Exceptionnel film
de T. Kitano, qui dépasse de très loin les films de yakuzas, genre dont il est en apparence issu. En effet, loin de s’intéresser à des séquences d’action ou de règlements
de compte – kit de base des films d’actions asiatiques – Kitano s’attarde, au
contraire, sur les traumatismes passés, sur les temps morts, sur ce qui sépare
les êtres, jusqu’à leur faire regarder la mort comme une issue, une délivrance
ou, tout du moins, une évidence.
Comme pour d’autres
films de Kitano (Sonatine par exemple), le film est d’une très grande richesse
narrative et se construit de façon complexe autour d’un travail de montage
exceptionnel à plus d’un titre.
Le film joue à
la fois de ruptures brusques, de fulgurances, d’à-coups ; il joue aussi de
correspondances visuelles et symboliques ; il joue encore sur de grandes
séquences qui se répondent au travers du film ; il joue, enfin, sur une
discontinuité narrative incessante et incertaine.
Et, comme un
pivot autour duquel les images tournent et s’entrecroisent, reste le visage
brisé de l’inspecteur Nishi (Takeshi Kitano lui-même), figé dans ses
traumatismes, parfois agité d’un spasme sous l’œil ou d’un léger rictus.
Certaines
séquences – la violente arrestation où l’inspecteur est tué – sont montrées sans que
l’on sache de prime abord à quel moment de l’histoire elle se situe. En rupture
de ton par rapport aux autres séquences (absence de son d’ambiance, ralentis),
ces séquences forment une toile de fond dramatique à laquelle se rattache l’attitude
figée de Nishi. Le jeu du montage consiste alors à imbriquer des scènes explicites
dont on discerne mal leur rapport chronologique avec d’autres séquences qui
sont peu explicites mais dont la chronologie est précise (les moments où Nishi est avec
sa femme). Il faut alors sans cesse, pour le spectateur, s’interroger sur la
signification globale toujours en construction de l’histoire qui est
racontée.
D’autant plus
que dans le même temps, la structure narrative opère un grand montage parallèle
entre les deux inspecteurs (Nishi et Horibe, handicapé dans son fauteuil) qui,
chacun de leur côté, trouveront dans le suicide une façon d’échapper au passé.
Par ailleurs le montage
offre aussi des correspondances de formes, de couleurs, de sensations (cuts brusques
entre des coups de feu et des aplats de peinture, irruptions de fleurs en gros
plans, toiles peintes par Horibe) qui forment de puissants symboles visuels, quoique
ne participant pas directement à la narration.
C’est ainsi que,
derrière cette histoire qui peut sembler assez banale (celle d’un policier au
bout du rouleau dont le collègue et ami a été blessé et dont la femme est gravement
malade), Kitano tisse une trame d’images symboliques, qui sont en fait la
substance de ce qu’il fait passer au spectateur : l’existence tragique, l’acceptation
de la mort comme issue. Le couple, qui semblait à l’arrêt quand la femme de Nichi
était à l’hôpital, connaît alors de nouveau des joies simples (un feu d’artifice,
le jeu, subtilement hors champ, avec le gong) à proximité de la mort. Cela colore
le suicide final (traité lui aussi en ellipse) d’une teinte émotionnelle très
forte mais qui, paradoxalement et parce qu'il n’est pas
rattaché au traumatisme porté par la première partie du film, n’est pas triste.
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