Grand succès
populaire des années 90, Forrest Gump
est construit avec un style assez aguicheur, organisé autour d’une idée faussement
originale et d’emblée un peu simpliste : plutôt que de brosser un portrait
conventionnel de héros, le réalisateur s’est attaché à créer un personnage un
peu simplet, neutre et extrêmement naïf.
Dès lors,
Forrest Gump, du haut de sa candeur et de son QI de 70, n’agit pas à proprement
parler mais il subit l’action en permanence, bringuebalé de part et d’autre de
l’Amérique et du monde.
Dans cette
histoire qui court de 1944 (date de sa naissance) à 1982 (moment où il est
assis sur un banc et raconte son histoire), Forrest n’a pas le contrôle de ses
actions : il subit les choses. Il est au Vietnam mais ne sait pas
pourquoi. Et s’il sauve sa section, c’est sans le vouloir : c’est juste
son ami qu’il veut sauver et il ramène un à un les autres soldats tant qu’il ne
l’a pas trouvé.
De la même façon il déclenche sans le vouloir – dans un rôle de catalyseur – de nombreux événements d’envergure nationale, aussi bien culturels que politiques (il influence Elvis ou John Lennon, il déclenche le scandale du Watergate).
De la même façon il déclenche sans le vouloir – dans un rôle de catalyseur – de nombreux événements d’envergure nationale, aussi bien culturels que politiques (il influence Elvis ou John Lennon, il déclenche le scandale du Watergate).
Forrest Gump
semble assembler bizarrement deux aphorismes de Pessoa qui nous dit, dans Le Livre de l'intranquillité, « agir c’est connaître le repos »
et « vivre c’est ne pas
penser ». La version de Forrest serait à peu près « agir, c’est
ne pas penser ». Forrest agit, mais sans aucune conscience sociale, sans rien comprendre au monde.
Il est
intéressant de voir que Jenny, l’amie d’enfance de Forrest (et petite amie en
pointillés), illustre le versant opposé de la vision sociale : elle a une
grande conscience de son temps, milite et épouse les formes contestataires
diverses et variées de son époque (des hippies aux Black Panthers).
C’est ainsi que si Forrest passe à côté du monde, il a malgré tout une forte
influence sur celui-ci, alors que Jenny, absolument consciente, se démène en
vain. Le film oppose donc la puissance inconsciente, mais décisive, à la
conscience sociale forte, mais vaine, de l’Amérique. Le film conclut son idée
en 1982, où la puissance froide de l’Amérique finit d’écraser la
contre-culture.
Dans cette
optique et malgré une forme plutôt plaisante (on s’amuse des entrevues avec
des célébrités ou de l’intervention impromptue du personnage à tel ou
tel moment historique), le film, qui revisite une quarantaine d’années de l’Amérique,
dresse finalement un portrait assez sombre : les combats sont vains,
l’Amérique est davantage présentée comme un monstre qui avance et écrase les
choses de façon mécanique et irrésistible.
On notera que si
les moments où Forrest apparaît inséré dans différentes scènes historiques sont
amusants et bien vus, ils restent très en-deçà du prodigieux Zelig de Woody Allen, qui, dix ans plus tôt,
a développé cette idée avec une virtuosité étonnante et un contenu symbolique
très supérieur.
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