport to Pimlico de H. Cornelius, 1949)



Comédie anglaise sans grande saveur et guère d’inspiration, qui semble se contenter d’une idée originale comme accroche mais, ensuite, manque d’élan et d’enthousiasme et tourne rapidement à vide.
On est loin du fameux humour anglais et plus loin encore des grandes comédies anglaises contemporaines de l’après-guerre (Noblesse oblige, etc.).





 

lundi 29 mars 2021

Allez coucher ailleurs (I Was a Male War Bride de H. Hawks, 1949)

 

Cette screwball comedy de Howard Hawks – grand spécialiste du genre – si elle est tout à fait typique dans le ton, s’amuse d’un thème original : dans l’Allemagne de l’immédiat après-guerre, l’ami Cary Grant est un officier français (!) et l’on suit ses avatars avec Ann Sheridan, qui est, elle, un officier américain.
La première partie du film – jusqu’au baiser attendu – est tout à fait réussie, pleine de réparties et de situations amusantes. Mais, ensuite, quand il s’agit de jouer avec les règlements militaires pour que la nuit de noces et le rapatriement puissent se faire, le rythme baisse d’un ton. Même si cela nous vaut la drôlerie d’un Cary Grant déguisé en femme : le ressort habituel des screwball, avec le déséquilibre entre l’homme dominé par la femme, atteint ici son apex.





samedi 27 mars 2021

La Cité des femmes (La città delle donne de F. Fellini, 1980)

 

Federico Fellini, avec cette Cité des femmes, continue de construire son univers de rêve si typique. Mais le film, surtout si on le compare avec Etvogue le navire qui viendra juste après, semble formellement moins abouti et – comble pour le maestro créateur d’images – assez daté.
Mais il faut dire qu’ici le rêve ne conduit plus au surnaturel de la figure de l’Ange (figure qui marquait les premiers films de Fellini, notamment avec Giulietta Masina), mais il conduit à la décadence morale et physique. S’il y a toujours un tourbillon de rencontres et de figures délirantes ou grotesques, il n’y a plus guère d’amusement, plus de farandoles ou de cirque. Le rêve empli des fantasmes de Snaporaz (Mastroianni, qui est lui-même, bien entendu, le double de Fellini) tient parfois davantage du cauchemar, avec toutes ses pulsions qui ne mènent qu’à la décadence.


 

 

jeudi 25 mars 2021

Turkish Délices (Turks fruit de P. Verhoeven, 1973)

 



À partir d’une trame assez simple et conventionnelle (Olga – fille de commerçants – impose à sa famille sa relation avec Eric, sculpteur bohème), Paul Verhoeven frappe fort avec un film débordant d’une effervescence pulsionnelle et sexuelle, empli de fantasmes et de délires.
Dès ce deuxième film, son cinéma naturaliste explose à l’écran : dans l’image elle-même apparaissent souvent, comme des troncs d’arbres morts qui remontent et viennent flotter en surface, la mort qui rôde, le soubassement organique parfois en putréfaction et dont on ne peut s’extraire. Le film est parsemé de tels indices : ce sont les vers qui se tortillent sous le bouquet de fleurs, les prémonitions de cancers, les vomissures, le sang, les couleurs du sculpteur, les pensées morbides d’Olga. Avec ce monde imaginaire qui affleure par moment, Verhoeven se situe dans la lignée prestigieuse (et assez rare finalement) d’un Stroheim ou d’un Buñuel, grands cinéastes naturalistes.
Verhoeven construit une narration complexe et incertaine (on ne sait, tout d’abord, si les séquences du début de film sont des rêves ou des séquences vécues), travaillant sur un flash-back, incluant des scènes oniriques, jouant d’ellipses.
Eric (Rutger Hauer, qui sera souvent utilisé par Verhoeven), dans un univers sexuel et libertaire, à la pulsion vitale débordante, multiplie les aventures avec tout ce que la bonne société hollandaise peut lui offrir. Mais, bientôt, Olga retient Eric et le couple se forme, dans l’érotisme, le trash, l’outrancier. Verhoeven dynamite la société hollandaise, dans laquelle il semble qu’il y ait bien peu à sauver.


Verhoeven, dans ses films suivants, s’il gardera bien des signes de cette profondeur obscure dans laquelle pulse le monde, ne l’exprimera plus avec cette liberté féconde qui jaillit à l’écran. Cette retenue se verra particulièrement dans ses films hollywoodiens (même les plus remarquables), forcément plus policés et admissibles. Mais ici tout n’est qu’outrance, délire, sexe, pulsion, dans une crudité à la Jérôme Bosch, qui accumule mille détails, parfois incongrus ou scabreux, mais qui donnent une touche réaliste et singulière, de toutes ces pulsions qui débordent de l’écran. Et cette crudité et ces détails donnent beaucoup plus d’humanité touchante au film que dans ses réalisations américaines.




lundi 22 mars 2021

Woman at War (Kona fer í stríð de B. Erlingsson, 2018)

 

Il est bien dommage que, dans ce Woman at War, autour de Halla, la guerrière écolo qui part en croisade, toutes les cases qu’il faut cocher sont consciencieusement cochées, comme pour une leçon bien apprise : le yoga, le vélo, les méchants industriels, les vilains et anonymes policiers, la grosse usine d’aluminium, les photos de Gandhi ou Mandela, le gentil éleveur de moutons, l’adoption de la petite Ukrainienne, le réchauffement climatique, la cavalcade et le combat dans la Nature (se battre avec un arc, se cacher sous la glace ou sous une peau de mouton, se glisser dans l’eau d’une rivière glacée ou dans une source chaude), la communion et l’harmonie avec la Nature, etc.
On aimerait que l’Art, plutôt que de reprendre en boucle toutes les thématiques que la société nous assène, soit capable d’une distance, d’une innocence, d’une liberté, d’une gratuité d’action, sans devoir se glisser, toujours, dans un carcan idéologique imposé.
On aimerait que le cinéma nous montre autre chose qu’une mise en image de cette construction idéologique sans faille et sans finesse que l’on voit partout, et qu’il nous montre plutôt les incertitudes, les fissures, les contradictions, la complexité du monde en fait et non sa réduction à des schémas appliqués. Quelque chose qui soit brûlant ou glacé et non un sempiternel robinet d’eau tiède.

On peut avoir bien du mal, alors, à goûter aux qualités du film, lassé, d’emblée, par cet arrière-plan idéologique qui surgit à chaque instant et à tout propos. Le film est pourtant un mélange bien senti, entre action et portrait de femme, entre ironie et lyrisme, par moment (avec les différents chœurs qui accompagnent l’action d’Halla et la soutiennent, même, à la fin).
Halla est présentée comme une Antigone moderne, avec son combat écolo qui justifie, nous dit le film, d’outrepasser les lois des hommes. Les convictions de cette Antigone ne sont pas questionnées, le sujet n’étant pas de réfléchir à la position écologique, mais de montrer ses actes, qui sont le cœur du film. Halla ne doute pas, le réalisateur ne doute pas, la société ne doute pas, personne ne doute, semble-t-il : les entrepreneurs sont de gros méchants qui ne veulent que détruire, le réchauffement climatique condamne nos enfants, et la conscience citoyenne commande d’agir. Seule la question de l’action est posée (jusqu’où aller, quels risques prendre, etc.). Dès lors on ne peut questionner cet engagement, qui apparait comme indiscutable. La limite de l’action se produit, très simplement, lorsqu’elle vient mettre en danger l’autre grand projet, celui de l’adoption. Tout ce militantisme vient considérablement alourdir le côté pourtant facétieux du conte de Benedikt Erlingsson.
Et le film, derrière sa légèreté, prend cette morale écolo, caricaturale et simpliste très au sérieux : sans doute faut-il voir, dans la dernière séquence, un surgissement des conséquences du réchauffement climatique. Le militantisme du réalisateur, dans cette image de la route inondée où s'avance Halla avec sa petite dans les bras, se confond une dernière fois avec celui du personnage.



vendredi 19 mars 2021

Entre le ciel et l'enfer (Tengoku to jigoku de A. Kurosawa, 1963)

 

Très grand film d’Akira Kurosawa, qui, sous couvert d’un film policier noir parfaitement mené, propose un regard social terrible sur le Japon de son époque.
Dépassant allégrement l’intrigue policière (passionnante par ailleurs), Kurosawa allie avec génie le fond et la forme : il découpe son récit en plusieurs grands moments, auxquels sa mise en scène s’accorde à ce qu’il veut montrer.
Commençant en laissant le spectateur enfermé dans les grandes pièces de la maison luxueuse de Gondo, Kurosawa joue d’une géométrie parfaite, utilisant la puissance des corps des acteurs comme autant de pivots autour desquels il tourne. Les personnages, sans cesse, sont dos à dos, s’inclinent, se détournent, fixent le mur tout en s’adressant à un autre, sont séparés par autant de lignes droites qui viennent découper le plan. Déjà Kurosawa met en scène la tragédie qui se joue, entre Gondo, le riche, et le chauffeur, dont on a enlevé l’enfant par erreur. La mise en scène dit tout ce que les personnages ne disent pas directement : le rapport de domination entre le patron et l’employé ; l’humanisme évident de Gondo qui est parti de rien, qui est détesté pour cela et qui va finir ruiné. Kurosawa, qui manie avec une telle facilité les grands espaces et les mouvements exaltés, déploie un génie incroyable dans ces séquences où l’on reste confiné à quelques pièces.

Le film, ensuite, nous conduit dans la fabuleuse séquence de la remise de rançon, à bord du train en mouvement, sans une pause, et avec cette idée des caméras qui scrutent au dehors, formant des films dans le film, rajoutant au côté improvisé, trépidant et tout en mouvement de l’action dans cette séquence incroyable.
Le film, alors, se déploie dans toute la ville, où l’on suit l’enquête des policiers (organisés autour de Tatsuya Nakadai, qui partage l’affiche avec Toshiro Mifune pour la troisième fois de suite chez Kurosawa, après le diptyque Yojinbo-Sanduro). Et, au travers de l’enquête, qui nous fait croiser le meurtrier puis nous rapprocher de lui pas à pas, on découvre la ligne rouge du film, qui n’est présente d’abord qu’en filigrane puis que l’image vient exposer toujours davantage : le riche Gondo, dans sa villa qui domine la ville, face à la pauvreté, aux maisons délabrées, aux métiers pénibles.
Et Kurosawa, enfin, nous plonge dans les bas-fonds de la ville, changeant une nouvelle fois de style, traquant la pauvreté comme les policiers traquent le coupable, plongeant dans les bars dansants, où l’ivresse, le sexe et les drogues se mélangent, jusqu’à ce cloaque où le tueur (que l’on n’entendra jamais parler avant la scène finale) vient chercher une femme perdue,  achevant sa trajectoire – du haut jusqu’en bas ; du paradis à l’enfer – mais sans la lourdeur du film à thèse, sans le manichéisme partisan : Gondo est issu de ces bas-fonds, il s’est hissé en haut, le voilà projeté en bas à nouveau ; il devient populaire en sauvant le fils de son chauffeur (leurs enfants jouent ensemble, ce qui met à bas le regard de prétention que l’on prête à Gondo), ce qui le ruine… Mais, déjà, il est prêt à repartir et à fonder une nouvelle entreprise. Ce personnage – à qui Toshiro Mifune donne toute sa puissance de jeu – est remarquable de complexité et d’humanité rentrée (il faut voir comment il explique à sa femme – dont on comprend qu’elle n’a connu que la richesse et qui l’incite à payer immédiatement la rançon et donc à se ruiner – que la pauvreté est dure et que si lui la connaît elle ne le supporterait pas). Mais que l’on est loin, dans ces séquences dans les enfers de la ville et de la condition humaine, de l’harmonie luxueuse des débuts, avec la femme de Gondo en kimono traditionnel.

La séquence finale, dans la prison, est extraordinaire et mériterait une exégèse à elle seule, avec un Gondo silencieux devant le meurtrier qui libère sa parole avant de hurler son désarroi et sa haine, avant que le rideau de fer ne tombe, scellant les deux Japons qui, nous dit Kurosawa avec amertume, ne se comprennent pas.

Entre le ciel et l’enfer, on l’a compris, est un film exceptionnel qui montre combien Kurosawa, entre le chanbara ou les grands espaces (des Sept samouraïs à Ran), est aussi capable de passer au crible de sa caméra géniale les villes avec leurs complexités et leurs bas-fonds (depuis Vivre jusqu’à Dodes’kaden) en passant par le polar depuis le très bon Chien enragé jusqu’à ce film majeur, qui reprend tant de motifs du cinéaste.
On retrouve l’influence du film aussi bien dans les méandres de l’enquête policière du Vase de sable de Yoshitaro Nomura que dans le regard social, tout en verticalité, que l’on retrouve dans le récent Parasite de Bong Joon Ho.