Très intéressant film de
Peter Weir, au sentimentalisme sans doute trop marqué mais néanmoins remarquable sur plusieurs aspects.
On retient
évidemment le rôle charismatique du professeur Keating (Robin Williams gagne ici
ses galons de star), qui grimpe sur les tables, susurre le célèbre
« carpe diem » à ses élèves et leur parle de poésie (1). On retient également les différents
lycéens qui constituent autant de personnages sur lesquels se projeter. De
façon très habile, de nombreux spectateurs vivront le film au travers de tel ou
tel adolescent, chacun des membres du petit groupe ayant un profil bien à lui (Todd
est timide et complexé, Neil passionné, Knox amoureux, Charlie transgressif,
etc.). Le film, en parvenant à brosser une galerie d’adolescents et, surtout, à
montrer l’influence diverse de Keating sur chacun d’eux, est une réussite.
On regrettera
l’excès de sentimentalisme, que ce soit dans la mise en scène des amours naïves
de Knox ou dans la dernière partie du film.
Mais l’essentiel
du film (et des discussions qui ont trait à son sujet) porte sur le message que
Keating fait passer à ses élèves.
En effet le
public de Keating est bien jeune pour être capable, réellement, de comprendre
profondément le sens de son message. Keating s’adresse à des esprits non encore
formés, qui ne savent pas de quoi il retourne, et qui sont, dès lors, extrêmement
influençables (Keating devenant d’ailleurs une sorte de gourou : le film
montre l’ascendant que peut prendre un professeur qui n’y prend pas garde sur
ses élèves).
Keating, ne
doutant de rien, ambitionne rien moins que d’en faire des esprits libres. Or on ne peut
guère concevoir d’esprit libre (2) – et la chose, encore, est-elle extrêmement
hypothétique – que beaucoup plus tard, peut-être à partir de 25-30 ans, lorsque
la tête construite se sera confrontée aux premières expériences de vie
d’adulte. C’est de cette confrontation que peuvent naître des constructions
intellectuelles personnelles. Il s’agira alors d’oser penser par soi-même (le sapere aude de Kant) pour arriver à
construire sa propre pensée et, par-là, sa propre identité.
C’est là, sans
doute, le message voulu par Keating (et par P. Weir), mais il s’adresse à des
individus beaucoup trop jeunes, qui ne sont pas capables de ce recul intellectuel. Le collègue qui discute avec Keating et ironise sur l’âge des élèves est dans
le vrai. D’autant plus que les lycéens sont ici au cœur d’études difficiles et
très contraignantes. Carpe diem pour
des adolescents ? Il n’est pas certain que la limite entre profiter et
gaspiller soit bien cernée. Et il n’est pas certain non plus que des
adolescents, si on leur laisse le choix, acceptent volontiers de différer de
quelques années leur passion pour se concentrer sur des études astreignantes et
se plonger dans d’austères livres de littérature ou de chimie. Le trait paraît
alors bien trop grossi.
L’alternative évoquée
par le film semble être soit de diriger, à marche forcée, un adolescent vers un
destin prédéfini, soit de le laisser aller vers ses aspirations du moment :
on peut aussi imaginer un entre-deux. On retrouve ici, exprimée de façon
tragique, la confusion chez beaucoup d’adolescents entre la passion d’enfance
(passion qui peut se poursuivre à l’âge adulte) et le métier que l’on fera plus
tard. L’un et l’autre peuvent tout à fait être dissociés. Mais ni Neil, ni son
père ne l’entendent ainsi.
Cela dit il faut
aussi s’interroger sur le sens profond du film de Weir. On sait qu’un film se
déroulant dans un milieu bien déterminé et dans une situation bien précise (ici
des adolescents dans une école privée élitiste) est toujours une métaphore de
la société en général. Et c’est seulement si l’on prend le film tel qu’il se
présente, c’est-à-dire non pas comme une métaphore de la société mais bien
comme une réflexion sur l’éducation, que la portée du message devient beaucoup
plus discutable.
Mais, pris dans
le sens métaphorique, le message porté par le film (avoir un esprit libre) est
tout à fait pertinent et salvateur. On comprend alors le trait forcé (le père
rigoriste, le fils brillant qui veut tout plaquer pour faire du théâtre). C’est
ainsi qu’il faut voir le film comme une métaphore de la société davantage que
comme une prise de position sur l’éducation.
Dans ce sens, on remarquera de nombreuses similitudes avec Vol au-dessus d’un nid de coucou. Même main de fer qui tient un
groupe humain, même personnification de l’intransigeance (ici l’infirmière
Ratched, là le père de Neil), même dissonance d’un personnage (McMurphy pour l’un,
Keating pour l’autre), même impact de ce personnage sur les autres personnages,
jusqu’à l’explosion du système (le suicide de Billy, le suicide de Neil), même
réaction, ensuite, de l’institution (lobotomie de McMurphy, exclusion de
Keating), même caution finale, malgré tout, pour McMurphy (Chef Bromden qui s’évade)
et pour Keating (les élèves qui grimpent sur leurs tables).
On relèvera
enfin la grande variété des films de Peter Weir – qualité rare – qui a réalisé des
films aussi différents que Pique-nique à
Hanging Rock, The Truman Show ou Le Cercle des poètes disparus.
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(1) : On retiendra, entre autres citations, les très belles phrases de H. D. Thoreau, qui servent de leitmotiv au Cercle : « Je partis dans
les bois car je voulais vivre sans me hâter, vivre intensément et sucer toute
la moelle secrète de la vie. Je voulais chasser tout ce qui dénaturait la vie,
pour ne pas, au soir de la vieillesse, découvrir que je n'avais pas vécu ».
(2) : Rappelons le sens que Nietzsche donne à celui d’esprit libre (dans « Humain, trop humain ») :
« On appelle esprit libre celui qui pense autrement qu'on ne s'y attend de sa part en raison de son origine, de son milieu, de son état et de sa fonction, ou en raison des opinions régnantes de son temps. Il est l'exception, les esprits asservis sont la règle. Ce que ceux-ci lui reprochent, c'est que ses libres principes, ou bien ont leur source dans le désir de surprendre ou bien permettent de conclure à des actes libres, c'est-à-dire de ceux qui sont inconciliables avec la morale asservie. »
(2) : Rappelons le sens que Nietzsche donne à celui d’esprit libre (dans « Humain, trop humain ») :
« On appelle esprit libre celui qui pense autrement qu'on ne s'y attend de sa part en raison de son origine, de son milieu, de son état et de sa fonction, ou en raison des opinions régnantes de son temps. Il est l'exception, les esprits asservis sont la règle. Ce que ceux-ci lui reprochent, c'est que ses libres principes, ou bien ont leur source dans le désir de surprendre ou bien permettent de conclure à des actes libres, c'est-à-dire de ceux qui sont inconciliables avec la morale asservie. »
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