lundi 31 décembre 2018

Jack le Magnifique (Saint Jack de P. Bogdanovitch, 1979)




Étonnant film de Peter Bogdanovich, qui nous promène, sur un ton désinvolte et cool, dans un Singapour foisonnant, empli de prostituées, de petits arrangements, d’Anglais nostalgiques et fêtards et que traverse un Ben Gazzara nonchalant, au charisme tranquille.



L’étrangeté du film vient à la fois du rythme de fausse lenteur (ou de fausse rapidité comme on veut) et de ce ton doux-amer parfaitement tenu par Ben Gazzara, à la fois résigné et bonhomme. Son personnage – Jack le magnifique – cœur battant du film, pose un regard détaché, narquois mais aussi affable sur ce monde qui s’agite. Et l'on comprend, peu à peu, au gré d’allusions et à mesure que le film avance et que se noue une amitié avec William, que Jack est un personnage blessé, extrait du monde (il y a du Bogart – celui de Casablanca  dans Jack). D’où cette impression que les événements glissent sur lui, que rien ne compte vraiment, ni les déboires de telle prostituée, ni les menaces de la mafia chinoise locale, ni, bien sûr, une quelconque morale.
Mais l’évolution, sur quelques années, de sa situation – son bordel qui est détruit puis l’opportunité que lui offre la CIA – va le conduire, malgré tout, à découvrir ses limites. C’est ainsi que, Jack, en refusant finalement le sale boulot qu’on lui proposait, regagne sa dignité, et fait davantage corps avec la population de Singapour, qu’il ne toise plus gentiment mais dans laquelle il se fond.
Bogdanovitch, l'air de rien, au-delà du style et du rythme de son film, aborde frontalement des sujets qui fâchent (la prostitution, Singapour utilisé comme bordel pour les troupes en transit vers le Vietnam, le néocolonialisme).



Saint Jack offre ainsi une belle représentation de cette frénésie des rues populaires, avec ces occidentaux perdus au milieu des Chinois. Et Ben Gazzara, au-delà de son excellent jeu d’acteur, renvoie le film vers ceux de John Cassavetes (on pense à Meurtre d’un bookmaker chinois notamment), avec cette manière de saisir en direct la rue, au travers de longs plans séquences qui s’étirent.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire