Très bon film de Preminger, qui sous des airs
convenus de film de procès, n'en est pas réellement un. En effet, assez vite –
et le film est en cela étonnant – on se désintéresse de savoir si le roublard lieutenant
Manion (excellent Ben Gazzara) est coupable ou non. C’est toute la machine
juridique qui intéresse Preminger.
C’est que plus le film avance, plus il y a d’éléments
dévoilés et plus la situation, au lieu de s’éclaircir, devient embrouillée. On
ne saurait dire, alors, tout au long du procès, si Manion est coupable. Manion
accusé d’avoir tué un propriétaire de bar qui aurait violé sa femme. Et progressivement on n’est
plus sûr de rien, ni de l’agression supposée à l’origine du geste de Manion (sa
femme, l’aguicheuse et sensuelle Laura, a-t-elle réellement été agressée ?
Est-elle bien fidèle ?), ni de la pulsion de Manion (est-ce un mari fou de
douleur qui vient venger sa femme ou un calculateur froid et habile ?).
Laura Manion : n'est-elle pas trop aguicheuse et sensuelle pour une femme violée ? |
Le
procès est alors à la fois une partie d’échec et une partie de cache-cache entre
l’avocat (James Stewart, impeccable) et le procureur (Walter C. Scott, retors à
souhait). James Stewart est dans un de ses meilleurs rôles (ce qui n’est pas
peu dire) pour composer cet avocat désabusé, volontiers cynique, qui sent bien
que tout ne colle pas, qui doute de son client et de sa femme, qui s’interroge,
mais qui continue de croiser le fer avec le procureur.
Walter C. Scott au premier plan, devant James Stewart et Ben Gazarra, assis |
Bien sûr la justice américaine en prend pour son
grade : la vérité n’est pas objective, elle est une construction, lente et
chaotique, montée pièce par pièce à la fois par l’accusation et la défense, à
coups d’envolées verbales, de coups bas, de preuves douteuses, de harcèlement
de témoin, d’experts contradictoires. On préfère oublier la morale, on met en
avant ce qui nous arrange tout en fermant les yeux sur tel ou tel aspect de l’accusé.
Et c’est ainsi que s’établit ce que le procès considérera comme une vérité. Et
de cette vérité – qui n’en est pas une – découlera la peine. C’est dans la
construction de cette vérité que le film dépasse le genre habituel du film de
procès : on se désintéresse de la vérité objective (qui est celle du
déroulé réel des faits : c’est à partir de cela qu’il faudrait juger). On
ne sait pas, finalement, ce qui s’est réellement passé, les doutes qui ont
traversé la salle d’audience ne seront jamais levés – quand bien même le jury
rend son verdict – la vérité n’éclatera jamais au grand jour.
A noter une apparition de Duke Ellington
(auteur de la bande originale), qui joue au piano avec James Stewart.
James Stewart en duo avec Duke Ellington |
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