samedi 29 août 2015

Le militantisme caché de certains films




Dans de nombreuses interviews, beaucoup d’artistes (pas seulement les cinéastes), aiment expliquer (ou laissent clairement penser) qu’ils ressentent le monde différemment, qu’ils y captent ce que d’autres – ceux qui ne sont pas artistes – ne captent pas. Qu’ils ont une acuité supérieure, en somme, à celle du vulgum pecus. Et, par là, il faut comprendre que c’est ce qui rend l’artiste exceptionnel.

Nous ne partageons pas du tout ce point de vue (point de vue qui, soit dit en passant, est d’un manque d’humilité étonnant). En effet, ce qui rend un artiste exceptionnel n’est pas dans sa capacité à ressentir, mais dans sa capacité à exprimer ce qu’il ressent, ce qui n’est pas du tout la même chose.

Cela dit, si on peut trouver une réelle acuité et une réelle vibration dans de nombreux films abordant différents thèmes (par exemple la rencontre amoureuse, filmée avec une sensibilité éblouissante chez David Lean ou Clint Eastwood), il est des domaines où l’artiste s'avère incapable de la moindre finesse.
C’est le cas de nombreux réalisateurs dont les films se veulent des dénonciations de la société actuelle qui y est décrite comme tragiquement capitaliste et épouvantablement dure et violente. Et, bien souvent alors, ils cherchent à se draper dans un réalisme qui n’en est pas un. Généralement leurs films s'appuient sur des cas particuliers, qui, s'ils existent réellement, sont des cas extrêmes. Or créer une émotion à partir de cas extrêmes semble un peu facile et artificiel, et raisonner à partir de tels cas est une erreur qui enlève tout poids à l’argumentation.
Sans aller jusqu’au militantisme d’un Costa-Gavras (dans Le Capital par exemple), des films comme La Loi du marché ou Deux jours, une nuit sont des exemples de films qui se veulent réalistes, mais qui pâtissent de telles lourdeurs.
Les choix scénaristiques ne relèvent pas du regard d’un artiste mais de celui d’un partisan qui, pour mieux faire passer son message, s’appuie sur un cas extrême non représentatif. A chaque fois le cas existe mais il n’en est pas réaliste pour autant.

Dans La loi du marché il est question d’une caissière licenciée parce qu’elle a ramassé dans une poubelle quelques coupons de réduction : sur les dix mille pertes d’emplois quotidiennes en France, ce cas est-il représentatif ? Ce cynisme violent du patron est-il un exemple typique de la relation patron-employé ? Dans Deux jours, une nuit, si les collègues de Sandra veulent conserver leur prime cela entraînera son  licenciement. Cette terrible alternative proposée aux employées, si elle a pu exister, comment penser qu'elle est habituelle ou commune ? Est-il besoin de grossir à ce point le réel pour être convaincant et toucher le spectateur ? Ces cas extrêmes ne font pas partie de la vie de tous les jours, contrairement à ce que le film cherche à nous faire croire.

On admirera, a contrario, le désastre qui frappe Antonio lorsque sa bicyclette lui est volée dans Le Voleur de bicyclette. La puissance du film vient, entre autre, de ce que ce vol infiniment banal prend une importance tragique. C’est au travers de ce banal tragique que la société décrite par De Sica est violente et touchante. Tout au contraire, la situation de Sandra est violente et désespérante parce que l’alternative imposée à ses collègues est épouvantable mais elle n’est pas du tout banale. C’est d’ailleurs là qu’est l’arnaque (aussi bien intellectuelle qu’émotionnelle) en faisant croire que cette situation est tout à fait représentative alors qu’elle ne l’est pas.
Si le capitalisme est si violent et provoque tant de désespoirs, pourquoi s’appuyer sur de tels cas ? Quel besoin d’utiliser des miroirs à ce point grossissant ? Le miroir grossissant, par définition, n’est jamais un gage de réalisme.
Sur un autre thème, on pense aussi à Joyeux Noël, qui cherche à nous faire croire, en s'appuyant là aussi sur un cas particulier, que les soldats allemands et français, pendant la guerre de 14-18, ne demandaient qu’à fraterniser sur les lignes de front.

A travers ces quelques exemples, on comprend que le réalisateur – « l’artiste » – n’a, bien souvent, pas du tout une acuité de regard particulière et que sa prétendue capacité à exprimer ce qu’il ressent est mise au service d’un objectif assez peu noble : émouvoir le spectateur dans le but de lui faire ingurgiter, l'air de rien, un joli petit prêt-à-penser.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire