mardi 14 février 2017

Hana-Bi (T. Kitano, 1997)



Exceptionnel film de T. Kitano, qui dépasse de très loin les films de yakuzas, genre dont il est en apparence issu. En effet, loin de s’intéresser à des séquences d’action ou de règlements de compte – kit de base des films d’actions asiatiques – Kitano s’attarde, au contraire, sur les traumatismes passés, sur les temps morts, sur ce qui sépare les êtres, jusqu’à leur faire regarder la mort comme une issue, une délivrance ou, tout du moins, une évidence.
Comme pour d’autres films de Kitano (Sonatine par exemple), le film est d’une très grande richesse narrative et se construit de façon complexe autour d’un travail de montage exceptionnel à plus d’un titre.

Le film joue à la fois de ruptures brusques, de fulgurances, d’à-coups ; il joue aussi de correspondances visuelles et symboliques ; il joue encore sur de grandes séquences qui se répondent au travers du film ; il joue, enfin, sur une discontinuité narrative incessante et incertaine.
Et, comme un pivot autour duquel les images tournent et s’entrecroisent, reste le visage brisé de l’inspecteur Nishi (Takeshi Kitano lui-même), figé dans ses traumatismes, parfois agité d’un spasme sous l’œil ou d’un léger rictus.


Certaines séquences – la violente arrestation où l’inspecteur est tué – sont montrées sans que l’on sache de prime abord à quel moment de l’histoire elle se situe. En rupture de ton par rapport aux autres séquences (absence de son d’ambiance, ralentis), ces séquences forment une toile de fond dramatique à laquelle se rattache l’attitude figée de Nishi. Le jeu du montage consiste alors à imbriquer des scènes explicites dont on discerne mal leur rapport chronologique avec d’autres séquences qui sont peu explicites mais dont la chronologie est précise (les moments où Nishi est avec sa femme). Il faut alors sans cesse, pour le spectateur, s’interroger sur la signification globale toujours en construction de l’histoire qui est racontée.
D’autant plus que dans le même temps, la structure narrative opère un grand montage parallèle entre les deux inspecteurs (Nishi et Horibe, handicapé dans son fauteuil) qui, chacun de leur côté, trouveront dans le suicide une façon d’échapper au passé.
Par ailleurs le montage offre aussi des correspondances de formes, de couleurs, de sensations (cuts brusques entre des coups de feu et des aplats de peinture, irruptions de fleurs en gros plans, toiles peintes par Horibe) qui forment de puissants symboles visuels, quoique ne participant pas directement à la narration.


C’est ainsi que, derrière cette histoire qui peut sembler assez banale (celle d’un policier au bout du rouleau dont le collègue et ami a été blessé et dont la femme est gravement malade), Kitano tisse une trame d’images symboliques, qui sont en fait la substance de ce qu’il fait passer au spectateur : l’existence tragique, l’acceptation de la mort comme issue. Le couple, qui semblait à l’arrêt quand la femme de Nichi était à l’hôpital, connaît alors de nouveau des joies simples (un feu d’artifice, le jeu, subtilement hors champ, avec le gong) à proximité de la mort. Cela colore le suicide final (traité lui aussi en ellipse) d’une teinte émotionnelle très forte mais qui, paradoxalement et parce qu'il n’est pas rattaché au traumatisme porté par la première partie du film, n’est pas triste.


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