Très grand mélodrame de Douglas Sirk, dont c’est le dernier
long métrage, et qui semble s’orienter d’abord vers une histoire assez simple
centrée sur Lora et ses rêves de gloire (elle sacrifie tout à son ambition
d’être actrice, allant jusqu’à refuser une relation stable avec Steve Archer dont
elle est pourtant éprise) mais qui s’enrichit en réalité considérablement en
modifiant le centre de son propos, jusqu’à graviter de plus en plus autour de
Sarah Jane, la jeune fille qui refuse sa condition noire et cherche à s’en
émanciper, dans cette Amérique encore raciste des années 50. Ce que l’on a cru,
le temps d’une séquence être très stéréotypé, devient en réalité un regard
brûlant sur la société. Le film s’empare donc du problème du passing où
des femmes noires à la peau suffisamment claire tentent de transcender leur
condition en se faisant passer pour blanches. Le drame se noue alors à la fois
dans les tentatives (qui échouent) de Sarah Jane d’intégrer le monde des blancs
et dans le rejet très violent de sa mère, l’humble Annie, qu’elle renie. Comme
Sirk dresse un portrait sur des années (avec de belles ellipses temporelles), l’on voit l’enfant devenir adolescent et affirmer sa volonté d’émancipation
progressivement.
Le film construit ainsi, à partir de ces différentes
histoires, un parallèle entre l’émancipation de Lora qui cherche à devenir
actrice et celle de Sarah Jane qui cherche à devenir danseuse – blanche – dans
un cabaret. L’une et l’autre, finalement, connaîtront bien des déceptions.
Sarah Jane en larmes devant le miroir qui lui renvoie le reflet de sa mère noire qu'elle rejette |
Mais la réussite de Lora apparaît bien superficielle et
vaine de même que Sarah Jane ne parvient jamais à renier ses origines (et la
séquence finale, même, montre ses regrets d’avoir rejeté sa mère noire). Sirk
semble alors nous dire qu’il ne sert à rien de se mentir et que la vérité
refera toujours surface. C’est un peu le sens du titre original (Imitation
of Life) et du fameux générique où des diamants pleuvent sur l’écran.
La fin vient enrichir encore le récit puisque, plus le film avance et plus on se rend compte que le cœur du récit, l’âme du récit pourrait-on dire, n’est pas tant Sarah Jane que sa mère Annie. Face au rejet violent de sa condition noire par Sarah Jane, s’oppose la calme résignation de sa mère (elle va jusqu’à renoncer à sa condition de mère pour appuyer le mensonge de sa fille). La dernière séquence – à la fois lyrique et lacrymale – vient confirmer ce point d’équilibre d’Annie, où un immense hommage lui est rendu (avec des chœurs de Gospel, des chevaux blancs tirant le cercueil dans une grande procession). La position de Sirk sur les questions sociales qu’il aborde est sans doute à chercher du côté de cette position centrale donnée à une femme noire. Il montre que l’émancipation est vouée à l’échec (même s’il montre aussi les aspirations naissantes des femmes dans la société américaine) et que Annie, par sa résignation, semble plus digne, son film tient plus du regard acéré que d’une utopie sociale dénonciatrice.
Cette fin, cela dit ne résout rien, car on a peine à croire que la volonté d’émancipation de Sarah Jane, qui se réconcilie sur le cercueil avec sa mère, s’éteigne brusquement.
Sirk construit donc un film complexe, faisant résonner la
chatoyance de certaines séquences avec d’autres glaçantes, des moments
bouleversants avec d’autres très violents. Toujours pleine de symboles, la mise
en scène, dont le cœur est ici le faux-semblant ou l’artificialité, accentue
cette double impression – à la fois chaude et glacée –, jouant sur la lumière,
les couleurs, les cadrages, les miroirs omniprésents qui viennent refléter la
superficialité des aspirations, avec le monde de Lora et Sarah Jane, comme réduit aux deux dimensions d'une image, qui ne peut que les décevoir.
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