Film ébouriffant
de Terry Gilliam qui fait feu de tout bois. Il propose une dystrophie à la fois
amusante et très noire, mélangeant comme dans un shaker Orwell et Kafka, parvenant
à conjuguer une inventivité de tous les instants avec des images très
métaphoriques ou aliénantes qui rendent compte parfaitement des traits
saillants de la société moderne (depuis les bouillies infâmes des restaurants gastronomiques
jusqu’aux écrans qui envahissent et déforment tout (lors même que les
ordinateurs, en 1985, ne se sont pas encore répandus dans les bureaux), en
passant par la chirurgie esthétique délirante). Bien entendu les rapports humains
sont aliénants au possible et l’univers semble engoncé dans une architecture écrasante
et suffocante, avec l’idée géniale de rendre organique cette forêt de tuyaux et
de conduits en tous genres qui se cachent derrière chaque mur et débordent sans
cesse, ahanant et pulsant comme un monstre endormi, sûr de sa force, contre
lequel tout combat est perdu d’avance.
L’esthétique de Gilliam,
entre abstraction et expressionnisme, met en mouvement une cité qui évoque Metropolis, joue de cadrages insolites, d’exubérances et d’anamorphoses,
remplit le cadre de décors abstraits, froids et colossaux, incruste des slogans
sortis tout droit de 1984, entremêle
des personnages effrayants ou dépravés, assimile l’homme à un insecte et écrase
tout ce petit monde par les coups de buttoir d’un Léviathan bureaucratique
abrutissant et violent, dont on sent battre sans cesse le pouls.
La fin est
remarquable : sauf à vouloir donner une vision positive complètement
dissonante après tant de noirceur, le conventionnel happy-end hollywoodien
n’était pas possible. Le doux rêveur qu’est Sam Lowry ne pouvait pas sortir indemne
de ces méandres terribles et suffocants ; il ne pouvait même pas s’en
sortir du tout. Tout comme l’Icare qu’il est dans son rêve, il se brûle les
ailes à courir après la femme de ses rêves qu’il rencontre, matérialisée, dans
le réel son rêve. Las, cette société n’admet pas que les rêves puissent avoir
quoi que ce soit qui se raccroche au réel.
Même si Gilliam
reprendra des éléments issus tout droit de cette esthétique (dans L’Armée des 12 singes notamment), il ne
proposera plus un tel univers entièrement clôt sur lui-même et uniquement
peuplé de ses visions cauchemardesques.
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